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Angleterre – Écosse – Irlande

  • Départs & prix

Pays visités : Angleterre , Écosse , Irlande , Royaume-Uni

Vallées au vert profond, châteaux crénelés qui se mirent dans des lochs, abbayes et manoirs aux creux des landes mauves des bruyères, troupeaux de moutons à l’horizon... voici l’Écosse riche de mystères et de traditions romantiques. Imaginez une île peinte d’un camaïeu de verts, ondulante de collines, de landes, de lacs et de rivières, ourlée de jolies côtes, éclairée d’une lumière particulière... ainsi l’Irlande se dévoile. Bus impérial et «shopping» sur Oxford Street, châteaux de reines et histoires de princes, chapeaux melon et gardes à cheval... C’est l’Angleterre dans tout ce qu’elle a de plus «British».

NOS COUPS DE CŒUR :

  • découverte complète du Royaume-Uni
  • entrée au château d’Édimbourg
  • découverte des falaises de Moher
  • entrée au collège de la Trinité
  • visite du site de Stonehenge

Jour 1 MONTRéAL : DéPART

Rendez-vous à l’aéroport de Montréal pour y prendre un vol de nuit vers l’Europe; repas à bord.

jour 2 LONDRES - OXFORD - RÉGION DE STRATFORD-UPON-AVON (250 KM)

Arrivée à Londres . Accueil par votre équipe guide et conducteur et départ immédiat vers Oxford. Tour d’orientation de cette ville universitaire. Continuation vers Stratford-upon-Avon, ville natale de Shakespeare et installation dans la région. Ce soir, le dîner de bienvenue vous permettra de faire connaissance. (D)

jour 3 RÉGION DE STRATFORD-UPON-AVON – YORK (275 KM)

Route vers York à l’atmosphère médiévale. Tour de ville à pied puis temps libre vous permettant de découvrir Yorkminster, une des plus belles cathédrales anglaises. Installation à votre hôtel et dîner . (PDB/D)

jour 4 YORK – ÉDIMBOURG (300 KM)

Ce matin, vous prendrez la route en direction de l’Écosse via le parc National Northumberland et Jedburgh. Vous atteindrez la capitale, Édimbourg , reflétant l’histoire romantique et turbulente de ce pays. Installation à votre hôtel et dîner . (PDB/D)

jour 5 ÉDIMBOURG : VISITE

La visite guidée d’Édimbourg vous fera découvrir Princes Street et ses magnifiques jardins, le Royal Mile qui relie le palais de Holyrood au château d’Édimbourg, que vous visiterez , avec l’exposition présentant les joyaux de la couronne écossaise  (sous réserve). (PDB)

jour 6 ÉDIMBOURG – GLASGOW – RÉGION DES LACS (300 KM)

Ce matin, en route pour Glasgow, tour de ville avant de traverser la superbe région des lacs. Vous rejoindrez le «Lake District». Installation à l’hôtel et dîner . (PDB/D)

jour 7 RÉGION DES LACS – DUBLIN (350 KM)

Aujourd’hui, départ afin de vous rendre à Chester à l’aspect médiéval, l’une des plus pittoresques cités d’Angleterre. À l’arrivée, tour de ville à pied : les remparts de sa vieille ville et ses belles maisons à colombages, reliées entre elles par les «rows». Puis c’est en traversant les massifs sauvages du pays de Galles que vous arriverez à Holyhead , port d’embarquement pour la traversée de la mer d’Irlande (environ 3h30) en direction de Dublin , capitale de la république d’Irlande. Dîner . (PDB/D)

jour 8 DUBLIN : VISITE

Visite de Dublin avec un guide local : la cathédrale St-Patrick, O’Connell Street, le parc Phoenix… Visite du collège de la Trinité, où se trouve le «Book of Kells» , manuscrit illustré des Évangiles, datant du 8e siècle. L’après-midi sera libre. Une soirée optionnelle irlandaise incluant le dîner vous sera proposée.  (PDB)

jour 9 DUBLIN – RÉGION DE LIMERICK (340 KM)

Cette journée vous fera apprécier une région aux multiples visages. Vous atteindrez les falaises de Moher, les plus impressionnantes du pays. Vous découvrirez ensuite le château Bunratty qui a été, par sa situation stratégique sur la rivière Shannon, le théâtre de nombreuses batailles, ce qui lui a valu d’être détruit puis reconstruit à 8 reprises! Visite du «Folk Park», attenant au château, qui est une représentation vivante de l’habitat rural irlandais du siècle dernier. Continuation vers la région de Limerick, troisième ville de la République. Installation à l’hôtel et dîner . (PDB/D)

jour 10 RÉGION DE LIMERICK – ANNEAU DE KERRY – RÉGION DE KILLARNEY (265 KM)

En route pour la découverte de l’Anneau de Kerry. Par la baie de Dingle, où l’on parle encore le gaélique, Waterville située entre le lac de Lough Currane et la côte Atlantique, de hautes falaises, de petites criques et de secrets vallons, vous atteindrez la région de Killarney située dans un paysage montagneux très diversifié. Dîner . (PDB/D)

jour 11 RÉGION DE KILLARNEY – CORK – RÉGION DE WEXFORD (265 KM)

Départ vers Cork où de jolis canaux traversent le centre-ville. Continuation jusqu’à Waterford . Tour d’orientation avant de prendre la route jusqu’à la région de Wexford , classée ville du patrimoine irlandais. Installation à l’hôtel et dîner . (PDB/D)

jour 12 RÉGION DE WEXFORD – CARDIFF – BRISTOL (375 KM)

Départ très tôt ce matin afin d’effectuer la traversée du «St-George’s Channel», au départ de Rosslare (environ 3h30), qui vous ramènera sur le sol britannique en direction de Cardiff. Tour de ville de la capitale du pays de Galles, sanctuaire du rugby. Puis vous gagnerez Bristol où se mélangent dans son architecture, le roman et le gothique; installation et dîner . (PDB/D)

jour 13 BRISTOL – BATH – LONDRES (220 KM)

En route vers Bath qui, comme son nom l’indique, est réputée pour ses eaux thermales. Visite à pied de Bath qui conserve d’importants vestiges d’un passé lointain. Route vers  Stonehenge et visite du site. Continuation vers Londres, installation à l’hôtel. (PDB)

jour 14 LONDRES : VISITE : VISITE

Ce matin, la visite guidée de Londres vous fera voir Hyde Park, Piccadilly Circus, Trafalgar Square et le palais de Buckingham. L’après-midi sera libre pour vous permettre de faire des emplettes, visiter un musée, prendre l’Impériale : autobus à 2 étages ou participer à une excursion facultative au château de Windsor . En soirée, vous terminerez votre voyage en beauté par un dîner d’adieu . (PDB/D)

jour 15 LONDRES :JOURNÉE LIBRE

Aujourd’hui, profitez de votre journée libre pour continuer votre découverte de Londres.   (PDB/D)

jour 16 LONDRES - MONTRéAL

Transfert à l’aéroport de Londres pour y prendre votre vol à destination de Montréal; repas à bord. (PDB)

PDB PETIT DÉJEUNER DE STYLE BUFFET CONTINENTAL / L LUNCH / D DÎNER

Les kilométrages sont donnés à titre indicatif seulement

Consulter la fiche du tour Angleterre – Écosse – Irlande

Dates de départs, nos prix comprennent  :.

  • transport aérien Montréal/ Londres/Montréal
  • transport en autocar climatisé adapté à la taille du groupe
  • service d’un guide francophone de l’arrivée à Londres jusqu’au jour 14
  • service d’écouteurs individuels pour la durée du circuit
  • hébergement en chambre à 2 personnes
  • taxes et pourboires aux hôtels et aux repas inclus
  • repas compris : 14 petits déjeuners de style  buffet continental , 8 dîners, 1 dîner de bienvenue avec vin   et 1 dîner d’adieu avec vin
  • visites guidées (guides locaux) d’Édimbourg, Dublin et Londres
  • tours de ville/d’orientation d’Oxford, Stratford, York, Glasgow, Chester, Killarney, Cork, Waterford, Cardiff et Bath
  • entrée à l’exposition des joyaux de la couronne écossaise (sous réserve)
  • traversées Angleterre/Irlande/Angleterre
  • entrée au Collège de la Trinité à Dublin
  • entrée sur le site des falaises de Moher
  • entrées au château de Bunratty et à son Folk Park
  • découverte de l’Anneau de Kerry
  • taxes d’aéroports :  840 $

HÔTELS (OU SIMILAIRES) :

  • RÉGION DE STRATFORD-UPON-AVON : Mercure Walton Hall SUP.
  • YORK : Holiday Inn York City Centre SUP.
  • RÉGION D’ÉDIMBOURG : The Grassmarket Hotel SUP.
  • RÉGION DES LACS : Mercure Dunkenhalgh SUP.
  • DUBLIN : Radisson Blu Royal Hotel SUP.
  • RÉGION DE LIMERICK : Limerick Strand Hotel SUP.
  • RÉGION DE KILLARNEY : Park Avon Hotel SUP.
  • RÉGION DE WEXFORD : Hôtel Ferrycarig SUP.
  • RÉGION DE BRISTOL : DoubleTree by Hilton Bristol North (mai et juillet) SUP. / Mercure Bristol North The Grange SUP. / Mercure Holland House Hotel Bristol (22.09) SUP.
  • LONDRES : Hôtel St-Giles PRE.

✈  Nos contrats aériens ne nous permettent à aucun moment d’effectuer des sélections de sièges.

Circuits Europe

  • Promotion client fidèle
  • Sommaire et présentation de la brochure
  • Table des matières par pays
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Merveilles d’Écosse

Irlande verte

Toute l’Irlande

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Royaume-Uni

Suivez les traces de la monarchie britannique à travers les grandes villes et les paysages verdoyants très contrastés des quatre nations du Royaume-Uni. L’Angleterre, la plus grande et la plus peuplée, se démarque par ses palais, ses musées et ses universités prestigieuses. L’Écosse est réputée pour ses sauvages Highlands, ses moutons et ses châteaux au bord des lochs. Le pays de Galles (Wales) avec son littoral découpé en péninsules et l’Irlande du Nord avec ses paysages glaciaires charment les visiteurs.

Quand s’y rendre.

  • Les mois de mai et de septembre sont moins touristiques que l’été.
  • Les mois de novembre à février sont moins agréables en raison du froid humide et de la nuit qui tombe tôt.

Comment payer

  • Les cartes de crédit sont acceptées partout.
  • La livre sterling anglaise peut être utilisée et échangée partout au Royaume-Uni.
  • La livre sterling écossaise n’est ni acceptée, ni échangeable en Angleterre. La dépenser en Écosse!
  • Beaucoup de nourriture de type brasserie, accompagnée de bière.
  • La cuisine indienne est très présente.
  • Il faut goûter aux fameux fish and chips.
  • Ne pas manquer l’heure du thé!

Se déplacer

  • Le service de transport en commun est excellent.
  • Il est plus facile de se déplacer en train et en autobus qu’en automobile à cause du sens de la circulation.

Informations importantes concernant cette destination

Vous prévoyez visiter prochainement cet endroit? Vous trouvez ci-dessous toutes les informations liées aux exigences d’entrée dans le pays et les restrictions sanitaires.

Consulter les notes légales

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Votre responsabilité. Il est de votre responsabilité de vous assurer, pour vous-même et pour toute personne (y compris les enfants) voyageant avec vous, que vous respectez toutes les exigences d’entrée, de transit ou de sortie dans tous les pays et dans toutes les régions de votre itinéraire, ainsi que pour entrer au Canada et en sortir. La décision finale quant à l’autorisation d’entrer dans un pays ou d’y transiter revient au gouvernement et aux agents du pays à destination vers lequel vous voyagez.

Voyages CAA-Québec n’est pas responsable de l’exhaustivité et de l’exactitude des renseignements fournis par Sherpa. Voyages CAA-Québec et ses employés ne seront en aucun cas tenus responsables de tout dommage, réclamation, perte, coût, dépense ou responsabilité de quelque nature que ce soit qui pourrait résulter des renseignements obtenus par le biais du site Web de Sherpa ni de l’utilisation qui en est faite.

Le tartan, tissu à carreaux écossais

Petits morceaux du Royaume-Uni à rapporter

  • Du whisky écossais (profitez-en pour visiter une distillerie!)
  • Des lainages d’Écosse
  • Le tartan, tissu à carreaux écossais
  • Du thé british
  • Des toffees moelleux (sorte de caramel au beurre)
  • Une peluche de l’ours Paddington

Activités incontournables

Découvrir Stratford-upon-Avon en Angleterre, ville natale du dramaturge William Shakespeare

Prendre le traversier entre l’angleterre et l’irlande, fouler les lieux de tournage de la série trône de fer , en irlande du nord, faire une randonnée dans la vallée de glencoe en écosse, se rendre au château de highclere situé à newbury – pour les mordus de la série downton abbey .

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Les charmes de l’Angleterre

Les mots de Shakespeare, la musique des Beatles, l’attachement à la famille royale, la passion du football (le ballon rond, pas l’autre)… C’est tout cela, et bien plus, qui fait le charme de l’Angleterre. En plus de Londres, découvrez ces autres villes qui méritent le détour: Oxford, Liverpool ou encore Manchester.

Il est interdit de fumer dans tous les lieux publics au Royaume-Uni depuis 2006. Il est également illégal de fumer dans une voiture en présence d’enfants mineurs en Angleterre et au pays de Galles depuis octobre 2015. Une telle infraction est passible d’une amende.

Bon à savoir

Communiquez avec l’un de nos conseillers pour planifier votre voyage dans l’une des plus vieilles monarchies du monde..

CONTACTER UN CONSEILLER

Saviez-vous que?

Beaucoup d’Anglais ne possèdent pas d’automobile, car il est plus facile de se déplacer en transport en commun.

Attraits touristiques

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Londres et ses monuments célèbres

Cette ville mondiale regorge d’attraits notoires, comme l’horloge Big Ben, l’abbaye de Westminster, le palais de Buckingham, la tour de Londres, Trafalgar Square, le Hyde Park, la grande roue London Eye ou le Tower Bridge, pont emblématique.

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Édimbourg et son château médiéval mythique

Édimbourg, la capitale écossaise, a conservé son patrimoine moyenâgeux. Du haut d’une colline, son château médiéval surplombe Old Town et le palais de Holyrood, demeure royale.

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C’est à Inverness, au nord de l’Écosse, que se trouve le fameux loch Ness, le lac du légendaire monstre Nessie. La ville se trouve dans la Great Glen, une faille géologique d’où émergent des paysages parsemés de nombreux lacs.

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Lake District et ses sentiers de randonnée

Le parc national Lake District, le plus grand d’Angleterre, compte plus de 2000 km2 de lacs et de montagnes. C’est le royaume de la randonnée, mais aussi du VTT et de la voile.

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Stonehenge et ses mystérieuses pierres

Depuis cinq mille ans, le fameux cercle de pierres bleues géantes de Stonehenge, en Angleterre, fascine les scientifiques et les touristes. Ce site préhistorique constitue une énigme archéologique.

Points forts

  • L’accueil et l’ouverture du peuple anglais.
  • Les routes paisibles.
  • La diversité des paysages et des nationalités.

À considérer

  • L’accent anglais parfois difficile à comprendre.
  • Le coût élevé de la vie.

Découvrez nos croisières et circuits explore

Angleterre

Pour votre sécurité…

Avant tout voyage à l’étranger, consultez la page Conseils aux voyageurs et avertissements produite par le gouvernement du Canada afin de connaître la situation du pays que vous voulez visiter.

L’assurance voyage: essentielle!

Pour vos voyages à l’international, il est préférable d’opter pour une assurance voyage vraiment complète. Vous serez ainsi couvert pour toutes sortes d’imprévus avant, pendant et même parfois après votre voyage. L’Assurance voyage CAA-Québec propose une couverture tout indiquée pour protéger votre santé, votre budget, vos bagages et vos effets personnels .

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Irlande-Écosse-Angleterre

Irlande-Écosse-Angleterre

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Pays visités : angleterre, écosse, irlande.

Voici un circuit qui vous fera voir des paysages uniques et grandioses de l’Irlande et de la Grande-Bretagne. Votre voyage débutera dans le « fair city » de Dublin. Vous aurez l’occasion de découvrir l’Irlande du Nord, la côte d’Antrim ainsi que le renommé site de la Chaussée des Géants. Au cours de ce voyage, vous irez en Écosse, pays du kilt et du scotch. Vous serez charmé par Édimbourg, ville forteresse, et son château mythique. Londres est également au rendez-vous. Vous aurez suffisamment de temps libre pour explorer à votre rythme cette ville envoûtante. Ce programme, spécialement conçu par Groupe Voyages Québec, vous permettra de connaître la véritable culture locale et de découvrir les incontournables des îles Britanniques. Une invitation à vivre une expérience exceptionnelle !

VALIDITÉ DES PRIX : Les prix annoncés dans la présente brochure sont basés sur les coûts fixes applicables au moment d’aller sous presse. Ces coûts dépendent du taux de change et/ou d’autres facteurs. Groupe Voyage Québec se réserve le droit d’augmenter les prix advenant une augmentation des taxes, de taux de change, des redevances ou des frais autorisés par une autorité publique compétente.

Informations

J1 vols vers dublin.

Vols vers Dublin.

J2 Dublin (2 nuits)

Arrivée à Dublin. Accueil par votre guide de parcours. Tour panoramique  en bus de la  fair city  où vous pourrez voir, entre autres, le  Trinity College  fondé en 1592 par la reine Élisabeth 1ère et la cathédrale Saint-Patrick. Le reste de la journée sera libre pour vous permettre de découvrir à votre guise cette ville trépidante. Dublin, siège de la brasserie Guinness, s’enorgueillit d’avoir le plus vieux pub du pays, le  Brazen Head . C’est le temps d’aller y relaxer ou de déambuler dans le quartier de  Temple Bar  avec ses petites rues pavées.

Profitez de votre journée libre pour découvrir Dublin à votre rythme. PD

J4 Dublin – Galway (2 nuits)

Direction la côte ouest de l’île. En route, vous découvrirez  les ruines et le monastère de Clonmacnoise , datant du 6e siècle, où vous pourrez admirer des anciennes croix celtes. En après-midi, vous visiterez la  ferme Rathbaun  où vous découvrirez un élevage de chiens de bergers. Cette visite se terminera par une  dégustation de thé et scones , des pâtisseries traditionnelles. Continuation vers  Galway . Située au bord de l’océan Atlantique, la ville possède plusieurs bâtiments dont une cathédrale de style Renaissance, une église médiévale et de nombreux pubs et boutiques aux façades typiques en pierres et en bois. PD/S

J5 Galway – Falaises de Moher – Région du Burren – Galway

Départ vers les falaises de Moher  qui sont certainement l’un des lieux les plus spectaculaires d’Irlande. À leur point culminant, elles surplombent l’océan Atlantique à une hauteur de 200 mètres et s’étendent sur 8 kilomètres le long de la côte. Les falaises de Moher offrent l’une des vues les plus incroyables d’Irlande. Les jours de beau temps, on peut apercevoir les îles d’Aran depuis la baie de Galway ainsi que les vallées et collines du Connemara. Continuation vers la  région du Burren , un plateau composé de roches calcaires où se trouvaient près de 500 forteresses pendant la préhistoire. PD/S

J6 Galway – Clifden – Westport – Sligo

Départ vers la région du Connemara  connue pour ses lacs. Vous visiterez  Clifden , ancien petit port de pêche devenu une ville importante grâce à une station de télégraphe sans fil, et  Westport , village pittoresque avec ses nombreux bâtiments en pierres. Vous ferez également un  arrêt photos à   Benbulbin , une montagne qui a inspiré de nombreux poètes et la mythologie. En fin de journée, vous arriverez dans la région de Sligo. PD/S

J7 Sligo – Belfast (2 nuits)

Continuez votre route vers l’Irlande du Nord et plus particulièrement vers la capitale : Belfast. En arrivant,  tour de ville panoramique  pendant lequel vous verrez les incontournables de la capitale d’Irlande du Nord. En longeant le Lagan, vous verrez les murs de la paix et les édifices de style victorien ou édouardien qui se succèdent, incarnant l’histoire de l’Irlande du Nord. En après-midi,  visite du musée du Titanic  pour en apprendre davantage depuis la création du navire jusqu’à son accident fatal. Temps libre pour explorer la ville à votre rythme et découvrir l’ambiance d’un pub en soirée si le cœur vous en dit. PD

J8 Belfast – Chaussée des Géants – Côte d’Antrim – Belfast

Départ pour une journée à la découverte de la Chaussée des Géants à travers la mythique côte d’Antrim qui offre des vues sublimes sur la mer et sur la campagne irlandaise du nord. Votre guide vous contera toutes les légendes qui entourent cette région de l’extrême nord de l’île.  Visite du site de la Chaussée des Géants  où vous serez à coup sûr subjugué face à 40 000 colonnes de basalte polygonales aux formes tellement parfaites qu’elles semblent avoir été faites de la main de l’homme. Au retour vers Belfast, arrêt à  Dark Hedges,  à Ballymoney, site étrange du tournage de  Game of Thrones  avec ses arbres entrelacés. Soirée libre à Belfast. PD

J9 Belfast – Glasgow

Départ en direction de l’Écosse via le  traversier de Belfast  (durée de la traversée : 2 h 30 à 3 h). En arrivant à Cairnryan, continuation en direction de Glasgow.  Tour d’orientation  de la plus grande ville d’Écosse, chaleureuse, ayant une architecture riche et plus de 25 musées à visiter. Vous pourrez voir de l’extérieur la cathédrale de Glasgow, le Necropolis, le musée du transport, George Square et le Merchant City. PD/S

J10 Glasgow – Loch Lomond – Édimbourg (2 nuits)

Direction  Loch Lomond . Entouré de montagnes, il est le plus grand lac en Écosse avec plus de 30 îles.  Croisière d’une heure sur le lac . Dîner libre.  Visite et dégustation   de scotch  dans une distillerie traditionnelle écossaise. Votre périple continuera en direction de Falkirk où vous passerez devant la fameuse  roue de Falkirk , un ascenseur à bateau rotatif reliant le Forth & Clyde Canal à l’Union Canal. Dernier arrêt avant Édimbourg aux imposantes statues,  les  Kelpies  : deux têtes de cheval en mailles de fer atteignant 30 mètres de hauteur. Arrivée à Édimbourg. Installation à l’hôtel dans la capitale historique écossaise. PD

J11 Édimbourg

Tour guidé à pied  d’Édimbourg pour voir les meilleurs sites de cette charmante ville.  Entrée à l’historique   château d’Édimbourg , bijou de la ville. Reste de la journée libre pour les découvertes personnelles. PD

J12 Édimbourg – Jedburgh – Newcastle

Départ en direction de l’Angleterre vers  Jedburgh  où vous ferez un  arrêt photos  devant les ruines de l’abbaye. Ensuite, vous traverserez la frontière vers l’Angleterre et vous roulerez à travers le parc national du Northumberland. Continuation vers  Newcastle , autrefois connue pour son commerce de bois et de charbon. PD/S

J13 Newcastle – Durham – York – Sheffield

Départ vers le sud pour rejoindre  Durham . Temps libre pour flâner dans les ruelles médiévales pavées qui serpentent la ville et qui mènent à la grande cathédrale normande. Continuation vers York, l’une des villes médiévales les mieux conservées d’Angleterre. Suivez votre guide dans cette magnifique cité.  Visite libre de la cathédrale gothique d’York, le York Minster,  connue mondialement pour ses vitraux médiévaux. Temps libre pour déambuler dans  les  Shambles , ruelles typiques d’York. Trajet en direction de Sheffield. PD/S

J14 Sheffield – Stratford-Upon-Avon – Oxford – Londres (3 nuits)

Direction sud vers  Stratford-Upon-Avon , village natal de William Shakespeare. Vous serez séduit par cette jolie ville très traditionnelle avec ses maisons à colombages et aux toits de chaume typiques de la campagne anglaise.  Arrêt photos devant la maison familiale d’Anne Hathaway , la femme du dramaturge anglais. Comme beaucoup de maisons de cette époque, elle dispose de plusieurs cheminées pour répandre la chaleur uniformément dans toute la maison pendant l’hiver. Temps libre dans le village. Ensuite, vous prendrez la route à travers les  Cotswolds , la chaîne de collines du sud-ouest de l’Angleterre. Continuation vers  Oxford  et temps libre dans la plus ancienne université d’Angleterre formée de 36 collèges. Poursuite de la route vers Londres. PD

J15 Londres

Tour panoramique  de la ville pendant lequel vous verrez les incontournables de la capitale. Reste de la journée libre pour continuer de visiter la capitale anglaise et ses nombreux monuments : la tour de Londres, le Tower Bridge, le  Big Ben , le parlement, le palais de Buckingham et l’abbaye de Westminster, sans oublier l’impressionnante grande roue appelée  London Eye . PD

J16 Londres

Découvrez Londres à votre rythme. Vous pourrez découvrir des musées tels que le British Museum et la National Gallery, relaxer dans Hyde Park et St James’s Park ou encore aller découvrir le surprenant Covent Garden. La capitale anglaise a tant de lieux diversifiés à offrir dans chacun de ses quartiers. PD

J17 Londres – Retour

Transfert à l’aéroport et vols de retour. PD

Hébergements:

Hôtels 3* et 4*

Information complémentaire

Vous pouvez envoyer votre demande grâce au formulaire ci-dessous..

  • Nombre Adulte *
  • Nombre Adulte
  • Phone Ce champ n’est utilisé qu’à des fins de validation et devrait rester inchangé.

Destinations

  • Afrique du sud
  • Bosnie-Herzégovine
  • République Tchèque

lets travel

LONDRES ET LES ÎLES BRITANNIQUES

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MODALITÉS DE PAIEMENT :  par chèque ou argent ou carte de crédit DÉPÔT :  $1500 par personne à la réservation  PAIEMENT FINAL :  130 jours avant le départ

DEMANDE DE PARTAGE POSSIBLE : informez-vous

Maximum 2 occupations simples par départ

TARIFS VALIDES JUSQU'À 130 JOURS AVANT LE DÉPART OU SELON DISPONIBILITÉ

AVANT D'EFFECTUER VOTRE RÉSERVATIO N, VOUS AVEZ L'OBLIGATION DE LIRE LES CONDITIONS GÉNÉRALES :

https://www.levoyagistedequebec.com/conditions-generales

- Les prix annoncés sur notre site sont valides si vous achetez des services pendant la même session. - Si vous vous déconnectez de notre site, le prix pourraient changer lors de votre prochaine session. - Les tarifs sont sujets à changement sans préavis et sous réserve de disponibilité.

Le déroulement de l’itinéraire et l’ordre des visites prévues, de même que les horaires indiqués peuvent être modifiés en fonction des circonstances, de situations imprévues et des conditions qui prévalent sur place, météo, achalandage extraordinaire sur certains sites etc. Les compagnies aériennes, les types d’appareils utilisés, les hôtels, les moyens de transport et d’autres prestations peuvent être sujets à changements si des circonstances imprévues, la sécurité, les autorités locales ou les conditions l’exigent.

Avec la levée de la majorité des mesures sanitaires par le gouvernement du Canada depuis le 1 er  octobre 2022, nous vous recommandons de consulter régulièrement ce site gouvernemental pour connaître les dernières mises à jour :  http://voyage.gc.ca

Il est de votre responsabilité de vérifier les conditions et exigences de votre voyage jusqu’au départ puisque celles-ci peuvent changer à tout moment ; Le Voyagiste de Québec ne peut être tenue responsable pour tous refus d’un voyageur ou toute modification à ces informations et aucune compensation ne sera offerte par le Voyagiste de Québec. 

POUR EFFECTUER CE VOYAGE, LES CITOYENS CANADIENS DOIVENT ÊTRE  MUNIS D’UN PASSEPORT VALIDE POUR 6 MOIS APRÈS LE RETOUR   

JOUR 1, LUNDI 12 AOÛT 2024 : MONTRÉAL - LONDRES

Départ de l’aéroport de Montréal pour votre vol à destination de Londres. Un autobus pourrait être mis à la disposition du groupe avec un nombre de passagers requis, au départ de Québec vers l'aéroport de Montréal ($). 

JOUR 2, MARDI 13 AOÛT 2024 : LONDRES

Arrivée à l’aéroport de Gatwick de Londres le matin. Transfert vers le centre-ville de Londres où votre arrivée est prévue vers la fin d’avant-midi. Lunch libre autour de l’hôtel qui offre une multitude de possibilités et installation dans les chambres vers 15h00 pour les deux prochaines nuits à l’hôtel Mercure Bloomsbury 4* (ou similaire) . Repos bien mérité en après-midi.

Ce soir, souper de bienvenue dans un pub de Londres, bière et Fish & Chips au menu. Après votre repas, vers 21h00, grand tour de Londres Illuminée ; Le Big Ben, le Tower Bridge, Piccadilly Circus, The Shard, Trafalgar Square, Westminster Abbey, St-Paul Cathedral et la Grande Roue (London Eye), etc. S

JOUR 3, MERCREDI 14 AOÛT 2024 : LONDRES ($)

Petit-déjeuner ce matin à l’hôtel et journée libre à Londres.

Pour ceux qui désirent ($), départ ce matin pour le grand tour de ville de Londres. Vous commencerez par la visite du WEST-END à pied : vous vous rendrez au bord de la Tamise, passerez devant l’Abbaye Westminster, le Big Ben et la Maison du Parlement. Ensuite, vous emprunterez l’avenue White Hall où l’on retrouve le cabinet de la Guerre de Churchill, le 10 Downing Street, la maison officielle du Premier Ministre, la Horse Guards ou la cavalerie de la reine, Trafalgar Square et la Colonne Nelson, la Galerie Nationale de la reine, la Place du Canada et l’entrée du Hyde Park pour vous rendre à Buckingham Palace. Ensuite, pour le lunch libre, vous vous rendrez dans le EAST-END à pied pour découvrir le Tower Bridge et la célèbre City of London qui date du 10ième siècle, maison des Rois et des Chevaliers de la Table Ronde.

Les Beefeaters, les gardiens des Joyaux de la Reine, les bijoux de la couronne, vous permettront de visiter l’intérieur de ce musée de Diamants et de pierres précieuses. Vous reviendrez ensuite en autobus en passant par la Cathédrale St-Paul, lieu de mariage du Prince Charles et Lady Di (arrêt photo si l’on peut). De retour à l’hôtel en fin de journée pour un court repos et départ pour le quartier animé de Piccadilly Circus pour prendre votre souper libre. PD

JOUR 4, JEUDI 15 AOÛT 2024 : LONDRES – EMBARQUEMENT SUR LE NCL DAWN

Petit-déjeuner ce matin à l’hôtel et départ vers 09h30 pour le port de Southampton (trajet de plus de 2 heures du centre-ville de Londres). Arrivée au port et enregistrement pour votre croisière de 10 nuits sur le magnifique NCL DAWN . Installation dans vos cabines et lunch pour tous. Le navire quittera le port à 17h00. Bonne croisière à tous. PD-L-S

JOUR 5, VENDREDI 16 AOÛT 2024 : JOURNÉE COMPLÈTE EN MER

Journée complète en mer. Des moments privilégiés pour profiter des activités offertes sur le navire. Profitez également de ces moments pour vous relaxer et vous reposer avant d’arriver en Écosse.  PD-L-S

JOUR 6, SAMEDI 17 AOÛT 2024 : ÉDIMBOURG (NEWHAVEN, ÉCOSSE) ($)

Petit-déjeuner à bord et arrivée à ce matin à Édimbourg, la capitale de l’Écosse située sur une colline fort peuplée avec plus de 500 000 habitants, une ville médiévale et une élégante ville géorgienne avec jardins et bâtiments néo-classiques.  

Aujourd’hui, pour ceux qui le désirent ($), départ pour une visite de l’impressionnant château d’Édimbourg qui domine la ville et qui abrite toute l’histoire de l’Écosse, les Joyaux de la Couronne écossaise et la Pierre du Destin utilisée lors des couronnements royaux. Vous emprunterez ensuite le Royal Mile pour y prendre votre lunch libre. Vous y retrouverez également une impressionnante architecture victorienne. Vous passerez devant la Cathédrale St-Gilles, les boutiques de gilets de cachemire et de laines écossaises jusqu’au Palais d’Hollyrood, résidence de la Reine Elizabeth en Écosse, où vous y ferez une visite. Vous terminerez votre magnifique journée au Scotch Whisky Heritage Center pour vivre une expérience complète en passant par le processus de fabrication du whisky écossais, découvrir ses différents arômes et prendre part à une dégustation au coeur de la plus grande collection de whisky au monde, soit 4000 bouteilles et une sélection de 422 sortes de whisky. Retour au navire en fin d’après-midi. Escale de 06h30 à 16h45. PD-L-S

UNE APPELLATION CONTRÔLÉE

Tous les scotchs sont des whiskys, mais tous les whiskys ne sont pas des scotchs ! Depuis 1988, « scotch » est une appellation protégée par la loi. Pour avoir droit à ce titre, un whisky doit entre autres avoir été produit en Écosse et y avoir vieilli en fût de chêne durant au moins trois ans. 

LE SECRET DU SAVOIR-FAIRE

Les premières étapes de la production du scotch, généralement fait à base d’orge maltée, ressemblent en tous points à celles de la bière. À l’issue de la période de fermentation, ce mélange doit toutefois subir une double, voire une triple distillation, avant d’être mis en fût de chêne pour une durée allant de 3 ans à plus de 30 ans dans certains cas. Au terme de cette étape, il peut être mis en bouteilles à la sortie du fût, mais il est habituellement dilué avec de l’eau de source ou de l’eau déminéralisée pour atteindre un taux de 40 % à 43 % d’alcool. Il est ensuite filtré, assemblé, puis embouteillé.

JOUR 7, DIMANCHE 18 AOÛT 2024 : KIRKWALL ( ARCHIPEL DES ORCADES,ÉCOSSE) ($)

Petit-déjeuner à bord et arrivée au port de Kirkwall, cette île d'une beauté saisissante et qui abrite de nombreux trésors.

Aujourd’hui, pour ceux qui le désirent ($), ne manquez pas de visiter les mystérieuses pierres levées de Stenness et le village vieux de 5 000 ans de Skara Brae, qui a été découvert avec les meubles et les canalisations intérieures préservés. Vous passerez également devant le trio saisissant de la cathédrale Saint-Magnus, les ruines voisines du palais du comte et du palais épiscopal. Après la visite, petit temps libre dans les rues passantes de la ville pour faire des achats parmi la large gamme d'articles spécialisés de Kirkwall, qui comprennent du cachemire, du whisky et de l'artisanat. Retour au navire vers l’heure du midi. Escale de 07h00 à 14h30. PD-L-S

JOUR 8, LUNDI 19 AOÛT 2024 : GREENCASTLE (IRLANDE) ($)

Petit-déjeuner à bord et arrivée au port de Greencastle. Greencastle, signifiant « Nouveau Château », est un port de pêche commercial situé au nord-est de la péninsule d'Inishowen, en Irlande. Ce village est situé à environ 32 kilomètres de Londonderry. Le nom de Greencastle vient du château de la région, qui, à son tour, tire peut-être son nom de la pierre de taille verte avec laquelle il a été construit.

Une excursion facultative sera peut-être offerte dans les alentours de Greencastle ($). Escale de 11h00 à 20h30. PD-L-S

JOUR 9, MARDI 20 AOÛT 2024 : DUBLIN (IRLANDE DU NORD) ($)

Petit-déjeuner à bord et arrivée ce matin au port de Dun Laoghaire à Dublin, la capitale du pays qui regroupe 5 millions d’Irlandais et qui est située à l’embouchure de la rivière Liffey.

Aujourd’hui, pour ceux qui le désirent ($), vous débuterez votre tour de ville par un stop photo au château de Dublin datant du 18ème siècle. Vous ferez ensuite la visite de l’imposante Cathédrale St-Patrick fondée en 1191. Vous passerez devant le joyau du centre-ville, le parc Stephen’s Green, la rue marchande O’connell Street et la célèbre rue Temple Bar. Petit temps libre pour le lunch. Vous terminerez votre journée par la visite de la fameuse Brasserie Guinness fondée en 1759 avec la tournée de leurs premières installations et bien sûr la dégustation de la célèbre bière noire coiffée d’une mousse blanche connue mondialement pour sa saveur et son aspect si particuliers. Retour au navire en soirée. Escale de 08h30 à 20h00. PD-L-S

JOUR 10, MERCREDI 21 AOÛT 2024 : BELFAST (IRLANDE DU NORD) ($)

Petit-déjeuner à bord et arrivée au port de Belfast, la capitale de l’Irlande du Nord. Avec près de 2 millions d’habitants, Belfast vaut vraiment une visite.

Aujourd’hui, pour ceux qui le désirent ($), vous débuterez votre journée par la visite du Musée Titanic Belfast puisque cette ville est le site du chantier naval du fameux RMS Titanic, et qu’il s’agit du plus grand constructeur de bateaux au monde. Vous découvrirez ensuite son Hôtel de Ville datant du 19ième siècle sur la Place Donogal Square, vous verrez aussi, la Cathédrale Ste-Anne, Albert Memorial, Clock Tower, le Big Ben de Belfast et le C.S. Square. Il faudra s’arrêter au Crown Liquor Saloon aussi connu sous le nom de Crown Bar, au 46 Great Victoria Street construit en 1885, pour y goûter une vraie bière irlandaise. Retour au navire en soirée. Escale de 07h00 à 18h00. PD-L-S

JOUR 11, JEUDI 22 AOÛT 2024 : CORK (COBH, IRLANDE DU NORD) ($)

Petit-déjeuner à bord et arrivée au port de Cobh dans le comté de Cork.

Aujourd’hui, pour ceux qui le désirent ($), départ pour une visite de Cobh. La troisième plus grande ville d'Irlande est une merveilleuse ville piétonne construite sur la rivière Lee. Elle est aussi connue sous le nom de Queenstown, l’un des ports maritimes principaux des transatlantiques irlandais. Un beau village typique, mais aussi un village d’histoire, c’est le point de départ de 2,5 millions des 6 millions d’Irlandais qui ont émigrés en Amérique du Nord et parti pour Québec et la Grosse Île en 1847. Le fameux RMS Titanic a aussi marqué l’histoire, Cobh fut la dernière escale du Titanic avant de traverser l’Atlantique pour son départ vers New-York, port qu’il n’a jamais atteint en 1912. Un petit musée raconte cette histoire. Retour au navire en fin d’après-midi. Escale de 11h00 à 21h00. PD-L-S

JOUR 12, VENDREDI 23 AOÛT 2024 : JOURNÉE COMPLÈTE EN MER

Journée complète en mer. Des moments privilégiés pour profiter des activités offertes sur le navire. Profitez également de ces moments pour vous relaxer et vous reposer avant d’arriver en Belgique. PD-L-S

JOUR 13, SAMEDI 24 AOÛT 2024 : BRUGES (BELGIQUE) ($)

Petit-déjeuner à bord et arrivée au port de Bruges ce matin. Bruges, la ville de la dentelle et du chocolat qui fut fondée au 9ème siècle et que l’on surnomme la Venise du Nord du fait de ses canaux qui encerclent et traversent la vieille ville dans un cadre pittoresque.

Aujourd’hui, pour ceux qui le désirent ($), vous passerez devant la Grand Place, lieu stratégique de la ville avec son Beffroi du 13ème siècle, une tour de 83 mètres de haut et son carillon de 47 cloches. Vous verrez ce trésor architectural de l’extérieur. Vous poursuivrez vers la Place du Bourg où vous admirerez le magnifique édifice de l’Hôtel de ville de style gothique datant du 15ème siècle ainsi que la Basilique du Saint-Sang. Vous prendrez votre lunch libre dans un restaurant de Bruges avec évidemment au menu, les moules et les frites, le plat typique de la Belgique pour ceux qui le désirent ou en profiter pour goûter les fameuses gaufres garnies de fraises et de chantilly. Après le lunch, vous ferez une autre visite de la ville en mini-croisière sur les nombreux canaux. Vous terminerez avec un peu de temps libre pour vos achats de dentelle et de chocolat belge, le plus populaire du monde entier. Retour au navire en après-midi. Escale de 07h00 à 16h00. PD-L-S

JOUR 14, DIMANCHE 25 AOÛT 2024 : LE HAVRE (FRANCE) – MONT ST-MICHEL ET LES PLAGES DU DÉBARQUEMENT ($)

Petit-déjeuner à bord et arrivée au port de Le Havre ce matin.

Aujourd'hui, pour ceux qui le désirent ($), départ du Havre pour le Mont-Saint-Michel, ce fabuleux monastère du Moyen Âge, véritable curiosité mondiale. En arrivant au Mont, vous serez déjà prêts pour en faire la montée vers l’Église Abbatiale et le Monastère médiéval. Ensuite, vous aurez du temps libre pour visiter les remparts, les boutiques et les échoppes de nombreux artisans médiévaux. Vous aurez aussi l’occasion de luncher sur place et d’essayer de nombreux plats du pays, notamment l’Omelette de la Mère Poulard et ses petits-fours. Sinon, de nombreux autres restaurants vous seront proposés. Vous prendrez ensuite la route des plages du débarquement du 6 juin 1944 en visitant Juno Beach où sont débarqués les soldats canadiens. Après cette page d’histoire, si importante pour la France qui fut libérée par les Alliés, vous continuerez votre visite historique vers le cimetière canadien de Bény-sur-Mer à Courseulles. Retour au navire pour le souper. Dernier repas ce soir avant votre retour à Southampton. Préparation de vos valises ce soir que vous devrez déposer à la porte de votre cabine vers 23h00. Escale de 06h30 à 21h30. PD-L-S

JOUR 15 : LUNDI 26 AOÛT 2024 : DÉBARQUEMENT DU NAVIRE - SOUTHAMPTON (LONDRES) – GATWICK (LONDRES)

Arrivée à Southampton tôt ce matin et après le petit-déjeuner à bord, débarquement du navire et transfert immédiat vers Stonehenge. Vous visiterez aujourd’hui un site de monuments historiques des plus précieux et fascinants de Grande-Bretagne. Stonehenge est certainement l’ensemble mégalithique le plus célèbre au monde. Il doit notamment sa célébrité à l’importance de la taille des mégalithes composés d’un ensemble de structures circulaires qui date de plus de 3000 ans, soit à l’âge de bronze. Continuation vers la ville de Windsor. Arrivée pour votre lunch libre dans les rues de cette ville très coquette. Après le lunch, rendez-vous pour la visite du fameux Château de Windsor, forteresse médiévale de 52 000 mètres carrés. Il compte plus de 1000 pièces, toutes parfaitement décorées et meublées. Les appartements d'État, qui sont ornés de meubles opulents et de peintures issues de la collection d'oeuvres d'art royale. Le Château de Windsor construit par Guillaume le Conquérant au XIe siècle, le château est la résidence secondaire et la préférée de la Reine Élisabeth et de sa famille. En fin d’après-midi, transfert à votre hôtel de Gatwick, situé près de l’aéroport pour votre dernière nuit. Préparation des valises, souper et soirée libre, demain vous rentrez au Québec. PD

JOUR 16, MARDI 27 AOÛT 2024 : LONDRES (GATWICK) - MONTRÉAL

Petit-déjeuner à l'hôtel ce matin et transfert pour l'aéroport de Gatwick pour votre vol à destination de Montréal. Arrivée à l’aéroport Pierre-Elliot-Trudeau en milieu d’après-midi. Un autobus pourrait être mis à la disposition du groupe avec un nombre de passagers requis, au départ de l’aéroport de Montréal pour Québec ($). PD

Le forfait comprend

  • Le vol aller/retour de Montréal vers Londres 
  • Tous les transferts à destination 
  • Hébergement de 2 nuits avec petit-déjeuner à Londres en hôtel 4*
  • Visite de Londres illuminée et souper de bienvenue 
  • Croisière de 12 jours à bord du NCL DAWN dans la catégorie choisie 
  • Tous les repas, buffets et collations à bord 
  • Spectacles et activités à bord 
  • 3 primes gratuites  : le forfait boissons et pourboires, le forfait de restaurants spécialisés et pourboires ainsi que le forfait internet de 250 minutes. Pour les cabines vue mer ou supérieures .
  • 2 primes gratuites   pour les cabines intérieures ou studio (sous réserve de modifications par Norwegian Cruise Line). 
  • Hébergement d'une nuit à Gatwick en hôtel 4*, petit-déjeuner inclus et visites : Stonehenge et Château de Windsor 
  • 1 pochette de documents Le Voyagiste de Québec
  • Étiquette bagage plastifiée Le Voyagiste de Québec
  • 1 sac de voyage en bandoulière Le Voyagiste de Québec
  • 1 lanière de cou Le Voyagiste de Québec
  • Accompagnateur durant tout le voyage (minimum requis de 25 passagers) 
  • La contribution au fonds d’indemnisation des clients des agents de voyage (FICAV) 

Le forfait ne comprend pas

  • Le grand tour de Londres et entrée à la Tour de Londres 
  • Repas non mentionnés au programme 
  • Les pourboires prépayés au personnel du navire 
  • Les pourboires à votre accompagnateur, chauffeurs, guides locaux et service aux chambres
  • Taxes municipales payables directement aux hôtels pré ou post croisière, s'il y a lieu.
  • Les dépenses de nature personnelle, appels téléphoniques, blanchisserie, achat divers, etc. 
  • Surcharge de carburant et augmentation imprévues des taxes locales et aéroportuaires 
  • Le transfert en autocar de Québec à l’aéroport de Montréal-Trudeau aller/retour ($), s'il y a lieu (minimum de passagers requis)
  • Assurances voyage (fortement recommandées) 

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Les trains et châteaux de la Nouvelle-Angleterre

Informations importantes.

Date : 9 octobre 2024 au 12 octobre 2024

Coût : 1 179 $ / personne / occ. double

Date:  9 au 12 octobre 2024 / 4 jours / 6 repas

Départ de Sherbrooke (au Carrefour de l’Estrie)

Heure de départ : à venir une semaine avant le départ

Nombre de places disponibles : 47 personnes

  • 1 179 $ par personne / occ. double
  • Transport en autocar de luxe
  • Hébergement pour 3 nuits
  • Services d’un guide accompagnateur
  • Services d’un guide local
  • Activités au programme
  • Taxes, frais de services et FICAV
  • À la réservation : Dépôt de 300$ non remboursable et non transférable
  • 25 août 2024 : Paiement final. Voyage 50% non remboursable
  • 10 septembre 2024 : Voyage 100% non remboursable

CE FORFAIT N’INCLUT PAS

Assurances personnelles

Repas non mentionnés

Pourboires au guide et chauffeur

Manutention des valises

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Pour vous inscrire:, envoyez le formulaire d’inscription à [email protected] ou téléphonez au 819 566-7748, poste 102.

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Réservez tôt et épargnez: voyagez en groupe accompagné cette année!

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PUBLIREPORTAGE – Prêt(e) à (re)partir à l’aventure? Groupe Voyages Québec vous accompagne dans la planification et lors de votre voyage. Partez en toute tranquillité d’esprit avec nos guides et accompagnateurs et profitez de belles économies . En réservant d’ici le 22 avril 2022, obtenez jusqu’à 400 $ de rabais par couple sur plus de 130 circuits et croisières à travers le monde.

Irlande, Écosse, Angleterre

Ce circuit 3 en 1 vous permettra de rencontrer trois peuples qui se sont à la fois entremêlés et entrechoqués au cours de l’histoire et qui se distinguent encore aujourd’hui par leurs croyances et modes de vie. Débutez votre voyage par les incontournables de l’Irlande du Nord: Dublin, la côte d’Antrim et la célèbre Chaussée des Géants. Visitez l’Écosse, pays du kilt et du scotch, ponctué de fjords, de lochs mystérieux et de son château mythique. Couronnez votre périple avec l’Angleterre et sa capitale, Londres dynamique et puissante dans tout ce qu’elle a de plus british .

Petits trains d’Autriche

Profitez de ce programme exclusif à Groupe Voyages Québec pour visiter l’Autriche autrement . Conçu aussi bien pour les amateurs de nature que de train, ce circuit vous fera découvrir les paysages époustouflants de l’Autriche en Tyrol, de Salzbourg et de Kitzbühel, en train à vapeur, à crémaillère, en autocar et en bateau. Tout au long de votre parcours, tombez sous le charme de ses villes et de ses lacs aux eaux turquoise sur fond de paysages grandioses.

L’Égypte et la vallée du Nil

À l’automne, offrez-vous le voyage d’une vie en Égypte , plus grand musée à ciel ouvert au monde! Parcourez ces terres pour remonter le temps à l’époque des légendes, celles d’Isis, d’Osiris, d’Horus ou du roi Ménès. Visitez les impressionnants vestiges de l’Ancien Empire et retracez l’histoire des pharaons qui unirent en une seule entité les mondes des dieux, des vivants et des morts. Des pyramides du Caire au temple d’Abou Simbel sans oublier Alexandrie, cet itinéraire vous permettra de découvrir les mystères de cette civilisation millénaire.

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Découvrir le Québec sans voiture

Commentaires:

(annuler la réponse), 2 réponses à 'réservez tôt et épargnez: voyagez en groupe accompagné cette année'.

Je suis passionné de voyages, je n’ai jamais voyagé en groupe. Donnez-moi un aperçu sur l’atmosphère et l’ambiance. Ex : Québec, Gaspésie ,voir des sites intéressants, peut-on voyager accompagné ou seul?

Bonjour Amar, nous vous conseillons de joindre directement Groupe Voyages Québec pour des réponses à vos questions. https://gvq.ca/fr/nous-joindre -L’équipe Bel Âge

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Groupe Voyages Québec dévoile ses croisières 2024-2025

Date de publication : 2023/09/19

Date: Sep 19 2023

Par: Profession Voyages

Groupe Voyages Québec (GVQ) vient tout juste de mettre en ligne son offre de forfaits accompagnés de croisières maritimes et fluviales pour 2024-2025, en lançant sa toute nouvelle brochure virtuelle. Disponible dès maintenant, celle-ci présente une vaste gamme de forfaits soigneusement conçus pour explorer les destinations maritimes et fluviales les plus prisées du monde.

Parmi les nouveautés, on remarque notamment une croisière à la recherche des aurores boréales en Norvège, un duo-croisière en Espagne et au Portugal, un trio Malte, Tunisie et Algérie et une croisière fluviale sur le Danube avec Emerald Cruises, compagnie de croisières primée. Le voyagiste propose également de vivre une expérience de navigation à l’européenne à bord du CFC Renaissance

« Grâce à une offre diversifiée, GVQ offre une fenêtre ouverte sur l’émerveillement et la découverte. Que les voyageurs souhaitent explorer des destinations lointaines ou s’immerger dans le charme intemporel de l’Europe, notre offre complète leur assure de se créer des souvenirs qui perdureront » dit Laurent Plourde, président de GVQ.

Avantages et promotions

En plus des promotions offertes par les compagnies de croisières, les voyageurs peuvent également profiter de la plus grosse promotion de l’année de GVQ : le Réservez-tôt. En réservant avant le 1er décembre 2023, il est possible de réaliser des économies pouvant aller jusqu’à 300 $ par personne et ce, sur plusieurs forfaits.

GVQ offre également la possibilité de bénéficier d’économies additionnelles allant jusqu’à 200$ par couple en payant le dépôt et le paiement final du voyage, que ce soit par chèque, en argent comptant ou par virement Interac, au moment de la réservation. En outre, pour aider les voyageurs à planifier leurs prochaines vacances, GVQ a concocté un plan de paiement simple et sans surprise, en collaboration avec son partenaire Uplift.

D’autres brochures à venir, un univers d’idées de voyages à explorer

Pour une 3e année consécutive, GVQ propose un total de cinq brochures pour faciliter l’expérience de magasinage de ses voyageurs. Dans les prochaines semaines, on lancera ainsi les brochures de forfaits accompagnés au Canada et aux États-Unis, après le récent lancement des brochure Select et International. Toutes sont ou seront disponibles en ligne sur le site web gvq.ca

Pour parcourir la brochure Croisières 2024-2025 : gvq.ca/brochure .

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By: Profession Voyages

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Rattrapage du 22 juin 2024 : Les mésententes autour de la protection du caribou, et le rapprochement entre Poutine et la Corée du Nord

Janie Béïque, présidente et cheffe de la direction du Fonds de solidarité (FTQ), parle des investissements dans la construction de logements abordables; on fait le point sur la mésentente entre le gouvernement fédéral et provincial sur les mesures de protection du caribou forestier; Benoit Hardy Chartrand, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand et professeur auxiliaire à l'Université Temple à Tokyo, commente le rapprochement entre Vladimir Poutine et le dirigeant nord-coréen Kim Jong; et les artistes Maten, Éléonore et Émile Bilodeau discutent de l’identité exprimée à travers la musique.

StarsInsider

StarsInsider

Ces 30 choses sont les plus anciennes sur Terre

Posted: 26 mars 2024 | Last updated: 26 mars 2024

<p>Saviez-vous que la plus ancienne religion du monde remonte à 5 000 ans ? Ou que le plus vieux pays se trouve en Europe ? Et qu'en est-il du plus vieux navire encore en service ou de la plus ancienne entreprise de chaussures ? Oui, vous seriez <a href="https://www.starsinsider.com/fr/lifestyle/336844/ces-vieux-cliches-sur-les-italiens" rel="noopener">surpris</a> de l'âge de certaines choses sur notre planète. Certaines remontent à des milliards d'années. Alors, qu'est-ce qui est vraiment avancé pour son âge ?<br><br>Cliquez sur cette galerie et découvrez pourquoi l'âge n'est pas une barrière.</p><p>Tu pourrais aussi aimer:<a href="https://www.starsinsider.com/n/158819?utm_source=msn.com&utm_medium=display&utm_campaign=referral_description&utm_content=648312fr-ca"> Quand les stars révèlent leurs complexes...</a></p>

Saviez-vous que la plus ancienne religion du monde remonte à 5 000 ans ? Ou que le plus vieux pays se trouve en Europe ? Et qu'en est-il du plus vieux navire encore en service ou de la plus ancienne entreprise de chaussures ? Oui, vous seriez surpris de l'âge de certaines choses sur notre planète. Certaines remontent à des milliards d'années. Alors, qu'est-ce qui est vraiment avancé pour son âge ? Cliquez sur cette galerie et découvrez pourquoi l'âge n'est pas une barrière.

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<p>Mathusalem, mentionné dans la Genèse 5:21-27, est la personne la plus âgée de la Bible, puisqu'il est mort à l'âge de 969 ans. Il est représenté ici sur un vitrail du transept sud-ouest de la cathédrale de Canterbury, en Angleterre.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

La plus vieille personne de la Bible

Mathusalem, mentionné dans la Genèse 5:21-27, est la personne la plus âgée de la Bible, puisqu'il est mort à l'âge de 969 ans. Il est représenté ici sur un vitrail du transept sud-ouest de la cathédrale de Canterbury, en Angleterre.

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<p>La Mésopotamie est généralement considérée comme la première civilisation urbaine, couvrant une période allant d'environ 8000 avant notre ère à 2000 avant notre ère. Les Sumériens et les Akkadiens ont dominé la Mésopotamie depuis le début de l'histoire écrite (vers 3100 avant notre ère) jusqu'à la chute de Babylone en 539 avant notre ère. La photo représente une figurine féminine en poterie peinte provenant d'Alep, en Syrie, vers 5000 avant notre ère.</p><p>Tu pourrais aussi aimer:<a href="https://www.starsinsider.com/n/211774?utm_source=msn.com&utm_medium=display&utm_campaign=referral_description&utm_content=648312fr-ca"> Ces villes jumelles sont totalement opposées !</a></p>

La plus vieille civilisation

La Mésopotamie est généralement considérée comme la première civilisation urbaine, couvrant une période allant d'environ 8000 avant notre ère à 2000 avant notre ère. Les Sumériens et les Akkadiens ont dominé la Mésopotamie depuis le début de l'histoire écrite (vers 3100 avant notre ère) jusqu'à la chute de Babylone en 539 avant notre ère. La photo représente une figurine féminine en poterie peinte provenant d'Alep, en Syrie, vers 5000 avant notre ère.

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<p>L'hindouisme est souvent considéré comme la plus ancienne religion encore pratiquée aujourd'hui. C'est aussi le plus complexe de tous les systèmes de croyance établis, dont les origines remontent à plus de 5 000 ans en Inde.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

La plus vieille religion

L'hindouisme est souvent considéré comme la plus ancienne religion encore pratiquée aujourd'hui. C'est aussi le plus complexe de tous les systèmes de croyance établis, dont les origines remontent à plus de 5 000 ans en Inde.

<p>Le Royaume de Suède est la plus ancienne monarchie du monde, Éric VI de Suède (c. 945-c. 995) étant considéré comme le premier roi suédois.</p><p>Tu pourrais aussi aimer:<a href="https://www.starsinsider.com/n/271630?utm_source=msn.com&utm_medium=display&utm_campaign=referral_description&utm_content=648312fr-ca"> Quand les célébrités regrettent parfois leurs tatouages de couple...</a></p>

La plus vieille monarchie

Le Royaume de Suède est la plus ancienne monarchie du monde, Éric VI de Suède (c. 945-c. 995) étant considéré comme le premier roi suédois.

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<p>Le plus vieux pays du monde est Saint-Marin. Fondée le 3 septembre 301 de notre ère, cette petite enclave au milieu de l'Italie jouit d'un statut d'État souverain ininterrompu depuis son indépendance de l'Empire romain.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

Le plus vieux pays

Le plus vieux pays du monde est Saint-Marin. Fondée le 3 septembre 301 de notre ère, cette petite enclave au milieu de l'Italie jouit d'un statut d'État souverain ininterrompu depuis son indépendance de l'Empire romain.

<p>Rédigée en 1600, la Constitution de Saint-Marin est la plus ancienne constitution encore en vigueur d'un État souverain dans le monde.</p><p>Tu pourrais aussi aimer:<a href="https://www.starsinsider.com/n/306560?utm_source=msn.com&utm_medium=display&utm_campaign=referral_description&utm_content=648312fr-ca"> 69 ans dans la peau de John Malkovich</a></p>

La plus vieille constitution

Rédigée en 1600, la Constitution de Saint-Marin est la plus ancienne constitution encore en vigueur d'un État souverain dans le monde.

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<p>Les ruines les plus anciennes sont celles que l'on trouve dans la grotte de Theopetra, en Grèce, en particulier le mur de pierre situé à l'entrée de la caverne de calcaire. Estimé à environ 21 000 ans avant notre ère, il s'agit du plus ancien exemple connu de structure construite par l'homme. On pense qu'il a servi de brise-vent aux habitants de la grotte pendant la dernière période glaciaire.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

Les plus vieilles ruines

Les ruines les plus anciennes sont celles que l'on trouve dans la grotte de Theopetra, en Grèce, en particulier le mur de pierre situé à l'entrée de la caverne de calcaire. Estimé à environ 21 000 ans avant notre ère, il s'agit du plus ancien exemple connu de structure construite par l'homme. On pense qu'il a servi de brise-vent aux habitants de la grotte pendant la dernière période glaciaire.

<p>Habitée pour la première fois vers 1500 avant notre ère, Tepoztlán, près de Mexico, est la plus ancienne ville des Amériques. Elle est célèbre pour le temple El Tepozteco.</p><p>Tu pourrais aussi aimer:<a href="https://www.starsinsider.com/n/335797?utm_source=msn.com&utm_medium=display&utm_campaign=referral_description&utm_content=648312fr-ca"> Maisons d'artistes: découvrez où ils ont vécu</a></p>

La plus vieille ville en Amérique

Habitée pour la première fois vers 1500 avant notre ère, Tepoztlán, près de Mexico, est la plus ancienne ville des Amériques. Elle est célèbre pour le temple El Tepozteco.

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<p>Le pin de Bristlecone (<em>Pinus longaeva</em>) est l'espèce d'arbre la plus ancienne qui existe, avec plus de 5 000 ans d'âge. On le trouve dans les hautes montagnes de Californie, du Nevada et de l'Utah.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

La plus vieille espèce d'arbres

Le pin de Bristlecone ( Pinus longaeva ) est l'espèce d'arbre la plus ancienne qui existe, avec plus de 5 000 ans d'âge. On le trouve dans les hautes montagnes de Californie, du Nevada et de l'Utah.

<p>"L'Hymne à Nikkal" est considéré comme le plus ancien chant du monde. Également connu sous le nom de "h.6", il fait partie d'environ 36 hymnes écrits en cunéiforme sur des tablettes d'argile découvertes dans l'ancienne cité d'Ugarit, dans le nord de la Syrie. Les Hourrites étaient un peuple qui habitait le Proche-Orient antique à l'âge du bronze. Nikkal était une déesse sémitique des fruits et de la fertilité.</p><p>Tu pourrais aussi aimer:<a href="https://www.starsinsider.com/n/343576?utm_source=msn.com&utm_medium=display&utm_campaign=referral_description&utm_content=648312fr-ca"> 30 aliments qui sont rassasiants à souhait!</a></p>

La plus vieille chanson

"L'Hymne à Nikkal" est considéré comme le plus ancien chant du monde. Également connu sous le nom de "h.6", il fait partie d'environ 36 hymnes écrits en cunéiforme sur des tablettes d'argile découvertes dans l'ancienne cité d'Ugarit, dans le nord de la Syrie. Les Hourrites étaient un peuple qui habitait le Proche-Orient antique à l'âge du bronze. Nikkal était une déesse sémitique des fruits et de la fertilité.

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<p>Vieux d'environ 4,28 milliards d'années, le Bouclier canadien est considéré comme la plus ancienne masse continentale de la planète.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

La plus vieille masse continentale

Vieux d'environ 4,28 milliards d'années, le Bouclier canadien est considéré comme la plus ancienne masse continentale de la planète.

<p>Le Circus Maximus de la Rome antique est le plus ancien cirque connu à ce jour. Fondé au 1er siècle de notre ère, il s'agissait d'une vaste arène où se déroulaient des courses de chars et divers spectacles. Le site est aujourd'hui un parc public.</p><p>Tu pourrais aussi aimer:<a href="https://www.starsinsider.com/n/343902?utm_source=msn.com&utm_medium=display&utm_campaign=referral_description&utm_content=648312fr-ca"> Le corps humain en 30 données hallucinantes </a></p>

Le plus vieux cirque

Le Circus Maximus de la Rome antique est le plus ancien cirque connu à ce jour. Fondé au 1er siècle de notre ère, il s'agissait d'une vaste arène où se déroulaient des courses de chars et divers spectacles. Le site est aujourd'hui un parc public.

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<p>Les Katzenjammer Kids sont probablement les plus anciens personnages de dessins animés à avoir jamais existé. Il s'agit d'une bande dessinée américaine créée par Rudolph Dirks en 1897, qui a débuté en décembre de la même année. La bande dessinée existe toujours en syndication, ce qui en fait la plus ancienne de son genre.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

Le plus vieux personnage de cartoon

Les Katzenjammer Kids sont probablement les plus anciens personnages de dessins animés à avoir jamais existé. Il s'agit d'une bande dessinée américaine créée par Rudolph Dirks en 1897, qui a débuté en décembre de la même année. La bande dessinée existe toujours en syndication, ce qui en fait la plus ancienne de son genre.

<p>Le plus ancien examen au monde est le <em>Gaokao.</em> Le modèle provient de l'examen impérial, un système d'examen de la fonction publique établi en Chine en 581 de notre ère. En 1952, après la création de la République populaire de Chine, l'examen a été réformé pour devenir le système national d'examen d'entrée à l'université. La photo représente une œuvre d'art datant de 1540 qui montre des candidats se rassemblant autour du mur où sont affichés les résultats de l'examen.</p><p>Tu pourrais aussi aimer: </p>

Le plus vieil examen

Le plus ancien examen au monde est le Gaokao. Le modèle provient de l'examen impérial, un système d'examen de la fonction publique établi en Chine en 581 de notre ère. En 1952, après la création de la République populaire de Chine, l'examen a été réformé pour devenir le système national d'examen d'entrée à l'université. La photo représente une œuvre d'art datant de 1540 qui montre des candidats se rassemblant autour du mur où sont affichés les résultats de l'examen.

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<p>Berluti est la plus ancienne entreprise de chaussures au monde. Fondée à Paris en 1895 par Alessandro Berluti, ses chaussures faites à la main sur mesure sont principalement vendues aux hommes. La photo montre le magasin original de la rue Marbeuf, dans le 8e arrondissement de la ville.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

La plus vieille boutique de chaussures

Berluti est la plus ancienne entreprise de chaussures au monde. Fondée à Paris en 1895 par Alessandro Berluti, ses chaussures faites à la main sur mesure sont principalement vendues aux hommes. La photo montre le magasin original de la rue Marbeuf, dans le 8e arrondissement de la ville.

<p>Cultivé pour la première fois en Turquie il y a 30 000 ans, le petit épeautre est largement reconnu comme la plus ancienne céréale du monde. Sa domestication remonte toutefois à plus loin : des restes de petit épeautre ont été retrouvés dans la momie de l'homme des glaces Ötzi, datée de 3100 avant notre ère.</p><p>Tu pourrais aussi aimer:<a href="https://www.starsinsider.com/n/400146?utm_source=msn.com&utm_medium=display&utm_campaign=referral_description&utm_content=648312fr-ca"> Ces collaborations musicales nous ont fait vibrer</a></p>

La plus vieille graine

Cultivé pour la première fois en Turquie il y a 30 000 ans, le petit épeautre est largement reconnu comme la plus ancienne céréale du monde. Sa domestication remonte toutefois à plus loin : des restes de petit épeautre ont été retrouvés dans la momie de l'homme des glaces Ötzi, datée de 3100 avant notre ère.

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<p>La plus vieille recette au monde est le gâteau à l'ortie. Ancienne gourmandise originaire de la Grande-Bretagne préhistorique (6000 ans avant notre ère), elle est devenue un aliment de base du régime alimentaire anglais au 18e siècle. Outre les feuilles d'ortie, les autres ingrédients sont l'oseille, le cresson, la ciboulette, les feuilles de pissenlit, la farine d'orge et le sel.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

La plus vieille recette

La plus vieille recette au monde est le gâteau à l'ortie. Ancienne gourmandise originaire de la Grande-Bretagne préhistorique (6000 ans avant notre ère), elle est devenue un aliment de base du régime alimentaire anglais au 18e siècle. Outre les feuilles d'ortie, les autres ingrédients sont l'oseille, le cresson, la ciboulette, les feuilles de pissenlit, la farine d'orge et le sel.

<p>Montserrat, dans les Caraïbes, est la plus ancienne colonie non autonome du monde. Elle a été créée en 1632. C'est un territoire britannique d'outre-mer, une grande partie de Montserrat a été dévastée en 1995 par un volcan. La partie sud de l'île reste une zone d'exclusion.</p><p>Tu pourrais aussi aimer:<a href="https://www.starsinsider.com/n/426822?utm_source=msn.com&utm_medium=display&utm_campaign=referral_description&utm_content=648312fr-ca"> Ces célébrités ont testé positives au coronavirus</a></p>

La plus ancienne colonie non autonome

Montserrat, dans les Caraïbes, est la plus ancienne colonie non autonome du monde. Elle a été créée en 1632. C'est un territoire britannique d'outre-mer, une grande partie de Montserrat a été dévastée en 1995 par un volcan. La partie sud de l'île reste une zone d'exclusion.

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<p>La réserve de biosphère de Bogd Khan Uul, en Mongolie, est le plus ancien parc national du monde. Il a été créé en 1778, soit 94 ans avant la création du parc national de Yellowstone aux États-Unis, qui est souvent considéré à tort comme le premier du genre (bien qu'il s'agisse du plus ancien parc national des États-Unis). Voici une image satellite de la montagne Bogd Khan (au centre) et d'Oulan-Bator, la capitale, en haut à gauche.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

Le plus vieux parc national

La réserve de biosphère de Bogd Khan Uul, en Mongolie, est le plus ancien parc national du monde. Il a été créé en 1778, soit 94 ans avant la création du parc national de Yellowstone aux États-Unis, qui est souvent considéré à tort comme le premier du genre (bien qu'il s'agisse du plus ancien parc national des États-Unis). Voici une image satellite de la montagne Bogd Khan (au centre) et d'Oulan-Bator, la capitale, en haut à gauche.

<p>Le plus vieux volcan actif de la planète est le mont Unzen, au Japon. Son âge est estimé à 2,5 millions d'années, mais il n'est entré en éruption qu'en 1991, lorsqu'une importante éruption a provoqué une coulée pyroclastique qui a tué 43 personnes.</p><p>Tu pourrais aussi aimer:<a href="https://www.starsinsider.com/n/431229?utm_source=msn.com&utm_medium=display&utm_campaign=referral_description&utm_content=648312fr-ca"> Nos conseils pour protéger et conserver votre vue</a></p>

Le plus vieux volcan actif

Le plus vieux volcan actif de la planète est le mont Unzen, au Japon. Son âge est estimé à 2,5 millions d'années, mais il n'est entré en éruption qu'en 1991, lorsqu'une importante éruption a provoqué une coulée pyroclastique qui a tué 43 personnes.

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<p>Le lac Zaysan, au Kazakhstan, est sans doute le plus ancien lac du monde, remontant probablement à la période du Crétacé, avec un âge potentiel de plus de 66 millions d'années. Le lac Baïkal, en Russie, prétend également être le lac le plus ancien du monde, car des preuves évidentes montrent qu'il a entre 25 et 30 millions d'années.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

Le plus vieux lac

Le lac Zaysan, au Kazakhstan, est sans doute le plus ancien lac du monde, remontant probablement à la période du Crétacé, avec un âge potentiel de plus de 66 millions d'années. Le lac Baïkal, en Russie, prétend également être le lac le plus ancien du monde, car des preuves évidentes montrent qu'il a entre 25 et 30 millions d'années.

<p>Les montagnes de Barberton Makhonjwa, qui font partie de la ceinture de roches vertes de Barberton qui s'étend sur l'Afrique du Sud et le Swaziland, forment la plus ancienne chaîne de montagnes du monde. Cette chaîne, souvent décrite comme la "genèse de la vie", présente les plus anciennes roches exposées sur Terre, dont l'âge est estimé entre 3,2 et 3,6 milliards d'années.</p><p>Tu pourrais aussi aimer:<a href="https://www.starsinsider.com/n/435795?utm_source=msn.com&utm_medium=display&utm_campaign=referral_description&utm_content=648312fr-ca"> Affaire George Floyd : l'ancien policier reconnu coupable</a></p>

La plus vieille chaîne de montagne

Les montagnes de Barberton Makhonjwa, qui font partie de la ceinture de roches vertes de Barberton qui s'étend sur l'Afrique du Sud et le Swaziland, forment la plus ancienne chaîne de montagnes du monde. Cette chaîne, souvent décrite comme la "genèse de la vie", présente les plus anciennes roches exposées sur Terre, dont l'âge est estimé entre 3,2 et 3,6 milliards d'années.

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<p>Le port de Byblos, au Liban, est considéré comme le plus ancien port existant, utilisé depuis plus de 3 000 ans. Centre de transport de bois le plus important de la Méditerranée orientale, il était utilisé par les Phéniciens pour expédier leur vin local et pour exporter du bois aux pharaons de l'Égypte ancienne.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

Le plus vieux port

Le port de Byblos, au Liban, est considéré comme le plus ancien port existant, utilisé depuis plus de 3 000 ans. Centre de transport de bois le plus important de la Méditerranée orientale, il était utilisé par les Phéniciens pour expédier leur vin local et pour exporter du bois aux pharaons de l'Égypte ancienne.

<p>L'USS Constitution, lancé en 1797, est le plus ancien navire encore en service. Amarré dans le port de Boston, il sert aujourd'hui de navire-musée, mais navigue à l'occasion, généralement pour commémorer le Jour de l'Indépendance.</p><p>Tu pourrais aussi aimer:<a href="https://www.starsinsider.com/n/472974?utm_source=msn.com&utm_medium=display&utm_campaign=referral_description&utm_content=648312fr-ca"> Ces mamans célèbres ont eu des bébés prématurés</a></p>

Le plus vieux navire toujours en activité

L'USS Constitution, lancé en 1797, est le plus ancien navire encore en service. Amarré dans le port de Boston, il sert aujourd'hui de navire-musée, mais navigue à l'occasion, généralement pour commémorer le Jour de l'Indépendance.

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<p>La forêt tropicale de Daintree, située sur la côte nord-est du Queensland, en Australie, est la plus ancienne forêt tropicale de la planète. On estime qu'elle a environ 180 millions d'années, soit près de 10 millions d'années de plus que l'Amazonie en Amérique du Sud.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

La plus vieille forêt tropicale

La forêt tropicale de Daintree, située sur la côte nord-est du Queensland, en Australie, est la plus ancienne forêt tropicale de la planète. On estime qu'elle a environ 180 millions d'années, soit près de 10 millions d'années de plus que l'Amazonie en Amérique du Sud.

<p>Le Pacifique est le plus ancien des bassins océaniques existants. Ses roches les plus anciennes ont été datées d'environ 200 millions d'années. Il est également plus grand que toutes les terres émergées de la planète réunies.</p><p>Tu pourrais aussi aimer:<a href="https://www.starsinsider.com/n/473243?utm_source=msn.com&utm_medium=display&utm_campaign=referral_description&utm_content=648312fr-ca"> Ils ont joué plusieurs rôles dans un même film</a></p>

Le plus vieil océan

Le Pacifique est le plus ancien des bassins océaniques existants. Ses roches les plus anciennes ont été datées d'environ 200 millions d'années. Il est également plus grand que toutes les terres émergées de la planète réunies.

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<p>Datant de 55 à 80 millions d'années, le Namib est considéré comme le plus ancien désert du monde.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

Le plus vieux désert

Datant de 55 à 80 millions d'années, le Namib est considéré comme le plus ancien désert du monde.

<p>Connue sous le nom de Larapinta par les Aborigènes, la rivière Finke, dans le centre de l'Australie, est estimée à au moins 300 millions d'années.</p><p>Tu pourrais aussi aimer:<a href="https://www.starsinsider.com/n/494979?utm_source=msn.com&utm_medium=display&utm_campaign=referral_description&utm_content=648312fr-ca"> Photos déchirantes du conflit en Ukraine</a></p>

La plus vieille rivière

Connue sous le nom de Larapinta par les Aborigènes, la rivière Finke, dans le centre de l'Australie, est estimée à au moins 300 millions d'années.

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<p>Le Tumulus de Bougon, un groupe de cinq tumulus néolithiques situés en Nouvelle-Aquitaine, en France, est le plus ancien complexe funéraire connu au monde. Les archéologues ont daté le site d'environ 4800 avant notre ère.</p><p><a href="https://www.msn.com/fr-ca/community/channel/vid-7xx8mnucu55yw63we9va2gwr7uihbxwc68fxqp25x6tg4ftibpra?cvid=94631541bc0f4f89bfd59158d696ad7e">Suivez-nous et accédez tous les jours à du contenu exclusif</a></p>

La plus vieille tombe connue

Le Tumulus de Bougon, un groupe de cinq tumulus néolithiques situés en Nouvelle-Aquitaine, en France, est le plus ancien complexe funéraire connu au monde. Les archéologues ont daté le site d'environ 4800 avant notre ère.

<p>Levi Strauss & Co. est la plus ancienne marque de jeans au monde. Fondée en 1853 par Levi Strauss à San Francisco, Levi's reste une marque américaine emblématique reconnue dans le monde entier pour ses jeans.</p> <p>Sources: (Conde Nast Traveler) (National Geographic) (AntiquityNOW)</p> <p>Découvrez aussi: <a href="https://www.starsinsider.com/fr/mode/464872/lhistoire-du-jeans-de-nimes-au-monde-entier">L'histoire du jeans : de Nîmes au monde entier</a></p>

La plus vieille marque de jeans

Levi Strauss & Co. est la plus ancienne marque de jeans au monde. Fondée en 1853 par Levi Strauss à San Francisco, Levi's reste une marque américaine emblématique reconnue dans le monde entier pour ses jeans.

Sources: (Conde Nast Traveler) (National Geographic) (AntiquityNOW)

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Un monde inconnu/Texte entier

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PREMIÈRE PARTIE

Chapitre premier l’annonce du « new-york herald ».

« Oui, mon cher Marcel, dit Jacques en posant ses coudes sur la table et inclinant sa tête dans ses mains, tu vois en moi le plus malheureux des hommes, et je ne sais vraiment pas s’il ne serait pas plus sage pour moi d’aller de ce pas piquer une tête au fond de la Seine que de continuer à traîner une existence misérable et désormais sans but. C’est à quoi je songeais sérieusement tout à l’heure quand tu m’as rencontré et que tu m’as entraîné ici.

— Comment ! mon vieux Jacques, tu en es réduit là ?… Toi que j’ai laissé, il y a deux ans, quand je suis parti pour les Montagnes Rocheuses, si vaillant et si confiant dans l’avenir, je te trouve ainsi désespéré ! Après de brillantes études médicales qu’avaient couronnées des succès sans nombre dans les concours, avec, ce qui ne gâte rien, une fortune personnelle qui te permettait d’attendre la clientèle, tu pouvais envisager la vie sans crainte, et te voilà déjà vaincu d’avance sans avoir combattu !

— Ah ! c’est que tu ne sais pas ce que j’ai souffert. Écoute, et vois si j’ai sujet d’être absolument découragé ; « Tu sais que, resté orphelin vers l’âge de quatorze ans, j’ai été élevé par mon tuteur, le frère de ma mère, le savant François Mathieu-Rollère, connu dans l’Europe entière par ses travaux astronomiques et son célèbre mémoire sur les satellites d’Uranus. Mais ce que tu ne sais pas, c’est que j’ai été élevé dans sa maison avec sa fille Hélène, ma cousine ; que nous avons vécu toujours l’un près de l’autre, et que de cette douce communauté de vie est né un sentiment qui, peu à peu, est devenu un amour ardent et profond. Nous nous sommes juré d’être l’un à l’autre. C’est dans cet espoir que j’ai vécu, c’est pour assurer à Hélène une condition digne d’elle, pour qu’elle put être fière de son époux, que je me suis voué à un travail acharné, que j’ai voulu devenir l’un des premiers parmi les médecins de la nouvelle école.

— Eh ! mais, il me semble, interrompit Marcel, que tu n’y as pas mal réussi.

— Oui, peut-être ; mais à quoi cela m’a-t-il servi ? Lorsque j’ai présenté ma demande au père d’Hélène, il m’a regardé d’un air surpris. « Mon cher enfant, m’a-t-il dit, j’ai voué ma vie à la science ; ma fille n’épousera jamais qu’un homme qui lui apportera en dot quelque éclatante découverte dans l’ordre astronomique. » À cette déclaration je demeurai stupéfait : rien ne m’avait fait pressentir un pareil obstacle. Tout préoccupé de mon amour et de mon avenir, je ne m’étais pas aperçu que la passion de mon oncle pour la science tournait peu à peu à l’obsession et à la manie. Maintenant, c’était une idée fixe ; le mal était incurable. En vain nous essayâmes, celle que j’aimais et moi, de le fléchir : sa résolution fut immuable, comme le cours des astres qu’il observe. Lassé de mes instances, il m’interdit sa maison et m’enjoignit de ne paraître devant lui que lorsque j’aurais rempli la condition que m’imposait son égoïsme de savant.

« Trop faible pour résister à l’autorité paternelle, Hélène n’a pu que pleurer devant le refus obstiné qui brisait son cœur. Je l’ai quittée désespérée, ne sachant s’il me sera jamais permis de la revoir.

— Et tu n’as rien tenté pour essayer de satisfaire cet intraitable savant ? demanda Marcel d’un air où l’on sentait percer une légère ironie.

— Qu’aurais-je pu faire ? Voué à l’étude d’une science à laquelle je me suis consacré tout entier et jusqu’aux limites extrêmes de laquelle je me suis avancé, comment aurais-je pu recommencer, avec un autre but, une vie d’études ? Pour atteindre à ce point où l’esprit peut reculer les bornes d’une science et réaliser quelque grande conquête sur l’inconnu, il faut d’abord avoir absorbé tout ce que, dans cet ordre d’idées, l’humanité a emmagasiné de connaissances. Pour cela il me faudrait dix années d’études acharnées, sans avoir même la certitude du succés. Non, la lutte est impossible ; j’y renonce, je m’abandonne à ma malheureuse destinée.

— Homme de peu de foi, reprit Marcel en souriant, je t’ai connu plus brave et plus vaillant. Comme l’amour détrempe les âmes et amollit les courages ! Eh bien ! c’est moi qui vais t’apporter le salut.

— Toi ? s’écria Jacques.

— Oui, moi ; regarde. »

Et il déploya sous ses yeux la quatrième page d’un journal américain en date du 1 er juin 188., qu’il tira de sa poche, et sur laquelle se détachait en caractères gigantesques l’annonce suivante, dont nous donnons la traduction :

SOCIÉTÉ NATIONALE DES COMMUNICATIONS INTERSTELLAIRES

Sir Francis Dayton, syndic de la faillite de la Société Nationale des communications interstellaires, dont le siège social est à Baltimore (Maryland), a l’honneur d’informer le public qu’il sera procédé, le 10 février prochain, en la grande salle de l’Hôtel des Ventes de Baltimore, à la vente aux enchères publiques de :

1 o Le canon gigantesque dit la Columbiad , fondu et établi par les soins du Gun-Club de ladite ville de Baltimore et qui a servi à envoyer à la Lune le projectile dans lequel ont pris place les célèbres voyageurs Barbicane, Nicholl et Michel Ardan, à la date du 4 décembre 186. ;

2 o Le projectile de forme cylindro-conique en aluminium, muni de ses hublots, plaques et boulons de sûreté, capitonnage intérieur, qui a servi aux voyageurs précités pour effectuer ledit voyage ;

3 o Les hangars et constructions diverses élevés dans le voisinage de la Columbiad , ayant servi de magasins et d’ateliers lors de la première expérience ;

4 o Les appareils, palans, grues, moufles, chaînes ayant servi au chargement dudit obus, et encore en parfait état de conservation, ainsi que les batteries électriques, piles, bobines, fils conducteurs, etc., employés pour la déflagration de la charge de la Columbiad .

Ladite vente sera faite sur la mise à prix de deux cent mille dollars [1] et sur une seule enchère.

N. B. — Les opérations de la vente auront lieu sous la surveillance de l’honorable Harry Troloppe, juge-commissaire.

Jacques rendit le journal à Marcel.

« Que signifie cette plaisanterie ? fit-il.

— Ce n’est pas une plaisanterie, répliqua Marcel, et, si tu veux m’écouter, je vais t’édifier en peu de mots.

« Je suis parti, tu te le rappelles, au commencement de 187., pour la région des Montagnes Rocheuses. J’avais, dans un précédent voyage, cru reconnaître dans la partie du nord du territoire du Missouri d’importants gisements de cuivre ; je m’étais résolu à vérifier plus tard ces premières données et, si mes prévisions ne m’avaient pas trompé, à en tenter l’exploitation sur une vaste échelle.

« À cet effet, muni des autorisations suffisantes, j’organisai une petite expédition pour mener cette œuvre à bonne fin. J’ai passé là, aux confins du désert, dans cette contrée montagneuse, aride et désolée, deux années de la plus rude existence, obligé de disputer sans cesse ma vie aux Indiens au milieu desquels je campais, et qui m’accusaient de venir profaner de mes travaux sacrilèges la terre sacrée de leurs ancêtres. À chaque instant, en effet, mes opérations de sondage étaient bouleversées, mes ateliers d’essayage détruits : c’était toujours à recommencer.

« Je serais mort d’ennui si, dans le voisinage des gisements que j’explorais, à une distance de 20 milles environ (mais à 20 milles dans cette zone peu habitée on est voisin), ne se fût élevée la montagne de Long’s Peak.

« Tu n’as pas oublié sans doute que lors de la célébre tentative faite en 186. pour atteindre la Lune, le Gun-Club de Baltimore avait fait construire sur ce sommet, l’un des plus élevés des montagnes, un télescope géant destiné à suivre dans leur vol les audacieux explorateurs. Des relations assez suivies s’étaient établies entre les astronomes de l’observatoire et moi. Dans cette station perdue, à 4,350 mètres au-dessus du niveau de la mer, ils ne rencontraient pas souvent à qui parler et m’avaient fait l’accueil le plus gracieux et le plus empressé. Je passai auprès d’eux tout le temps que m’ont laissé libre les explorations que j’avais entreprises. J’y demeurais d’ordinaire plusieurs jours de suite, pendant lesquels je me considérais non comme un hôte, mais comme un des observateurs attachés à ce poste astronomique.

« J’avais senti se réveiller en moi un goût très prononcé pour la science du ciel et, bientôt, le maniement des cercles méridiens, des lunettes et des télescopes m’était devenu familier. Mon imagination s’exaltait aux souvenirs de 186., et je ne pouvais m’arracher à l’oculaire du grand télescope. Cet admirable instrument mettait la Lune à une distance bien plus rapprochée que ne l’avaient fait jusqu’ici les plus puissants appareils d’optique.

« J’ai longuement observé notre satellite, et j’ai pu rectifier en bon nombre de ses parties la carte de Beer et Madler, qui passait jusqu’alors pour la plus complète et la plus exacte. J’ai pu faire des constatations nouvelles qui me semblent présenter tous les caractères d’une entière certitude. C’est ainsi que j’ai pu établir que les derniers astronomes qui ont écrit sur la Lune se sont trompés, lorsqu’ils ont constaté à sa surface la présence d’une certaine quantité d’eau. Il est maintenant établi pour moi que ce n’est pas de l’eau, mais de l’air, qu’ils ont vu ; c’est ce que l’on peut induire de l’aspect que présentent certains contours et certaines arêtes légèrement estompées des extrémités du croissant lunaire. Pour moi les grandes dépressions qui existent à la surface de notre satellite, telles que celle qu’on appelle la mer du Froid, renferment dans leurs parties les plus basses une couche d’air dont l’épaisseur est sans doute excessivement faible, mais suffisante à mon avis pour entretenir, au moins dans ces régions, la vie d’êtres animés. Et puis, qui sait ? Dans la rapide éclaircie qui leur a permis d’entrevoir la portion du disque de la Lune toujours invisible pour nous, les voyageurs du Gun-Club n’ont-ils pas cru apercevoir des eaux, des montagnes boisées, de profondes forêts ? Les lueurs fulgurantes du bolide qui a failli les pulvériser ne se sont-elles pas réfléchies sur la surface de vastes océans ? Cela se trouverait d’accord avec l’hypothèse de quelques astronomes, qui soutiennent que ce qui reste de l’atmosphère lunaire a pu se condenser sur la partie invisible de son disque. Ce sera, du reste, un point à vérifier. Bref, je sentais grandir en moi le désir d’accomplir ce qu’avaient tenté les Américains avec l’espoir que, cette fois, aucun malencontreux bolide ne viendrait me faire dévier de la route et m’empêcher d’atteindre le but.

« Un événement imprévu vint hâter ma résolution.

« J’avais pour aide dans mes travaux un Anglais, John Parker, en qui je mettais toute ma confiance. Ingénieux et adroit, fertile en ressources, il m’avait été d’un puissant secours pour conduire mes travaux et diriger les ouvriers que j’employais à mes sondages et à mes essais. C’est à lui que je laissais la surveillance des chantiers et que je confiais la garde de mes plans et de mes notes, lorsque je m’éloignais du lieu de mes explorations.

« Je l’avais toujours trouvé si fidèle et si sûr, que j’avais pris l’habitude de prolonger mes absences.

« Un jour, le 27 juillet de l’année dernière, en revenant à ma station après un séjour d’un mois passé à l’observatoire de Long’s Peak, je fus tout surpris d’y trouver installés des travailleurs que je ne connaissais pas, une administration qui fonctionnait au nom de la Great Western Copper mining Company  ; et quand je demandai des explications, on me répondit en me montrant un act en due forme accordant à la nouvelle société l’exploitation des mines de toute la région que j’avais explorée. Je voulus protester, on me rit au nez ; je m’emportai et criai au vol : le canon d’un revolver braqué sur ma poitrine m’apprit que je n’avais rien à attendre des nouveaux occupants.

« J’eus bientôt l’explication de ce mystère : le lendemain même de mon départ, John Parker avait pris la fuite emportant tous mes plans et mes croquis, mes notes, mes tableaux d’essayages, mes échantillons, tout ce qui en un mot établissait la réalité de ma découverte. Il s’élait rendu à New-York, avait vendu le tout à la Great Western Copper mining Company , dont le directeur, lié avec des membres influents du Congrès, qu’il avait du reste grassement rétribués, avait enlevé sans coup férir la concession ; mes ouvriers avaient été congédiés avec une gratification ; de nouveaux travailleurs avaient été amenés, et comme les résultats que j’avais obtenus étaient probants, les travaux préparatoires d’exploitation avaient immédiatement commencé.

« J’étais indignement volé ; mais que faire ? À quelle juridiction m’adresser ? Comment surtout établir l’antériorité de mon droit, maintenant que j’étais complètement dépouillé ?

« J’aurais peut-être tenté malgré tout de me faire rendre justice ; j’aurais tout au moins cherché ce misérable John Parker pour lui brûler la cervelle, si je n’avais été tourmenté par la pensée dont je te parlais tout à l’heure. J’eus donc bientôt pris mon parti, et après m’être fait restituer à grand’peine par mes voleurs certains objets que je te montrerai tout à l’heure et qui étaient pour eux sans valeur, je résolus de me consacrer tout entier à la réalisation du projet dont j’étais hanté. Quelques jours après, j’étais à Chicago, où l’annonce que je viens de le faire lire me tomba sous les yeux, et mon projet commença à prendre corps.

— Tout cela est fort bien, interrompit Jacques avec un sourire ; mais jusqu’ici je ne vois rien qui puisse te permettre d’affirmer que notre satellite est habité, et dès lors je ne saisis pas bien, quand même tu parviendrais à l’atteindre…

— Écoute, fit Marcel en baissant la voix ; tout à l’heure tu vas m’accompagner chez moi, ici tout près, rue Taitbout, et je te donnerai la preuve indéniable non seulement que la Lune est habitée, mais que ses habitants ont tenté d’entrer en communication avec nous. Tu as beau prendre un air d’incrédulité, tu seras bien forcé de te rendre à l’évidence.

— Eh bien ! soit, dit Jacques ; voyons maintenant comment tu comptes t’y prendre pour réaliser cette entreprise qui, sauf preuve contraire, me paraît tout à fait extravagante.

— Mon projet est bien simple, reprit Marcel, et je suis en France depuis une semaine précisément pour le réaliser. Je vais fonder, sous le nom de « Société anonyme d’explorations astronomiques », une société au capital de cinq millions de francs divisés en mille parts de cinq mille francs chacune, car notre entreprise ne doit avoir rien de commercial, et ceux qui s’y associeront ne devront être mus que par l’amour désintéressé de la science. Je ne doute pas d’arriver promptement en France, où toute entreprise généreuse et élevée trouve nombre d’adhérents, à réaliser le modeste capital qui nous sera nécessaire. Il est à Paris même un financier bien connu que possède la passion de la science, qui déjà a donné des preuves éclatantes de son goût pour l’astronomie, et à qui cette science doit déjà d’importantes fondations. Je suis bien sûr que lorsqu’il connaîtra mon projet dans tous ses détails, il le jugera praticable et ne lui refusera pas un large concours. Aussitôt les fonds souscrits, je pars pour Baltimore, j’achète la Columbiad , son obus et tous les accessoires, qui ne me seront certes pas disputés par beaucoup d’amateurs ; je répare le tout, j’achève mes préparatifs

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et, le 15 décembre de l’année prochaine, nous renouvelons ensemble, mais cette fois avec un succès complet, la tentative de Barbicane, Ardan et Nicholl.

— Peste ! comme tu y vas, s’écria Jacques, riant malgré lui de l’assurance enthousiaste de son ami, je ne suis pas encore décidé.

— Incrédule ! va, fit Marcel ; viens jusque chez moi et tu vas être convaincu, — Garçon ! cria-t-il, l’addition. »

L’entretien que nous venons de rapporter avait lieu à Paris, dans la grande salle du Café Anglais, par une belle matinée du mois d’août 188.. — Les deux jeunes gens qui causaient ainsi à cœur ouvert étaient à peu près du même âge : ils avaient de vingt-huit à trente ans. Mais ils différaient et par l’aspect et par la stature. Marcel de Rouzé, d’une taille élevée et de large carrure, aux membres à la fois souples et robustes, à la tête couverte d’une épaisse forêt de cheveux d’un blond tirant sur le roux, avait le visage coloré et coupé par une longue moustache. Ses grands yeux bleus, largement ouverts, respiraient la franchise et la gaieté. Ses lèvres rouges, un peu épaisses, exprimaient une bonté un peu dédaigneuse. On eût cru ne voir en lui qu’un bon et joyeux garçon toujours disposé à prendre la vie par ses meilleurs côtés, si la lueur qui parfois animait son regard et le pli qui creusait son front n’eussent dénoté une volonté énergique au service d’une intelligence vive et capable des plus hautes conceplions.

Jacques Deligny offrait avec son compagnon un contraste frappant.

D’une taille moins élevée, mais élégante et bien prise, il semblait réaliser le type dvune rare distinction. Sa tête fine et intelligente, qu’encadraient une barbe et des cheveux d’un noir de jais, offrait la pâleur mate de ceux que de patientes et difficiles études ont tenu longtemps renfermés dans le cabinet de travail ou dans le laboratoire.

Sa bouche, aux lèvres un peu serrées, semblait avoir désappris le sourire. Son front élevé était d’un penseur et ses yeux, assez profondément enfoncés, se voilaient d’ordinaire d’une teinte de mélancolie.

Tous les deux s’étaient connus enfants, alors qu’ils s’asseyaient ensemble sur les bancs du lycée Louis-le-Grand.

Plus tard, lorsque Marcel était entré l’un des premiers à l’École polytechnique, tandis que Jacques suivait les cours de l’École de médecine, ils ne s’étaient jamais perdus de vue, et les liens qui les unissaient et qui étaient formés d’un peu de protection de la part de Marcel et d’une grande confiance du côté de Jacques, n’avaient fait que se resserrer. Ensuite la vie les avait séparés, Jacques était resté à Paris poursuivant à travers les contours de l’externat, puis de l’internat, ses laborieux travaux ; Marcel était allé chercher dans un autre continent un champ plus vaste où exercer son exubérante activité.

Il était orphelin, et sa fortune personnelle lui permettait de voyager et d’attendre sans trop d’impatience le succès de quelqu’une des grandes entreprises que caressait toujours son ardente imagination.

En se quittant on s’était promis de s’écrire, et on s’était en effet écrit quelque temps. Mais bientôt les lettres étaient devenues plus rares, puis avaient cessé tout à fait. Cependant les deux amis pensaient souvent l’un à l’autre ; la Séparation n’avait en rien affaibli leur affection, et, lorsque le hasard les avait mis en présence, c’était avec une véritable joie qu’ils étaient tombés dans les bras l’un de l’autre. Comme ils avaient de longues confidences à échanger, ils étaient entrés dans le premier endroit qui s’était présenté à eux, et avaient causé en savourant le déjeuner délicat qu’ils étaient en train d’achever.

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CHAPITRE II LE DOCUMENT

Au moment où les deux convives, secouant la cendre de leurs cigares, se disposaient à se lever, un garcon s’approcha de Marcel et lui tendit sur un plateau d’argent une carte de vélin en lui disant :

« La personne dont voici le nom sollicite l’honneur de vous étre présentée.

— À moi ? fit Marcel.

— Oui, Monsieur. »

Et d’un clin d’œil le garçon désignait une table voisine vers laquelle Marcel dirigea un rapide regard.

À cette table était assis un homme qui paraissait âgé de quarante à quarante-cinq ans et dans lequel il était, au premier aspect, facile de reconnaître un originaire de la Grande-Bretagne. Son visage régulier et énergique était empreint d’une grande noblesse. Sa barbe, qu’il portait tout entière, était blonde et striée de quelques fils d’argent. Ses yeux, d’un bleu changeant, semblaient recéler une rare fermeté d’âme, et cependant on y distinguait comme une expression de lassitude et d’ennui.

De tous ses traits du reste légèrement fatigués se dégageait la même impression : le spleen avait passé par là.

Il était mis avec une extrême recherche, et l’on sentait en lui un homme du meilleur monde. Bien qu’il fût assis, on voyait que sa taille était haute, ses membres bien proportionnés ; sa main, longue et fine, qui jouait négligemment avec un monocle d’écaille, était tout à fait aristocratique. Rien en lui de commun ou de vulgaire : cet homme à coup sûr n’était pas le premier venu.

Marcel laissa tomber ses yeux sur la carte qui lui était tendue et lut :

« Que peut me vouloir cet insulaire ? » murmura-t-il.

Mais avec la courtoisie naturelle à un homme du monde, il se retourna vers l’étranger, le sourire aux lévres.

Celui-ci se leva et s’approcha des deux amis.

« Pardonnez-moi, monsieur, fit-il en s’inclinant vers Marcel et en adressant aussi un salut à Jacques, l’irrégularité de ma démarche, et puisqu’il ne se trouve ici personne qui puisse me servir d’intermédiaire, permettez-moi de me présenter moi-même. »

Et d’un ton de voix un peu solennel :

« Lord Douglas Rodilan, affligé de cinquante mille livres sterling de rente. »

Et comme à cette déclaration un peu brutale Marcel faisait un geste de hauteur, l’Anglais ajouta :

« Excusez-moi, monsieur, mais ce détail, auquel je n’attache pas plus d’importance que vous-même, aura tout à l’heure sa raison d’être, lorsque je vous aurai fait connaître le motif qui m’a fait désirer votre entretien.

— Parlez, milord, fit Marcel, mais souffrez tout d’abord que je vous présente mon ami intime, M.  le docteur Jacques Deligny. »

Les deux hommes s’inclinèrent.

Marcel désigna de la main un siège à l’Anglais, qui continua ainsi :

« J’ai tout d’abord à me faire pardonner une indiscrétion involontaire. Quelques mots de votre conversation sont arrivés jusqu’à moi ; ma curiosité a été éveillée par la hardiesse de vos conjectures, l’audace de l’entreprise que vous projetez, et j’ai pris, sans plus délibérer, la résolution de vous mettre en mesure de la réaliser sans attendre la constitution d’une Société lente peut-être à se former, et dont les membres intéressés pourraient vous créer dans l’avenir maintes difficultés.

— Quoi ! s’écria Marcel, vous voudriez…

— Mettre tout simplement à votre disposition les fonds qui vous seraient nécessaires pour acheter le fameux canon du Gun-Club et subvenir à tous les frais de l’expédition.

— Mais, milord…

— Je ne mets à cette offre qu’une seule condition : vous m’accepterez comme compagnon de voyage et je partirai avec vous. »

Les deux jeunes gens fixaient sur leur interlocuteur un regard ahuri. Il s’en aperçut et continua en souriant :

« Je vois bien qu’il faut que je vous explique les raisons de cette proposition, qui peut paraître au moins singulière. Mon père, lord Glennemare, est mort lorsque j’atteignais à peine ma seizième année. Resté très jeune maître d’une immense fortune, j’ai parcouru le monde sans autre souci que de satisfaire toutes mes fantaisies, demandant aux contrées les plus diverses, aux civilisations les plus raffinées des jouissances nouvelles, bientôt épuisées. Tout ce que peut fournir le luxe savant et délicat des grandes capitales de l’Europe, Paris et Londres, Vienne et Pétersbourg, je m’en suis abreuvé jusqu’à satiété ; j’ai goûté à tous les plaisirs inventés par l’imagination surexcitée de l’Extrême-Orient ; l’Inde, la Chine, le Japon n’ont plus rien qui puisse me tenter. J’ai parcouru les contrées sauvages de l’Afrique, où j’ai chassé l’autruche et dormi sous la tente. J’ai mené dans les pampas et les savanes du Nouveau Monde la rude existence des gauchos et des trappeurs. Les fonctions diplomatiques dont j’ai été chargé à diverses reprises, en facilitant ces voyages, m’ouvraient l’accès de toutes les cours. De ces postes d’observation j’ai pu étudier toutes les sociétés, connaître l’homme sous tous les climats et à tous les degrés de civilisation. J’ai recherché les émotions de la guerre, j’ai bravé les typhons et les cyclones des tropiques, j’ai demandé à la science les jouissances qu’elle réserve à ses adeptes. Rien n’a pu dissiper l’incommensurable ennui que m’a laissé l’incomplète satisfaction de désirs toujours renaissants et toujours inassouvis.

« Bien décidé à ne pas prolonger plus longtemps une recherche de bonheur que je juge tout à fait irréalisable, j’étais résolu à quitter ce monde si pauvrement agencé pour ceux que tourmente le désir de l’infini, et dont on a si vite fait le tour. Un seul point me faisait hésiter encore : je cherchais un moyen neuf et original pour sortir de cette étroite vallée. J’aurais voulu que ma mort m’apporlât au moins quelques jouissances nouvelles, quelque chose que nul homme avant moi n’aurait pu ressentir, Ce que j’ai entendu de votre conversation m’a paru répondre à ce secret désir de mon âme.

« Je suis, je ne vous le cache pas, parfaitement convaincu que l’entreprise où vous allez vous engager doit aboutir à une épouvantable catastrophe. Si vous parvenez à franchir une fois encore le cercle d’attraction de la terre, vous tomberez infailliblement sur son satellite, et si les lois de la pesanteur sont exactes, vous vous briserez en mille piéces sur son écorce rocheuse.

« Eh bien ! c’est là ce qui me tente. Cette chute vertigineuse et assez prolongée cependant pour qu’on puisse se sentir tomber, analyser de seconde en seconde ses sensations multiples et tout à fait inusitées, m’attire invinciblement. Voulez-vous de moi dans les conditions que je viens de vous indiquer ?

— C’est un fou », murmura Jacques, en se penchant vers Marcel.

L’Anglais l’entendit ou peut-être le devina.

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— Eh bien ! soit, milord, dit Marcel, j’accepte, mais à mon tour de vous poser une condition. Si, comme j’en ai la conviction, nous atteignons la lune sains et saufs, vous me jurez de renoncer à vos projets de suicide.

— Oh ! de très grand cœur, s’écria lord Rodilan, car alors j’aurai retrouvé un intérêt puissant à vivre, et je n’aurai plus de raisons pour renoncer à une existence qui m’apportera tant d’émotions nouvelles et inaccessibles au vulgaire. Mais vous me permettrez, jusqu’à nouvel ordre, de ne voir dans ce second voyage qu’une pure et simple folie à laquelle je ne m’associe que parce que j’y trouve mon compte.

— Eh bien ! messieurs, dit Marcel en se levant, veuillez me suivre jusque chez moi, et si ce que je vais vous montrer ne triomphe pas de votre incrédulité, ce sera à désespérer de la logique humaine. »

En quelques minules on arriva rue Taitbout à la maison où Marcel occupait à l’entresol un petit appartement meublé avec une élégante simplicité. Il les laissa seuls un instant dans le salon, pénétra dans la chambre à coucher contiguë et revint bientôt, portant avec effort une sorte de coffre aux ferrures solides, qu’il déposa soigneusement sur la table.

Les deux compagnons s’étaient levés et regardaient : leur visage offrait l’expression d’une vive curiosité.

Marcel ouvrit le coffre mystérieux et en tira un objet de forme ronde d’environ 20 centimètres de diamètre, de couleur brune et rougeâtre, paraissant d’un poids considérable, et qu’il posa avec respect sur la table.

« Mais c’est là un vulgaire boulet de canon, dit Jacques en riant ; cela date de la prise de Québec par les Anglais.

— Attends, sceptique, tu vas voir », fit Marcel.

Saisissant alors un tournevis qu’il avait apporté en même temps que l’objet singulier qu’il montrait à ses compagnons, il leur fit remarquer deux petites rainures presque imperceptibles ; puis, introduisant son tournevis successivement dans chacune d’elles, il retira deux petites vis finement taraudées et fit tomber une plaque assez épaisse noyée dans la masse du métal. Cette plaque fermait l’orifice d’un trou rectangulaire qui s’enfonçait suivant l’axe du boulet, et à l’aide d’une pince il en retira une tablette faite d’un métal bizarre d’un blanc violacé, aux reflets changeants, large de 4 centimètres sur 2 centimètres d’épaisseur et longue de 12 centimêtres environ.

Sur ses deux faces étaient gravés les caractères suivants :

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Jacques et lord Rodilan se penchèrent et regardérent avec curiosité ce singulier document.

« Eh ! bon Dieu ! qu’est-ce là ? s’écria Jacques.

— Crois-tu, lui dit Marcel, que les Anglais se soient avisés, en 1761, d’écrire tout au long sur une plaque de métal l’histoire authentique de l’expérience du Gun-Club pour l’envoyer gracieusement aux Français assiégés dans Québec ? Non, mon ami, s’écria-t-il en s’animant, ce que tu as sous les yeux est un message envoyé de notre satellite à la terre, la réponse à l’audacieux voyage des immortels Barbicane, Ardan et Nicholl.

— Quelle folie ! » murmura le jeune médecin.

Lord Rodilan regardait d’un œil indifférent, et un sourire où il y avait presque de la pitié se jouait sur ses lèvres.

Le mot folie avait exaspéré Marcel.

Il reprit :

« Une folie ! Eh bien ! apprenez comment cet objet étrange est venu en ma possession et si, après cela, vous doutez, c’est que vous êtes résolus à nier l’évidence.

« Un jour, dans les Montagnes Rocheuses, quelques semaines avant la catastrophe qui m’a fait perdre le fruit de mes longs travaux, j’avais fait commencer le forage d’un puits qui devait servir à augmenter l’aération de galeries déjà fort avancées. On avait creusé à une profondeur de 15 mètres environ, lorsque le pic de l’un des travailleurs se brisa sur un corps d’une dureté exceptionnelle. Je crus d’abord à la présence de quelque roche, ou peut-être d’un bloc erratique amené là à la suite de quelque éruption volcanique. Mais bientôt, les ouvriers ayant dégagé cet obstacle, placèrent sous mes yeux étonnés un fragment métallique d’une forme singulière. Le côté extérieur offrait l’aspect d’une section de surface sphérique régulière, à laquelle correspondait sur l’autre face une autre section concave non moins régulière. Les bords de ce fragment, d’une épaisseur de 30 centimètres, présentaient l’aspect d’une cassure semblable à celle d’un projectile brisé à la suite d’une explosion. J’avais évidemment devant moi un morceau d’un énorme boulet creux dont le rayon mesurait environ 47 centimètres, c’est-à-dire d’un diamétre de 94 centimètres. Or, il n’existe pas, que je sache, sur la terre, en dehors de la Columbiad , d’engins capables de lancer un pareil projectile.

— Il n’en existe pas, en effet, dit lord Rodilan.

— Très intrigué, j’ordonnai à mes hommes de continuer leurs fouilles avec le plus grand soin, en prenant toutes les précautions possibles pour pouvoir me rendre compte de la position relative de tous ces fragments, car je ne doutais pas d’en rencontrer d’autres.

« Au bout de quelque temps, en effet, j’avais réuni autour de moi une douzaine de fragments d’inégale grosseur, qui tous présentaient les caractères que je viens de décrire et confirmaient ma première hypothèse. Mais bientôt mon étonnement fut au comble, lorsqu’un de mes gens me présenta un objet sphéroïdal qui n’était autre que le boulet que vous venez de voir. De plus en plus intrigué, je fis arrêter les travaux ; j’ordonnai que l’enceinte du trou déjà creusé fût entourée de palissades, afin que rien n’y pût être changé, et j’emportai chez moi mon étrange trouvaille. Après l’avoir débarrassé de la terre argileuse qui le recouvrait en partie, j’examinai ce boulet dans tous les sens et ne tardai pas à découvrir deux petites rainures rectilignes paraissant former le diamètre d’un petit cercle tracé dans le métal : c’étaient évidemment les têtes de deux vis. Après bien des efforts, je parvins à les dévisser et j’en retirai la tablette que vous venez de voir, soigneusement ajustée à l’intérieur comme vous pouvez vous en convaincre par vous-mêmes.

« Je fus longtemps sans comprendre ces signes mystérieux. Un jour, cependant, la lumière se fit dans mon esprit et il devint évident pour moi que j’avais sous les yeux un message envoyé à la Terre par les habitants de la Lune, en réponse à la tentative avortée du Gun club.

« Il était d’abord hors de doute que, si nos voisins ont eu la pensée d’entrer en relations avec nous, ils ne pouvaient, dans l’ignorance réciproque où nous nous trouvons les uns et les autres de nos idiomes respectifs, recourir à des caractères phonétiques ; ils ont dû, par conséquent, user d’une certaine écriture idéographique et se référer à quelque événement qui, en les intéressant eux-mêmes, füt de nous parfaitement connu.

« Voyez en effet, tout y est.

« Les premiers signes représentent évidemment la Terre et la Lune, c’est-à-dire les deux astres entre lesquels il s’agit d’établir des communications. Vous n’en pouvez douter, puisque sur la première figure est tracé l’ancien continent terrestre, et la forme d’un croissant donnée à la Lune prouve jusqu’à l’évidence que les habitants de notre satellite se rendent parfaitement compte de l’aspect sous lequel se présente à nous leur planète au commencement de la lunaison. Donc, il y a chez eux des astronomes, et leurs instruments d’observation ont atteint un grand degré de perfection, puisqu’ils peuvent distinguer la forme exacte de nos continents. Quant aux figures humaines qui se dressent à côté des deux astres, elles démontrent que les habitants de la Lune, constitués, à en juger par l’apparence, à peu près comme nous le sommes, ont supposé que la Terre était habitée par des êtres analogues à eux-mêmes et avec lesquels il n’était pas impossible de communiquer.

— Si tu n’as que cette preuve-là, interrompit Jacques, cela est assez maigre.

— Ne te hâle pas trop de juger, répliqua Marcel, mais plutôt écoute.

« Vous voyez ensuite, continua-t-il, un signe représentant très clairement un obus — celui du Gun-Club — se dirigeant vers la Lune. Le signe suivant nous montre ce même obus, qui n’a pas atteint son but, décrivant une courbe autour de notre satellite et finalement se dirigeant de nouveau vers la Terre, sur laquelle en réalité il est retombé.

— Tout cela ne prouve pas grand’chose, reprit Jacques incorrigible dans son scepticisme. Qu’en pensez-vous, Milord ?

— Oh ! fit l’Anglais, tout cela me laisse assez indifférent. Je ne tiens, vous le savez, qu’à faire le voyage avec vous et à me briser correctement sur la surface de la Lune. »

Cette observation jeta un froid.

Marcel poursuivit :

« Voici maintenant un boulet qui part de la Lune pour se diriger vers la Terre ; c’est évidemment la réponse à l’obus du Gun-Club. Et comme il est à supposer que les astronomes de la Lune ne se sont pas bornés à un seul envoi, ne sachant trop où tomberait leur projectile, la grosse sphère dont j’ai retrouvé les débris et qui renfermait le boulet, est bien certainement l’un des messages par lesquels ils ont essayé d’entrer en relations avec nous. Les signes qui suivent confirment cette démonstration : voyez en effet ce boulet qui va de la Lune à la Terre, cet obus qui suit une direction inverse, mais parallèle ; n’est-ce pas là l’indication manifeste de relations permanentes et suivies entre les deux astres au moyen de projectiles messagers circulant d’une façon régulière et normale ? N’est-ce pas la réalisation de l’idéal rêvé par les plus éminents d’entre les astronomes, et que le Gun-Club avait essayé de faire entrer dans le domaine pratique ? »

Alors Jacques s’exclama :

« Mais c’est une plaisanterie, mon cher Marcel ! tu as là entre les mains quelque inscription commémorative imaginée par un membre du Gun-Club ou autre témoin de l’expérience de 186., il n’y a là de lunatiques que tes rêveries.

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— Oui, murmura Jacques visiblement ébranlé, il y a là quelque chose que je ne m’explique pas.

— Ah ! tu y viens, reprit Marcel. Regarde maintenant cela : tu es chimiste ; dis-moi quel est ce métal. »

Et il rapprochait de ses yeux la plaque sur laquelle étaient gravés les signes dont il venait de fournir l’explication.

« Ma foi, je n’en sais rien ; il faudrait l’essayer.

— Je l’ai essayé ; j’ai détaché là, à cet angle, un minuscule fragment. Je l’ai amené à l’incandescence et analysé au spectroscope. Eh bien ! j’affirme que ce métal n’a pas son pareil sur notre planète.

— Tu m’en diras tant… »

Et, comme se parlant à lui-même, Jacques continua :

« Quel magnifique rêve ce serait là ! Arriver à constater la présence sur notre salellite d’une humanité avec laquelle nous pourrions entrer en communications suivies ! Quels horizons nouveaux ouverts devant la science !… Quelles découvertes inappréciables ne nous réserverait pas l’avenir ! Où s’arrêterait désormais le génie de l’homme et quelle gloire ne serait pas réservée à ceux qui auraient fait le premier pas dans les abîmes de l’infini ?

— Eh ! mais, docteur, fit alors lord Rodilan, il me semble que vous prenez feu bien facilement et que vous, qui étiez tout à l’heure si réservé, vous voilà maintenant aussi enthousiaste que votre ami.

— Ma foi, je ne m’en défends pas ; cet étrange message, les circonstances dans lesquelles il a été découvert, ce métal inconnu, tout cela me remue étrangement. Et vous-même, malgré votre flegme britannique, ne vous sentez-vous pas quelque peu ébranlé ?

— Oh ! moi, reprit l’Anglais, je suis désintéressé dans la question et, comme dit l’un de vos écrivains, mon siège est fait. Je ne veux qu’un genre de mort original et je ne crois pas le payer trop cher en vous assurant mon concours ; car il est une chose dont je demeure parfaitement convaincu, c’est que si nous échappons au choc initial au moment de notre départ, nous nous briserons infailliblement en cent mille morceaux sur les rocs de notre inhospitalier satellite.

— Ah ! permettez, dit Marcel…

— Non, mon ami, interrompit l’Anglais, — je vous demande, en effet, la permission de vous donner ce nom, puisque nos destinées vont être si étroitement unies, — nous reviendrons plus tard sur ce sujet, puisqu’il paraît vous intéresser.

— Et j’espère bien vous convaincre, conclut Marcel, en lui tendant la main, que l’Anglais serra vigoureusement ainsi que celle de Jacques, en murmurant : « Oh ! pour cela, j’en doute. »

CHAPITRE III L’ADJUDICATION

Le 10 février 188., vers midi, la grande salle de l’Hôtel des Ventes de Baltimore présentait une animation inaccoutumée, On allait y procéder à la vente aux enchères du fameux canon la Columbiad du Gun-Club et de ses accessoires.

Selon toutes les prévisions, le nombre des amateurs ne devait pas être considérable, et il est fort probable que cette vente aurait passé inaperçue, et que le monstrueux engin, qui avait si fortement surexcité, près de vingt ans auparavant, la curiosité publique, aurait été vendu comme vieille ferraille s’il n’était survenu quelque chose de tout à fait inattendu. Les curieux assemblés dans la salle, bien avant l’heure fixée pour la vente, se racontaient avec force commentaires que des acheteurs sérieux allaient se présenter. Des gens qui paraissaient bien informés disaient qu’un mois auparavant trois étrangers, deux Français et un Anglais, avaient un beau jour débarqué en Floride.

Malgré le mystère dont ils s’entouraient, leurs agissements avaient été observés ; on les avait vus s’aboucher avec les gens préposés à la garde du canon ; ils avaient examiné avec soin tous les appareils, visité l’obus d’aluminium, s’étaient même fait descendre jusqu’au fond de la Columbiad dont ils avaient soigneusement inspecté les parois.

Pendant que ces propos s’échangeaient dans la foule, l’honorable John Elkiston, commissaire-priseur de l’ « auction », assisté de son clerc, s’était installé derrière la table sur laquelle on plaçait d’ordinaire les objets précieux exposés en vente. À défaut du canon du Gun-Club , qui eût été difficilement transportable, le crieur déroulait sous les yeux des curieux qui s’étaient empressés de se masser de l’autre côté de la table, des plans, des dessins, des épures, des photographies représentant sous toutes ses faces l’objet de cette vente anormale.

«  Gentlemen , dit Elkiston, vous n’êtes pas sans avoir entendu parler de l’inoubliable voyage effectué il y a dix-huit ans dans les régions lunaires par les illustres membres du Gun-Club , Impey Barbicane, le capitaine Nicholl, accompagnés du hardi Français Michel Ardan. Vous savez tous qu’une société s’était formée pour arriver, grâce aux résultats obtenus, à établir des communications suivies entre la Terre et son satellite. Au début les capitaux ont afflué ; mais bientôt le zèle des donateurs s’est ralenti ; ceux qui avaient été les instigateurs de cette entreprise l’ont abandonnée et la société est tombée en faillite.

« Cependant le moment approche où, d’après les calculs astronomiques les plus irréfutables, l’expérience qui avait été sur le point d’obtenir un succès complet va pouvoir être renouvelée. Aussi l’honorable syndic de la société a-t-il jugé l’instant favorable pour faire procéder à la vente de la Columbiad et mettre ainsi les amateurs d’expéditions scientifiques en mesure d’effectuer un nouveau départ.

« Nous ne doutons pas qu’il ne se trouve sur le sol de l’Union nombre d’hommes courageux et dévoués qui voudront garder à notre patrie le monopole de toutes les audaces et la gloire d’un succès qui fera pâlir de jalousie toutes les universités et tous les savants du vieux monde. Hurrah ! pour l’Union. Attention ! les enchères vont commencer. »

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Cependant personne n’avait remarqué l’entrée dans la salle de trois étrangers qui s’y étaient glissés sans bruit : c’étaient Marcel de Rouzé, Jacques Deligny et lord Rodilan.

Le commissaire-priseur reprit :

«  La Columbiad , avec tous ses accessoires, projectile, appareils électriques, grues et palans, plus les hangars dans lesquels ces objets sont conservés, sont offerts en vente sur la mise à prix de deux cent mille dollars et seront adjugés au dernier et plus fort enchérisseur, même sur une seule enchère.

« Les enchères sont ouvertes. »

Le crieur répéta :

« À deux cent mille dollars La Columbiad !  »

Un silence.

« Allons, gentlemen, décidez-vous. Jamais plus magnifique occasion ne se sera présentée pour les amateurs de la science de renouveler la fameuse tentative qui a passionné les deux mondes. »

Personne ne souffla mot.

John Elkiston se démenait derrière sa table.

« Voyons, disait-il, il n’est pas possible que ce gigantesque effort fait pour sonder les abîmes de l’infini reste à jamais perdu. Ne se trouvera-t-il done personne dans les États de l’Union pour reprendre et mener à bonne fin la plus grande idée du siécle ? Les enfants de la libre Amérique ont-ils donc perdu tout courage, tout esprit d’initiative ? Le goût des aventures héroïques a-t-il donc disparu avec les illustres Barbicane et Nicholl ? »

L’éloquence du commissaire-priseur restait sans effet, et il allait sans doute déclarer la vente remise à un autre jour, lorsque tout à coup :

« Deux cent mille cinquante dollars, » dit froidement lord Rodilan.

Tous les regards s’étaient tournés vers lui. La voix du juge exultait.

« Bravo, gentleman ! Il y a marchand à deux cent mille cinquante dollars. Je savais bien qu’une œuvre si glorieuse ne pouvait être perdue ; mais vous ne voudrez pas, vous Américains, laisser à un étranger l’honneur de réussir là où nos concitoyens ont échoué. »

Mais les assistants continuaient à se regarder d’un air narquois, et, à voir la façon dont on dévisageait le singulier enchérisseur, il était évident qu’on n’était pas éloigné de le tenir pour un excentrique, sinon pour un fou. Quant à celui qui était l’objet de cette curiosité, il restait impassible et promenait sur la foule un regard indifférent.

La voix du crieur se fit de nouveau entendre :

« Il y a marchand à deux cent mille cinquante dollars. — Allons ! deux cent mille cinquante dollars ! »

Mais aucune voix ne s’éleva pour couvrir l’enchère.

Le marteau du commissaire-priseur se leva :

« Une fois ! dit-il, à deux cent mille cinquante dollars… personne ne dit mot ?… Deux fois !… »

Le silence régnait toujours dans l’assemblée.

« Deux cent mille cinquante dollars, répéta-t-il ; c’est bien vu, bien entendu ?… Il n’y a pas de regrets ?… Adjugé ! »

Et le marteau retomba sur la table.

L’Anglais était propriétaire de la Columbiad , et, quelques instants après, la salle de vente était redevenue déserte.

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CHAPITRE IV MATHIEU-ROLLÈRE

Pendant que Marcel, accompagné de lord Rodilan, qui paraissait prendre à l’entreprise où il s’était engagé plus d’intérêt qu’il ne voulait l’avouer, se rendait en Floride pour y diriger les préparatifs du voyage projeté, Jacques Deligny, du consentement de ses deux amis, faisait route pour l’Europe, afin d’y accomplir ce qu’il regardait comme un devoir sacré.

Dans la rue Cassini, à Paris, près de l’Observatoire, habitait depuis près de trente ans le vieil astronome François Mathieu-Rollère. C’est là, dans une petite maison riante et qu’entourait un assez grand jardin, qu’il était venu s’installer avec sa femme, lorsqu’il avait été nommé astronome titulaire à l’Observatoire de Paris. Le jeune savant aurait été complètement heureux entre une épouse qu’il chérissait et la science à laquelle il avait voué sa vie si le ciel eût béni son union. Pendant de longues années il désespéra d’être père, et il semblait résigné à cette souffrance lorsqu’il lui naquit une fille, à laquelle il donna le nom d’Hélène. Mais ce bonheur fut chèrement payé : la naissance de l’enfant avait coûté la vie à la mère.

Cette mort inattendue jeta le savant dans un grand désespoir. Pour faire diversion à son chagrin, il se plongea plus résolument encore dans la science, qui seule pouvait lui faire oublier celle qu’il avait perdue. Hélène grandit ainsi aux côtés d’un père qui, tout entier à ses travaux scientifiques, ne songeait guère à elle et semblait ne plus se rappeler combien il avait ardemment désiré la venue d’un enfant. Bien que sa vieille bonne, la brave Catherine, eût reporté sur elle l’affection qu’elle avait pour la défunte, la vie de cette enfant privée de la tendresse maternelle, dont les journées s’écoulaient entre un savant perdu dans ses livres et une vieille servante, était assez triste. Elle ne sortait que rarement et ne se mêlait jamais aux jeux des enfants de son âge.

Elle avait déjà huit ans lorsque la venue d’un jeune compagnon vint modifier profondément sa vie.

L’astronome avait une sœur mariée avec un officier de marine qu’elle aimait profondément. Un brillant avenir s’ouvrait devant le lieutenant de vaisseau Deligny, lorsque, au cours d’une campagne dans l’Extréme-Orient, la mort l’avait soudainement ravi à la tendresse de sa femme. Celle-ci l’avait suivi de près dans la tombe, et Jacques, leur fils unique, alors âgé de quatorze ans, était resté orphelin. Son oncle, que la loi désignait pour son tuteur, avait pris chez lui le jeune homme, qui achevait alors ses études au lycée Louis-le-Grand.

Dès lors la vie avait changé pour la jeune Hélène : une étroite affection n’avait pas tardé à unir les deux enfants. Ce sentiment, grandissant avec l’âge, était devenu un amour sérieux que rien ne semblait devoir contrarier. Le vieux savant paraissait ne s’intéresser qu’aux choses du ciel ; il ne semblait pas qu’il dût jamais s’opposer à l’union des deux jeunes gens, et Jacques travaillait avec confiance pour faire à celle qu’il adorait une situation heureuse et honorée dans le monde. Aussi, grande avait été sa surprise et grand son désespoir lorsque, à la demande de lui accorder la main d’Hélène, son oncle avait répondu par un refus catégorique. Il savait que rien ne ferait revenir l’astronome sur sa résolution, et il s’était éloigné le cœur brisé et disant à Hélène qu’étouffaient les sanglots : « Je vais chercher les moyens de vous mériter. »

À partir de ce moment, la vie avait été bien triste pour la jeune fille ; elle se consumait dans une attente que chaque jour rendait plus désespérée. Jacques, depuis son départ, n’avait pas donné signe de vie, et elle se demandait parfois si celui qu’elle aimait ne l’avait pas oubliée, ou même s’il n’était pas mort dans quelque aventure périlleuse. Son teint avait pâli, ses yeux avaient perdu leur éclat, sa santé même paraissait s’altérer.

Cependant le vieux savant, tout entier à son œuvre, ne s’apercevait de rien. C’est à peine s’il jetait sur sa fille, qu’il voyait seulement à l’heure des repas, un regard distrait ; il ne remarquait pas les changements qui s’étaient opérés en elle.

Huit mois s’étaient déjà écoulés depuis le départ de Jacques : Hélène n’espérait plus.

Un matin des derniers jours du mois de février, la sonnette de la porte du jardin s’agita bruyamment, comme secouée par une main vigoureuse, et Hélène, qui était assise dans sa chambre, ressentit sans savoir pourquoi comme un coup au cœur. La vieille servante avait couru ouvrir.

En voyant le visiteur qui entrait et d’un pas rapide gagnait la maison, la jeune fille s’était levée toute droite, ses traits s’étaient couverts d’une étrange pâleur, et elle était retombée presque anéantie sur son siège.

Ce visiteur, c’était Jacques.

Il s’élança joyeux dans la petite salle où si souvent il s’était assis entre son oncle et celle qu’il aimait. Le vieux savant, qui se disposait à se rendre à l’Observatoire, venait d’y pénétrer.

« Ah ! mon oncle, s’écria Jacques en sautant à son cou, que je suis heureux de vous voir ! Vous allez être content de moi. Mais où donc est ma cousine ? Je veux l’embrasser aussi.

— Doucement, doucement, fit l’astronome, que l’accolade du jeune homme avait failli renverser. Tu pars comme un fou, tu restes huit mois sans donner de tes nouvelles et tu tombes ici comme un aérolithe. Que signifie tout cela ?

— Je vous expliquerai tout dans quelques instants. Et d’abord, fit-il, en retirant à son oncle encore ahuri sa canne et son chapeau, l’Observatoire vous donne congé pour aujourd’hui ; vous allez pour une fois être tout à nous. »

Cependant Hélène, surmontant son émotion, était descendue et entrait dans la salle… Ses joues maintenant étaient couvertes d’une vive rougeur, ses yeux avaient retrouvé un éclat qu’on ne leur connaissait plus depuis longtemps. Elle tendit son front à Jacques et, pendant qu’il y déposait un baiser brûlant : « Méchant, murmura-t-elle, comme vous m’avez fait souffrir. »

Lorsque le déjeuner fut achevé et pendant qu’il savourait son café, Jacques raconta à son oncle et à sa cousine tout ce qu’il avait fait depuis qu’il les avait quittés.

La jeune fille écoutait avidement ce récit où elle sentait palpiter tout l’amour dont le cœur de Jacques était rempli. Le vieillard n’y prétait qu’une oreille distraite. Mais lorsque le narrateur arriva à sa rencontre avec Marcel de Rouzé, aux derniers événements qui avaient rempli sa vie, à l’audacieux voyage enfin qu’il était décidé à tenter, l’œil de l’astronome s’anima, son attention devint soutenue, un vieux reste de sang afflua à ses joues : il était gagné par l’enthousiasme de son neveu. À la fin sa joie déborda.

« Bravo ! mon cher enfant, cria-t-il. Voilà en effet une grande et noble entreprise, qui va faire sécher d’envie et de jalousie tous les astronomes de l’Europe, et fournir à la science une mine inépuisable de riches documents, de découvertes dont on ne peut encore pressentir la portée.

— Mais, mon père, interrompit Hélène, dont la joie semblait tout à coup tombée, et qui se sentait prise d’une inexprimable angoisse, vous n’y songez pas ! Consentir à ce que Jacques s’engage dans cette aventure insensée, c’est le vouer à une mort certaine, c’est me condamner moi-même : car, bien sûr, je ne lui survivrai pas.

— Ta ! ta ! ta ! fit le vieux savant, voilà bien les petites filles, ignorantes et timides. Si on les écoutait, on ne tenterait jamais rien et la science resterait immobile. Mais, aveugle que tu es, ce voyage qui te cause tant de craintes, on l’a déjà fait et on en est revenu. Il s’agit aujourd’hui de le recommencer dans des conditions d’absolue sécurité. On t’a dit que là-haut, sur notre satellite, il y a des gens qui nous attendent, qui brûlent d’entrer en communication avec nous. Rien ne sera plus facile à ceux qui auront atteint la Lune que d’en revenir. »

Hélène ne partageait pas l’enthousiaste conviction de son père et, pendant les jours qui suivirent, elle usa de tout son ascendant sur Jacques pour le faire revenir sur sa terrible résolution. Mais ses efforts restèrent inutiles : Jacques s’était peu à peu grisé à la pensée de ce voyage dans l’immensité. L’ardente foi de Marcel dans le succès final l’avait gagné lui-même ; il ne voyait pas d’ailleurs à sa portée d’autres moyens d’obtenir la main de celle qu’il aimait.

Son amour le rendit éloquent, persuasif, et, s’il ne parvint pas à faire partager sa confiance à la jeune fille, il obtint d’elle qu’elle cessât de s’opposer à son projet. Mais elle voulut au moins rester jusqu’au dernier moment près de celui qu’elle aimait et le suivre des yeux dans sa périlleuse entreprise.

« Je vois bien, dit-elle un jour à son père, que tout ce que je pourrais tenter pour vous détourner, Jacques d’entreprendre ce voyage, toi de l’approuver, resterait inutile. Il faut donc que je m’y résigne. Mais pourquoi ne l’accompagnerions-nous pas en Amérique ? Et puisqu’il existe dans les Montagnes Rocheuses un télescope qui permet de suivre le projectile dans son trajet, pourquoi ne nous rendrions-nous pas dans cette contrée, afin de rester, autant que possible, en communication avec celui qui nous est si cher ?

— Tu as raison, s’écria l’astronome ; voilà une excellente idée. Rien ne sera plus facile que d’obtenir une mission spéciale de l’Observatoire. »

Il fut donc convenu qu’on partirait ensemble pour New-York et que, pendant que Jacques gagnerait la Floride, le vieux savant et sa fille se rendraient aux Montagnes Rocheuses pour y attendre le prochain départ du projectile de la Columbiad .

CHAPITRE V PRÉPARATIFS DE DÉPART

Depuis quelques mois, une activité extraordinaire régnait dans la presqu’île de la Floride. On y avait vu débarquer successivement plusieurs équipes d’ouvriers venus d’Europe. Des ateliers nouveaux avaient été construits, remplaçant ceux qui avaient été édifiés dix-huit ans auparavant et qui, fort négligés depuis cette époque, étaient tombés en ruine ou devenaient inutiles pour l’entreprise nouvelle. Plus n’était besoin en effet de ces fours innombrables qui avaient servi à fondre la Columbiad . Le nombre des travailleurs était bien moins considérable pour ce qu’il s’agissait de faire aujourd’hui.

Quelques maisons provisoires suffirent à les loger. Mais il fallait remettre en état le railway qui reliait Tampa-town à Stone’s hill et par lequel devaient arriver sur les chantiers tous les engins et tous les approvisionnements nécessaires ; car cette voie, qui pendant quelques mois avait été si fréquentée et qui avait transporté tant de matériaux et tant de voyageurs, avait été depuis lors singulièrement délaissée.

Il ne s’agissait plus, comme jadis, de creuser le trou immense où devait s’enchâsser le canon gigantesque, d’y couler l’énorme quantité de fonte qui devait former ses parois. Tout ce travail colossal, effrayant, qui dépassait toutes les proportions connues, avait été magistralement exécuté et mené à bonne fin par les devanciers de nos explorateurs. L’obus d’aluminium lui-même qui leur avait servi d’habitacle, était là sous un hangar fermé avec son aménagement intérieur.

Mais il fallait passer soigneusement en revue et le canon et le projectile. Comment l’un et l’autre s’étaient-ils comportés au moment du départ ? N’avaient-ils pas souffert dans une certaine mesure du long abandon dans lequel ils avaient été laissés ? Sans doute l’annonce publiée par les journaux américains affirmait que tout était en bon état, mais nos gens étaient trop avisés pour s’en tenir à une pareille assertion.

La Société nationale des communications interstellaires avait bien pris soin de faire élever au-dessus de l’orifice de la Columbiad une sorte de toiture pour la garantir des intempéries de l’air, mais on ne pouvait s’en rapporter absolument à de telles précautions ; il fallait se livrer à un examen sérieux et approfondi.

Marcel et lord Rodilan dirigeaient les travaux. La présence de Jacques, qui n’aurait apporté dans ces circonstances aucune compétence spéciale, n’avait pas été jugée indispensable. Il avait fait du reste connaître à ses deux amis le résultat de ses entreliens avec son oncle, et ceux-ci lui avaient obligeamment fait savoir qu’il pouvait tout à son aise préparer le départ de l’astronome et de sa fille pour les Montagnes Rocheuses : ils se chargeaient à eux deux de mener tout à bien pour l’époque où devait s’effectuer le voyage.

L’orifice de la Columbiad fut débarrassé de la toiture qui le protégeait, et à sa place on installa les palans qui devaient permettre de pénétrer jusqu’au fond du gigantesque tube pour en vérifier l’état. Marcel ne voulut laisser à aucun autre le soin de procéder à cet examen. Muni d’une puissante lampe électrique à réflecteur, il descendit lentement le long des parois et reconnut avec satisfaction que l’âme du canon avait été enduite dans toute sa longueur d’une épaisse couche de goudron pour la préserver des atteintes de l’humidité. Il put constater par une minutieuse inspection que nulle part cette couche de goudron n’était fendillée, ce qui prouvait suffisamment que le cylindre de fonte, soutenu par l’épais massif de maçonnerie dans lequel il était comme enchâssé, avait admirablement résisté à la formidable pression des gaz.

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Il s’agissait maintenant de procéder à un nouvel alésage pour enlever le goudron et rendre à l’âme de la pièce le poli qu’elle avait perdu. On n’avait pour cette opération qu’à suivre les errements des constructeurs de la Columbiad , et le travail, dirigé et surveillé de près par Marcel qui se multipliait et faisait passer dans l’âme des ouvriers l’ardeur dont il était animé, fut mené à bonne fin en aussi peu de temps qu’il était rigoureusement possible.

Lord Rodilan, à qui il était indifférent de promener son ennui sur tel ou tel point du globe, ne prenait pas une part fort active à ces préparatifs. Il les suivait même d’un air assez narquois : la robuste confiance de Marcel n’avait pu ébranler son incrédulité, et il n’épargnait pas à son ami les réflexions désobligeantes et les prédictions sinistres.

« Vous êtes pour moi, dear , lui disait-il, l’objet d’une curiosité assez intéressante, et vraiment je vous admirerais si j’étais capable d’éprouver encore un pareil sentiment. À voir le sérieux que vous apportez dans tous ces travaux préparatoires, on croirait que vous êtes sûr d’arriver sain et sauf au terme de votre voyage.

— Comment, si j’en suis sûr ? Mais, mon cher lord, cela est pour moi mathématiquement démontré, et il faut que vous fermiez volontairement les yeux à l’évidence pour ne pas être convaincu par les calculs que je vous ai si souvent soumis.

— Là, là, ne vous fâchez pas, incorrigible ingénieur que vous êtes. Puisque l’on part avec vous, que vous faut-il de plus ? J’espère bien que nous allons opérer là-haut une dégringolade mémorable ! (voyez-vous une dégringolade en haut ? C’est cela qui est original) et que nous serons mis en miettes avant d’avoir pu seulement reconnaître la couleur de ce satané satellite qui vous attire comme un véritable aimant.

— Mais nous ne tomberons pas, vous le savez bien ; nous descendrons peut-être un peu vite.

— Oui, oui, je sais, les fameuses fusées, qui n’ont même pas pu faire tomber l’obus sur la Lune.

— D’accord, mais cette fois nous ne rencontrerons pas, je l’espère, un bolide malencontreux qui nous fera dévier de notre route, et mon nouveau système de fusées pourvoira à tout. »

Marcel s’était en effet préoccupé de cette question ; il avait refait les calculs de Barbicane et de Nicholl, et il était demeuré convaincu que le moyen imaginé par eux pour ralentir la rapidité de la chute de l’obus sur la surface lunaire était absolument insuffisant, étant donné surtout l’absence d’une atmosphère dont le projectile n’aurait pas à vaincre la résistance. Mais cette idée de fusées dont la déflagration devait en quelque sorte repousser l’obus et amortir sa chute, était ingénieusement trouvée. Marcel était résolu à s’y tenir ; il jugea utile seulement d’en augmenter le nombre et d’en aménager trois séries qui seraient mises en jeu à des intervalles calculés et en raison inverse de la distance à franchir. Il obtiendrait ainsi trois résistances successives qui, si ses calculs étaient justes (et il ne doutait pas de leur exactitude), devaient faire arriver les voyageurs sans choc trop violent au terme de leur course.

L’obus qui avait servi à la premiére expédition fut aussi l’objet d’un examen attentif. Il avait parfaitement résisté à la pression des gaz dont l’explosion l’avait projeté dans l’espace et à sa chute formidable dans les profondeurs du Pacifique. Les parois épaisses qui étaient, on se le rappelle, en aluminium pur et avaient la résistance d’un bloc plein, n’avaient pas subi de déformation appréciable. Les aménagements intérieurs seuls avaient fort souffert des injures du temps ; le capitonnage des murailles et du divan circulaire devait être complétement refait, et Marcel profita de cette circonstance pour faire remplacer les ressorts d’acier fin et résistant qui, avec le temps, s’étaient rouillés et avaient perdu de leur élasticité. Les verres lenticulaires des hublots et les châssis métalliques dans lesquels ils étaient encastrés durent également être renouvelés. Il fallut aussi rétablir les plaques de métal destinées à les protéger contre le choc du départ et que les précédents voyageurs avaient simplement rejetées au dehors. On refit enfin tous les récipients, caisses à eau et à vivres, réservoir à gaz, appareil de Reiset et Regnault destiné à fournir pendant le trajet un air toujours respirable.

Avec la certitude qu’il avait de rencontrer sur notre satellite des êtres vivants avec lesquels il lui serait possible d’entrer en communication intellectuelle, Marcel avait voulu, sinon les instruire ou les émerveiller, du moins leur faire connaître à quel degré de civilisation et de développement moral étaient arrivés leurs frères terrestres. Aussi avait-il pris soin de garnir le wagon-projectile dans lequel il allait se rendre vers eux, de tout ce qu’il crut de nature à les renseigner.

Aux instruments d’optique et de mathématiques les plus perfectionnés et soigneusement emballés, longue-vue, microscope, boussole, chronomètre, théodolite, sextant, etc., il avait joint une petite presse à imprimer, un phonographe avec plusieurs cylindres pouvant reproduire les airs les plus remarquables de nos opéras, un téléphone, un appareil de photographie instantanée établi avec les derniers perfectionnements, des échantillons de nos divers métaux, des graines des végétaux les plus utiles et les plus précieux, ainsi qu’une douzaine d’arbustes choisis parmi les essences fruitières les plus productives et les plus faciles à acclimater.

Il avait surtout pris soin de faire établir une riche collection d’albums renfermant des photographies de paysages terrestres et maritimes, de nos monuments les plus célèbres ; les œuvres d’art, tableaux et statues, des plus grands maîtres s’y trouvaient largement représentées, ainsi que nos principaux appareils industriels, agricoles, de navigation, de transport.

Un atlas du globe terrestre complétait cette collection, où se résumaient tout l’effort des siècles et toutes les conquêtes de la civilisation moderne. Tout ce qui concerne la vie usuelle chez les divers peuples qui couvrent la surface du monde, habitations, meubles, costumes, armes, ustensiles et objets de loutes sortes s’y rencontraient en quantité suffisante.

Ils emportaient avec eux quelques armes très perfectionnées, carabines à répétition et revolvers avec leurs munitions.

« Car, se disait Marcel, nous ne savons trop à qui nous allons avoir affaire, et malgré les dispositions hospitalières qu’ils semblent témoigner, il pourrait là aussi se rencontrer des gens d’humeur difficile qu’il faudrait mettre à la raison. »

Tout avait été soigneusement calculé comme volume et comme poids pour ne pas encombrer le projectile et ne pas l’alourdir outre mesure. Comme ils n’emmenaient pas de chiens avec eux, ainsi qu’on l’avait fait au précédent voyage, ils pouvaient disposer d’un plus large espace et leur chargement se trouvait à la fois plus complet et moins embarrassant que celui des premiers explorateurs.

L’obus lui-même qui devait servir de réceptacle à ces objets si nombreux et si divers et qu’allaient habiter les trois voyageurs pendant un temps indéterminé, devait recevoir quelques remaniements indispensables. Bien qu’il n’eût subi, comme on le sait déjà, aucune déformation extérieure, il était nécessaire d’en polir à nouveau la surface. Mais c’était peu de chose. Il fallait rétablir les cloisons brisantes qui avaient si bien, lors du premier départ, réussi à amortir le choc initial. Sur ce point il n’y avait rien à changer, tant, dix-huit ans auparavant, les précautions avaient été sagement prises et habilement exécutées ; il suffisait de refaire ce qui avait déjà été fait.

Mais il restait un point important à régler : Marcel, on ne l’a pas oublié, avait calculé que les fusées dont Barbicane avait garni le fond de l’obus et qu’il avait jugées suffisantes pour amortir la chute n’étaient pas assez puissantes. En outre, depuis 186., la science avait fait des progrès ; l’ingénieux chimiste Cailletet avait découvert le moyen de liquéfier quelques-uns des gaz qui, jusqu’alors, avaient résisté à tous les essais. Bien évidemment cette liquéfaction ne pouvait s’obtenir que sous d’énormes pressions ; mais, une fois le gaz ainsi ramené à la forme liquide et enfermé dans des récipients d’une résistance éprouvée, on avait sous un très petit volume une force d’expansion considérable et plus facile à manier que celle des explosifs si nombreux et si variés que les savants modernes ont récemment découverts. Marcel résolut donc de substituer à la poudre employée précédemment l’oxygène liquéfié et de faire disposer dans le culot de l’obus les trois séries de fusées nouvelles sur l’action desquelles il comptait absolument.

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Ni Marcel, ni lord Rodilan, ne tenaient à faire du bruit autour de l’entreprise projetée ; ils jugeaient l’un et l’autre que le fracas de réclame qui avait accompagné le premier voyage, ces annonces bruyantes jetées à tous les échos de la publicité, ces populations entières convoquées à assister à une expérience scientifique comme à un spectacle de la foire, étaient indignes de véritables savants. Il s’agissait en effet d’une tentative sérieuse pour essaver de résoudre un intéressant problème de cosmographie, et non d’une exhibition prétentieuse et presque charlatanesque où l’orgueil d’une foule ignorante pouvait trouver son compte.

Du reste, les conditions n’étaient plus les mêmes. Le Gun-Club, qui avait patronné la première entreprise, était bien loin d’avoir les ressources nécessaires pour réaliser la somme considérable qu’elle avait coûté : il avait fallu faire appel au public des deux mondes, mettre en jeu l’amour-propre national, provoquer notamment chez les Américains cet élan d’enthousiasme patriotique qui avait fait affluer les capitaux dans la caisse des explorateurs.

Aujourd’hui rien de semblable : la complète déconfiture de la Société des communicalions interstellaires et la vente à un prix dérisoire de tout son materiel, y compris la Columbiad , réduisaient dans des proportions considérables les frais de premier établissement ; en outre, la paradoxale générosité de lord Rodilan dispensait de tout appel au public et par suite de toute publicité. Le succès tout relatif qu’avaient obtenu Barbicane, Nicholl et Michel Ardan était quelque peu oublié ; un profond silence s’était fait sur cette grandiose équipée. D’autres événements étaient survenus qui avaient détourné l’attention et passionné l’opinion publique.

Avant de se rendre à l’observatoire des Montagnes Rocheuses d’où il devait suivre l’obus dans son vol aérien, Francois Mathieu-Rollère, poussé peut-être aussi par sa fille qui désirait retarder autant que possible l’instant de la séparation suprême, avait voulu passer quelque temps en Floride pour se rendre compte par lui-même des préparatifs de l’entreprise à laquelle il portait un si vif intérêt.

Aussi, le 10 novembre, Marcel et lord Rodilan, qu’un télégramme avait prévenus, s’étaient-ils rendus à Tampa-town, où devait aborder le paquebot qui portait Jacques et ses deux compagnons.

« J’espère bien, mon cher lord, avait dit Marcel, pendant qu’ils se rendaient ensemble à la rencontre des arrivants, que vous n’allez pas effrayer de vos funèbres prophéties la fiancée de notre ami. La pauvre enfant, si j’en crois les lettres de Jacques, n’a qu’une confiance assez médiocre dans notre succès final ; elle cherche elle-même à se rassurer, mais n’y parvient pas toujours. N’allez pas augmenter ses inquiétudes ; laissez-lui au moins l’espérance.

— Oh ! mon cher, répondit flegmatiquement lord Rodilan, je suis un gentleman, je sais les égards que l’on doit à une jeune fille, et, quoique mon opinion n’ait pas varié, je n’en laisserai rien paraître ; vous pouvez en être certain. »

L’entrevue fut cordiale et touchante. Hélène dont le sourire cachait mal l’inquiétude, se sentit quelque peu gagnée par la mâle confiance et la robuste gaieté de Marcel. Le flegme même de lord Rodilan contribua à la rassurer : il ne pouvait lui venir à l’esprit que ce gentleman si correct envisageât avec une si tranquille indifférence la perspective d’une mort épouvantable.

Quant à son père, il était tout entier à ses préoccupations scientifiques et ne s’apercevait de rien. Les quinze jours qu’il passa auprès des trois hardis compagnons furent employés par lui à tout examiner ; il refit avec Marcel tous les calculs sur lesquels celui-ci fondait sa confiance, et les trouva justes. Il voulut descendre au fond de la Columbiad pour en vérifier l’état définitif, et visita avec un soin minutieux le wagon-projectile, dont il loua fort les nouveaux aménagements.

« Mes chers amis, dit-il, lorsqu’il eut tout inspecté, vous réussirez, j’en ai maintenant la certitude absolue. »

Et il se frottait les mains avec une évidente satisfaction.

Le 25 novembre, il partait avec sa fille pour les Montagnes Rocheuses.

La veille de ce jour Jacques avait eu avec Hélène un dernier entretien.

« Ainsi, disait la jeune fille, c’est bien résolu et rien ne peut changer votre détermination. Vous aller partir pour cette effroyable aventure dont la seule pensée glace mon cœur d’épouvante !

— Rassurez-vous, répondait Jacques, votre père lui-même a vérifié nos calculs et a déclaré que le trajet était possible et sans péril. Ce que nous aurons fait pour atteindre le but que nous poursuivons, rien ne s’opposera à ce que nous le fassions de même pour le retour. Voyez Marcel : il n’a pas un instant d’hésitation ni de doute ; voyez lord Rodilan : son calme superbe n’est-il pas la garantie d’une réussite assurée ?

— Ah ! s’écria Hélène, ces gens-là n’aiment pas et ne laissent pas derrière eux quelqu’un qui les aime.

— Mais, chère âme, c’est précisément parce que je vous aime et que je veux vous obtenir que je me résigne à vous causer de pareilles angoisses. Vous savez bien qu’aucun autre moyen ne s’offre à moi de fléchir la volonté de votre père. Que je revienne, et il m’accordera votre main. Si je refusais maintenant de partir avec mes amis, je serais déshonoré ; votre père me bannirait à jamais de sa présence ; tout espoir d’être votre époux serait perdu et je n’aurais plus qu’à mourir triste et désespéré.

— Mourir, vous, Jacques ! vous savez bien que je ne vous survivrais pas.

— Mais je reviendrai, j’en ai l’inébranlable conviction. Ne m’enlevez pas, à ce moment cruel de la séparation, le courage dont j’ai besoin pour m’éloigner de vous.

— Allez donc, murmura-t-elle en étouffant mal ses sanglots, et que Dieu nous protège tous. »

CHAPITRE VI LES OBSERVATEURS DE LONG’S PEAK

Le jour du départ approchait : on était au 1 er décembre. Les opérations nécessaires pour le chargement de la Columbiad étaient commencées. Après de nombreuses réflexions, après avoir passé en revue et soumis aux lois d’un rigoureux calcul toutes les substances explosives récemment découvertes, les trois voyageurs étaient revenus au fulmi-coton employé par ceux qui les avaient précédés.

On se souvient que, malgré l’erreur commise par l’observatoire de Cambridge sur la vitesse initiale que devait avoir l’obus pour atteindre et franchir la zone neutre d’attraction, la charge de quatre cent mille livres de fulmi-coton avait été suffisante pour obtenir ce résultat. On s’en était donc tenu à ces données, et le 10 décembre au soir le chargement était terminé.

Bien que la tentative projetée n’eût pas été annoncée urbi et orbi , comme la précédente, et que les sociétés savantes des deux mondes en eussent été seules informées ; bien que les préoccupations politiques qui agitaient alors les États de l’Union en eussent détourné l’attention publique, un assez grand nombre de personnes, attirées surtout par l’amour de la science, s’étaient réunies dans la ville de Tampa et suivaient avec intérêt la marche de ces gigantesques travaux.

Ce fut donc au milieu d’un public encore assez nombreux que s’embarquèrent les trois compagnons.

Marcel avait amené de France un jeune ingénieur, Georges Dumesnil, attaché précédemment à l’usine du Creusot, d’une expérience éprouvée, qui l’avait aidé dans la partie technique de toutes les opérations préalables. C’est à lui qu’il confia la délicate mission de présider à la descente de l’obus dans l’âme de la Columbiad , et de lancer l’étincelle électrique qui devait mettre le feu à la charge de fulmi-coton et envoyer le projectile dans l’espace.

Le départ s’effectua comme il avait été prévu, le 15 décembre, à dix heures quarante-six minutes quarante secondes du soir. L’obus lancé avec une force prodigieuse s’échappa des flancs embrasés de la Columbiad , au milieu des hurrahs d’une foule enthousiasmée.

L’expérience du premier départ n’était pas restée inutile, et les désastres qui avaient signalé la précédente explosion du gigantesque tube de fonte furent pour la plupart évités. Les assistants ressentirent, il est vrai, une violente commotion, et bon nombre d’entre eux, bien que prévenus, roulérent sur le sol ; mais aucun train ne dérailla, aucun navire ne chassa sur ses ancres, et les vaisseaux qui sillonnaient l’Atlantique ne furent pas troublés dans leur marche. Le ciel même ne s’obscurcit pas de vapeurs insolites, et les observateurs qui, à l’heure dite, tenaient l’œil fixé à l’oculaire du télescope des Montagnes Rocheuses, constatèrent le passage dans notre atmosphère d’une sorte d’astéroïde incandescent qu’en toute autre circonstance ils auraient pris pour un vulgaire bolide, si, prévenus comme ils l’étaient, ils n’avaient reconnu en lui le projectile de la Columbiad .

Le savant Mathieu-Rollère surtout trépignait d’aise.

« Ah ! s’écriait-il en se frottant vigoureusement les mains, les voilà partis, ces braves jeunes gens. Ils ont été exacts. Maintenant le véhicule qui les transporte, sorti de notre atmosphère, a disparu dans les profondeurs de l’espace. Mais, ajoutait-il, dans trois jours nous les reverrons, nous les suivrons pas à pas dans leur chute, et nous assisterons à leur arrivée triomphale sur notre satellite. »

Hélène pleurait en silence.

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Mathieu-Rollère, aussitôt prévenu, bondit.

Sur le disque largement éclairé de la Lune se détachait un petit point noir presque imperceptible, mais qui, ainsi qu’on put le constater à l’aide du micromètre, se déplaçait sensiblement.

« Ce sont eux, à n’en pas douter, » murmura le savant.

En effet, le point mobile dans lequel l’astronome reconnaissait le projectile se trouvait à ce moment au-dessus de la partie occidentale de la mer des Pluies, là où s’élèvent les cratères d’Aristillus et d’Autolycus ; il semblait s’avancer dans cette vallée limitée par la pointe extrême de la chaîne du Caucase et les deux cratères.

Bien que le mouvement de translation du projectile fût, à une pareille distance, presque insensible, il était évident que la chute s’opérait avec une effrayante rapidité.

Tous les astronomes habituels de l’observatoire et bon nombre d’autres savants qu’avait attirés le désir de suivre cette étrange expérience, étaient venus successivement fixer leur œil à l’oculaire du télescope, et tous avaient constaté le déplacement du point observé par Mathieu-Rollère. Tous partageaient son avis.

Il reprit sa place à l’oculaire. Les autres astronomes, le regard attaché aux aiguilles d’une pendule sidérale, calculaient l’instant où les voyageurs devaient arriver à leur but. C’était à onze heures cinquante-neuf minutes soixante secondes qu’ils devaient atteindre la surface de notre satellite.

« Ils approchent, murmurait Mathieu-Rollère, mais il y a quelque chose que je ne m’explique pas. Ils devraient, à l’aide des fusées dont ils disposent, ralentir leur mouvement ; mais sans doute, à une telle distance, pareille constatation est impossible. »

Tout à coup il poussa un cri. On s’empressa autour de lui. Il bégayait : « Je ne les vois plus. »

Tous s’approchèrent et regardèrent à leur tour.

« Parbleu ! s’écria l’honorable W. Burnett, le directeur de l’observatoire, ils sont tombés dans une rainure.

« Voyez en effet, ajouta-t-il, cette fissure de l’écorce lunaire qui serpente au pied de la chaîne du Caucase ; elle ne nous apparaît que comme une fine ligne noire tracée à l’encre ; mais elle a en réalité plusieurs kilomètres de largeur, espace plus que suffisant pour livrer passage à des milliers de projectiles de ce calibre. Et, fit-il en se tournant vers Mathieu-Rollère, c’est sans doute parce qu’ils se sont aperçus de la direction que prenait l’obus, qu’ils ont réservé pour le dernier instant les fusées destinées à amortir leur chute.

— Mais, reprit Mathieu-Rollère, et sa voix tremblait d’émotion, que vont-ils devenir au fond de cet abîme ?

— By God , fit l’Américain, voilà une question à laquelle je suis assez embarrassé de répondre. La rainure dans laquelle ils semblent être tombés, provenant d’un craquement de l’écorce lunaire, doit avoir, selon toute probabilité, des bords taillés à pic, et l’ascension doit en être difficile. D’un autre côté, si, comme les dernières observations permettent de le supposer, les basses régions lunaires renferment encore de l’air, ils ont plus de chances, en sortant de leur obus, de rencontrer une atmosphère respirable.

— Sur mon âme, grommela un des jeunes attachés de l’observatoire, je ne donnerais pas 10 schellings de leur peau. »

Hélène était tombée évanouie et le vieux savant s’efforcait de la rappeler à la vie.

Pour tous les observateurs des Montagnes Rocheuses les trois voyageurs étaient irrémédiablement perdus.

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CHAPITRE VII LA CHUTE

— Hurrah ! s’écria Marcel, nous tombons !…

— Tu en es bien sùr ? dit Jacques.

— Parfaitement sûr ; nous venons de franchir le point neutre où, notre obus étant soumis à la double attraction de la Terre et de la Lune, la pesanteur se trouvait annihilée, et tu as dû sentir comme moi que nous ne pesions plus sur le fond du projectile.

— Oh yes  ! fit lord Rodilan ; et je dois dire que je n’ai jamais rien éprouvé de semblable à cette sensation étrange : il me semblait que je n’avais plus de corps et que j’étais devenu un pur esprit. Cela seul vaut la peine d’avoir fait le voyage. Mais il n’y a rien de durable en ce monde, et nous voici maintenant redevenus lourds et matériels comme auparavant. Heureusement que cela va bientôt finir et que, dans quelques instants, nous allons…

— C’est entendu, mon cher ami, fit Jacques, mais gardez cela pour vous ; nous avons les moyens d’amortir notre chute et nous débarquerons tranquillement sur le sol de la Lune comme les voyageurs qui descendent sur le quai de Charing-Cross .

— Mille guinées, dit lord Rodilan, que nous serons réduits en bouillie.

— Tenu, riposta Marcel en riant. Je suis bien sùr que, si vous gagnez, vous ne viendrez pas me réclamer le prix de la gageure.

— Pour moi, dit Jacques, j’ai pleine confiance, je sens que je reverrai Hélène.

— Bravo ! mon fils, dit solennellement Marcel ; il faut avoir foi dans la science. Et maintenant, attention, canonniers à vos pièces ! »

Sous les regards des voyageurs s’étendait alors le lit desséché d’une immense mer de forme ovale de laquelle émergeaient quelques cratères isolés aux flancs abrupts et tourmentés. Vers l’occident trois de ces cratères, disposés comme en triangle, se rapprochaient des montagnes qui, de ce côté, formaient l’enceinte de cette vaste plaine. Au milieu de ces montagnes s’ouvrait un large détroit qui la faisait communiquer avec une autre mer de moindres dimensions. Les rayons du Soleil, dont aucune vapeur ne venait atténuer la force, versaient sur ce paysage désolé une éblouissante lumière. Ce sol, absolument aride, où l’on ne voyait pas trace de végétation, semblait ne présenter au regard que les assises rocheuses d’un monde éteint ; sa surface, irrégulièrement creusée de profondes dépressions, était hérissée de pics qui jaillissaient brusquement ; les parties planes elles-mêmes paraissaient soulevées en boursouflures infinies, qu’on aurait, à cette distance, prises pour des granulations serrées. Tout cet étrange panorama offrait aux yeux des voyageurs émerveillés un spectacle d’une incontestable grandeur.

« Que c’est beau ! » murmurait Jacques, comme écrasé d’admiration.

L’Anglais lui-même, malgré son flegme et son détachement de toutes choses, n’avait pu conserver son indifférence.

« En vérité, s’écria-t-il, je n’ai jamais rien vu d’aussi splendide. »

Quant à Marcel, il triomphait.

« Voyez, disait-il à ses compagnons ; nous allons arriver dans la région peut-être la plus intéressante de notre satellite. Gette grande dépression qui s’étend au-dessous de nous est évidemment le lit d’un ancien océan que les sélénographes ont baptisé du nom de Mer des Pluies . Les trois cratères que vous voyez un peu sur la gauche ont aussi leurs noms : voici Archimède, le plus vaste ; à côté de lui Aristillus, et, un peu plus au nord, Autolycus. Le détroit qui sépare ces deux chaînes de montagnes que vous apercevez, l’une, la plus épaisse, s’avançant du sud et qu’on nomme les Apennins, l’autre moins importante, descendant du nord, le Caucase, conduit à une plaine qui n’est autre que la mer de la Sérénité. À en juger par la direction de notre chute, nous allons, j’imagine, tomber mollement dans les marais du Brouillard qui s’étendent au pied d’Autolycus, du côté du nord-est.

— Oh ! mollement ! fit l’Anglais en ricanant.

— Eh bien ! vous allez voir, » répliqua Marcel.

Il avait la main sur le levier destiné à déplacer les obturateurs des tubes formant la première série des fusées à oxygène liquéfié, et il l’inclina brusquement.

Soudain les voyageurs ressentirent une secousse si violente qu’ils furent précipités sur le sol. Le mouvement de recul imprimé au projectile avait été tel qu’emporté comme il l’était dans sa chute vertigineuse, il eût infailliblement volé en éclats entre ces deux forces contraires, s’il n’avait eu la solidité d’un bloc plein.

La vitesse de la descente en fut pendant quelques instants presque complètement annihilée, et le projectile recommença à tomber comme si cet instant d’arrêt marquait le point initial de sa chute,

« Eh bien ! milord, qu’en dites-vous ? fit Marcel.

— C’est là, j’en conviens, répondit l’Anglais, un joli tour de passe-passe ; mais vous aurez beau faire, et je distingue déjà au-dessous de nous des pointes de rochers qui ne tarderont pas à nous mettre en charpie. Pour ma part, je ne me consolerais pas qu’il en fût autrement.

— Eh bien ! il en sera tout autrement, je vous l’affirme. Préparez-vous à faire au milieu des plaines lunaires une entrée digne d’un gentleman. »

Jacques était tout entier à la contemplation du merveilleux tableau qui se déroulait sous ses yeux. De seconde en seconde les sommets des cratères, vers lesquels semblait se diriger l’obus, grandissaient et apparaissaient d’une facon plus vive ; leurs arêtes aiguës se détachaient avec une netteté que rendait plus précise encore l’absence d’atmosphère ; sur leurs flancs profondément labourés se creusaient de sombres précipices, que remplissait une ombre dont aucune lumière diffuse ne diminuait la noirceur. Tout autour, le sol était semé de crevasses et de brusques saillies : on aurait dit les vagues d’un océan surpris tout à coup et figé au milieu des déchaînements de la tempête. Mais nulle part on n’apercevait rien qui pût indiquer la présence d’êtres animés.

Marcel appuya de nouveau sa main sur le levier. Pour la seconde fois l’oxygène fusa. Cette secousse fut moins violente que la première et le temps d’arrêt moins marqué. Le jeune ingénieur put se rendre compte exactement de la marche du projectile.

Il s’écria :

« Nous allons passer au-dessus du groupe des cratères ; nous ne tomberons pas dans les marais du Brouillard.

— Où donc alors allons-nous aborder ? demanda Jacques.

— Sur les rives de l’Achéron, » murmura lord Rodilan.

Personne ne songea à relever cette boutade.

Le visage de Marcel exprimait une certaine anxiété ; celui de Jacques était grave.

Au moment d’atteindre leur but, ces hommes si fortement trempés, dont l’audace n’avait pas reculé devant les périls d’un tel voyage, se sentaient pris d’une secrète angoisse.

Qu’allait-il advenir ? Comment arriveraient-ils sur le sol de notre satellite ? Y arriveraient-ils vivants ?

« Ah ! s’écria tout à coup Marcel, nous allons passer entre les deux cratères d’Autolycus et d’Aristillus, et nous allons sûrement tomber dans la vallée qui s’étend du pied des cratères jusqu’aux derniers pics de la chaîne du Caucase. »

Lord Rodilan, assis sur le divan circulaire, semblait ne pas écouter cet entretien fiévreux et se perdait dans une rêverie profonde, comme si tout ce qui l’entourait lui eût été complètement étranger.

« Mais, fit tout à coup Jacques, qu’est cela ? »

Et du doigt il désignait une large fissure du sol lunaire dont les sinuosités serpentaient au milieu de la vallée. Elle allait s’élargissant à mesure que le projectile se rapprochait et, entre ses bords, s’ouvrait un sombre abîme dont les côtés étaient hérissés d’aspérités rocheuses et dont l’œil ne pouvait sonder la mystérieuse profondeur.

Marcel avait vu, lui aussi. Le front plissé, l’œil fixe, le visage pâle, il regardait silencieusement ce gouffre qui grandissait d’instant en instant. Ses bords semblaient s’ouvrir comme pour les engloutir.

« J’avais tout prévu, hormis cela, murmura-t-il ; c’est une rainure et nous y tombons à pic. »

L’horreur grandiose de leur situation avait arraché lord Rodilan lui-même à son flegme imperturbable. Ils étaient maintenant tous les trois debout et comme prêts au dernier sacrifice.

Marcel avait pris son parti. Il gardait ses dernières fusées comme ressource suprême. À l’instant précis où l’obus arrivait avec une effroyable rapidité au niveau de la crevasse, il appuya une dernière fois sur le levier. Le projectile sembla bondir en arrière. Dans cet instant d’arrêt les trois hommes s’étreignirent avec force et, l’œil tranquille, le visage calme, sans qu’aucun muscle de leur face tressaillit, fiers et résolus, s’enfoncèrent dans les entrailles de ce monde qu’ils étaient venus conquérir.

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CHAPITRE VIII AU FOND DU GOUFFRE

Les ténèbres les plus profondes et le silence le plus complet régnaient dans le projectile. — Les trois hommes étaient-ils morts ? — Les sombres pressentiments de lord Rodilan s’étaient-ils réalisés ? Un trépas obscur et sans gloire, mais original à coup sûr, comme l’avait rêvé l’Anglais, était-il le dénouement de tant d’efforts et de courage ?

Marcel sortit le premier de son éva­nouissement : il se releva péniblement et, ne voyant rien, n’entendant aucun bruit, il se sentit le cœur pris d’une anxiété mortelle.

« Où sommes-nous ? se dit-il, que s’est-il passé ? »

Et il appela : « Jacques ! Milord ! »

Rien ne lui répondit.

Une sueur froide coula sur ses membres ; il frissonna d’horreur. Il chercha autour de lui en tâtonnant et bientôt sa main rencontra un bouton de cuivre qu’il pressa brusquement. Un jet de lumière électrique illumina l’intérieur de l’obus : Jacques et lord Rodilan gisaient à terre immobiles. Marcel se pencha tout d’abord vers son ami d’enfance : le jeune médecin était d’une pâleur cadavérique ; son cœur ne battait que faiblement. « Mon Dieu ! » murmura Marcel. Et, le soulevant avec précaution, il l’étendit sur le divan, la tête appuyée sur des coussins. Il défit précipitamment ses vêtements, mettant sa poitrine à nu. Mais c’est en vain qu’il lui fit respirer des sels violents, en vain qu’il frotta ses tempes et son front de vinaigre, en vain qu’il fit couler entre ses dents serrées quelques gouttes d’un puissant cordial : l’évanouissement de Jacques persistait.

Marcel se sentait pris par le désespoir. Découragé, il ne savait plus quel moyen employer lorsqu’un faible soupir s’échappa des lèvres du malade. Penché sur lui, Marcel tout frémissant se mit alors à le frictionner vigoureusement dans la région du cœur.

Bientôt sa respiration devint plus forte et les couleurs de la vie commencèrent à reparaître sur ses joues.

« Ah ! mon cher Jacques, que tu m’as fait peur ! murmura-t-il.

— Eh bien ! dit Jacques, d’une voix encore faible, hésitante, qu’est-il arrivé ?

— Ah ! pour cela, je n’en sais absolument rien ; mais avant de nous en assurer, il faut voir en quel état se trouve notre compagnon de voyage.

— Est-il donc blessé ? s’écria Jacques.

— Je l’ignore, je n’ai d’abord songé qu’à toi ; je vais maintenant m’occuper de lui.

— Et je vais t’y aider, mon cher Marcel, car maintenant mes forces sont à peu près revenues. »

Ils soulevèrent avec précaution le corps de l’Anglais.

Comme s’il n’eût attendu que ce contact pour revenir à la vie, lord Rodilan ouvrit brusquement les yeux et poussa un formidable juron.

« Goddam ! grogna-t-il d’une voix irritée, que me veut-on encore ? Je suis mort, laissez-moi en paix.

— Mais non, milord, fit Jacques en riant malgré ce que la situation avait d’effrayant, vous n’êtes pas mort et vous avez perdu votre pari. »

L’Anglais fit la grimace.

« Allons, dit-il, je n’ai pas de chance. Mais attendez un peu, si nous ne sommes pas morts, nous n’en valons pas beaucoup mieux.

— C’est ce qu’il faudra voir, interrompit Marcel, mais puisque nous sommes vivants et bien vivants, il faut aviser à sortir d’ici. »

Ils restèrent un instant immobiles.

« Tiens, mais, fit Marcel, on dirait que notre obus bouge ; notre voyage ne serait-il pas terminé ? Se poursuivrait-il dans les entrailles de notre satellite ? »

Le projectile en effet paraissait animé d’oscillations lentes et faibles, comme s’il n’eût pas reposé sur une base solide. Brusquement Jacques, ne pouvant résister à son anxiété, largua les boulons qui retenaient la plaque d’aluminium d’un des hublots percés dans la muraille de l’obus ; puis, saisissant la lampe électrique, il l’approcha de la vitre.

Il poussa un cri : « Mais nous sommes dans l’eau ! »

Ses deux compagnons s’approchèrent précipitamment. Lord Rodilan lui-même semblait avoir oublié sa mauvaise humeur : un vif sentiment de curiosité se peignait sur ses traits.

Le rayon électrique vigoureusement projeté par le réflecteur dont la lampe était munie, allait s’écraser sur une surface tremblante où elle se réfléchissait en s’irradiant.

À n’en pas douter, ils flottaient.

L’obscurité profonde qui régnait dans le milieu où ils étaient parvenus ne leur permettait de rien distinguer de plus.

« Voyons, dit Marcel : pour le moment nous flottons, cela est certain. Sur quoi, je ne saurais le dire encore, mais nous avons le temps d’y penser. Avant tout, il importe de savoir si l’espace dans lequel émerge notre projectile est rempli d’un air respirable.

— Mais, fit Jacques, nous ne pouvons pourtant pas ouvrir l’un de nos hublots : tout l’air que renferme notre obus s’échapperait en un clin d’œil, et c’est là une précieuse réserve que nous aurons peut-être besoin de bien ménager.

— J’y avais songé, répondit Marcel, et je suis en mesure de recueillir une certaine quantité du milieu gazeux dans lequel nous émergeons et de voir s’il renferme les éléments nécessaires à la conservation de la vie. »

En disant cela, il avait pris une clé anglaise et, saisissant l’extrémité d’un fort boulon qui traversait dans toute son épaisseur la paroi de l’obus, il se mit à la dévisser.

Au moment où la tige d’acier sortait du trou qu’elle remplissait, il y adapta sans perdre une seconde la douille à pas de vis d’un tube de platine muni d’un robinet. L’opération avait été faite avec une telle rapidité qu’aucune déperdition n’avait pu se produire de l’air renfermé dans le projectile. Jacques avait compris.

« Tu es homme de précaution, dit-il, et je vois que tu as pensé à tout. Je comprends ce que tu vas faire, et je vais t’aider, »

Lord Rodilan, complétement revenu de son étourdissement, les regardait attentivement ; cela semblait l’intéresser beaucoup.

Marcel retira avec précaution de l’une des caisses où étaient emballés les instruments scientifiques, un appareil d’apparence fort simple bien connu dans les laboratoires. Il se composait d’un tube en verre dressé verticalement et maintenu par une tige de cuivre le long de laquelle il pouvait se mouvoir, et plongeant dans une cuvette de cristal. Puis il prit un long bâton de phosphore. Pendant ce temps, Jacques avait disposé au-dessous du robinet une tablette sur laquelle l’appareil fut posé. Le tube et la cuvette furent remplis d’eau, et bientôt un tuyau de caoutchouc adapté au robinet et immergé dans la cuvette alla s’ajuster sur un renflement ménagé à la partie inférieure du tube dans lequel avait été au préalable introduit le bâton de phosphore. Puis le robinet fut ouvert et les trois voyageurs virent le gaz formant l’atmosphère extérieure pénétrer en globules dans le tube et y prendre peu à peu la place de l’eau expulsée. Au bout de quelques instants le tube était plein et le robinet fut fermé.

« Maintenant, dit Marcel, en attendant que notre expérience s’achève et comme nous avons quelque temps devant nous, nous allons déjeuner .

— Déjeuner ou dîner ? dit Jacques.

— Il serait plus logique de dire souper, reprit lord Rodilan, car nous sommes en pleine nuit.

— Comme il vous plaira, répliqua Marcel. Pour moi je me sens un furieux appétit : toutes ces émotions m’ont terriblement creusé.

— Ma foi ! fit l’Anglais, puisque nous ne sommes pas encore morts, je prendrai volontiers quelque chose.

— Voilà, dit Marcel, une conserve de volaille de «  Crosse and Blackwell  » dont vous me direz des nouvelles. »

Et tous les trois, assis sur le divan circulaire, se mirent à mordre à belles dents dans des ailes et des cuisses de dindes qui plongeaient au milieu d’une gelée savoureuse et fortement parfumée de truffes. Des biscuits de première marque leur servaient de pain. L’Anglais surtout travaillait consciencieusement.

« Je vois, mon cher lord, dit Jacques en riant, que pour un homme dégoûté de la vie, vous ne faites pas fi des moyens de la sustenter et de la prolonger.

— By Jove ! répondit lord Rodilan, la bouche pleine, je veux bien mourir écrasé, mais il n’est pas entré dans mon programme de me laisser bêtement mourir de faim. Or, quand on mange il faut boire ; qu’allez-vous nous donner, ami Marcel, pour arroser cette succulente nourriture ?

— Ma foi, dit Marcel, je dois sur ce point réclamer toute votre indulgence. Je n’ai emporté que quelques bouteilles d’un petit vin léger, suffisamment digestif et qui, je l’espère, ne vous montera pas à la tête ; car, vous le comprenez, j’ai dû prévoir et craindre les maléfices du jus de la grappe. »

Les deux amis firent une grimace significative. Marcel souriait dans sa moustache. Il prit dans une caisse, où elles étaient soigneusement enveloppées dans une chemise de paille, une bouteille au goulot hermétiquement cacheté.

« Peste ! dit Jacques, que de précautions pour de la piquette ! »

Et, le flacon débouché avec précaution, Marcel versa dans les verres que lui tendaient ses compagnons un liquide dont la couleur ambrée et le parfum pénétrant firent se dilater les narines de l’Anglais.

« Mon cher Marcel, fit-il, je crois que vous vous êtes agréablement moqué de nous. »

Et, savourant avec respect la précieuse liqueur, il s’écria, la face épanouie :

« C’est du Clos-Vougeot de 1865. — Peste ! mon camarade, si vous en avez beaucoup comme cela, je suis prêt à vous suivre dans toutes les planètes où il vous plaira de nous conduire ! »

Jacques riait sous cape : il n’avait pas cru à la plaisanterie de Marcel et connaissait trop le sens pratique de son ami pour croire qu’il eût négligé un point si important.

Le généreux bourgogne avait rendu aux trois voyageurs toute leur force et toute leur confiance.

« Voyons maintenant, dit Marcel, où nous en sommes de notre expérience ? »

Ils s’approchèrent de l’appareil. Le tube qui auparavant était complètement rempli du gaz extérieur, paraissait maintenant vide à un tiers environ de sa hauteur.

Marcel regarda la graduation marquée sur le verre : l’eau s’élevait à 26°.

« Oh ! oh ! dit-il, nous nous trouvons bien en présence d’air respirable, mais d’un air quelque peu capiteux. La proportion d’oxygène indiquée par le tube est de 26 p. 100 au lieu de 21 seulement que renferme l’atmosphère terrestre.

— Bah ! dit Jacques, nous avons tous les trois les poumons solides et nous nous y ferons.

— Eh bien, dit Marcel, il faut maintenant songer à sortir d’ici et à savoir un peu où nous sommes !

— Oui, dit Jacques, mais il ne serait peut-être pas prudent de nous exposer brusquement à cet air surchargé d’oxygène. Ne penses-tu pas qu’il y faudrait quelques précautions ? »

— Tu as raison, répondit Marcel, je vais dévisser mon tuyau de caoutchouc : l’air extérieur va pénétrer peu à peu dans l’obus par le trou que fermait le boulon, et d’ici à quelques instants la substitution sera complète. Rien ne nous empêche en attendant d’essayer, à l’aide de notre lampe électrique, de reconnaître l’endroit où nous nous trouvons.

Le faisceau lumineux fut en effet promené à travers les hublots dans diverses directions. Du côté où ils avaient tout d’abord reconnu la surface du liquide sur lequel flottait le projectile, ils ne distinguaient rien : le rayon lumineux se perdait au loin dans d’insondables ténèbres. Mais, du côté opposé, la lumière renvoyée par le réflecteur alla rencontrer une paroi qui paraissait de couleur noirâtre, d’aspect rocailleux, dont la hauteur ne put être évaluée et qui ne semblait pas située à plus de cinq encâblures. Sa base sortait d’une grève sur laquelle venaient mourir les ondes de ce lac ou de cette mer souterraine.

Cependant l’air extérieur pénétrait peu à peu dans l’obus, et les trois voyageurs se sentaient vivifiés par cette atmosphère riche en oxygène et qu’ils respiraient avec délices. Jacques avait craint un instant, au moment où Marcel avait fait connaître le résultat de son analyse, que cet air où abondait l’élément comburant ne surexcitât outre mesure l’activité des phénomènes vitaux et que leur organisme ne pût que difficilement s’y accoutumer. La précaution qu’ils avaient prise de ménager ainsi l’entrée de l’air du dehors le rassura bientôt. Un peu d’excitation cérébrale, une respiration un peu plus active et un peu plus rapide, tels furent les seuls phénomènes physiologiques qu’il constata sur lui et sur ses deux compagnons dont son doigt expérimenté avait interrogé le pouls.

« Nous pouvons nous rassurer, fit-il. L’excitation que nous ressentons en ce moment et qui provient d’un passage un peu brusque de notre atmosphère ordinaire à un air plus oxygéné n’a rien qui puisse nous inquiéter et ne durera pas.

« Nous sommes tous les trois sains et vigoureux, nos organes auront bientôt fait de s’adapter au milieu ambiant. Nous y trouverons même, j’en suis sûr, un surcroît de vitalité qui augmentera nos forces, et notre cerveau y puisera une puissance intellectuelle que nous ne soupçonnons pas. »

Les prévisions de Jacques semblaient du reste s’être déjà réalisées. Depuis qu’ils avaient retrouvé l’usage de leurs sens, les trois amis se trouvaient dans un état singulier : ils se sentaient animés d’une vigueur inaccoutumée ; leur corps semblait avoir perdu de son poids ; tous leurs mouvements s’exécutaient avec une aisance et une facilité à laquelle ils n’étaient pas habitués. Ils s’étonnaient de mouvoir sans efforts et comme en se jouant des objets qui partout ailleurs leur auraient semblé lourds ; leurs pieds ne pesaient plus sur le sol et même lord Rodilan, ayant voulu se hausser pour atteindre un objet arrimé sur une tablette supérieure, se trouva emporté par son mouvement jusqu’au haut du projectile, dont sa tête heurta le capitonnage supérieur.

« Où allez-vous ainsi, mon cher lord ? s’écria Jacques en riant ; prenez-vous votre vol pour nous quitter ? »

— Pardieu ! fit l’Anglais en retombant doucement sur le sol, voilà qui est bizarre. Du diable si j’y comprends rien.

— Cela est pourtant bien simple, interrompit Marcel, et suffirait à prouver, s’il pouvait nous rester encore un doute, que nous sommes bien arrivés sur la Lune ou dans la Lune.

— Bah ! fit lord Rodilan intrigué.

— Mais oui, mon cher ami. Vous savez bien que sur la Lune la pesanteur est six fois moindre que sur la Terre. Ainsi votre honorable personne qui, aux balances du Yachting-club accusait 148 pounds , n’en pèse que 24 environ. C’est pour cela que tous les objets que vous touchez vous paraissent si légers et que le simple effort que vous avez fait tout à l’heure a suffi pour vous élever si haut.

— Tout cela est fort bien, dit alors lord Rodilan, mais si je dois continuer à vivre, je voudrais bien ne pas rester trop longtemps dans ces ténèbres ; ce n’est pas la peine d’être vivant pour être ainsi enterré.

— Oh ! dit Marcel, nous n’en sommes pas là. Je n’ai pas pu évaluer encore la distance qui nous sépare de la surface lunaire, mais elle doit être considérable. Il nous faut tout d’abord sortir d’ici et reconnaître l’endroit où nous nous trouvons. »

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« Tout cela est fort rassurant, dit Marcel ; il faut maintenant savoir quelle est la nature du liquide sur lequel nous flottons. »

Aussitôt Jacques plongea à l’extérieur un gobelet d’étain et le ramena plein d’un liquide transparent et incolore. Marcel l’examina attentivement, en versa quelques gouttes dans le creux de sa main, et y trempa ses lèvres.

« C’est de l’eau, fit-il, mais avec un goût légèrement salin. — Nous voilà tout au moins assurés de ne pas mourir de soif. »

Il s’agissait maintenant de gagner la grève, et cela paraissait d’autant plus urgent que Marcel avait cru remarquer depuis quelques instants que l’obus semblait s’en éloigner par un mouvement à peine sensible. Il le fit observer à ses compagnons.

« Il est probable, leur dit-il, que ce lac se déverse dans quelque bassin inférieur, et le courant tend à nous entraîner Dieu sait où. Il nous importe donc d’aborder sans perdre de temps. »

Comme ils s’étaient attendus à tomber sur la surface de la Lune et à avoir à cheminer sur un sol très tourmenté, ils s’étaient prudemment munis de longs et solides bâtons ferrés. Deux de ces bâtons furent liés bout à bout et fortements assujettis.

« À vous, mon cher lord, dit alors Marcel, à vous, l’un des plus glorieux champions d’Oxford, l’honneur de diriger sur ce lac lunaire la première embarcation terrestre qui s’y soit certes jamais hasardée.

— Alright  ! répondit l’Anglais ; il est bien fâcheux que quelque champion de Cambridge ne soit pas ici pour être témoin de cette navigation sous-lunaire et crever de jalousie.

— On ne peut pas tout avoir, » murmura philosophiquement Jacques.

Défaisant alors son habit et relevant les manches de sa chemise, lord Rodilan mit à nu ses bras musculeux ; puis, saisissant la perche formée des deux bâtons ferrés, il la passa par le hublot opposé à la rive et qui s’élevait de deux pieds environ au-dessus de la surface de l’eau. Elle atteignit le fond. S’arc-boutant alors vigoureusement sur l’extrémité de la perche, il donna une énergique impulsion, et la lourde machine commença à se déplacer et à se rapprocher d’une facon sensible du rivage. Il était évident que le lac souterrain dans lequel avait eu lieu la chute, remplissait une dépression d’une profondeur considérable, assez semblable au cratère d’un volcan. L’obus devait être tombé vers le centre ; puis, remonté à la surface, il avait été saisi par le courant qui, en raison des sinuosités du rivage, semblait tantôt l’en rapprocher, tantôt l’en éloigner.

Marcel et Jacques se tenaient à l’autre hublot, éclairant au moyen de leurs lampes électriques la direction à suivre. Comme l’obus, de forme absolument cylindrique, ne pouvait avancer rigoureusement en ligne droite, ils indiquaient à lord Rodilan le sens dans lequel il devait pousser cet incommode esquif.

L’Anglais travaillait avec ardeur. Ses membres robustes n’avaient rien perdu de leur souplesse et de leur élasticité, et sa force se trouvait décuplée dans ce milieu où la pesanteur avait diminué d’une façon si remarquable. Aussi, malgré la difficulté d’un tel travail, une heure s’était à peine écoulée que l’obus venait échouer sur le fond insensiblement relevé et s’arrêtait à environ 50 mètres de la grève.

« Ah ! fit lord Rodilan en étirant ses bras, cette petite gymnastique m’a fait du bien, »

Et, s’approchant du hublot qui regardait le rivage, il ajouta en riant :

« Bon ! voilà qu’il nous va falloir maintenant prendre un bain. Après un violent exercice cela est tout à fait hygiénique. »

L’obus en effet plongeait d’environ quatre pieds dans l’eau et il fallait franchir à gué la distance qui séparait les voyageurs de la terre ferme.

Détachant alors l’échelle de fer mobile qui leur servait à atteindre ceux de leurs bagages qui étaient arrimés dans la partie supérieure du projectile, ils la passèrent par le hublot et la plongérent dans l’eau, où son poids la maintint immobile. Les trois amis avaient rapidement passé par-dessus leurs habits un vêtement de caoutchouc absolument imperméable et qui les enveloppait de la tête aux pieds. Ainsi équipés, ils franchirent en quelques bonds la distance qui les séparait de la rive.

En posant le pied sur le sabie fin qui formait le sol de la caverne et que n’avait jamais foulé jusqu’ici aucune créature terrestre, Marcel eut un moment d’exaltation et de triomphe.

« Victoire ! amis, s’écria-t-il ; nous voici au sein de ce monde mystérieux dont notre audace a rêvé de pénétrer les secrets. Les calculs de la science sont confirmés. Rendons grâce à Dieu qui nous a conduits jusqu’ici sains et saufs, et vive la France ! »

Jacques lui serrait la main avec une émotion qu’il ne cherchait pas à dissimuler.

« Pardon, mon cher Marcel, fit alors l’Anglais ; puisque je ne suis pas mort, laissez-moi prendre ma part de votre joie et y associer aussi l’Angleterre. Ne croyez-vous pas juste de crier avec moi :

— Hurrah pour l’Angleterre ?

— De grand cœur, mon cher Rodilan, et, quoi que nous réserve l’avenir, c’est entre nous maintenant à la vie et à la mort. »

Et les trois amis s’étreignirent avec transport.

L’obus fut alors amarré, à l’aide d’un câble que Marcel avait solidement fixé à l’intérieur et déroulé en s’avançant vers la grève, à une saillie rocheuse qui, non loin de l’endroit où ils avaient abordé, surplombait et s’avançait presque au bord de l’eau.

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CHAPITRE IX EXPLORATION DANS L’INCONNU

« Au fait, s’écria Jacques, quel jour sommes-nous et quelle heure peut-il bien être ?

— Tiens, fit Marcel, je n’y avais pas songé ; c’est, du reste, facile à vérifier. »

Il tira son chronomètre : il marquait sept heures quarante-cinq minutes.

« Bon, dit lord Rodilan, voilà l’heure, mais le jour ?

— Voici ! nous sommes partis le samedi 15 décembre à dix heures quarante-six minutes quarante secondes du soir. Notre trajet, pour atteindre la surface lunaire, a duré quatre-vingt-dix-sept heures treize minutes vingt secondes. Je néglige le temps que nous avons dû mettre à traverser l’écorce lunaire. Nous sommes tombés dans l’eau le mardi 19 à onze heures cinquante-neuf minutes soixante secondes, c’est-à-dire minuit. Nous sommes donc aujourd’hui au mercredi 20 décembre à sept heures quarante-cinq minutes du matin.

— Mais, à propos, fit Jacques, comment se fait-il, puisque notre projectile a pu pénétrer jusqu’ici sans être brisé, que nous ne voyions aucune ouverture, aucune trace de lumière indiquant une communication avec l’extérieur ?

— Ma foi, mon cher, tu en demandes trop pour le moment. Il est probable que la fissure qui nous à donné accès allait se rétrécissant ; elle a sans doute plusieurs kilomètres de profondeur, auquel cas la lumière solaire ne saurait pénétrer jusqu’ici. Selon toute vraisemblance, nous sommes tombés dans une partie de cette caverne où l’eau est très profonde, et, grâce au courant insensible dont nous avons déjà constaté l’action, nous nous sommes rapprochés de la rive.

— Tout cela est-fort intéressant, s’écria lord Rodilan, mais nous ne sommes pas venus ici seulement pour nous livrer à des dissertations scientifiques, mais pour explorer. Je demande donc que nous explorions, et je ne vous cache pas que j’ai hâte de revoir le soleil.

— Eh bien ! explorons, dit Jacques : je commence, moi aussi, à être fatigué de cette obscurité. »

Tous trois s’armérent alors de leurs lampes électriques et les dirigèrent vers la muraille au pied de laquelle ils se trouvaient et qui se dressait à 20 mètres environ du bord du lac. Cette muraille était formée d’un granit serré et compact ; en projetant aussi haut que possible la lumière de leurs lampes, ils ne pouvaient en apercevoir le faîte, sur lequel s’arc-boutaient les masses rocheuses qui devaient former la voûte de la caverne.

« Nous n’avons, à mon avis, dit Marcel, qu’une chose à faire : suivre le rivage jusqu’à ce que nous trouvions quelque galerie, quelque faille qui nous permette de remonter à la surface.

— Puisque nous sommes fondés à croire, dit Jacques, que la Lune est habitée dans sa partie toujours invisible pour la Terre, tous nos efforts doivent tendre à gagner cette région.

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— Hâtons-nous donc, dit lord Rodilan ; j’ai assez de cette inaction et je ne serais pas fâché de faire connaissance avec nos nouveaux compatriotes. »

Cette résolution prise, les trois amis commencèrent leur exploration. À l’endroit où l’obus avait échoué, la muraille de la caverne n’était qu’à une faible distance du rivage, mais bientôt l’espace s’agrandissait, le lac intérieur s’éloignait, et comme ce qu’ils cherchaient c’était une issue à travers la montagne, ils continuèrent à suivre la paroi en l’observant attentivement. Ils marchaient depuis une heure environ sur un sable fin lorsque lord Rodilan, qui allait en avant, leur cria :

« Nous voici, je pense, au fond de la caverne. »

Et, projetant les rayons de sa lampe, il leur désignait du doigt une masse de rochers noirs qui coupaient brusquement la grève.

« C’est un obstacle à contourner, dit Marcel après avoir regardé attentivement. Autant que j’en puis juger, ces rochers s’abaissent assez rapidement du côté du lac. »

Au bout de quelques minutes en effet ils se retrouvèrent au bord de l’eau, où la muraille granitique plongeait, formant une sorte de cap. Le désordre chaotique de ces masses profondément bouleversées, aux arêtes vives, aux cassures nettes et aux parois polies, que la lumière de leurs lampes réunies permettait de distinguer nettement, éloignait toute idée d’escalade possible.

« Que faire ? dit Jacques.

— Pardieu ! dit lord Rodilan, il faut entrer dans l’eau et au besoin passer à la nage. »

Et déjà il s’avancait dans l’eau.

« Prenez garde, dit Marcel, allez avec précaution, et, à l’aide de votre bâton ferré, sondez attentivement le fond. »

Et tous les trois s’avancèrent ainsi derrière leur guide, qui tâtait soigneusement le terrain. Bientôt ils arrivèrent à l’extrémité du cap ; ils avaient de l’eau jusqu’à la ceinture. Bien que leurs vêtements de caoutchouc, hermétiquement clos, les empêchassent d’être mouillés, la fraicheur de cette eau souterraine finissait par les pénétrer et glacer leurs membres. Devant eux s’étendait une immense nappe liquide dans laquelle, de l’autre côté du cap, baignait la muraille granitique.

Ils hésitèrent un instant.

L’absence de grève en cet endroit pouvait faire craindre que la profondeur du lac ne s’abaissât brusquement et qu’il leur fallût renoncer à toute recherche de ce côté ; mais retourner à leur point de départ pour prendre une autre direction était tout aussi chanceux et c’était bien du temps perdu.

Marcel était une âme fortement trempée ; il pensait, comme Descartes, que lorsqu’on ne sait où l’on se trouve, on doit choisir une direction et la suivre toujours sans se laisser détourner, bien sûr qu’on arrivera quelque part.

Au moment où il conseillait à ses compagnons d’aller en avant, lord Rodilan, qui avait élevé sa lampe au-dessus de sa tête et qui éclairait l’extrémité inférieure des rochers, s’écria :

« Je ne me trompe pas ; voyez, Marcel, n’est-ce pas là, à une centaine de mètres environ, l’entrée de quelqu’une de ces fissures ou galeries dont vous nous parliez tout à l’heure ? »

Dans la direction qu’il indiquait apparaissait en effet une ouverture obscure.

« Vous avez raison, dit Marcel ; c’est là qu’il faut aller. »

Ils reprirent leur marche en contournant le cap. Ils avançaient lentement, alourdis et embarrassés par leurs vêtements de caoutchouc, ayant, suivant les inégalités du sol, de l’eau tantôt jusqu’à mi-jambes, tantôt jusqu’aux épaules. Après une demi-heure de cette marche pénible, ils sentirent que le sol sur lequel ils s’avançaient s’élevait en pente douce. L’excavation qu’ils avaient remarquée formait l’entrée en voûte surbaissée d’une grotte assez spacieuse, où ils pénétrèrent en se courbant légèrement. Lorsqu’ils relevèrent la tête, leurs regards furent éblouis et ils poussèrent un cri d’admiration. Les parois de la grotte étaient entiérement recouvertes d’une substance brillante et polie qui réfléchissait avec un incomparable éclat les feux des trois lampes électriques.

C’était une irradiation de lumière où les faces prismatiques des cristaux semaient à profusion les rubis, les saphirs, les topazes, les émeraudes. On eût dit un palais enchanté. Marcel s’approcha de l’une des parois et détacha, à l’aide de son bâton ferré, quelques fragments de cette substance cristalline, l’examina attentivement et poussa une exclamation de surprise.

« Qu’y a-t-il ? fit Jacques.

— Il y a que la moitié des trésors qui se trouvent ensevelis ici suffirait à payer les dettes de tous les États de l’Europe et à enrichir toute l’humanité terrestre.

— Qu’avez-vous donc trouvé de si merveilleux ? demanda lord Rodilan.

— Mais ce sont des diamants, mon cher lord, de vrais diamants. Et voyez, ajouta-t-il, en projetant sur la surface brillante les rayons de sa lampe ; il y en a qui sont plus gros que le poing. Tous les Juifs de Londres et d’Amsterdam pâliraient d’envie devant de pareilles richesses. Mais nous n’avons que faire ici de ces précieux cailloux ; ne songeons qu’à poursuivre notre route. »

Puis jetant autour de lui un regard circulaire, il s’écria :

« Voilà deux ouvertures qui doivent, selon toutes probabilités, être le commencement de ces galeries que nous cherchons. »

À peu de distance, en effet, s’ouvraient deux anfractuosités dont, au premier abord, il était impossible d’apprécier la profondeur.

La première dans laquelle ils s’engagèrent suivait d’abord une direction horizontale, mais bientôt elle allait s’abaissant en une pente rapide qui se dirigeait évidemment vers le centre du satellite.

« Malédiction ! » fit lord Rodilan en rebroussant chemin.

Marcel et Jacques étaient silencieux, mais leurs sourcils froncés disaient leur désappointement et trahissaient un commencement d’inquiétude,

Ils revinrent à la caverne des diamants et prirent sans hésiter l’autre galerie. À peine y avaient-ils fait quelques pas que le visage de Marcel s’éclaircit.

« Je crois, cette fois, dit-il, que nous sommes dans la bonne voie. »

Le sol de la galerie allait, en effet, s’élevant par une pente sensible ; la voûte en était assez élevée et la largeur suffisante pour que les trois voyageurs pussent s’avancer de front. Après avoir reconnu la direction de cette galerie, Marcel s’arrêta :

« Nous ne pouvons, dit-il, nous engager plus avant sans nous être munis de vivres et de tout ce qui est nécessaire pour une exploration peut-être longue et pénible.

— En avons-nous donc pour longtemps, reprit lord Rodilan, à nous débattre dans cette obscurité ?

— Ma foi, mon cher ami, il m’est impossible d’apprécier exactement la profondeur à laquelle nous nous trouvons, mais elle est certainement de plusieurs kilomètres. Rien ne prouve en outre que cette galerie conserve toujours la même pente, et Dieu sait, du reste, contre quels obstacles nous pouvons avoir à lutter. Il faut donc compter sur quelques jours, peut-être plus, d’une route accidentée et pénible.

— Allons au plus pressé, cria Jacques ; nous verrons ce que nous garde l’avenir. »

On revint done à l’obus, mais les émotions par lesquelles avaient passé les trois compagnons depuis qu’ils s’étaient réveillés de leur profond évanouissement et les fatigues d’une telle exploration avaient brisé leurs forces. Tant qu’ils avaient été animés par le sentiment d’une si étrange situation et par la crainte de rester à jamais ensevelis dans ces sombres abîmes, une surexcitation nerveuse les avait soutenus. Maintenant qu’un rayon d’espoir brillait à leurs yeux et que Marcel avait fait passer dans l’âme de ses amis l’ardente conviction dont il était rempli, la nature réclamait impérieusement ses droits.

Jacques, en sa qualité de médecin, l’avait constaté le premier.

« Amis, dit-il, avant de repartir pour l’inconnu, il nous faut faire provision de forces ; mon avis est donc de demander à un sommeil réparateur toute l’énergie dont nous aurons besoin.

— Tu parles comme un sage, répondit Marcel ; aussi bien, maintenant que j’y songe, je me sens tout moulu.

— Parfait, ajouta lord Rodilan, dormons ! Nous n’avons pas à craindre les importuns, et, à notre réveil, nous nous préparerons, par un solide repas, à présenter aux habitants de la Lune trois gentlemen corrects et bien vivants. »

Les trois amis s’étendirent donc sur le divan circulaire, et bientôt le calme de leur respiration indiqua qu’ils reposaient avec autant de tranquillité que s’ils eussent êté dans la meilleure chambre du Grand-Hôtel de Paris.

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Dix heures plus tard ils se réveillaient et, après un substantiel déjeuner, où le vieux bourgogne ne fut pas épargné, chacun s’équipa comme pour une ascension difficile. Ils emportaient des vivres pour trois semaines. Avant de s’éloigner, ils vérifièrent avec soin l’amarre qui retenait l’obus au rocher et s’assurèrent qu’aucune oscillation ne pouvait la détacher : c’était leur unique et suprême ressource dans ce monde fantastique où ils se trouvaient perdus.

De retour à la caverne des diamants, ils s’engagèrent résolument dans la galerie qu’ils avaient choisie. Pendant le premier jour, le voyage s’effectua sans trop de peine. Ils suivaient évidemment la cheminée d’un ancien volcan ; les couches de roches qu’ils traversaient présentaient dans leurs stratifications successives à peu près les mêmes dispositions que celles qui forment la croûte terrestre. Ils avaient d’abord rencontré des roches primitives : gneiss et micaschiste. Puis étaient venus les terrains primaires. Ils avaient franchi les couches silurienne et dévonienne, et ils étaient au troisième jour de leur marche lorsqu’apparurent les premières traces de terrain carbonifére.

« Nous approchons évidemment de la surface, fit Jacques. Si nous étions sur la Terre, nous pourrions espérer de voir dans deux ou trois jours à peine la lumière du Soleil.

— Oui, dit Marcel, mais comment déterminer ici l’épaisseur des couches lunaires qui nous séparent encore de la surface ? Qui sait d’ailleurs ce que les éruptions volcaniques dont la Lune a été le théâtre ont pu accumuler sur le sol primitif de matériaux en fusion arrachés à la profondeur de ses entrailles ? Qui sait si nous ne nous heurterons pas contre des murs impénétrables de laves refroidies ?

— Nous avons peut-être, dit Jacques, à redouter un péril plus grand encore. Depuis quelques heures il me semble que ma respiration est plus pénible et que l’air arrive plus rare à mes poumons.

— C’est vrai, dit lord Rodilan ; j’attribuais à la fatigue cette difficulté de respirer dont je souffre aussi moi-même ; mais évidemment Jacques a raison, l’air se fait plus rare.

— C’est bien ce que j’avais craint, dit Marcel ; j’hésitais à vous faire part de mes appréhensions, espérant m’être trompé. Mais il n’y a plus à en douter, nous éprouvons ce que ressentent ceux qui tentent sur la terre de hautes ascensions et qu’on appelle le mal des montagnes… Mais où est donc allé lord Rodilan ?

— Il aura pris les devants, » dit Jacques.

Tout à coup ils entendirent à quelque distance une exclamation :

« Hurrah ! criait l’Anglais, voici des traces d’êtres vivants. »

Et il sortait d’une anfractuosité creusée dans la paroi de la galerie, brandissant un objet que ses deux compagnons ne pouvaient distinguer. Ils accoururent, et lord Rodilan leur montra avec un geste de triomphe un fragment d’outil à peu près semblable au pic dont se servent les mineurs pour détacher des blocs de houille.

Bien qu’il fût rongé par la rouille, on distinguait encore sa forme primitive, et on voyait à son centre le trou dans lequel avait dû être engagé le bois dont il avait été emmanché.

« Voilà, dit-il, une preuve irrécusable que la Lune est habitée. »

Tous trois pénétrèrent dans l’étroit passage où avait été faite cette importante découverte. C’était évidemment l’extrémité d’une galerie de mine jadis exploitée. On voyait encore sur ses parois les traces des pics des travailleurs ; mais les trois amis eurent beau chercher, ils ne trouvèrent aucune issue à ce court boyau que quelque éboulement, survenu à une époque indéterminée, avait séparé du reste de la mine.

« Et dire, s’écriait lord Rodilan, en frappant la muraille de son bâton ferré, que derrière cet obstacle il y a peut-être des êtres semblables à nous.

— Cela prouve au moins, dit Jacques, que les habitants de la Lune sont descendus jusqu’ici. Donc on vit à la surface. »

Marcel paraissait plongé dans une profonde méditation.

« Tu ne dis rien, ami, » fit Jacques en jui frappant sur l’épaule.

Marcel tressaillit.

« Il y a là, murmura-t-il, quelque chose d’inexplicable. Si l’air continue à se raréfier ainsi à mesure que nous nous élevons, comment la vie est-elle possible ? comment surtout le sera-t-elle pour nous à la surface lunaire ?

— En avant ! s’écria l’Anglais. Tout plutôt que de revenir sur nos pas. »

Ils reprirent donc leur marche. La pente du couloir qu’ils suivaient devenait de plus en plus raide et la raréfaction de l’atmosphère augmentait plus rapidement. Quelques heures ne s’étaient pas écoulées que l’air manquait à leurs poumons avides, le sang bourdonnait à leurs oreilles, leurs tempes battaient avec force, un voile s’étendait sur leurs yeux et des gouttelettes de sang perlaient à la surface de leur peau. Ils furent forcés de s’arrêter.

« Mes chers amis, dit Marcel, aller plus loin est impossible.

— Que faire alors ? dit Jacques.

— Il n’y a pour l’instant qu’un parti à prendre : il nous faut regagner la caverne où nous avons abordé et où nous avons laissé avec l’obus toutes nos provisions et toutes nos ressources. Évidemment la Lune est habitée ; nous en avions la certitude en tentant ce voyage ; le document que vous avez eu sous les yeux en est la preuve catégorique et la découverte que vient de faire notre ami la confirme. Où se trouve l’humanité que nous cherchons ? Quelles sont les conditions de son existence ? Rien jusqu’à présent n’est venu nous l’apprendre. Allons-nous donc perdre courage parce que nous n’avons pas réussi du premier coup ? L’humanité lunaire existe : nous devons la trouver, nous la trouverons. Retournons à notre point de départ ; là nous aviserons.

— Ah ! fit lord Rodilan, moi qui me croyais déjà sur le point d’échanger avec un sélénite un vigoureux shake-hand !…… J’ai eu une bien mauvaise inspiration en vous accompagnant.

— Mais non, mon cher lord, dit Marcel en souriant malgré la gravité de la situation. Tous vos amis vous croient mort. Dans leur esprit, vous dépassez Empédocle de cent coudées ; votre but se trouve atteint.

— Eh bien ! soit, dit l’Anglais, si nous ne pouvons vivre ici, nous pourrons toujours y mourir. »

Les voyageurs reprirent tristement la route qu’ils avaient suivie. La descente s’effectua sans difficulté ; ils traversèrent de nouveau, sans lui accorder un regard, la caverne des diamants et regagnèrent en toute hâte l’endroit où, après leur chute, ils avaient abordé.

Mais le rivage était vide. Un cri de stupéfaction et de désespoir s’échappa de leurs lèvres : l’obus avait disparu !

CHAPITRE X UNE HUMANITÉ QUI NE VEUT PAS PÉRIR

Depuis que l’intelligence humaine, à l’étroit dans la sphère exiguë où elle se trouve confinée, a commencé à sonder les profondeurs de l’espace pour étudier les lois qui régissent les mondes gravitant dans l’infini, le satellite qui accompagne fidèlement la Terre dans sa route, et dont, à des intervalles réguliers, la lumière vient éclairer ses nuits, a été l’objet de sa plus constante préoccupation. Pendant que l’imagination poétique des Grecs divinisait la blonde Phœbé et la faisait descendre du Ciel sur un rayon argenté, auprès du berger Endymion endormi sur les bords du Céphise, les prêtres chaldéens calculaient l’orbite de notre satellite, en décrivaient les phases, en prédisaient les éclipses.

Au Moyen Age, l’astrologie attribuait à la Lune une influence néfaste.

C’était elle qui présidait aux incantations nocturnes ; c’était à sa lumière indécise et tremblante que les sorcières, déterrant les cadavres, ou cherchant au pied des gibets la redoutable mandragore, composaient les filtres puissants qui distribuaient à leur gré l’amour ou la haine, le plaisir ou la mort. C’était sur un rayon de la pâle Hécate qu’elles chevauchaient pour s’envoler au Sabbat dans les nuits de Walpurgis, et c’est par là qu’elles regagnaient leurs tanières quand l’aube naissante dissipait les fantômes, renvoyait à leurs sépulcres les âmes des morts et faisait rentrer dans leurs sombres domaines les divinités infernales.

Avec les progrès de la science, la Lune, observée à l’aide d’instruments perfectionnés, nous a successivement et par degrés livré les secrets de son étrange existence. Aujourd’hui que des télescopes, chefs-d’œuvre de l’industrie moderne, ont permis de la rapprocher à une distance de 48 lieues, on la connaît d’une facon à peu près complète ; on a pu la photographier, on a pu mesurer la hauteur de ses montagnes, la profondeur de ses cratères. On a dressé de sa surface visible des cartes beaucoup plus exactes que celles du globe terrestre où tant de régions, comme les pôles, le centre de l’Afrique et du continent australien, sont encore inexplorées.

À en juger par l’aspect que présente le disque lunaire hérissé de montagnes abruptes, creusé d’une multitude de cratères de toutes dimensions, tous éteints, car l’œil aperçoit le fond de leurs cheminées obstruées, il semble que la Lune est un monde refroidi et d’où la vie est complètement absente.

Il n’en est rien cependant. Déjà, avec les télescopes de lord Ross et de Foucault, les astronomes avaient cru distinguer, dans les régions les plus basses du sol lunaire, des signes indiquant la présence d’une atmosphère ; on y avait vu des contours et des arêtes, qui d’ordinaire apparaissaient très nettement, s’émousser et s’estomper comme voilés par une brume. On y avait constaté des phénomènes de réfraction de lumière, et on en avait logiquement conclu qu’au moins dans ces régions, il y avait de l’air et de la vapeur d’eau, c’est-à-dire que la vie n’y était pas impossible. Le raisonnement venait ainsi confirmer les données de l’observation. Aux temps insondables où s’est formé notre système planétaire, où le soleil a projeté de son centre embrasé les gouttes fulgurantes qui sont devenues des mondes, l’éruption qui a donné naissance à la Terre a, du même coup, formé la Lune qui, détachée de notre globe, a été retenue dans son orbite. Les deux astres, d’abord à l’état gazeux, ont commencé à se condenser et ont passé successivement à l’état liquide, puis à l’état solide. Mais le volume de la Lune étant beaucoup plus petit que celui de la Terre, la transformation a été pour elle infiniment plus rapide. À une époque où la Terre était encore une masse en fusion, la Lune avait déjà vu se former à sa surface une croûte solide où la vie se manifestait avec une exubérante abondance.

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À cette époque, de vastes océans remplissaient les cavités dont notre regard sonde aujourd’hui le fond desséché ; d’épaisses forêts se dressaient sur les flancs de ces montagnes ; une humanité supérieure à la nôtre, parce que les conditions de la vie s’y montraient plus favorables, naissait, grandissait, et, sous d’heureuses influences, atteignait un développement intellectuel et une hauteur morale à laquelle nous ne sommes pas près de parvenir.

L’humanilé lunaire était donc arrivée à un surprenant degré de civilisation, de science et de moralité, alors que commençaient à peine à apparaître sur la Terre les premiers êtres humains, les prognathes contemporains de l’ours des cavernes. Mais l’évolution vitale de la Lune devait être beaucoup plus courte que celle de la planète sa voisine. Si elle était arrivée plus tôt à son plus haut période, la décroissance devait aussi commencer plus tôt. D’âge en âge le refroidissement du globe lunaire s’accentuait ; la chaleur se retirait de la périphérie vers le centre, dont le noyau incandescent, source de la vie, allait diminuant d’une marche lente mais inéluctable.

Comme sur la Terre, tant que la chaleur centrale avait été considérable, les eaux, qui s’infiltraient incessamment dans les couches profondes par les nombreuses crevasses sillonnant la Lune, avaient été vaporisées et rendues ainsi à la circulation générale de la surface ; mais, par suite du refroidissement graduel, l’eau avait fini par être complètement absorbée. Grâce à cette lente absorption, les roches encore fluides que renfermait le centre en fusion s’étaient solidifiées, les éléments chimiques, encore instables, s’étaient combinés.

En même temps, l’oxygène de l’air se fixait dans les parties solides, et ainsi avaient disparu peu à peu l’atmosphère et les mers lunaires. À mesure que diminuaient ces éléments essentiels à l’entretien des êtres organisés tels que nous les comprenons, la vie se retirait insensiblement.

Mais l’humanité lunaire ne voulait pas mourir.

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Les savantes explorations auxquelles s’étaient livrés les habitants de la Lune leur avaient fait connaître la structure intime du globe qu’ils habitaient et qui n’avait plus de secrets pour eux. Ils savaient qu’au-dessous de la croûte solide, où la vie s’était manifestée pendant des siècles, il existait toute une région souterraine où s’était maintenue loin des rayons du soleil une vie encore primitive.

À des profondeurs variables et pouvant être évaluées à 12 ou 15 de nos lieues terrestres, dans d’immenses excavations, se trouvaient des mers, des continents, des fleuves, une végétation abondante. Là, dans ces cavités plus rapprochées du centre, où régnait encore une température douce et toujours égale, dont les voûtes s’élevaient à de prodigieuses hauteurs, où l’air était plus dense et où, à défaut de la lumière du jour, régnait une clarté de source électrique entretenue par des phénomènes cosmiques, il y avait place pour une humanité tout entière. C’est là que s’étaient retirés avec leurs sciences, leurs industries, leurs institutions et leurs lois, les derniers habitants de notre satellite, bien résolus à défendre leur vie jusqu’au dernier instant.

Pendant que l’humanité terrestre s’éveillait péniblement à la vie intellectuelle et morale, et s’élevait, à travers de longues périodes séculaires, de l’âge de la pierre à l’âge du bronze et à l’âge du fer ; pendant que les premières tribus humaines, dispersées et errant à travers les gigantesques forêts primitives, passaient de l’état de peuples chasseurs à l’état de peuples pasteurs, puis agriculteurs et enfin industriels, les habitants de la Lune continuaient, dans le monde souterrain où se maintenait la vie, leur existence de progrès ininterrompu.

Dans ces régions calmes et tranquilles, où la température était presque sans variations, où ne se faisait pas sentir l’influence des saisons, où l’humanité n’avait pas à se défendre contre les forces aveugles d’une nature marâtre, où la lutte pour l’existence n’avait pas cette âpreté qu’elle présente chez nous, ces êtres organisés pour vivre dans un milieu surchargé d’oxygène et où la vitalité était par suite plus énergique et plus résistante, avaient dépassé de beaucoup le niveau des sciences où nous nous sommes si longtemps attardés.

Afiligés de moins de besoins que nous, ils étaient exempts de la plupart de nos vices et de nos convoitises. Moins préoccupés du soin de satisfaire des passions basses ou égoistes, ils avaient donné davantage à la culture de leur âme et leur moralité était à la hauteur de leur science. Après avoir expérimenté dans les âges précédents les diverses formes politiques entre lesquelles nous hésitons ici-bas, ils étaient arrivés à une organisation sociale rationnelle et simple où chacun tenait exactement la place que lui assuraient son degré d’intelligence et sa valeur morale.

Depuis de longs siècles déjà, avant même que le refroidissement de la surface les eût contraints de se réfugier dans leurs nouvelles demeures, ils s’étaient préoccupés de cet astre voisin dont le disque énorme flamboyait au-dessus de leurs têtes, dans l’orbite duquel ils se mouvaient, dont ils savaient que leur monde n’était que le modeste satellite. Ils avaient mesuré la distance qui les en séparait, et, grâce aux puissants instruments d’optique qu’ils avaient su construire bien avant nous, ils l’avaient attentivement observé et soigneusement étudié. Aucune des parties de sa surface n’avait échappé à leurs investigations et sa constitution leur était parfaitement connue.

Ils savaient, à n’en pas douter, que la Terre était habitée ; ils avaient même pu, dans une cerlaine mesure, y surprendre les développements de la vie. Ce qui s’était passé sur le globe qu’ils habitaient les avait renseignés sur l’histoire du globe terrestre. Ils avaient suivi de l’œil les transformations de sa surface ; ils avaient vu des continents surgir ou disparaître, les vastes forêts des âges préhistoriques diminuer avec les siècles. Les grands fleuves qui sillonnaient les continents terrestres leur étaient apparus ; ils avaient vu, dans les principales vallées ou à l’embouchure des cours d’eau les plus importants, se produire sur le sol des taches dont la couleur et l’aspect différaient des régions avoisinantes et où la perfection croissante de leurs instruments d’optique avait fini par leur faire reconnaître des agglomérations d’habitations humaines.

Avec les progrès qu’avaient accomplis chez eux les sciences astronomiques et aussi les sciences naturelles, disposant de forces considérables de la nature, le désir leur était venu bientôt d’entrer en communication avec les habitants de ce monde voisin, et ils avaient souvent essayé d’attirer sur eux leur attention. Mais, à cette époque, les peuples qui commençaient à couvrir la surface de la Terre étaient encore trop grossiers et trop barbares pour songer à regarder, et surtout à étudier les astres qui roulaient au-dessus de leurs têtes ; ou si, parfois, leurs regards s’élevaient dans la profondeur des nuits jusqu’à ces points brillants, leur aveugle superstition y voyait des divinités dont il fallait, à force de prières et de sacrifices, conquérir la faveur ou écarter l’influence néfaste.

Aucun des efforts auxquels s’étaient livrés les habitants de la Lune n’avait été couronné de succès ; toutes leurs interrogations étaient demeurées sans réponse. Aussi, découragés, avaient-ils fini par penser ou que leurs observations étaient inexactes et que la Terre n’était pas habitée, ou que les êtres qui la peuplaient, dépourvus d’intelligence, ne s’élevaient pas beaucoup au-dessus de la vie animale. Et les tentatives, commencées avec une certaine ardeur, étaient restées interrompues pendant de longs siècles.

Plus tard, après que les conditions de l’existence avaient si complètement changé pour eux, alors qu’ils pouvaient mesurer, avec une certitude presque infaillible, la durée du temps qu’il leur restait à vivre, ils s’étaient repris à tourner leurs regards vers ce monde, qui continuait toujours si près d’eux sa course majestueuse.

De nouveaux perfectionnements dans l’art de construire les instruments d’optique avaient rendu possibles de nouvelles et plus précises observations. Des signes leur étaient apparus : des tracés semblables à des canaux, des figures géométriques qui pouvaient être des enceintes de villes et dont les formes régulières semblaient révéler la présence d’êtres actifs et intelligents ; des monuments dont ils avaient pu, par la mesure de l’ombre, calculer la hauteur, leur avaient appris que les habitants de la Terre étaient en possession de moyens mécaniques assez puissants, et ils en avaient conclu qu’ils s’étaient avancés assez loin dans la connaissance des sciences. Leur désir d’établir avec eux des communications régulières et suivies s’en était augmenté.

Comme les signes par lesquels, dans les âges précédents, on avait essayé, au moyen de puissants foyers lumineux, d’attirer l’attention des habitants de la Terre, n’avaient pas réussi, on avait songé à d’autres procédés. Puisqu’ils n’avaient pas répondu alors qu’on les appelait, il fallait forcer leur attention en leur envoyant directement, brusquement au besoin, des messages sur l’origine et la signification desquels ils ne pussent se méprendre. Comme les lois de la balistique leur étaient depuis longtemps familières, ce n’avait été qu’un jeu pour eux d’envoyer au delà de la ligne neutre d’attraction des deux astres des projectiles que la pesanteur devait ensuite précipiter sur la Terre.

Mais comme la surface du globe terrestre est, pour les sept dixièmes, occupée par les océans, la majeure partie de ces messages lunaires devaient nécessairement se perdre au sein des mers. En outre, de vastes espaces sont, dans les divers continents, ou complètement déserts, ou habités par des peuplades sauvages, ignorantes et absolument incapables de comprendre de telles invitations et d’y répondre ; enfin ceux même des projectiles lunaires que le hasard de leur chute avait pu faire tomber dans des régions civilisées, devaient pour la plupart s’enfoncer profondément dans le sol qui, se refermant après leur passage, en dérobait la connaissance aux habitants de ces contrées.

Il avait fallu un concours prodigieux de circonstances fortuites pour qu’un de ces messages pût être conservé intact, découvert et compris.

C’était celui que Marcel avait montré à ses deux amis. Bien qu’il ne pût nullement se douter des conditions dans lesquelles vivait l’humanité lunaire, l’audacieux ingénieur ne s’était pas trompé en affirmant son existence, et c’est au milieu de cette humanité qu’il allait se trouver jeté avec ses deux compagnons d’aventure.

CHAPITRE XI L’ARRIVÉE

« Que les grâces de l’Esprit Souverain descendent sur vos têtes et mettent dans vos cœurs la joie et la sérénité, » dit le sage Rugel, en pénétrant sur la terrasse où se tenaient Marcel et ses deux amis contemplant un merveilleux spectacle.

Sous leurs yeux se déroulait une ville étrange, telle que l’imagination des conteurs orientaux n’en aurait jamais pu rêver de pareille. Ses blanches habitations, aux formes élégantes et capricieuses, dont les murs brillants et polis étaient rehaussés des plus vives couleurs artistement disposées, et enrichis de mosaïques, de métaux précieux, s’étendaient en pente douce jusqu’à la mer.

Cette mer offrait elle-même un aspect dont ne saurait donner l’idée celui des mers terrestres. Ses ondes, que ridait en ce moment une légère brise, n’avaient ni le bleu profond de la Méditerranée, ni le vert changeant de l’Océan ; mais l’eau, comme si elle eût renfermé de la lumiěre en dissolution, était irisée et comme diaprée de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Et chaque mouvement que le léger souflle du vent imprimait aux flots mobiles, faisait passer dans leurs masses transparentes mille rayons subtils qui se fondaient en un délicieux mélange.

Le personnage qui venait d’apparaître sur la terrasse offrait toutes les apparences extérieures d’un membre de l’humanité terrestre et semblait compter de 40 à 45 de nos années. Sa taille élevée était bien prise ; tous ses membres, bien proportionnés, décelaient la souplesse et la vigueur ; sa démarche aisée et libre trahissait l’harmonie d’une nature bien équilibrée. Son visage, qu’encadraient de longs cheveux noirs brillants et bouclés et une barbe de la même couleur, fine et naturellement frisée, était empreint de douceur et de gravité. Son front développé, ses yeux vifs et pénétrants dénotaient une intelligence large et prompte.

Il avait le nez droit, la bouche petite, qu’entrouvrait d’habitude un sourire bienveillant.

Il était vêtu d’une sorte de tunique descendant jusqu’aux pieds, faite d’une étoffe brillante et soyeuse dont la couleur azurée était très douce à l’œil, et que retenait à la taille une ceinture d’une nuance plus foncée, tout enrichie d’ornements qui ressemblaient à la plus fine broderie. Ses pieds étaient chaussés de sandales faites d’une sorte de liane tressée et que rattachaient au bas de la jambe des rubans entrecroisés. Sur ce costume, riche et simple à la fois, était négligemment jeté un vaste manteau d’une éclatante blancheur, fixé au sommet de la poitrine par une large agrafe formée d’une matière brillante comme le diamant.

Les trois amis se levèrent. Marcel fit quelques pas au-devant du nouveau venu, et s’inclinant avec gravité :

« Sois le bienvenu, dit-il, toi qui, depuis que nous sommes dans ce monde nouveau, nous à initiés à tant de merveilles. »

Jacques et lord Rodilan s’étaient approchés et joignaient à celles de Marcel leurs marques de respect et de reconnaissance.

« Amis, reprit Rugel, le moment que je vous avais annoncé est arrivé. Vous avez maintenant une connaissance suffisante de notre langue pour pouvoir paraître devant le prudent Aldéovaze, notre chef suprême et vénéré, et les sages qui l’assistent dans la direction de nos affaires publiques. Depuis longtemps déjà le bruit de votre si extraordinaire arrivée est parvenue jusqu’à lui ; nos savants s’en sont occupés ; c’est lui qui m’a placé auprès de vous avec la mission de vous instruire pour vous permettre d’entrer en communication avec nous. »

Jacques l’interrompit :

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« Et vous vous êtes acquitté de cette mission avec un zèle, une bonne grâce et une aménité qui nous ont touchés jusqu’au cœur.

— C’est vrai, ajouta lord Rodilan ; je n’ai jamais rencontré dans le monde où nous avions vécu jusqu’ici un esprit plus fin et plus délicat, un caractère plus égal et plus doux, une bienveillance plus aimable que celle que vous nous avez témoignée. »

Rugel souriait.

« Je n’ai fait que remplir auprès de vous, répondit-il, la tâche que m’avaient confiée les membres du Conseil Suprême, et vous me laisserez bien vous dire, à mon tour, que cette tâche m’a été aussi douce que facile. Lorsque nos Diémides — et c’est là, vous le savez, le nom que nous donnons aux rangs inférieurs de notre humanité — ont rencontré votre véhicule dans la caverne où ils venaient chercher ces cailloux brillants qui servent à orner nos édifices ou nos vêtements, et où la main de l’Être Souverain avait dirigé votre chute, ils l’ont conduit, par le canal qui sert de déversoir au lac de la caverne, jusqu’à la capitale de la province voisine.

« Déjà nos savants avaient été témoins de la tentative faite par les habitants de la Terre pour entrer en communication avec nous. Aussi le magistrat qui gouverne cette province n’a pas eu de peine à comprendre que cette maison flottante avait dû servir d’abri à des êtres humains, sans doute venus de la Terre. En voyant les traces des chocs, les éraflures que portaient ses parois, il resta effrayé en songeant aux terribles hasards de cette chute. Il était évident que vous étiez tombés dans une de ces fissures larges et profondes qui sillonnent la surface de notre globe. Vous avez dû vous heurter aux nombreuses aspérités qui en hérissent les parois, bondir et rouler à travers toutes ses sinuosités jusqu’à ce qu’enfin un dernier élan vous ait précipités dans le lac qui a amorti votre chute.

« La caverne dont il forme le fond est en effet située à une profondeur bien plus considérable que vous n’aviez pu le soupçonner. La distance qui la sépare de la surface peut être évaluée au soixantième environ du rayon de la Lune.

— C’est-à-dire, interrompit Marcel, à peu près soixante de nos kilomètres.

— Le magistrat, poursuivit Rugel, que le hasard mettait en présence de cette étrange découverte, s’attendait à ne trouver que des cadavres dans ce singulier véhicule ; le voyant vide, il comprit que le soin avec lequel tout avait été disposé à l’intérieur avait garanti les voyageurs, et il jugea que, s’ils l’avaient momentanément abandonné, c’était pour explorer la région où le hasard les avait conduits et se mettre le plus promptement possisle en rapport avec nous. Il fallait donc aller au plus tôt à leur recherche, et cela avec d’autant plus d’empressement que les voyageurs, perdus au milieu de l’obscurité, devaient se trouver dans le plus grand embarras et peut-être exposés à périr.

« Des émissaires furent envoyés dans toutes les directions et l’on finit par vous découvrir sur les bords mêmes du lac où l’on avait recueilli votre projectile.

— Et il était temps, fit Jacques avec une explosion de gratitude, que vous vinssiez à notre secours : sans vous nous allions mourir.

— Et de la mort la plus ridieule et la plus humiliante pour des gentlemen, fit lord Rodilan : mourir de faim et d’inanition.

— Ah ! oui, reprit doucement Rugel, car vous êtes sur votre Terre soumis à cette nécessité d’entretenir chaque jour en vous la vie par l’absorption d’éléments étrangers, nécessité dont nous sommes heureusement affranchis.

— Nous étions en effet à bout de forces, dit Marcel ; notre désespoir avait été immense lorsque nous avions constaté la disparition de notre obus. Cette disparition même prouvait que la Lune était bien habitée, comme nous l’avions pensé, et c’est au moment même de toucher le but que nous succombions. Nous n’avions pas voulu nous éloigner de ce lieu dans la pensée que ceux qui y étaient déjà venus pourraient y revenir, mais le besoin nous avait terrassés et nous nous endormions du dernier sommeil lorsque nous avons été arrachés à une mort certaine. »

L’entretien continua quelques instants encore sur ce ton de cordialité et d’aimable confiance, et Rugel prit congé de ses hôtes en les informant que leur réception par le magistrat suprême du monde lunaire était fixée au moment prochain où la Terre se trouverait à son premier quartier.

Depuis que, miraculeusement sauvés, nos trois voyageurs vivaient au sein de l’humanité lunaire, ils étaient dans un continuel et complet enchantement. Ceux qui les avaient recueillis les avaient trouvés évanouis au bord du lac dans la caverne obscure,

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et lorsque, rappelés à la vie par des soins intelligents, leurs veux s’étaient rouverts, ils s’étaient crus transportés dans un monde surnaturel. Ils étaient étendus sur de riches coussins dans une vaste salle dont les baies larges et hautes s’ouvraient à un air tiède et comme embaumé. Autour d’eux s’empressaient des êtres dont le visage sans barbe, les longs cheveux, la douceur des traits, les robes longues et flottantes, trahissaient le sexe. Leur voix était douce, et elles s’entretenaient dans une langue harmonieuse et sonore dont les accents, cadencés comme par un rythme caressaient l’oreille.

Bientôt ranimés, Marcel et ses deux compagnons sentirent se réveiller en eux les tortures de la faim. Ils désespéraient de se faire comprendre de celles qui les entouraient lorsque lord Rodilan, jetant les yeux autour de lui, reconnut, rangés dans la salle où ils se trouvaient, les divers objets qui garnissaient l’obus dans lequel ils avaient accompli leur étonnant voyage. Il désigna du doigt une boîte de forme carrée qu’on s’empressa de lui apporter et qu’il ouvrit avec effort.

Ses deux amis et lui se mirent à dévorer les biscuits qu’ils en retiraient avec une avidité gloutonne que Jacques, en sa qualité de médecin, ne tarda pas à modérer. Les femmes qui les entouraient donnaient, à ce spectacle évidemment nouveau pour elles, les marques de la plus complète stupéfaction.

« Qu’ont-elles donc à nous regarder ainsi ? grommelait lord Rodilan ; on dirait qu’elles n’ont jamais vu un honnête Anglais satisfaire son appétit. »

Et, comme le peu de nourriture qu’il avait prise lui avait rendu ses forces, il se leva et alla prendre un flacon de vieux bourgogne dont il se versa une large rasade, ainsi qu’à ses deux compagnons.

En les voyant absorber ce liquide qui leur était inconnu, les habitantes du monde lunaire passèrent de la stupéfaction au plus complet ahurissement.

« Les singulières personnes ! » murmurait Marcel.

Telle avait été l’entrée de nos trois voyageurs dans ce monde inconnu qu’ils venaient visiter de si loin.

CHAPITRE XII LE MONDE LUNAIRE

L’ignorance où ils se trouvaient de la langue des indigènes fut d’abord pour eux une source d’embarras et de difficultés ; mais ils avaient tous les trois trop de vivacité d’esprit pour qu’un pareil obstacle pût les arrêter longtemps.

Leur arrivée avait fait grand bruit ; de toutes parts on accourait pour voir ces représentants d’une humanité si voisine. On voulait savoir comment ils étaient faits, s’ils étaient intelligents, bons et doux ; on voulait savoir comment ils étaient venus ; on ne cessait de se faire raconter les circonstances dans lesquelles ils avaient été découverts.

Le monde lunaire tout entier était en émoi, et, sans les précautions dont le gouverneur de la province les entourait, les nouveaux venus auraient eu parfois à souffrir d’une curiosité peut-être un peu gênante. La nouvelle avait été promptement apportée à la capitale de l’État lunaire, où résidait, avec le Conseil Suprême du gouvernement, le chef de l’État.

Les sages qui formaient le Conseil avaient jugé qu’avant de présenter les trois étrangers au dépositaire de l’autorité souveraine, il convenait de les initier à la langue du pays, de façon à ce qu’ils pussent être interrogés et fournir sans embarras d’utiles explications sur le monde dont ils étaient les messagers.

C’est ainsi que le sage et savant Rugel, l’un des membres du Conseil, avait été placé auprès d’eux pour les préparer à la réception solennelle qui leur était réservée.

Intelligents comme ils l’étaient, ils n’avaient pas tardé à se familiariser avec la langue que parlaient les habitants de la Lune.

Cette langue, aux inflexions musicales et douces, était d’une extrême simplicité logique. La grammaire et la syntaxe, fondées sur des règles nettes et conformes aux lois mêmes de la pensée, dégagées de toute complication inutile et de toutes ces exceptions qui embarrassent nos langues européennes, étaient claires et faciles. Mais cette sobriété des formes essentielles n’excluait pas la richesse : le vocabulaire était abondant et chacune des nuances les plus délicates de la pensée trouvait pour l’exprimer un mot précis, facile à retenir, qui, le plus souvent, formait image et dont le son mélodieux charmait l’oreille.

Le même esprit d’exactitude méthodique présidait à l’écriture qui servait à représenter les mots de cette langue.

L’humanité lunaire ne présentait en effet qu’une race unique, toujours soumise aux mêmes influences de température et de milieu. Il n’avait donc jamais été parlé qu’un seul idiome qui était allé se perfectionnant à mesure que progressait la civilisation et que les conquêtes de la science apportaient à la pensée de nouveaux éléments. On ne rencontrait pas dans cette langue la variété de radicaux venus de sources différentes et ces chinoiseries d’orthographe que nous ont laissées tant d’idiomes disparus. Les mots étaient donc figurés tels qu’ils étaient prononcés par un petit nombre de caractères faciles à saisir et à tracer. Tout le monde parlait bien, tout le monde écrivait bien.

D’ailleurs, la curiosité des explorateurs était surexcitée par tout ce qu’ils voyaient, et le désir d’apprendre, déjà naturel à ces esprits d’élite, se trouvait singulièrement accru. Toutes les forces de leur intelligence se trouvaient tendues pour comprendre et admirer ce monde où tout leur semblait supérieur à ce qu’ils connaissaient.

Ils allaient d’étonnement en étonnement.

Cette humanité qui semblait, à force de science et de volonté, avoir conquis le droit de vivre dans un milieu étrange ; ces êtres d’une nature plus subtile, débarrassés du souci matériel d’entretenir quotidiennement leur vie par une nourriture grossière ; ces arts et ces industries bien plus perfectionnés que les nôtres et qui avaient déjà dérobé à la nature des secrets que nous soupçonnons à peine, discipliné des forces dont nous sommes loin encore d’avoir tiré tout le parti possible ; cette civilisation si avancée qu’elle était arrivée à simplifier les conditions de la vie, à faire disparaître les rivalités et les dissentiments qui divisent les hommes ; cette haute culture morale, cet amour éclairé du bien, cette sagesse pratique exempte d’austérité farouche et de rigorisme étroit ; enfin ces mœurs douces où l’affabilité et la bienveillance rendaient tous les rapports aimables et faciles, tout cela les enchantait et les ravissait.

Marcel était dans un perpétuel état d’exaltation et d’enthousiasme. Jacques n’avait pas oublié son amour pour Hélène ; mais, dans ce milieu plein de sérénité, il y songeait sans amertume et avec une douce espérance. Lord Rodilan lui-même, rattaché à la vie, était guéri de son spleen et ne regrettait plus d’avoir échappé à la mort.

Pour compléter et hâter leur instruction, Rugel leur avait fait parcourir les diverses régions de la contrée où vivait l’humanité lunaire, dont le chiffre ne dépassait pas douze millions d’habitants.

Le centre de cette contrée était occupé par une mer de dimensions à peu près égales à celles de notre Méditerranée, La surface de cette mer intérieure était semée d’îles nombreuses, quelques-unes de dimensions très restreintes et groupées en riants archipels ; d’autres, plus importantes et isolées, atteignaient les proportions de petits continents. Des États comme la Grèce, la Belgique, le Portugal, y auraient tenu sans peine.

Autour de ces rivages, que découpaient des golfes nombreux, où s’avançaient de pittoresques presqu’îles, s’étendaient de vastes régions sillonnées de nombreux cours d’eau, parsemées de villes florissantes, où vivait à l’aise une population bien moins dense que celle qui s’entasse dans nos étouffantes cités.

Le sol allait s’élevant par une pente insensible jusqu’à une région de montagnes inaccessibles, aux roches surplombantes, aux précipices insondables et dont jamais personne n’avait gravi les flancs inhospitaliers. C’est par delà cette ceinture impénétrable que s’élevaient les assises granitiques formant à la fois et les parois et la voûte de la caverne colossale qui renfermait un monde.

Ce milieu, où ne pénétraient jamais les rayons du soleil, était éclairé d’un jour égal et constant produit par la diffusion dans l’atmosphére de cette lumière de nature électrique dont l’aspect imprévu avait si étrangement surpris les trois voyageurs. Cette continuité de la lumière, que ne variait aucune alternative de jour et de nuit, faisait aux habitants du monde lunaire une existence toute différente de la nôtre. La vie ne s’y partageait pas en deux parties de longueur inégale, dont l’une est toute remplie de fièvre, d’agitations, de combats âpres et acharnés, et l’autre plongée dans les ténèbres, où la nature et l’humanité semblent ensevelies dans la nuit du tombeau.

La surface du sol y était toujours pleine de vie et comme souriante. Chacun y donnait à ses occupations tout le temps nécessaire, sans s’inquiéter des divisions des jours, puisque la lumière ne cessait de remplir l’espace, et se livrait au repos lorsqu’il sentait le besoin de réparer ses forces épuisées.

La nature, toujours logique dans sa prévoyance, avait disposé la vie animale en vue du milieu où elle devait se développer. Comme les hommes, les êtres inférieurs étaient organisés de facon à entretenir leur vie par la seule respiration. La lutte pour l’existence n’armait les uns contre les autres ni les individus d’une même espèce ni les espèces différentes. Aussi le regard n’était-il pas affligé par le spectacle de ces combats incessants où le faible, toujours sacrifié, sert à nourrir le plus fort ; et il n’était pas à craindre que cette absence d’ennemis acharnés laissât se développer outre mesure les diverses espèces animales : leur fécondité limitée suffisait à remplir les vides que la mort, naturellement survenue, faisait dans leurs rangs, sans que jamais aucune d’elles pût devenir envahissante.

Les animaux n’ayant pas à se défendre contre des ennemis sans cesse renaissants et n’ayant pas non plus à attaquer pour vivre, n’avaient nul besoin de cet arsenal d’armes variées et terribles dont la nature les a gratifiés sur notre globe. Pas de griffes acérées, de dents menaçantes, de dards envenimés. Aussi les espèces malfaisantes y étaient-elles inconnues.

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Les oiseaux venaient familiérement… (p. 110).

Des êtres doux et inoffensifs, n’ayant jamais eu à souffrir des attaques injustes de l’homme, et par conséquent à le redouter ou à s’en défier, s’en rapprochant du reste par leur intelligence et les instincts d’un naturel presque sociable, vivaient avec lui dans un état qui tenait le milieu entre l’indépendance et la domestication.

L’espèce qui semblait tenir le premier rang dans cette vie d’ordre inférieur offrait des analogies frappantes avec notre race canine. À la fois plus fine et plus forte, de forme plus svelte et plus élégante, elle vivait près de l’homme comme un compagnon affectueux et soumis.

Dans une plus étroite intimité avec les habitants de la Lune, vivait encore un autre animal de taille plus petite, d’allures moins vives, aux formes charmantes, souple et caressant, qui était comme l’hôte assidu de chaque maison. Sa robe aux poils longs et soyeux, offrait les couleurs les plus variées et les plus chatoyantes. Comme le plumage de nos oiseaux des tropiques, elle était tantôt de teinte uniforme et brillante, tantôt diversement nuancée, mais toujours douce et plaisante aux regards. De mœurs familières et paisibles, ces animaux n’avaient rien de l’égoisme féroce, de l’hypocrisie de notre race féline. Ils semblaient avoir fait à l’homme le sacrifice de leur liberté, et leurs yeux, expressifs et doux, montraient qu’ils étaient sensibles à l’affection dont ils étaient l’objet.

D’autres animaux dont la taille et les formes rappelaient celles de nos daims, de nos cerfs et de nos gazelles ou dont le pelage de couleurs variées était tantôt zébré ou capricieusement tacheté comme celui de nos tigres et de nos léopards, dont ils n’avaient ni la férocité ni les instincts sanguinaires, peuplaient la campagne.

Les familles des oiseaux, bien moins nombreuses que chez nous, se faisaient, en revanche, remarquer par la beauté et l’éclat de leur plumage et l’harmonie de leurs chants. Comme ils n’avaient pas plus que les autres êtres animés de raisons pour redouter l’approche de l’homme, ils venaient familiérement à son appel, peuplaient les bosquets qui entouraient les habitations, pénétraient dans les demeures qu’ils égayaient de leurs gazouillements et de leur présence.

Dans les mers, dans les fleuves, dans les lacs, vivaient quelques races de poissons dont rien ne troublait jamais la tranquille existence et qui semblaient n’être là, comme le dit un poète ancien, que pour qu’aucun des éléments de la nature ne restât privé d’habitants.

Dans ce milieu presque complètement clos, la clarté du jour et la température ne subissaient que de légères variations. La lumière qui l’éclairait était analogue à celle que répand sur notre terre le soleil lorsque, dans les journées d’été, il s’élève au matin voilé des brumes qui se forment à la surface du sol refroidi pendant la nuit. Cette clarté était douce, irisée des teintes du prisme singulièrement attendries, délicatement nuancées, et qui semblaient se succéder en ondulations harmonieuses ; elle n’était assombrie que lorsque les vapeurs qui s’élevaient des mers se condensaient dans les hautes régions de l’atmosphère en nuages légers et changeants, ui parfois se résolvaient en une pluie fine dont l’ondée vivifiante faisait s’épanouir les fleurs et augmentait leurs parfums. La température s’abaissait alors de quelques degrés, mais jamais assez pour qu’une sensation de froid vint surprendre les habitants et diminuer leur activité.

Cette tiédeur constante de la température, ces pluies bienfaisantes donnaient au sol une merveilleuse fertilité. Les campagnes n’étaient pas cultivées, puisque les habitants de ces heureuses régions n’étaient pas astreints à la nécessité d’arracher péniblement à la lerre des aliments indispensables à une vie inférieure et matérielle. Aussi les plantes s’y épanouissaient en pleine liberté. Toutefois, privée de la lumière du soleil, la végétation y offrait un aspect étrange auquel l’œil de nos Européens avait eu quelque peine à s’accoutumer. Le sol était généralement couvert d’un gazon épais et fin, d’un vert pâle et qui parfois atteignait la couleur d’un blanc légèrement teinté.

Sur ce fond d’un ton très adouci s’enlevaient des bouquets de bois d’une verdure un peu plus sombre. Les troncs élevés et recouverts d’une écorce tantôt blanche et marbrée, tantôt lisse et verte, tantôt striée de bandes longitudinales plus ou moins foncées, étendaient leurs branches couvertes de feuilles aux formes bizarrement découpées. Ces feuilles n’étaient pas d’une couleur uniforme. Les unes, panachées et légères, étaient presque transparentes, et la lumiére qui les traversait leur donnait un éclat semblable à celui des fleurs ; d’autres, formées d’un tissu fin et cotonneux, découpées comme une fine dentelle, semblaient vaporeuses et légères.

Parfois, au milieu des prairies, s’élevaient des végétaux gigantesques, au tronc colossal, étendant dans tous les sens leurs rameaux vigoureux et tout chargés de longues et larges feuilles qui, comme des voiles de gaze mordorée, ondulaient au moindre souffle, et où la lumière s’irradiait en couleurs variées. D’autres enfin, de moindre hauteur, au tronc lisse et d’un vert plus vif, dressaient dans les airs leurs feuilles lancéolées, aux nervures épaisses, à la pointe armée d’une sorte de dard.

Tous ces arbres, d’essences diverses et inconnues à nos voyageurs, portaient des fleurs aux formes étranges et capricieuses ; mais ces fleurs, comme celles qui émaillaient les campagnes, étaient toutes de couleurs voilées et d’un éclat en quelque sorte attiédi. On n’y voyait point, comme sur la terre, ces rouges éclatants et d’une pourpre saignante, ces jaunes rutilants qui ressemblent à de l’or en fusion, ces bleus et ces violets vigoureux et profonds ; mais des roses pâles, des jaunes qui semblaient atténués par le temps, des bleus tendres, des rouges éteints aux reflets violâtres. Seul le blanc, que caressait la lueur légèrement bleutée de l’atmosphère, prenait à ce contact un lumineux éclat.

Sous cet heureux climat, où il n’y avait jamais d’hiver, les forêts ue dépouillaient jamais leur parure, les gazons n’étaient jamais sans fleurs ; elles se succédaient sans relâche et le regard en était toujours charmé.

Pour des yeux habitués aux couleurs violentes et quelquefois heurtées qu’affectent chez nous les plus riches floraisons, l’aspect général de la nature pouvait paraître un peu fade et un peu monotone ; mais la vue s’habituait bientôt à ces tons d’une douceur infinie et dont les mille nuances et la diversité délicate ravissaient et reposaient à la fois.

Les villes étaient nombreuses, construites comme celle qu’habitaient nos voyageurs et qui était, à proprement parler, la capitale du monde souterrain : car c’était là que siégeait, avec le Conseil Suprême, le chef de l’État. Mais la capitale ne se distinguait pas autrement des autres cités. Comme le sol appartenait à tous et que nul n’avait intérêt à disputer à autrui une part de la propriété commune, chacun avait pu donner à sa demeure les proportions qu’exigeait le nombre des membres de sa famille ou sa propre fantaisie.

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Les rues étaient larges et spacieuses, dallées d’une sorte de matière semblable au verre dont les coloris divers, disposés avec art, formaient une espèce de mosaïque. Les végétaux qui les bordaient, les jardins qui entouraient les maisons, les larges espaces plantés et d’arbustes toujours couverts de feuillage et de fleurs, donnaient à toutes ces villes un aspect riant et paisible. De nombreux véhicules électriques, légers, rapides et de formes gracieuses, roulant sans bruit, les sillonnaient dans tous les sens. Les routes qui reliaient les villes n’étaient que la continuation des rues qui les traversaient ; elles étaient plantées et pavées de la même facon.

Dans la campagne, à certaine distance des villes, s’élevaient des habitations solitaires, asiles préférés de quelques sages jaloux de ne pas être troublés dans leurs méditations par le mouvement des cités.

Grâce à un système de locomotion électrique qui permettait d’obtenir, avec des appareils d’un très petit volume, une force propulsive très considérable, les communications entre les diverses villes étaient rapides et fréquentes. Ils avaient en effet découvert un métal avec lequel la constitution géologique du globe terrestre n’offre rien d’analogue. De couleur bleuâtre, d’une densité inférieure à celle de l’aluminium, moins fusible que le platine, plus magnétique que le fer doux, il avait la propriété de se charger à l’air libre d’électricité, de l’emmagasiner et de former ainsi de véritables accumulateurs d’une extrême puissance et d’une durée presque indéfinie.

Les principales villes étaient reliées par un réseau de voies ferrées dont l’étrangeté avait causé aux trois habitants de la Terre une profonde surprise lorsqu’ils les avaient vues pour la première fois.

Tout y était nouveau, en effet.

Qu’on se figure des véhicules de forme élégante et légère, évidés par le haut et renflés par le bas, reposant des deux côtés sur l’extrémité d’un essieu servant d’axe à une sorte de sphère formée de quatre grands cercles métalliques se coupant angle droit, et dont l’un, perpendiculaire au véhicule et muni d’une gorge, court sur un rail unique. Comment un semblable appareil pouvait-il se maintenir en équilibre ?

Ce fut le problème que se posa tout d’abord l’ingénieur Marcel, et dont la solution, aussi simple qu’originale, l’émerveilla.

Les savants de la Lune n’avaient fait là qu’appliquer à la locomotion le principe du gyroscope.

On sait qu’un corps solide, comme par exemple un disque métallique, soumis à un rapide mouvement de rotation sur son axe, conserve invariablement son plan de rotation et par conséquent son axe tant que la vitesse initiale n’est pas modifiée. C’est sur ce point que le physicien Foucault s’était fondé pour construire l’instrument qui lui servit à démontrer la rotation des planètes. Son gvroscope, en effet, se maintient en équilibre, suspendu en porte-à-faux tant qu’il conserve la même vitesse de rotation.

C’était, dans l’appareil qui causait la surprise de Marcel, l’application de la même loi physique.

Au centre de la sphère sur l’axe de laquelle reposait le véhicule, était disposé un disque ou plutôt une sorte de volant métallique très pesant, animé par un moteur électrique d’un mouvement de rotation extrêmement rapide, dans le plan même de la roue à gorge qui reposait sur le rail. Le diamètre et le poids de ce volant, ainsi que la vitesse qui lui était imprimée, tout était calculé en vue de la charge que l’axe de la sphère était appelé à supporter. Tant qu’il conservait sa vitesse, l’appareil tout entier gardait sur le ruban de métal un équilibre fixe et invariable, assez stable pour n’être pas rompu par le va-et-vient des voyageurs. Le train ainsi formé était mis en mouvement par un moteur électrique indépendant, disposé sur le premier des véhicules, qui constituait ainsi une sorte de locomotive électrique, dont la forme en coupe-vent très aigu diminuait de beaucoup la résistance atmosphérique.

Ce système avait pour conséquence, puisque le tout roulait sur un seul rail, de réduire le frottement à son minimum et d’augmenter proportionnellement la vitesse obtenue. Il en résullait aussi pour l’établissement des voies de précieuses facilités.

En effet, le rail reposait sur des piliers métalliques placés de distance en distance et dont les hauteurs, variant suivant les inégalités du sol, maintenaient la voie dans un plan toujours horizontal. Ainsi étaient évités ces travaux de terrassements, ces tranchées, ces remblais, tout ce qui rend si long et si pénible l’établissement des voies ferrées terrestres ; pas d’autres ouvrages d’art que quelques ponts hardis, également métalliques, jetés sur une gorge profonde ou sur un cours d’eau.

Toujours soucieux de parer aux accidents possibles, les ingénieurs lunaires avaient prévu le cas où, pour une cause quelconque, le courant moteur venant à faire défaut, le train serait menacé de perdre son équilibre.

Ils y avaient pourvu par un ingénieux système de freins. Le rail, de dimensions et de force bien supérieures à ceux en usage sur la terre, avait aussi la forme d’un champignon, à cette différence près qu’il était évidé plus profondément et en retrait de facon à offrir de chaque côté une gorge dont une semelle d’acier pouvait épouser exactement la forme ; cette semelle terminait, à droite et à gauche du rail, un bras de levier très puissant, disposé sous les véhicules et formant ainsi un triangle isocèle dont le rail était le sommet. Quand le train était en marche, ces deux semelles d’acier se maintenaient assez écartées pour qu’aucun frottement ne pût se produire. Aussitôt que le courant actionnant les gyroscopes venait à cesser ou même à diminuer et que la stabilité des véhicules se trouvait compromise, les deux semelles se rapprochaient du rail, y adhéraient fortement et formaient ainsi au train une base inébranlable. Pour déterminer ce rapprochement, un mécanisme automatique était disposé sur le véhicule locomoteur. Là, se trouvaient en effet, sous les veux de ceux qui conduisaient le train, des appareils enregistreurs dont les aiguilles indiquaient à la fois avec précision le nombre de tours accomplis par les gyroscopes dans l’unité de temps, la force et l’intensité du courant électrique. Aussitôt que l’aiguille atteignait le chiffre minimum, un déclenchement se produisait et les semelles de tous les freins, saisissant à la fois le champignon du rail, maintenaient le train en équilibre. Il suffisait alors d’interrompre le courant qui activait l’appareil locomoteur pour qu’en peu d’instants le train s’arrétât sans secousse.

Tout cela était léger, aérien, silencieux, et les trois amis ne pouvaient se lasser d’admirer le génie fertile qui avait imaginé ces trains hardis qu’on voyait fendre l’air avec rapidité et dont un faible bruissement signalait seul le passage.

Ce système de transports servait aux besoins généraux et industriels ; mais, pour les communications particulières ou les déplacements individuels, il existait d’autres moyens d’un usage commode et facile.

Dans cette atmosphère saturée d’électricité, où dominait l’ozone, c’est-à-dire l’oxygène électrisé, il y avait là un réservoir inépuisable de forces naturelles que la science très avancée des habitants de la Lune avait pliées à tous leurs usages.

C’était un jeu pour eux, avec le moteur léger et puissant dont ils disposaient, de construire des appareils qui, plus lourds que l’air, et prenant leur point d’appui dans le milieu ambiant, pouvaient se diriger avec sûreté dans l’atmosphère et franchir sans encombre et avec rapidité des distances considérables.

Un ingénieux système de parachutes qui, sous un petit volume, offraient une large surface de résistance et se déployaient automatiquement, prévenait les accidents, toujours à craindre, même avec les engins les plus perfectionnés, et assurait à ce genre de transports une sécurité complète. Après de longs tâtonnements, les physiciens lunaires avaient reconnu que le mode de propulsion le plus simple et le plus pratique était celui de l’hélice auquel, sur la Terre, on n’est arrivé que si tard.

Les oiseaux fatiguaient leur vol à suivre ces nefs légères qu’une seule personne suffisait à diriger et à maintenir dans la direction voulue.

C’était le fluide électrique lui aussi qui mettait en mouvement les embarcations de toutes sortes qui flottaient à la surface de la mer intérieure, remontaient le cours des fleuves ou même, plongeant sous les eaux, allaient explorer les couches profondes de ces mers inconnues.

Tout, dans ce monde si différent de la Terre, respirait le calme et la paix de l’âme ; tous, affranchis des besoins matériels, semblaient n’avoir d’autre souci que de développer leur intelligence ou de s’abandonner aux sentiments du cœur les plus tendres et les plus élevés. La sérénité de leurs traits, la franchise de leur regard, la bienveillance de leur sourire montraient que leur âme était libre de toutes les ambitions mesquines, de toutes les passions égoïstes qui rendent si misérable la condition de l’humanité terrestre.

On n’y connaissait guère d’autres tristesses que celles qui pouvaient résulter de la perte des êtres qu’on chérit, de quelque enfant arraché, à l’aurore de la vie, à l’affection de ses parents, d’une compagne bien-aimée, d’un ami ou d’un maître vénéré, ou encore de ces inquiétudes ou de ces tourments dont ne peut se défendre l’âme des sages, alors que, tout entiers à la recherche de quelque important problème, ils voient fuir devant eux la solution qu’ils ont longtemps poursuivie.

Nos voyageurs se demandaient cependant où, comment et par qui étaient construits les monuments qui excitaient leur admira tion, les machines et les appareils si divers qui répondaient d’une manière si commode et si complète à toutes les exigences de la vie.

Ils n’avaient en effet, dans les villes et dans les campagnes qu’ils avaient parcourues, aperçu nulle part les traces d’un travail industriel. Ils devaient apprendre, en prolongeant leur séjour dans le monde lunaire, qu’au delà de la limite des régions qu’ils avaient visitées, se trouvaient d’autres agglomérations d’habitants différentes de celles qu’ils connaissaient déjà.

C’était dans le voisinage des montagnes dont nous avons déjà parlé, que se dressaient ces cités véritablement industrielles. Là, on extrayait du sol les métaux utiles ou précieux ; là, on les mettait en œuvre ; de là sortaient tout fabriqués les ustensiles nécessaires aux divers usages de la vie et tous les appareils que comporte un état de civilisation très avancée.

C’était la classe des Diémides qui était employée à ces travaux multiples.

CHAPITRE XIII DIÉMIDES ET MÉOLICÈNES

Comme dans toutes les réunions d’êtres humains, intelligents et moraux, soumis à la grande loi du progrès, et qui s’élèvent sans cesse dans la voie d’un bien-être de plus en plus complet, d’une connaissance de plus en plus large et d’une moralité de plus en plus haute, l’humanité lunaire avait, dès le début, présenté des aptitudes diverses, des capacités différentes.

Là, comme partout où nous pouvons concevoir des êtres vivants et perfectibles, la lutte pour l’existence, dont chaque pas en avant est une conquête sur la nature, l’influence des milieux, la sélection et l’hérédité avaient fait leur œuvre. Pendant que les uns mieux doués, mieux armés, avaient pu cultiver leurs facultés dans des conditions plus favorables et devenaient supérieurs par la science et la pratique du bien, les autres ne suivaient que de loin et d’un pas plus lent cette marche dans la route du progrès indéfini.

Toutefois, comme les habitants de la Lune n’étaient pas soumis aux mêmes nécessités que ceux de la Terre, comme ils étaient par nature d’une essence moins grossière et moins asservis aux exigences de la matière, leur point de départ avait été plus élevé que celui de nos races primitives ; le développement de cette humanité privilégiée avait été plus rapide et plus complet. La distance qui séparait les couches extrêmes de cette hiérarchie morale était bien moins considérable que celle qui existe sur la Terre entre les produits raffinés de nos civilisations européennes et les barbares grossiers qui errent dans la brousse de l’Afrique centrale ou dans les déserts de l’Australie.

D’un naturel doux et paisible, pénétrés dans une large mesure de l’amour du bien, du respect de la science et de l’ambition légitime de s’élever toujours plus haut, les Diémides — c’est-à-dire en langage lunaire ceux qui aspirent à une condition meilleure — acceptaient avec joie ces travaux qui servaient à l’utilité commune de la grande famille dont ils faisaient partie. Du reste, les incessantes découvertes des savants qui dérobaient chaque jour à la nature quelque nouveau secret, et qui employaient à leur usage, en les disciplinant, des forces qui nous sont encore inconnues, rendaient ces travaux toujours plus faciles et moins répugnants.

D’ingénieux procédés, des machines d’un mécanisme aussi simple que sûr permettaient d’extraire presque sans effort les matières premières que le sol fournissait en abondance, de fabriquer sans peine tous les objets utiles, et réduisaient à son minimum le travail de l’homme, dont le rôle se bornait à conduire et à surveiller la marche d’un outillage perfectionné.

D’ailleurs, le grand sentiment de justice et d’amour qui régnait dans cette société épurée rendait douce aux Diémides leur condition et réservait à chacun la perspective des plus précieuses récompenses. Là chacun tenait le rang que lui assignaient exactement son mérite et sa valeur morale. Quiconque par son intelligence, par les services rendus, par le bon exemple donné, se distinguait de ceux au rang desquels l’avait placé sa naissance, s’élevait d’autant dans l’échelle sociale : à tout progrès dans la dignité morale correspondait une élévation proportionnelle dans la dignité sociale. De cet ensemble de mœurs et d’institutions qui s’étaient librement et spontanément établies chez ces races naturellement portées au bien, était résultée une hiérarchie fixe quant aux démarcations qui séparaient les diverses classes, mais essentiellement mobile pour les individus, qui pouvaient toujours, par la continuité de leurs efforts, monter vers les classes supérieures. De là un ordre social d’où étaient exclues toute envie et toute basse jalousie, où régnaient dans tous les rangs le sentiment du devoir accompli et la paix qui l’accompagne.

Au degré le plus inférieur de l’échelle se trouvaient ceux des Diémides qui étaient employés aux industries extractives ; au-dessus les constructeurs, ceux qui élevaient les habitations ou qui façonnaient les machines, objets mobiliers et engins divers. Plus haut enfin ceux qui, sous la direction des artistes, peintres, seulpteurs, architectes, ingénieurs, décoraient les édifices, sculptaient ou ciselaient le bois, la pierre ou le métal.

Là s’arrétait le role des Diémides.

La hiérarchie se continuait dans la classe supérieure appelée les « Méolicènes », c’est-à-dire les hommes de l’intelligence.

À vrai dire, il n’y avait d’autres distinctions entre les deux branches de ce grand peuple que la nature du travail auquel on s’employait. Tant que ce travail était entièrement ou surtout matériel, on restait dans la classe des Diémides. Lorsque l’œuvre à laquelle on était voué exigeait l’emploi exclusif des facultés de l’intelligence, on entrait dans la classe supérieure des Méolicènes. Et là encore se continuait une marche ascendante jusqu’au rang le plus élevé où se tenaient les sages dont le vaste esprit embrassait le principe de toutes les sciences, les lois générales de l’univers, et les grandes vérités morales qui servaient de guide à cette humanité déjà si avancée dans la voie de la perfection.

Comme le culte et la pratique du bien étaient, dans ces natures d’élite, en harmonie avec l’étendue des connaissances, les premiers d’entre les Méolicènes unissaient à la plus complète sagesse la plus inaltérable vertu.

Dégagés de ce qui pouvait exister encore dans les rangs inférieurs de faiblesses humaines, de défaillances, d’imperfections morales, ils semblaient vivre dans une atmosphère éthérée où ne parvenait jamais rien de bas ou d’impur. Ils dominaient par la puissance de leur esprit, la possession presque complète des secrets de la nature qui mettaient entre leurs mains des forces capables au besoin de détruire le monde qu’ils habitaient, et surtout par la sérénité de leur vie et l’autorité que leur donnait la réalisation constante de tout ce qui est bon, honnête et juste.

Ils formaient le Conseil Suprême du magistrat qui était à la tête de cette sorte de république.

Ce chef de l’État, dont les pouvoirs duraient autant que sa vie, était élu par les membres de ce conseil et toujours choisi parmi eux.

Dans cette assemblée de sages il ne pouvait être question d’intrigues ou de compétitions vulgaires : c’était toujours au plus digne qu’allaient les suffrages de ses collègues.

Ses fonctions consistaient à diriger les délibérations de l’assemblée qu’il présidait, et à prendre de son initiative propre toutes les mesures qu’il jugeait utiles au développement matériel et moral de la société tout entière.

Il figurait au premier rang dans toutes les cérémonies publiques ; il était à la fois le chef de la religion et de la cité. Ce double caractère auguste et sacré, la conviction de tous qu’il était le premier par la science, par la sagesse et par la vertu, lui assuraient une autorité devant laquelle chacun s’inelinait avec respect.

Dans ce milieu où la situation sociale était marquée par la seule valeur personnelle, aucun privilège n’était réservé à la naissance : tous naissaient égaux, tous passaient par les mêmes épreuves. L’enfant, qu’il fût issu d’un Diémide ou d’un Méolicène, était élevé jusqu’à la puberté au sein de la famille. Sans distinction de sexe, il recevait de la bouche des sages les éléments de toutes les connaissances utiles ou agréables qui devaient lui permettre de remplir plus tard le rôle auquel la nature l’avait destiné. Les jeunes gens y puisaient les principes des sciences qu’ils auraient à appliquer dans les fonctions diverses que leur gardait la hiérarchie sociale. Les jeunes filles, dans l’âme desquelles on cultivait surtout le sentiment du beau, s’y formaient à la culture des arts, sans que ces aspirations vers l’idéal pussent jamais altérer la réserve et la modestie si naturelles à leur sexe et qui font le charme de la vie.

Et ceux qui étaient chargés de distribuer ainsi l’enseignement, et qui avaient la mission délicate de discerner dans chacun les aptitudes dominantes et d’en favoriser le développement pour le plus grand bien de l’intérêt commun, étaient des plus honorés parmi les Méolicènes.

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Pour les jeunes filles, leur vie se continuait au foyer domestique jusqu’à ce que le choix d’un époux vint les faire sortir de la maison paternelle.

Comme nul ne pouvait songer à s’enrichir ni à s’élever par de mauvais moyens au-dessus des autres, et comme il n’y avait pas de propriété individuelle, chacun recevait sa part légitime du fonds commun, et par suite il n’y avait ni transactions, ni salaires, ni monnaies d’aucune sorte ; aussi ne pouvait-il être question de fortune ou de dot. Tandis que, sur la Terre, on se lance éperdüment à la chasse des riches héritières et, sans se préoceuper des qualités de l’esprit et du cœur, on ne vise que des apports opulents ou de basses espérances, heureux et envié lorsqu’on a brillamment réussi dans ces honteux calculs, l’amour seul, confiant et désintéressé, présidait là aux unions, dont il assurait à la fois le bonheur et la dignité.

Lorsqu’une sympathie réciproque avait rapproché deux êtres, lorsque la sincérité de leurs sentiments, qu’ils ne pouvaient songer à dissimuler, avait consacré ces premiers mouvements du cœur, nul ne s’inquiétait de savoir à quel rang de l’échelle sociale se trouvaient placés ceux qui aspiraient à s’unir pour fonder une nouvelle famille. Sur ce terrain, pas de distinction entre les Diémides et les Méolicènes.

Du reste, le fonctionnement même des institutions qui régissaient l’humanité lunaire rendait impossible la formation d’une aristocratie de race : on ne s’inclinait que devant la supériorité intellectuelle et morale acquise par un travail incessant et constatée par de nombreuses et décisives épreuves.

Pour s’en rendre compte, il faut revenir sur l’éducation donnée aux jeunes gens.

Lorsqu’ils étaient entrés dans l’adolescence, tous sans distinction, qu’ils fussent issus des plus élevés des Méolicénes ou des plus humbles des Diémides, prenaient rang dans la classe de ces derniers et devant eux s’ouvrait une carrière de perfectionnement et de progrès.

Tous commencaient par être employés aux travaux purement manuels et qui ne réclamaient que l’usage des forces physiques. Mais ces travaux qui, pour la plus grande partie, étaient exécutés par des machines dont l’électricité était l’inépuisable moteur, leur fournissaient l’occasion d’exercer à la fois leur intelligence et leur sentiment artistique. Une fois que les matériaux étaient extraits et grossièrement mis en œuvre, ils n’avaient plus qu’à les façonner, leur donner la forme définitive et, quel que fût l’usage auquel ils étaient destinés, depuis les supports puissants sur lesquels reposaient les lignes ferrées et les blocs qui servaient d’assises aux monuments jusqu’aux organes les plus délicats des appareils compliqués et aux meubles qui garnissaient et ornaient les demeures, tout, chez ce peuple si éminemment doué, revêtait des formes d’une élégante et harmonieuse variété.

Ces occupations, du reste, leur laissaient de nombreux loisirs ; et, en même temps qu’ils travaillaient à l’utilité commune, ils poursuivaient la culture de leur esprit et s’efforçaient de se rendre dignes d’une condition supérieure.

Les savants qui dirigeaient leurs travaux et distribuaient à chacun sa tâche, étaient aussi ceux qui les guidaient dans le développement de leur instruction scientifique et morale. C’était ainsi une vaste famille, où l’autorité était aimée et respectée parce qu’elle était toujours bienveillante et juste, où l’obéissance était facile et douce, car elle ne reposait pas sur la crainte d’un pouvoir tyrannique ou jaloux, mais sur une affection réciproque et un constant désir de bien faire.

Ces savants, qui étaient aussi des sages, suivaient d’un œil attentif l’œuvre de chacun ; ils jugeaient du mérite, des efforts accomplis, des résultats obtenus, et, aussitôt que l’un de ceux qui étaient soumis à leur direction avait, par son travail personnel, augmenté la somme de ses connaissances et s’était rendu capable de rendre à la société des services d’un ordre plus élevé, ils le désignaient pour prendre rang dans une classe supérieure.

Et ces décisions que dictaient seuls l’esprit de justice et le sentiment du bien commun, étaient acceptées sans contestation, sans jalousie et sans envie.

Celui qui s’élevait ainsi dans l’échelle sociale ne voyait autour de lui que des visages souriants, que des mains tendues pour le féliciter de son heureux succès : tant la conviction régnait du haut en bas de cette société que tout devait tendre et tendait en effet à la prospérité et au bonheur de tous.

Il n’était pas cependant donné à tous ceux qui formaient la classe des Diémides de marcher d’un pas égal dans la voie de progression qui leur était ouverte. Ceux qui, comme il est naturel dans toute réunion d’hommes, étaient moins bien partagés au point de vue de l’intelligence, ne franchissaient jamais les degrés inférieurs ou ne pouvaient jamais sortir du rang des Diémides ; mais la moralité, l’esprit d’ordre et de soumission étaient les mêmes chez tous. Et ainsi s’accomplissait d’une façon régulière et constante, sans opposition, sans regets et sans amertume, la sélection rationnelle qui assurait à chacun la place qui lui convenait le mieux.

La condition des femmes était telle qu’on peut la concevoir dans un monde exempt de passions, d’ambitions mesquines ou de puériles vanités. Quel que fût l’époux de leur choix, Diémide ou Méolicène, toutes étaient également considérées. Du reste, s’il existait pour les hommes des distinctions de classes, des degrés hiérarchiques, rien de semblable ne se rencontrait pour les femmes. Et la raison en était simple : là point de riches ni de pauvres ; la vie matérielle, ramenée à sa plus simple expression, réduisait à n’être plus qu’un jeu ces soins du ménage qui sont souvent chez nous si fastidieux et si rebutants.

Nul n’était réduit à la condition servile de rendre à son semblable des services humiliants. La dignité de chacun, à quelque classe qu’il appartint, était ainsi respectée, et on n’avait pas à souffrir de ces vices dégradants qu’engendre sur la Terre la domesticité : la jalousie et la haine, le mensonge et la fraude qui se dissimulent sous les formes de la complaisance et de l’obséquiosité.

Pendant que les hommes remplissaient leurs fonctions sociales, — nul en effet n’était là oisif ou désœuvré, — aux femmes était réservé le soin d’orner et d’embellir leurs demeures, d’élever les enfants et aussi de cultiver en elles le sentiment exquis des arts, du dessin et de la peinture, de la musique ou de ces ouvrages délicats et charmants qui rehaussaient l’éclat des vêtements et ajoutaient à leur beauté l’attrait de la parure.

Le goût qui présidait à leurs ajustements était toujours réglé par un sentiment très juste de mesure et de décence ; rien n’y était donné à la vanité, à l’ostentation, au besoin de paraître, qui gâte si souvent chez les femmes de la Terre les plus précieuses qualités. Leurs traits, réguliers et purs, n’offraient pas ces spécimens de laideur pénible qui chez nous font parfois sourire et aliènent toute sympathie. Leurs visages étaient empreints d’une douceur attachante et d’un agréable enjouement. Un art faux et malsain n’aurait pu y rien ajouter ; la nature leur suffisait, et il ne leur serait pas venu à l’esprit de recourir à de vains artifices pour exagérer l’opulence de leur chevelure, la fraîcheur de leur teint, l’éclat de leurs regards.

Elles ignoraient également cette coquetterie désespérée des femmes qui ne veulent pas vieillir, dont l’esprit frivole et le cœur léger s’alarment à la première ride et aux premiers cheveux blancs. La pensée de lutter contre les lois qui président à la transformation de tous les êtres n’aurait pu germer en elles : elles passaient sans trouble de la jeunesse à l’âge mûr et à la vieillesse, toujours aimées, respectées, honorées.

Du reste, leur visage gardait toujours, même dans l’âge le plus avancé, un grand air de noblesse et de bonté. La franchise et la sincérité absolues qui étaient une loi de leur nature et la condition de leur supériorité morale, rendaient impossibles chez elles ces dissimulations perfides, ces roueries, ces trahisons qui ont si souvent causé sur la Terre le désespoir et la ruine. Les médisances, les calomnies, les bavardages insipides, les insinuations méchantes où se complaisent d’ordinaire dans notre monde inférieur les esprits oiseux ou vides de nos sociétés mondaines, étaient complètement inconnus.

Les liens créés par la nature, consacrés par l’affection et rehaussés par une grande dignité morale, étaient saints et respectés. Chaque famille offrait un tableau complet de concorde et d’amour, où se reflétaient l’ordre et l’harmonie qui régnaient dans la société tout entière.

Les croyances religieuses étaient bien celles qui convenaient à ce monde épuré. Dès l’origine, ses habitants avaient été par la haute puissance de leur raison tenus à l’abri de ces superstitions grossières qui ont marqué chez nous le lent développement de nos civilisations. L’idée d’une Intelligence Souveraine, infinie, source de toutes choses, centre de tout bien et de toute beauté, n’avait pas eu besoin de s’incarner pour eux dans des formes d’abord d’un matérialisme barbare, puis peu à peu plus abstraites et plus parfaites.

Elle s’était, dès l’origine, présentée à eux dans toute sa simplicité et son inaltérable splendeur.

Aussi jamais n’avaient-ils jugé à propos d’enfermer la divinité dans des temples, ni de soumettre le culte qu’ils lui rendaient à des manifestations souvent cruelles et sanglantes, parfois puériles ou ridicules.

Chacun, dans son for intérieur, rendait à la divinité un hommage libre et pur, reportait sur l’Auteur de toutes choses ses joies ou ses tristesses, et, en dehors de tout rite étroit et de toute liturgie, s’abandonnait, dans toute la spontanéité d’une conscience qu’aucune autorité ne venait contraindre, à ses sentiments de reconnaissance et d’adoration.

À de certaines époques, le chef de l’État conviait à des cérémonies publiques, d’un caractère à la fois patriotique et religieux, tous les habitants du monde lunaire, et c’était à cet appel tout paternel que se bornait l’exercice de son autorité religieuse.

Pour ces cérémonies qui entretenaient dans les générations successives la chaîne des traditions, les poètes composaient des chants, des hymnes inspirés, les musiciens faisaient entendre les plus ravissantes mélodies. On y célébrait le souvenir de ceux dont le génie avait doté l’humanité de quelque grande et féconde découverte, des sages qui avaient formulé les préceptes d’une morale sublime, et la voix de tout un peuple montait vers le ciel en accents de joie et de gratitude.

Rien dans ce culte si élevé qui ressemblât à ces controverses théologiques où un fanatisme aveugle déchaîne ses fureurs intolérantes et qui ont fait couler des torrents de sang et de larmes. Rien non plus de pareil à ces disputes philosophiques, vaines et stériles, où des esprits infatués de leur propre puissance se perdent dans les brouillards d’une incompréhensible métaphysique.

Tout était simple, tout était noble, tout était grand.

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CHAPITRE XIV LA RÉCEPTION

Le jour fixé pour la réception des étrangers était arrivé. C’était dans le palais où siégeait le chef de l’État et où se réunissait le Conseil Suprême que devait avoir lieu cette cérémonie qui allait consacrer d’une impérissable façon le succès de la plus audacieuse entreprise qu’aient jamais tentée des créatures humaines. Le bruit de cette solennité s’était répandu dans tout le monde lunaire : chacun était avide d’y assister et tout s’accordait pour l’entourer d’une exceptionnelle magnificence.

Le palais s’élevait à quelque distance du rivage où la mer venait briser ses flots tranquilles, au centre d’une vaste place bordée de portiques de marbre dont les couleurs variées rappelaient le porphyre, le portor, le paros, le sanguinède, le jaspe.

Autour des colonnes et des piliers se tordaient des guirlandes de fleurs et de feuillage en métaux précieux, merveilleusement fouillés, et dont les éclats tour à tour fauves ou azurés se mariaient à la couleur des marbres qu’elles décoraient. Le long des entablements et sur les frises couraient des arabesques du travail le plus fini. Sur ce fond d’une teinte chaude se détachait vigoureusement le palais dont la blancheur était atténuée par la multiplicité des ornements qui en couvraient les murs. Des générations d’artistes s’étaient succédé pour embellir ce fastueux monument où se résumait en quelque sorte l’histoire du monde lunaire.

Au centre de l’édifice s’élevait un dôme d’une élégante hardiesse, surmonté d’un campanile svelte et léger, finement ajouré. Ce dôme était recouvert d’un lacis d’ornements métalliques, dont les ciselures laissaient apercevoir entre leurs réseaux capricieux l’éclatante blancheur du marbre qu’ils recouvraient. Il reposait sur une rangée de colonnettes, aux chapiteaux richement travaillés, et que reliaient entre elles des arceaux sculptés à jour dont les nervures, tourmentées et entrecroisées par une main sûre, formaient une véritable dentelle.

Le palais que couronnait ce dôme aérien affectait, dans ses dispositions générales, la forme d’une croix aux quatre branches égales. Au-dessus de celle qui s’allongeait dans l’axe de la place, s’étendait une vaste terrasse entourée d’une balustrade légère d’or et d’argent et aussi de ce métal, aux reflets violacés, que connaissaient déjà nos voyageurs. C’était, on se le rappelle, sur une plaque de ce métal qu’étaient gravés les signes mystérieux qui avaient donné à Marcel l’idée de se lancer dans cette entreprise surhumaine. Tout était massif, et là encore se retrouvait cette inépuisable fantaisie qui assouplissait le métal, comme une branche flexible, autour du dôme et dans l’entre-deux des colonnettes. Au-dessus des trois autres branches de la croix se dressaient, supportés par de légers arceaux, de hardis campaniles moins élevés que celui du dôme central et chargés de sculptures. Tout autour de l’édifice régnait un portique formant une galerie couverte.

Sur le fût des hautes colonnes qui le supportaient reparaissaient ces guirlandes de fleurs et de feuillage où de précieux émaux, habilement sertis, imitaient la nature par leurs couleurs vives et variées.

Partout où les exigences de la construction avaient laissé des surfaces planes, pans de murs, côtés de pilastres, frises ou entablements, le ciseau de sculpteurs habiles avait fouillé dans le marbre des bas-reliefs polychromes dont les personnages étaient figurés avec une telle réalité d’attitude et une telle intensité d’expression qu’ils offraient toutes les apparences de la vie. Chacun de ces tableaux dont les tons étaient aussi riches et aussi variés que ceux d’une peinture, représentait quelque scène de l’histoire de l’humanité lunaire. Mais ce n’était pas, comme chez nous, des scènes de meurtre et de carnage. Les heureux habitants de ce monde supérieur ignoraient depuis longtemps la guerre et ses horreurs. Si, dans les premiers âges de cette planète, les convoitises inhérentes à toute humanité au berceau avaient armé les êtres vivants les uns contre les autres, le progrès des sciences et des mœurs avait fait depuis de longs siècles oublier ces luttes fratricides, et le souvenir n’en était plus conservé que pour être voué à l’exécration universelle.

Chacun de ces bas-reliefs rappelait quelque découverte grande ou utile, quelque trait de dévouement resté vivant dans la mémoire et la reconnaissance des hommes, l’établissement de quelque sage loi, le souvenir des personnages illustres entre tous par leurs services ou leurs vertus.

C’était là comme un enseignement perpétuel placé sous les yeux de la foule et qui entretenait dans tous les cœurs une généreuse émulation.

Malgré la profusion des ornements qui recouvraient ce palais, il offrait dans ses lignes générales harmonieusement combinées l’aspect d’une incrovable légèreté.

Sous les portiques, entre les colonnes, se jouaient l’air et la lumière et l’ensemble de l’édifice s’enlevait comme ces palais fantastiques qu’on entrevoit en rêve, ou dont l’œil croit suivre parfois dans les nuages les contours capricieux et changeants.

Au moment indiqué, une délégation du Conseil Suprême à la tête de laquelle se trouvait Rugel, était venue chercher les trois étrangers dans leur demeure pour les conduire devant le grand et vénérable Aldéovaze.

La route qui les menait au palais et qu’ils parcoururent à pied environnés des sages qui formaient leur escorte, était bordée de la foule des habitants qu’avait attirés une légitime curiosité. Mais dans les rangs de cette multitude aucun cri, aucun tumulte, aucune fièvre hâtive et indiscrète : chacun se tenait à son rang calme et digne, et là, où tous avaient le respect d’eux-mêmes et de leurs voisins, il n’était besoin ni de règlements ni de force publique pour éviter les manifestations intempestives ou turbulentes.

Au passage du cortège, chacun s’inclinait pour saluer les nouveaux venus avec un sourire d’un bienveillant accueil, et c’est à peine si un léger murmure marquait la surprise que causait à ceux qui ne les connaissaient pas encore la vue de ces voyageurs intrépides si étrangement venus d’un monde voisin.

Le temps était calme et doux ; une faible brise faisait mouvoir lentement dans l’espace de molles vapeurs, qui flottaient comme des voiles d’une gaze fine et aérienne. La petite baie au fond de laquelle se dressait la ville capitale, était toute couverte d’embarcations aux formes diverses remplies de curieux venus de tous les points du littoral, avides de jouir du spectacle qui se préparait.

C’était, en effet, sur la terrasse du palais faisant face à la baie que devait avoir lieu cette cérémonie solennelle. Une sorte de construction légére d’une somptueuse magnificence avait été dressée, un peu exhaussée au-dessus du dallage de marbre qui formait la terrasse et disposée en amphithéâtre, pour qu’aucun détail de ce spectacle n’échappât à la foule qui remplissait la place et la baie.

À l’instant même où le chef de l’État venait occuper le trône qui lui avait été réservé et où se groupait autour de lui l’imposante assemblée des membres du Conseil auxquels s’étaient joints, pour cette circonstance exceptionnelle, tous les hauts dignitaires de l’État et les gouverneurs des provinces, les trois étrangers apparurent sur la terrasse.

Un long frémissement de curiosité parcourut la foule des assistants jusqu’aux rangs les plus éloignés.

L’étrangeté de leur costume — ils avaient, en effet, conservé leurs vêtements européens — les signalait à l’attention des spectateurs.

Eux-mêmes restèrent un instant éblouis devant le tableau magnifique qu’ils avaient sous les yeux.

Le visage du prudent Aldéovaze était empreint d’une majestueuse gravité que tempérait une expression de bienveillance et de douceur. Il s’était levé pour faire honneur à ses hôtes, et sa haute taille, que n’avait pu courber le poids des ans, sa tête que couronnait une longue chevelure blanche, sa barbe, dont les flots argentés descendaient sur sa poitrine, lui donnaient un aspect d’une indicible grandeur. La vivacité de son regard, l’énergie qu’on devinait sous ses traits réguliers que la vieillesse n’avait pas flétris, dénotaient en lui une âme où la bonté n’avait en rien affaibli les ressorts de la volonté.

Tous ceux qui l’entouraient s’étaient levés comme lui. Conduits par Rugel, leur introducteur, Marcel, Jacques et lord Rodilan s’avancèrent, s’inclinèrent profondément et attendirent.

« Habitants de la Terre, dit Aldéovaze d’une voix grave et sonore, soyez les bienvenus parmi nous. Depuis le jour où votre courage vous a permis de franchir la distance qui nous sépare, et où vous êtes venus comme les messagers d’un monde jusqu’ici imparfaitement connu, nous avons conçu l’espoir, longtemps caressé, d’entrer enfin en relations suivies avec ce globe autour duquel nous gravitons.

« Nous avons voulu donner à votre réception un éclat exceptionnel, afin que tous ici sachent bien qu’un âge nouveau va s’ouvrir. Deux humanités que semblaient séparer à jamais les lois inexorables de la nature, vont pouvoir, grâce à vous, entrer en communications régulières. Nous ne doutons pas que ces communications ne soient fécondes.

« Dès longtemps déjà nous y avions songé ; nos savants s’étaient efforcés d’attirer l’attention de leurs frères terrestres. Ces tentatives étaient jusqu’ici demeurées inutiles ; votre audace a résolu le problème. Le génie de la science, qui n’est qu’une des manifestations de la Puissance Suprême qui régit l’univers, vous a conduits parmi nous, au milieu de périls dont votre grand cœur a su triompher.

« Nous espérons que ce n’est là qu’un commencement, et il nous est peut-être permis d’entrevoir le temps où, grâce aux progrès incessants de l’esprit humain, les mondes qui gravitent autour d’un centre commun, reliés les uns aux autres, ne formeront plus qu’une vaste famille. Ce sera là pour vous une gloire immortelle.

« Allez et mettez-vous en rapport avec nos savants ; étudiez avec eux la constitution géologique de notre monde, nos sciences, nos arts et nos industries. Rendez-vous compte de l’état de nos mœurs, de nos coutumes, de nos institutions. Et lorsque vous aurez acquis une connaissance complète de notre civilisation, instruisez-nous à votre tour et faites-nous connaître le monde dont vous êtes les représentants. »

Aldéovaze avait fini de parler.

Ses paroles, recueillies par des appareils vibratoires et amplifiées, grâce à une savante application de l’électricité, arrivaient claires et précises jusqu’aux derniers rangs des spectateurs qui, du milieu même de la baie, assistaient à cette émouvante cérémonie. D’autres appareils transmettaient les discours échangés dans la capitale jusque dans les provinces les plus éloignées, dont les habitants, réunis sur les places publiques, assistaient en quelque sorte à ces solennités.

« Glorieux et vénéré chef d’un monde où nous avons reçu un si cordial accueil, répondit Marcel d’une voix émue, les enfants de la Terre vous saluent. Les nobles et généreuses paroles que nous venons d’entendre ont rempli notre cœur d’une joie profonde et d’une éternelle reconnaissance.

« Les hautes espérances que vous nous avez fait concevoir nous ont animés d’une nouvelle ardeur. Nous serons fiers de servir d’intermédiaires entre les deux humanités qui s’ignorent encore, et, pour arriver à cet admirable résultat, nous sommes disposés, soutenus par votre auguste bienveillance, à tenter tous les efforts, à braver tous les périls. »

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Aldéovaze était descendu de son trône et s’entretenait familièrement avec Marcel. Tous les membres du Conseil Suprême entouraient Jacques et lord Rodilan, charmés de la facilité avec laquelle les nouveaux venus parlaient leur langue. On les interrogeait sur les péripéties de leur voyage ; on voulait recueillir de leur bouche le récit des impressions qu’ils avaient éprouvées dans cette traversée formidable ; on leur demandait ce qu’ils pensaient de ce monde qu’ils étaient venus visiter dans des conditions si extraordinaires ; on admirait leur courage ; leur éloge et leurs noms étaient sur toutes les lèvres.

Jacques et lord Rodilan se prétaient de bonne grâce à cette curiosité empressée, mais toujours discrète. Tout ce qu’ils voyaient depuis quatre mois, cette humanité si différente de la leur ; ce milieu, relativement restreint, où se conservait, comme dans une serre tempérée, un précieux échantillon d’une race éminemment perfectible ; ces hommes chez lesquels la nature seule entretenait la vie sans qu’ils fussent astreints à y travailler eux-mêmes ; ces arts si délicats, ces sciences si complètes, ces institutions si simples et si fécondes, tout cela maintenait leur âme dans un état d’admiration et d’émerveillement perpétuels.

Les préoccupations de Jacques s’étaient dissipées, sa mélancolie avait disparu et, revenu à son naturel ardent et généreux, il se livrait tout entier à ces nouveaux amis dont l’accueil si sympathique lui allait au cœur. Si quelque membre du Pall-Mall Club de Londres eût pu voir en ce moment lord Rodilan, il n’aurait pas reconnu le flegmatique et froid gentleman qui promenait dans les salons dorés de Waterloo-Place son inexorable ennui. L’atmosphère de spleen glacé où il s’enfermait s’était définitivement fondue au contact de ces affections si sincères et si désintéressées. Tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il entendait excitait sa curiosité et son intérêt ; il trouvait maintenant que c’était bien la peine de vivre.

Aussi nos deux amis répondaient-ils avec un cordial entrain et une gaieté communicative aux questions qui leur étaient adressées de toutes parts.

Parfois même les saillies qu’arrachait à Jacques son caractère expansif, à lord Rodilan la tournure incisive et vive de son esprit, amenaient des sourires sur les lèvres de leurs graves auditeurs.

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Toutefois les albums photographiques, dont l’obus renfermait une ample collection, excitèrent leur admiration.

Ils avaient pris tout d’abord ces épreuves pour des dessins d’une extrême finesse ; leur étonnement fut grand lorsqu’ils apprirent que c’était la lumière solaire seule qui, captée et fixée sur des plaques de verre enduites d’une substance sensible, avait dessiné ces images. Ils connaissaient bien les lois de l’optique, la réfraction des rayons lumineux passant à travers les lentilles et s’épanouissant sur un écran ; mais l’idée ne leur était jamais venue de chercher à saisir et à rendre durables ces images fugitives.

Marcel jouissait de leur étonnement. Il leur montra l’appareil photographique qu’il avait apporté et leur en expliqua le fonctionnement ; et, comme l’un de ceux qui l’entouraient s’écriait : « Il est bien fâcheux que nous soyons privés de la lumière du Soleil », il le rassura et lui promit d’exécuter, à l’aide de la lumière qui éclairait le monde lunaire, des épreuves semblables à celles qu’ils avaient sous les yeux.

Au nombre des objets exposés figuraient les armes dont s’étaient munis les trois explorateurs, des revolvers, des carabines à répétition du modèle le plus perfectionné. Les albums renfermaient aussi l’image de ces engins puissants de destruction créés par le génie de la guerre, preuve irréfutable de l’infériorité de notre race. Les savants qui considéraient ces instruments de mort ou qui feuilletaient les albums, avaient une connaissance approfondie de la balistique. Mais il ne pouvait venir à l’esprit de ces hommes qui avaient toujours vécu dans une atmosphère de concorde et de paix, que des créatures humaines en vinssent à ce point de folie sanguinaire de s’entr’égorger pour se disputer les misérables lambeaux de la planète qu’elles occupaient.

Ils ne virent donc là tout d’abord que des appareils scientifiques. Marcel se garda bien de les détromper ; il se réservait de faire connaître plus tard à quelques savants de choix, et dans des entretiens confidentiels, l’histoire lamentable de notre humanité, ses débuts, où elle se distinguait à peine de l’animalité, sa marche lente dont chaque pas fut marqué par des luttes sanglantes, où chaque conquête fut le prix du deuil et des larmes. Il espérait que ces esprits, doués d’une haute conception philosophique, comprendraient ce qu’il avait fallu au génie des humains de persévérance et de foi en eux-mêmes pour triompher de tant de difficultés et de périls. C’était, il le sentait déjà, le seul moyen de relever un peu aux yeux de ces êtres supérieurs la triste condition des habitants de la Terre.

Quelques-uns des savants qui composaient l’assemblée s’étaient arrêtés à examiner un magnique atlas d’anatomie, et Jacques qui, ils ne l’ignoraient pas, avait, en sa qualité de médecin, approfondi les sciences médicales et physiologiques, leur expliquait le mécanisme des organes qui servent à la nutrition. C’était avec la curiosité toujours en éveil d’esprits avides de savoir qu’ils considéraient cette structure humaine qui ne différait de la leur que par ce seul point. Mais ce point était d’une très haute importance. Et l’un de ceux qui entouraient Jacques ne put s’empêcher de lui dire :

« Ami, je ne vous cacherai pas qu’au premier abord, lorsque nous avons vu que la nature, moins généreuse pour vous que pour nous, ne vous avait pas délivrés de la pénible obligation de renouveler chaque jour les éléments indispensables à votre vie, nous avions songé qu’il n’était resté à votre race que bien peu de loisirs pour cultiver ses facullés pensantes. Aussi nous sommes agréablement surpris d’apprendre que vous avez pénétré si avant dans l’étude des sciences. Ce que nous voyons de vos progrès dans tous les ordres de connaissances nous émerveille et nous charme à la fois.

— C’est que, répondit Jacques en souriant, le besoin de se nourrir a fait pour les habitants de la Terre, dans une moindre proportion, je me hâte de le reconnaître, ce qu’a fait chez vous le seul amour de la vérité. C’est parce qu’il était astreint à ces nécessités matérielles, parce qu’il fallait les satisfaire à tout prix, que l’homme s’est ingénié à chercher et a trouvé. Chacune de ses conquêtes, en satisfaisant son esprit, accroissait son bien-être, et il y trouvait la récompense de ses efforts. »

Pendant ce temps, lord Rodilan, déployant sous les yeux d’un autre groupe des assistants un planisphère terrestre, leur expliquait à grands traits comment la civilisation, née entre deux fleuves dont il leur désignait le cours dans le continent asiatique, s’était peu à peu développée suivant la marche du Soleil et avait passé d’abord dans cette petite contrée presqu’imperceptibe, aux côtes profondément déchiquetées, qu’on appelait la Grèce, pour s’établir ensuite dans la péninsule italique toute voisine et s’avancer enfin vers la rive du grand Océan Atlantique.

Puis posant le doigt sur deux petites îles qui formaient la pointe la plus avancée du continent occidental, il s’écriait :

« Et voilà maintenant le centre de la civilisation moderne ! De ces îles, si petites par la superficie mais si grandes par le génie de leurs habitants, rayonnent sans cesse des milliers de vaisseaux qui vont chercher dans toutes les parties du monde les produits les plus utiles, les marchandises les plus précieuses, pour les distribuer ensuite sur toute la surface de la Terre. Il n’est pas de contrée où on ne parle la langue de l’Angleterre, — c’est le nom de cette nation, la première du monde, — pas un point du globe où on ne reconnaisse sa suprématie. De vastes et riches régions lui sont soumises. »

Et son doigt se promenait avec orgueil sur la péninsule indienne, sur le continent australien, sur l’Afrique méridionale, sur toute la contrée qui s’étend au nord du Saint-Laurent.

Sa taille se redressait ; toute la fierté britannique revivait en lui. On eût dit qu’il se croyait au milieu d’un de ces congrès où l’intraitable Albion défend avec tant de morgue et d’âpreté ses plus injustifiables prétentions.

« Eh ! eh ! fit tout à coup Marcel qui avait entendu les dernières paroles de son compagnon, il me semble, Milord, que vous faites bien bon marché de la France. »

Puis se retournant vers ses auditeurs que la vivacité de ce débat paraissait surprendre, car, dans leurs discussions, ils ne se départaient jamais de leur calme et de leur gravité :

« Loin de moi, dit-il, la pensée de rabaisser l’illustre nation à laquelle appartient notre ami, car vous vous êtes déjà doutés, à la chaleur de son plaidoyer, qu’il parlait pour son pays. Mais il me sera bien permis de revendiquer pour ma patrie, la France, — et il désignait du doigt cette partie de l’Europe dont tous les peuples ont tour à tour prononcé le nom avec envie ou avec amour, — la part de gloire qui lui est due. Si l’Angleterre est grande par le commerce et l’industrie, la France ne l’est pas moins par le cœur et par la pensée. Toujours à l’avant-garde de l’humanité, elle a toujours tenu et élevé bien haut le flambeau du progrès, éclairant la route où la suivaient les autres nations. Il n’est pas une idée grande et généreuse qu’elle n’ait propagée et pour laquelle elle n’ait versé son sang. Son dévouement désintéressé a toujours été au service de la justice et du droit ; elle a combattu pour toutes les causes justes ; ennemie de tous les oppresseurs, amie de tous les opprimés, elle a vu son nom béni par tous ceux qu’elle à affranchis ; ses triomphes ont fait pâlir de jalousie tous les autres peuples, et si elle a été vaincue parfois, elle n’est tombée qu’écrasée sous le nombre ou surprise par la trahison. »

Pendant que Marcel se laissait ainsi entraîner par son patriotisme, Jacques s’était rapproché de lui, et lui serrait la main avec force.

« Bravo ! ami, » faisait-il.

Un peu de sang était monté aux joues un peu pâles d’ordinaire de lord Rodilan, et il se préparait sans doute à répondre avec quelque aigreur, lorsque le prudent Aldéovaze, qui avait écouté attentivement ce débat, s’avança en souriant :

« Je vois, dit-il, que vous appartenez à deux grandes nations de la Terre, et l’audace même de votre entreprise nous prouve que vous devez compter parmi les plus éminents de vos compatriotes. Mais, à la distance où vous vous trouvez de vos communes patries, sied-il bien de réveiller des rivalités que nous ne pouvons juger ici ? L’œuvre à laquelle vous vous êtes consacrés n’est qu’à son début ; vous devez vous garder tout entiers pour la mener à bonne fin.

— La sagesse parle par votre bouche, » répondit Marcel.

Et les trois amis se serrèrent la main.

CHAPITRE XV PREMIERS SIGNAUX

Sept mois s’étaient écoulés depuis le départ de l’obus lancé par la Columbiad vers les régions lunaires, lorsque tout à coup une nouvelle invraisemblable, inouïe, stupéfiante, se répandit dans le monde savant.

Le Scientific American , dans son numéro du 29 juillet 188., publiait le télégramme suivant, immédiatement reproduit par la presse des deux mondes :

« Observatoire de Long’s Peak, Montagnes Rocheuses, 28 juillet, 8 heures du matin.

« Signaux lumineux alphabétiques apparus distinctement, cette nuit, à intervalles réguliers, sur partie obscure du disque lunaire, près cratère Hansteen, partie sud Océan des Tempêtes.

Au premier abord on avait cru à une de ces colossales mystifications familières au puffisme américain ; mais le caractère sérieux, universellement reconnu, du savant directeur de l’observatoire de Long’s Peak ne permettait pas de s’arrêter longtemps à cette pensée.

Dès lors, de Saint-Pétersbourg au cap de Bonne-Espérance, de New-York à Melbourne, mille télescopes se braquèrent fiévreusement sur la Lune.

Tous les Journaux et toutes les Revues Scientifiques retentirent des discussions les plus passionnées. Chacun des observateurs, suivant la puissance des instruments d’optique dont il disposait, interprélait à sa façon les prétendus signaux lumineux qu’avaient vus ou cru voir les astronomes des Montagnes Rocheuses. La plupart avaient eu beau s’écarquiller les yeux, rien n’était apparu dans le champ de leurs télescopes ou de leurs lunettes. Aussi niaient-ils carrément le phénomène et traitaient-ils de visionnaire, avec force railleries, l’honorable W. Burnett.

Quelques-uns avaient bien aperçu dans la région indiquée, à n’en pouvoir douter, des points lumineux dont personne jusqu’ici n’avait signalé l’existence ; mais ils triomphaient en rappelant, avec preuves à l’appui, que des phénomènes analogues avaient déjà été, à diverses époques, signalés dans d’autres régions du satellite, puis avaient cessé de se montrer pour ne plus reparaître. Et ils n’hésitaient pas à affirmer que, cette fois comme les précédentes, ces signes plus ou moins authentiques disparaîtraient bien vite sans laisser de traces.

Mais il était quelqu’un que l’importante communication émanée de l’observatoire de Long’s Peak avait jeté dans une véritable stupeur : c’était l’astronome F. Mathieu-Rollère.

À la lecture du télégramme que lui avait adressé personnellement son confrère américain et qui lui avait été remis dans son cabinet, vers 10 heures du soir, alors qu’il était encore au travail, il était resté muet de saisissement, les membres agités d’un tremblement nerveux ; il avait relu plusieurs fois le texte de la dépêche comme si, au premier instant, il n’en avait pas bien saisi le sens. On aurait pu l’entendre murmurer, comme se parlant à lui-même : « Serait-ce donc eux ? »

Puis il s’était rendu précipitamment à l’Observatoire, et, bousculant tout sur son passage, avait fixé son œil à l’oculaire du grand télescope de Foucault.

Mais la nuit était brumeuse, comme elle l’est trop souvent à Paris, et des voiles de vapeurs passaient devant le disque de la Lune, qui

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Le jour le surprit dans ces hésitations. Il rentra chez lui où une nouvelle surprise l’attendait :

Sur sa table de travail se trouvait un nouveau télégramme qu’on venait d’apporter. Il était conçu en ces termes :

« Observatoire de Long’s Peak, Montagnes Rocheuses.

« Confirmons dépêche d’hier. Constaté sûrement, à intervalle d’une heure, retour de lettres lumineuses M. J. R. — Hauteur des lettres mesurées au micromètre : 300 pieds. Amis retrouvés. Prière venir pour observation prochaine lunaison. Cordiales félicitations.

Et le vieil astronome exultant, triomphant, s’élança vers la chambre de sa fille.

« Hélène, mon enfant, balbuliait-il, ils sont vivants, ils ont donné de leurs nouvelles ; tes pressentiments avaient raison. Apprête-toi, nous partons. »

Un cri s’échappa de la poitrine de la jeune fille ; elle pâlit et tomba presque inanimée dans les bras de son père.

Lorsque les astronomes des Montagnes Rocheuses, suivant dans l’œil géant du télescope le vol du projectile dans l’espace, l’avaient vu disparaître soudain dans la fissure qui s’ouvrait presque au pied du cratère d’Aristillus, ils avaient bien cru que c’en était fait des hardis explorateurs et que trois noms nouveaux venaient de grossir le martyrologe de la science. Cependant, bien qu’ils fussent convaincus de leur perte, ils n’avaient pas voulu abandonner toute espérance ; ils connaissaient la force d’âme de leurs amis, ils savaient que tout ce que ces hommes, d’une trempe exceptionnelle, pourraient tenter pour échapper à la mort serait essayé.

Ils se disaient qu’après tout, s’ils n’avaient pas péri dans la chute, ils pourraient peut-être remonter à la surface du satellite et donner quelques signes de vie.

Aussi avaient-ils résolu de ne pas quitter le champ de l’observation avant d’avoir acquis une certitude définitive. Du reste, l’astronome francais était poussé par sa fille elle-même à ne pas abandonner la partie. Revenue de l’émotion qui l’avait terrassée au moment où on avait cru voir se perdre le projectile, Hélène avait senti se ranimer dans son âme la foi robuste qui ne l’avait jamais abandonnée ; elle voulait espérer contre toute espérance.

Francois Mathieu-Rollère était donc resté aux Montagnes-Rocheuses, et les observations avaient continué avec un zèle et une persévérance que rien n’avait pu lasser.

Tout le temps que le satellite de la Terre avait montré sur l’horizon visible quelque partie de son disque éclairé, l’œil infatigable des astronomes avait scruté le champ lumineux. Mais jusque-là rien n’était apparu, et chaque fois que s’éclipsait pour reparaître plus tard l’astre si ardemment observé, c’était avec un profond soupir de regret que les savants se disaient :

« Rien encore’; attendons la phase prochaine. »

Mais les semaines, puis les mois s’étaient écoulés ; six fois déjà la Lune avait montré sa face éclairée par le soleil, et six fois s’était de nouveau replongée dans les ténèbres célestes. On n’avait surpris aucun signe qui pût faire espérer que les voyageurs avaient atteint sains et saufs le but de leur entreprise. Le découragement avait gagné tous les cœurs, et lorsque le vieil astronome se résigna à regagner l’Observatoire de Paris, Hélène elle-même ne sentit plus dans son cœur, que le doute commençait à gagner, le courage de le retenir.

Depuis qu’elle était rentrée dans sa petite maison de la rue Cassini, elle avait pris le costume des veuves. Si celui auquel elle avait promis sa foi n’était plus, elle passerait à le pleurer le temps qui lui restait à vivre ; elle ne serait à personne.

À peine remise de la surprise que lui avait causée la nouvelle si inattendue venue d’Amérique, la jeune fille avait lu et relu avec avidité le télégramme adressé à son père.

« Dieu soit loué ! disait-elle, M. J. R., Marcel, Jacques, Rodilan ; ils sont vivants tous les trois ; ils ont pu parvenir à leur but ; ils sauront bien revenir. »

Les préparatifs de départ ne furent pas longs. Bientôt un train rapide emportait vers le Havre l’astronome et sa fille ; le Labrador de la Compagnie Transatlantique les débarquait huit jours après à New-Vork et, le 17 août 188., ils arrivaient à la station astronomique de Long’s Peak, où régnait la plus grande animation.

Mathieu-Rollère se fit longuement expliquer les conditions dans lesquelles avait été faite l’observation du 28 juillet, qui avait jeté dans le monde savant une telle émotion.

« J’étais, lui dit l’honorable W. Burnett, à mon poste d’observation ; le grand télescope était braqué sur la Lune et j’observais la partie dans l’ombre, lorsque tout à coup une lueur insolite attira mon attention. Je ne distinguai pas d’abord très nettement la nature et la disposition de cette lueur, et, pour pouvoir la définir plus nettement, j’adaptai au télescope un oculaire de grossissement supérieur. Il me sembla distinguer alors une sorte de traînée irrégulière dont les contours étaient vagues et semblaient parfois interrompus. Je n’hésitai pas alors à employer le plus fort grossissement dont je pusse disposer. Cette fois l’image m’apparut nette et précise : c’étaient des lignes droites très déliées, formant entre elles des angles dont, au premier abord, je ne me rendis pas bien compte. Cela ressemblait vaguement à une figure géométrique ; on eût dit deux paralléles coupées par des sécantes.

« Je cherchais en vain l’explication de ce phénomène, lorsque tout à coup une idée traversa mon esprit : « C’est une M, m’écriai-je ; c’est l’ingénieur Marcel qui signale sa présence.

« Mon émotion fut si vive que ma vue s’en trouva troublée, et pendant quelques instants il me fut impossible de rien distinguer.

« À ce moment j’étais seul. Hors de moi, je quittai l’oculaire du télescope et descendis dans l’observatoire. J’avais le visage si bouleversé que mes collègues s’empressèrent autour de moi, me demandant avec anxiété ce qui était arrivé. Je fus quelques instants avant de pouvoir répondre ; puis je m’écriai : « Si mes yeux ne m’ont pas trompé, je viens d’avoir la preuve que les voyageurs de la Columbiad sont vivants sur la Lune. Venez ; voyez vous-mêmes si je ne m’abuse pas. »

« Tous s’élancèrent, gravirent d’un même élan l’échelle qui conduisait au télescope, et le premier arrivé eut à peine fixé son œil à l’oculaire qu’il s’écria : « Je vois distinctement une M. »

« Chacun d’eux fit à son tour la même constatation.

« Je n’avais donc pas été la victime d’une illusion ; mes yeux avaient bien vu ; c’étaient bien nos amis qui donnaient ainsi de leurs nouvelles. Une autre surprise nous attendait. Pendant que le dernier observait à son tour, nous l’entendîmes s’écrier : « Je ne vois plus rien, tout a disparu. »

« Pendant une heure rien n’apparut sur la partie obscure de la Lune, et nous allions redescendre pour nous entretenir de ce miraculeux événement, lorsque je regardai une dernière fois à l’oculaire. Quel ne fut pas mon étonnement en apercevant une nouvelle lettre, la lettre J. Cette fois, c’était la première du nom de Jacques. Si quelque doute avait pu subsister sur l’identité de ceux qui correspondaient ainsi avec nous, cette seconde apparition l’aurait complètement dissipé. Nous résolûmes donc de rester à notre poste toute la nuit.

« Nous vîmes la lettre R succéder aux deux premières, puis celles-ci reparurent à leur tour et nous constatâmes que chacune d’elles restait visible pendant l’espace d’une heure. Une heure la séparait de la suivante. Tout était calculé avec une précision mathématique pour produire des impressions certaines et éviter toute confusion.

« Nous continuâmes les observations pendant les dix nuits qui suivirent, et toujours, tant que cette région de la Lune resta plongée dans une ombre épaisse, nous vîmes les mêmes signes avec la même intensité de lumière. »

Mathieu-Rollère avait écouté ce récit avec une satisfaction visible ; il se frottait vigoureusement les mains et murmurait à demi voix :

« Ah ! les braves gens ! quel triomphe pour la science et pour la France ! »

Quand l’honorable W. Burnett eut fini de parler, le vieil astronome se leva et, arpentant la salle à grands pas, s’écria :

« Quel malheur que je n’aie pas été là pour recevoir, moi aussi, le premier message de nos amis ! Voilà maintenant qu’il nous faut attendre deux semaines encore avant de pouvoir recommencer nos observations. »

Puis, serrant énergiquement la main du directeur de l’observatoire de Long’s Peak, il lui dit avec effusion :

« C’est à vous, mon cher collègue, à votre persévérance, que nous devons cette importante constatation, dont les conséquences, que j’entrevois déjà, seront incalculables.

— C’est aussi et surtout, fit modestement W. Burnett, à l’admirable instrument dont nous disposons que nous devons ce magnifique résultat. »

On se souvient, en effet, que le télescope des Montagnes Rocheuses avait été spécialement construit pour pouvoir distinguer sur la surface lunaire des objets ayant une dimension de 9 pieds, c’est-à-dire égale à celle de l’obus. Rien donc d’étonnant à ce que des lignes lumineuses, ayant, suivant les mesures relevées au micromètre par l’astronome américain, une longueur de 300 pieds, pussent apparaître distinctement dans le champ de l’instrument.

La fille de Mathieu-Rollère avait assisté à cet entretien, et son cœur s’épanouissait doucement à ces heureuses nouvelles. Quand il avait été question du signe représentant son fiancé, son visage s’était teint d’une vive rougeur, et une confiance sereine animait son regard. L’avenir lui apparaissait maintenant tout éclairé d’un rayon d’espérance : elle avait eu raison de ne pas douter.

Les jours qui séparaient les astronomes de la prochaine observation furent bien employés. Comme si on était déjà sûr de ne s’être pas trompé, on se préoccupa de rechercher les moyens de faire savoir aux trois voyageurs que leurs signaux avaient été aperçus et compris. Il ne fallait pas, en effet, les laisser trop longtemps dans l’incertitude ; on ne savait comment ils étaient parvenus à produire les signaux, et si les ressources dont ils disposaient leur permettraient de les renouveler souvent.

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On tint une sorte de conseil dans lequel on examina les moyens les plus sûrs et les plus prompts pour répondre aux signaux dont on attendait impatiemment le retour. L’ingénieur Dumesnil exposa un plan dont la simplicité ingénieuse rallia tous les suffrages. Il s’agissait de choisir au sud de l’Algérie, aux confins du désert, une plaine largement découverte où l’on disposerait une sorte de réseau de 100 mètres de côté, divisé comme un canevas de tapisserie en carrés d’un mêtre. Au centre de chacun de ces carrés serait placé un puissant foyer électrique ; à chacun de ces foyers correspondraient des fils aboutissant à un commutateur permettant de les allumer ou de les éteindre instantanément. Sur ce réseau ainsi disposé, rien de plus facile que de figurer, à l’aide de ces foyers, les diverses lettres de l’alphabet.

« J’ai conçu, continua l’ingénieur, le plan d’une sorte de clavier dont les 25 touches seraient marquées chacune d’une lettre, et qui permettraient d’éteindre et de rallumer à volonté les foyers figurant la lettre qu’on voudrait produire. On aurait ainsi avec une extrême facilité des mots et des phrases.

« Il est évident, ajouta-t-il, qu’en faisant les signaux que vous avez aperçus, nos amis, qui connaissent la puissance de votre télescope, ont calculé l’intensité lumineuse de ces signaux de facon à ce qu’ils fussent clairement perçus par cet instrument. Nous devons croire aussi qu’ils disposent à leur tour d’instruments d’optique assez perfectionnés pour pouvoir distinguer sur la Terre des signes de même intensité que ceux qu’ils nous ont envoyés. Dans tous les cas nous devons par prudence exagérer plutôt les dimensions de nos lettres lumineuses et établir nos signaux dans une contrée où la limpidité de l’atmosphère soit aussi compléte que possible.

— C’est pour cela sans doute, reprit Mathieu-Rollère, que vous avez choisi l’Algérie pour y disposer votre réseau électrique.

— Précisément, répondit l’ingénieur ; c’est la pureté et la transparence de l’air dans cette région qui ont tout d’abord appelé mon attention. Et puis je ne vous cacherai pas qu’il me semble juste, puisque l’idée première émane d’un Français, que l’expérience reste complètement française. J’espère, ajouta-t-il en s’inclinant devant les astronomes américains, que vos honorables collaborateurs ne trouveront pas cette prétention excessive. La gloire leur restera toujours d’avoir aperçu les premiers signaux envoyés de la Lune. Sans le télescope de Long’s Peak, rien de ce qui a été fait n’aurait été possible.

— Oh ! notre part est bien mince, répondit W. Burnett ; la gloire première revient en réalité au grand Barbicane, qui, le premier, a songé à la possibilité d’un voyage dans la Lune, qui a construit la Columbiad , s’est audacieusement élancé dans l’espace avec une confiance sans précédent, et aurait réussi dans son entreprise si des forces impossibles à conjurer ne l’avaient détourné de sa route. »

À ces paroles, prononcées avec un légitime orgueil, tous s’inclinèrent en signe d’assentiment.

« Mais, reprit bientôt l’ingénieur G. Dumesnil, j’ai aussi songé à une chose : avant que nous puissions établir notre réseau alphabétique, il s’écoulera nécessairement un certain temps. Il nous faut tout d’abord obtenir l’autorisation du gouvernement français.

— Oh ! interrompit Mathieu-Rollère, cela ne sera pas long ; j’ai des amis puissants au ministère, et, du reste, la question qui pourrait nous retarder, celle des dépenses, ne sera pas un obstacle, car nous avons à l’observatoire des fonds disponibles.

— Bien, fit l’ingénieur ; mais pour installer notre réseau en plein désert, à 40 kilomètres au sud de Biskra, il nous faudra tout transporter à dos d’homme ou de chameau, à moins, ce qui serait infiniment plus pratique, que nous puissions établir un chemin de fer Decauville.

— Nous l’établirons, affirma Mathieu-Rollère, qui maintenant ne doutait plus de rien.

— Parfait ; mais il nous faudra des moteurs à vapeur, et par suite d’importantes provisions de combustible, de nombreuses et puissantes machines dynamo-électriques, 10.000 lampes à arc, de grand modéle, munies chacune d’un réflecteur parabolique, des kilomètres de fil. Ce n’est pas tout : il faut abriter tout cela ; il faut loger, nourrir et approvisionner tout le personnel nécessaire au fonctionnement permanent de ce système de signaux ; car vous pensez bien que lorsque les communications seront une fois régulièrement établies, elles ne cesseront plus.

— Sans doute. Tout cela se fera.

— Oui, mais il faut du temps. Je reviens done à mon idée. Ne vous semble-t-il pas utile de faire savoir au plus tôt à nos amis que leurs signaux ont été aperçus. Si nous devons encore, et il me paraît impossible qu’il en soit autrement, rester plusieurs mois sans leur donner signe de vie, n’est-il pas à craindre qu’ils se découragent et renoncent à leurs essais ?

— Vous avez peut-être raison, mais que faire ?

— Eh bien ! voilà. Nous pouvons installer ici même un puissant foyer, 1.500 lampes, par exemple, que nous allumerons au moment opportun et que nous éteindrons pour les rallumer ensuite à intervalles réguliers. Évidemment ils ont braqué les instruments dont ils disposent sur l’Amérique du Nord, où ils savent que se trouve le seul télescope capable de les distinguer. Ils verront ce point lumineux ; ils comprendront que nous les avons aperçus, et ils attendront avec patience que nous ayons organisé un moyen de correspondre analogue au leur.

— Bravo ! s’écria l’honorable W. Burnett, je me charge de tout. »

Le jour même on télégraphia à New-York et, quinze jours plus tard, 1.500 foyers électriques réunis en un immense faisceau étaient prêts à fonctionner.

Tout étant ainsi prévu et disposé, on attendit avec impatience la prochaine phase lunaire.

Le 26 août la Lune approchait de son premier quartier, et la concordance des nuits lunaires et terrestres rendait les observations faciles.

Le télescope était braqué sur l’astre des nuits, et chacun des observateurs venait tour à tour interroger d’un regard anxieux le miroir où se réfléchissait le satellite. Mais ils eurent beau se succéder à l’oculaire, rien n’apparut sur la surface obscure.

Pendant les jours qui suivirent, l’observation continua ardente, passionnée ; on ne fut pas tout d’abord trop surpris de ne rien apercevoir. Mathieu-Rollère avait en effet expliqué que le moment où commence à apparaître le croissant éclairé de la Lune est aussi celui où la Terre, se trouvant pleine par rapport à son satellite, lui envoie la plus grande quantité possible de lumière réfléchie. De là, sur la partie obscure de la Lune, un reflet que les astronomes appellent la lumière cendrée . Ce n’est guère qu’à l’approche du premier quartier que ce reflet disparaît, la Terre, alors elle-même à son dernier quartier, ne lui envoyant plus que moitié moins de lumière.

Aussitôt que la partie de la Lune, où avaient apparu les premiers signaux, fût plongée dans une ombre véritable, le puissant foyer préparé par les soins de l’ingénieur G. Dumesnil s’enflamma comme un astre étincelant dans la profondeur des ténébres. Les jets lumineux, déchirant la nuit de leur clarté éblouissante, illuminèrent toute la contrée, et dans un rayon de cinquante lieues les habitants surpris purent croire à quelque étonnante aurore boréale. Nul doute que ce faisceau gigantesque, traversant l’atmosphère terrestre, n’allât porter jusqu’au satellite le signal que les observateurs de Long’s Peak supposaient impatiemment attendu.

Pendant une heure le torrent de lumière traversa l’espace, et lorsqu’il s’éteignit, Mathieu-Rollère avait déjà l’œil fixé à l’oculaire interrogeant avec anxiété la partie obscure de la surface lunaire.

Il resta, lui aussi, une heure attentif et haletant, mais rien ne lui apparut.

« Recommencons, » fit-il.

Et pendant toute la nuit, d’heure en heure, les 1.500 foyers se rallumèrent et envoyèrent de nouveau à travers les airs leurs inutiles appels. Rien ne répondit.

« Vous seriez-vous trompé ? murmura Mathieu-Rollère en s’adressant à W. Burnett.

— Non, non, mille fois non, répondit l’astronome avec une véhémence qui contrastait avec son flegme habituel ; je suis sûr de mes yeux comme de mon instrument, et d’ailleurs tous mes collaborateurs ont vu comme moi.

— Eh bien ! reprit Mathieu-Rollère, nous recommencerons les nuits suivantes. Nous ne savons ce qui se passe là-haut, mais nous devons supposer que nos amis attendent notre signal avec une impatience égale à la nôtre et qu’ils y répondront aussitôt que cela leur sera possible. »

Mais les nuils se succédèrent : rien ne se montra sur la surface du satellite, et la Lune redevint pleine sans qu’aucune manifestation fût venue confirmer les espérances des observateurs. Lorsque ce résultat négatif fut connu en Europe, tous ceux qui avaient accueilli avec incrédulité le télégramme de l’astronome américain, triomphèrent bruyamment.

Pour les uns, W. Burnett avait été victime d’une illusion d’optique ; pour d’autres, la fameuse dépêche n’était qu’un gigantesque canard destiné à mystifier le vieux monde. Seul, le directeur de l’observatoire de Nice, l’éminent Perrotin, ne partagea pas la jubilation de tous ses confrères. Sans avoir pu exactement définir les signes lumineux qui s’étaient produits, il en avait vu assez, il avait assez nettement constaté leur intermittence régulière pour être convaincu qu’ils étaient l’effet d’une volonté intelligente et réfléchie. Lui aussi, il avait observé attentivement la Lune dans ses dernières phases, attendant la réapparition des phénomènes, et ne pouvait s’expliquer pourquoi ils ne se manifestaient pas de nouveau.

Pour lui, comme pour les astronomes américains, il y avait là un inquiétant et redoutable mystère.

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CHAPITRE XVI ÉTUDES ET RECHERCHES

Depuis le jour où ils avaient été solennellement reçus par le magistrat suprême de l’humanité lunaire, une existence nouvelle avait commencé pour Marcel, Jacques et lord Rodilan. Devenus en quelque sorte citoyens de cette nouvelle patrie, ils avaient entrepris, sous la direction de leur ami Rugel, une étude approfondie des mœurs et des institutions qui régissaient ce monde si différent du nôtre.

En possession parfaite de la langue, qu’ils connaissaient maintenant à fond, ils pouvaient s’entretenir avec tous ceux qu’ils rencontraient, voir et juger par eux-mêmes. Du reste, leur renommée avait déjà pénétré dans toutes les régions habitées de la Lune ; grâce aux moyens de communication rapide, la cérémonie de leur réception, les paroles qui avaient été échangées, les espérances qu’avait fait naître leur heureuse arrivée étaient connues partout. Aussi, en quelque lieu qu’ils se présentassent, ils étaient accueillis avec un bienveillant empressement ; chacun se montrait ravi de les recevoir, de contribuer à les instruire.

Pour eux, tout était nouveau, tout était à étudier.

Et, suivant leurs aptitudes, ils s’étaient partagé la tâche.

À Marcel revenait de droit le domaine si étendu des sciences et de leurs applications ; à Jacques appartenait celui de la physiologie, de la médecine et des sciences naturelles, qui lui offrait un champ indéfini d’observations. Lord Rodilan s’était réservé l’étude des institutions politiques et de l’histoire de ce monde inexploré.

Profondément versé dans l’étude des sciences à laquelle il avait voué sa vie, et doué d’une rare faculté de compréhension, Marcel eut bientôt parcouru le cercle des applications nouvelles et hardies où s’était aventuré le génie des savants du monde lunaire. Rugel et quelques autres esprits d’élite, qui s’étaient mis avec empressement à sa disposition, étaient émerveillés de la facilité avec laquelle il abordait les problèmes les plus ardus et devinait en quelque sorte leurs solutions aussitôt qu’il était mis sur la voie de la démonstration. Il s’arrêtait souvent devant quelqu’une de ces machines simples à la fois et puissantes qui exécutaient des travaux de force ou de vitesse ; il cherchait un instant et bientôt découvrait la loi du mécanisme, en donnait la formule, et ceux qui s’étaient chargés de son initiation se regardaient avec un sourire approbateur.

Les instruments d’optique appliqués à l’astronomie attirèrent son attention : l’astronomie était sa passion.

Dans les bibliothèques et les musées, qu’il avait visités avec soin, il avait vu des modèles de lunettes dont les proportions lui avaient paru colossales. Il s’était souvent demandé comment les habitants de la Lune, enfermés sous une voûte de granit, pouvaient observer les espaces célestes ; et un jour qu’il interrogeait Rugel à ce sujet, celui-ci lui avait répondu en souriant :

« Patience, ami ; nous vous montrerons notre observatoire, qui vous étonnera, j’en suis sûr ; laissez-moi le plaisir de vous ménager cette surprise. »

Parmi les nombreuses inventions entrées pour ainsi dire dans

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la vie quotidienne, une de celles qui avaient le plus charmé Marcel était, sans contredit, la transmission à distance des images sensibles et parlantes. Les physiciens de la Lune avaient résolu le problème de transmettre simultanément au loin l’image d’un être vivant, les mouvements qu’il exécutait et les paroles qu’il prononçait. Le même fil électrique servait de véhicule aux ondes lumineuses et aux ondes sonores.

On assistait ainsi à ce spectacle étrange : une personne assise devant un écran y voyait tout d’un coup apparaître celui avec lequel elle était en communication ; elle le voyait, l’entendait, échangeait avec lui des propos comme dans une conversation en tête-à-tête, et chacun des interlocuteurs avait ainsi en face de lui celui avec lequel il conversait.

Pour cette humanité supérieure, soumise à moins de besoins que l’humanité terrestre, le cercle des applications industrielles que nous demandons à la science était assez restreint. Leur activité intellectuelle et leur ardeur aux recherches spéculatives n’en avaient pas été amoindries. Tous les problèmes qu’entrevoient nos savants et qui, aux limites de la science moderne, surexcitent leur esprit d’investigation ou exaltent l’imagination de certains précurseurs, avaient été abordés et résolus par eux. Ils avaient depuis longtemps trouvé le moteur électrique que cherchent encore nos physiciens, et qui, développant sous un petit volume une énergie puissante, obtient une somme de travail que sont bien loin d’atteindre encore nos essais rudimentaires.

Après avoir passé, comme nous, en matière d’aérostation, par la théorie des ballons fondée sur la doctrine du plus léger que l’air, ils n’avaient pas lardé à reconnaître son impuissance radicale. L’observation du vol des oiseaux les avait rapidement conduits à l’adoption d’un principe tout opposé, celui du plus lourd que l’air. Et avec ce moteur dont ils disposaient, ils étaient bientôt arrivés à construire ces esquifs aériens, légers et résistants, dont nous avons déjà parlé et qui avaient fait l’admiration des représentants d’un monde moins avancé.

Dans un intérêt purement scientifique et sans même songer à leur demander des applications pratiques dont ils n’avaient pas besoin, ils avaient arraché à la nature ses plus mystérieux secrets.

La liquéfaction et la solidification des gaz leur étaient depuis longtemps familiéres, et Marcel put contempler dans leurs laboratoires, maintenus sous de formidables pressions, les divers gaz contenus dans leur atmosphère.

Ils avaient découvert depuis longtemps, et ce ne fut pas un des moindres étonnements de Marcel, la transformation des ondes lumineuses en ondes sonores que, malgré leurs essais, jusqu’ici infructueux, cherchent encore nos savants. Ils pouvaient ainsi recueillir le bruit des sphères tournant dans l’espace et entendre ce mystérieux concert de l’infini qu’avait deviné Pythagore et dont Cicéron, dans une sorte d’intuition prophétique, décrit les mélodieux effets [2] .

Des appareils électriques spéciaux et délicats, disposés à la surface même de la Lune, recevaient en notes diverses l’impression sonore produite par chacun des astres de notre système planétaire, et ces sons amplifiés se combinaient dans une inexprimable harmonie.

Dans le domaine de toutes les sciences qui procèdent du raisonnement et de l’observation et où le calcul joue un rôle, Marcel constata les mêmes progrès, les mêmes vues hardies et profondes. Il y avait là de quoi défrayer pendant plusieurs siècles tous les instituts de l’humanité terrestre.

De pareilles surprises étaient réservées à Jacques, dans le champ des études qui lui étaient attribuées.

Il n’avait pu, au premier abord, ne pas étre frappé des conditions physiologiques de ces êtres semblables à nous sous tant de rapports, mais si différents en un point capital. Les habilants de la Lune n’étaient pas astreints au plus impérieux de nos besoins matériels, celui de se nourrir. Chez eux, par conséquent, point de tube digestif, pas d’œsophage, pas d’estomac, pas d’intestins.

C’est à l’état gazeux que les éléments indispensables à la vie, oxygène, carbone, azote, hydrogène, pénétraient dans leur organisme et, entraînés dans la circulation générale, allaient renouveler les tissus.

L’oxygène, ils l’empruntaient directement à l’air par la respiration ; les poumons, beaucoup plus développés que chez nous, présentaient une surface plus large, capable d’absorber une plus grande quantité de ce gaz vivifiant. Le carbone et l’azote, ils se les assimilaient par une vérilable décomposition chimique de l’acide carbonique et du gaz ammoniac en suspension dans l’atmosphère. À cet effet, le tube digestif et ses annexes étaient remplacés chez eux par un ensemble d’organes spéciaux tapissés de muqueuses d’une extrême finesse qui, sous l’influence du système nerveux, séparaient les éléments de ces gaz, à peu près comme les parties vertes des plantes, sous l’influence de la lumière solaire, décomposent l’acide carbonique et retiennent le carbone.

La grande quantité de gaz ammoniac existant dans l’air provenait de la décomposition des corps des animaux. Dans ce monde, en effet, où nulle vie ne se nourrissait d’une autre vie, entretenue qu’elle était par des éléments gazeux, les corps des êtres animés ne voyaient pas leur existence abrégée par la nécessité de fournir aux autres êtres vivants des aliments solides. Ils allaient tous jusqu’au bout de leur évolution vitale ; la nature opérait son œuvre de dissolution et ceux que la mort avait frappés rendaient rapidement aux vivants les éléments que ceux-ci s’assimilaient à leur tour dans un perpétuel échange.

Comment enfin l’hydrogène se trouvait-il à l’état libre dans l’air ? C’est que l’atmosphère des immenses cavernes était éminemment hydratée et que les puissants courants électriques qui la traversaient sans cesse, en y décomposant la vapeur d’eau, enrichissaient l’air de ce gaz si léger qu’il pénètre toutes les parois. Ainsi s’expliquaient l’absorption constante et l’assimilation de l’hydrogène par les tissus du corps humain dans le monde lunaire.

Dans cette vie physiologique d’un ordre supérieur, aucun élément impur et inassimilable, comme ceux que la nutrition apporte à nos organes, n’entrait dans leur économie pour en être ensuite expulsé. Il n’était pas nécessaire que leur sang fût, comme le nôtre, débarrassé par une voie spéciale d’éléments grossiers. Un organe particulier, sorte de glande située au-dessous de l’appareil respiratoire, filtrait en quelque sorte le sang, éliminant les molécules nuisibles devenues inutiles. Elle remplissait un rôle analogue à celui du rein, avec cette différence essentielle que les résidus de cette élimination étaient entraînés au dehors à l’état gazeux, tant par l’expiration que par l’évaporation à travers l’épiderme.

Comme leur mode de nutrition n’impliquait aucun travail de mastication, les dents chez eux auraient pu paraître inutiles. Ils en avaient cependant, mais celles qui meublaient leurs bouches ne jouaient pas le même rôle que chez nous. Moins épaisses et de moindre dimension, elles ne servaient qu’à régulariser le passage de l’air dans l’émission de la parole, et à produire avec les mouvements de la langue et des lèvres les articulations du discours. D’une blancheur d’ivoire, que n’allérait jamais aucune de ces causes qui, sur la Terre, les dégradent et les détruisent, leur éclat contrastait avec le rouge vif des gencives, où elles s’enchâssaient comme des perles dans un écrin.

Dans cet organisme moins complexe, la fonction du foie, au lieu d’être double, comme chez nous, était simple. Pas n’était besoin, en effet, d’une sécrétion de bile là où il n’y avait ni alimentation ni digestion. Mais le foie conservait toute son activité pour produire la matière glycogène qui donne elle-même naissance au glycose, dont le rôle est si considérable dans la respiration et la rénovation des tissus. Le mécanisme vital, dans ce milieu suroxygéné était d’une énergie beaucoup plus active. Aussi le développement physique était-il plus rapide que sur la Terre, et une dizaine de nos années suffisait à l’être humain pour atteindre l’âge adulte. Ces conditions physiologiques entretenaient une vigueur constante, une jeunesse qui se prolongeait jusque dans un âge très avancé, un équilibre permanent de tous les éléments qui concourent à la vie.

On ne rencontrait pas chez eux de ces tempéraments déséquilibrés par la prédominance soit du système nerveux, soit de la lymphe, soit du sang. On n’y voyait pas de névropathes, de ces êtres anémiés, au teint pâle et blafard, qui n’ont que les apparences de la vie, de ces natures sanguines ou pléthoriques irrémédiablement vouées aux congestions ou aux apoplexies. Aussi le champ des maladies était-il restreint et ne présentait que de très rares complications. Quelques irritations des voies respiratoires, auxquelles on remédiait facilement par un dosage ingénieux de l’air respirable, parfois des engorgements ou des inflammations des organes abdominaux, des céphalalgies causées par une dépense excessive de force musculaire ou de tension cérébrale, composaient toute leur pathologie.

Et, chez ces êtres supérieurs, la thérapeutique était fort simple. Comme la respiration était chez eux l’unique mode d’entretien de la vie, c’est par la respiration qu’ils transmettaient à l’organisme tous les agents curatifs. Leur connaissance approfondie de la chimie et les moyens qu’ils possédaient d’agir sur les diverses substances, leur permettaient de les faire passer facilement à l’état gazeux et de les administrer aux malades par voie d’inhalation.

Depuis longtemps aussi ils étaient en possession de la méthode d’injection hypodermique, à laquelle ils ne recouraient d’ailleurs que dans les cas particulièrement graves et où il s’agissait de faire pénétrer rapidement dans la circulation certaines substances énergiques, d’une action prompte et décisive.

Quant aux traumatismes qui pouvaient résulter de tous les accidents inhérents, surtout pour la classe des Diémides, à une vie active et laborieuse, la science de leurs chirurgiens en avait d’ordinaire aisément raison. La liste, beaucoup plus complète que la nôtre, des anesthésiques et des antiseptiques, leur fournissait les moyens de pratiquer avec la plus grande sécurité les opérations les plus délicates, sans avoir à craindre les funestes conséquences qui souvent chez nous les rendent si redoutables.

Tout d’ailleurs les favorisait : l’air qu’ils respiraient et que surchargeait l’ozone, milieu essentiellement défavorable aux germes morbides, et par-dessus tout la simplicité même de leur organisme, qui rendait toujours facile et jamais périlleuse la diffusion des substances médicamenteuses,

Un jour que Jacques s’entretenait avec ses amis des singularités que ses observations lui avaient révélées sur la constitution physiologique des habitants de la Lune, lord Rodilan l’interrompit en s’écriant :

« Ah ! voilà un pays où les damnés fils d’Esculape seraient bien assurés de ne jamais faire fortune !

— Vous leur en voulez donc bien, mon cher ami, répondit Jacques, à ces malheureux médecins, qui, si souvent, exposent leur vie pour arracher leurs semblables à la mort ?

— Oui, oui, je sais, il en est qui, comme vous, sont de braves gens, toujours prêts à soulager le pauvre monde. Mais je parle de ces charlatans qui se targuent orgueilleusement du titre de princes de la science et n’ont en vue que de vendre à des prix fantastiques les moindres paroles tombées dédaigneusement de leurs lèvres sibyllines.

— Vous avez donc été écorché de bien près par quelqu’un de mes savants confrères ?

— Ah ! oui, et il m’en souvient encore. J’étais, depuis quelque temps, travaillé par des douleurs d’estomac à propos desquelles j’avais consulté nombre de médicastres, tous plus diplômés les uns que les autres. Ils m’avaient drogué à qui mieux mieux et envoyé aux stations balnéaires les plus fantaisistes, et, bien entendu, toutes ces pérégrinations n’avaient profité qu’à ceux qui me les avaient conseillées : car nul n’ignore que ces messieurs ne dédaignent pas de toucher une commission plus ou moins raisonnable pour chacun des patients qu’ils adressent aux établissements en vogue.

« Bref, on finit par m’indiquer un célèbre spécialiste qui, dans des cas pareils, opérait, disait-on, des miracles. Il résidait à Londres. J’étais alors à Calcutta ; je fis le voyage tout exprès, tant j’avais hâte de digérer comme tout le monde.

« À peine arrivé, je me rendis chez lui. Je pénétrai dans un hôtel splendide qui resemblait plutôt à un palais qu’à la demeure d’un savant…

— Pardon, interrompit Jacques en souriant, il s’agissait d’un prince de la science.

— Soit ; mais la cage valait mieux que l’oiseau. Après avoir longtemps, très longtemps attendu dans un salon somptueusement orné, où s’entassaient tous les chefs-d’œuvre des arts, et que remplissait déjà une foule de fidèles, attendant l’oracle de leur destinée, je fus introduit à mon tour dans le sanctuaire.

« Je me trouvai en présence d’un grand vieillard, au front dégarni, à la face rougeaude encadrée de longs favoris blancs. Son œil froid avait l’air de vous scruter jusqu’à l’âme et peut-être jusqu’au fond du porte-monnaie ; ses lèvres minces n’avaient jamais dû s’ouvrir pour un sourire bienveillant : son abord était plutôt antipathique.

« D’un geste grave, il m’indiqua une chaise placée en face du fauteuil élevé sur lequel il se laissa tomber lui-même, me dominant de tout son buste.

« Je le considérai avec curiosité, car je ne me suis jamais laissé prendre aux airs solennels de ces fantoches qui semblent toujours pontifier et traiter comme un vil bétail les malheureux que leur imprudence met à portée de leurs griffes.

« Se renversant enfin sur le dossier de son siège et croisant les jambes, pendant qu’il regardait avec une attention profonde les ongles de sa main gauche, il laissa tomber ces mots : « Milord, je vous écoute. »

« J’exposai mon cas, énumérai les supplices divers auxquels m’avaient soumis ceux de ses confrères que j’avais consultés. Il m’écoutait, hochant parfois la lête et se bornait, lorsque je faisais mine de m’arrêter, à me dire : « Allez, allez toujours, »

« J’arrivai à la nomenclature des eaux thermales que j’avais essayées et lui dis, sans y attacher autrement d’importance, que l’usage des eaux de Vichy semblait m’avoir procuré quelque soulagement.

« Ce fut une révélation.

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— Ah ! s’écria-t-il, Vichy vous à fait du bien. Eh bien, Milord, retournez à Vichy ! »

« Il s’était levé. Tout stupéfait, j’en fis autant. La consultation était terminée. Il ajouta obligeamment : « C’est trois livres. »

Marcel riait franchement.

« Vous avez eu, conclut Jacques, la be de tomber sur un de ces faiseurs qui, sous le nom de médecins, exploitent la crédulité publique. Mais de tout cela résulte un enseignement utile. Si votre estomac vous tourmentait, c’est qu’il avait pour cela d’excellentes raisons. On sait que les dîners délicats à la fois et plantureux sont de mise dans le monde diplomatique, et, soit dit sans vous offenser, vous en aviez quelque peu abusé.

« Depuis que vous êtes réduit à un régime qui a le précieux avantage de rendre tout excès impossible, votre estomac vous laisse parfaitement tranquille.

— C’est possible, répliqua lord Rodilan ; mais au risque de quelques crampes, je ne serais pas fâché de me retrouver assis à la table du Yachting-Club. »

En étudiant attentivement la structure physiologique des membres de l’humanité lunaire, Jacques était arrivé à constater chez eux une particularité qui lui avait d’abord échappé et qui expliquait, dans une certaine mesure, leur supériorité morale.

Dispensés du soin de se nourrir, ils n’avaient pas besoin du sens du goût, et la nature, qui ne fait rien d’inutile, ne les en avait pas dotés. Chez eux, les papilles de la langue et du palais ne recevaient pas l’impression des saveurs diverses, mais elles remplissaient une autre fonction. Douées d’une sensibilité dont nous pouvons à peine concevoir la délicatesse, elles formaient comme une sorte d’appareil d’émission électrique, et les mouvements que la volonté, élaborée dans le cerveau, imprimait à cet organe produisaient des ondes qui, bien que très faibles, allaient frapper chez les autres individus un organe récepteur d’une égale sensibilité. Cet organe résidait dans l’oreille, où une deuxième membrane, analogue au tympan, mais infiniment plus délicate, vibrait à son tour et transmettait l’impression au cerveau.

Grâce à ce sens, à l’aide duquel se traduisaient ces états insaisissables de l’âme qui échappent chez nous à l’observation, la pensée, en se transmettant de l’un à l’autre, arrivait exprimant en toute sincérité, et sans qu’il fût possible de les dissimuler, l’idée, le sentiment et la volonté. Ce sens fonctionnait en même temps que la parole.

De même que, chez nous, plusieurs sens s’exerçant à la fois concourent à l’expression complète de la pensée ou du sentiment, la voix en traduisant les idées ; les yeux, les mouvements du visage et parfois même le geste en complétant cette manifestation, ainsi, mais avec beaucoup plus de puissance, chez les êtres que Jacques étudiait alors, ce sens inconnu faisait de la sincérité la loi même de leur nature.

Des êtres qui ne pouvaient dissimuler aucune de leurs pensées ni aucun de leurs sentiments n’avaient jamais pu même concevoir l’idée du mensonge. Il n’y avait donc pas entre eux place pour l’hypocrisie ni pour la fraude. Par suite, nulles tromperies, nulles machinations secrètes, nulles intrigues au profit d’ambitions inavouées. Ne pouvant rien cacher, on n’avait pas songé à ourdir des complots, à combiner des manœuvres, à tendre des pièges. Il était impossible d’avoir une chose sur les lèvres, une autre dans le cœur ; enfin, chez les heureux habitants de la Lune, la science diplomatique, qui n’est, le plus souvent, qu’une science d’artifices et de mensonges, était absolument inconnue.

Jacques s’était demandé aussi comment, depuis tant de siècles que l’humanité lunaire vivait dans ces conditions nouvelles, l’accroissement de la population, s’il était soumis aux mêmes règles que chez nous, n’avait pas déjà rempli outre mesure l’espace restreint dans lequel elle habitait. Mais il avait reconnu bientôt que les naissances, soumises aux mêmes conditions physiologiques que sur la Terre, échappaient à la loi de progression. La nature, dans sa prévoyance, avait sagement, pour la race humaine comme pour les espèces animales, renfermé dans des limites infranchissables le développement de la vie. Elle se contentait de réparer les pertes ; les unions étaient loin d’y être aussi fécondes que chez nous, et le nombre des naissances ne dépassait pas celui des décès.

Grâce à la vigueur de leur constitution, la vie se prolongeait chez les habitants de la Lune, au delà des bornes que nous lui connaissons. Elle atteignait fréquemment cent vingt-cinq ou cent trente de nos années. Et dans ces natures robustes dont aucune cause morbide n’altérait le fonctionnement, les forces du corps et les facultés de l’intelligence se conservaient sans altération sensible jusque dans l’âge le plus avancé de la vie.

La période d’affaiblissement qui précédait la mort était relativement courte. La vie organique décroissait la première, laissant à peu près intact ce que les physiologistes appellent la vie de relation. Le vieillard, que ses forces physiques abandonnaient peu à peu et chez lequel les fonctions nutritives — c’est-à-dire de respiration — allaient diminuant, gardait jusqu’au dernier instant la netteté de son esprit, la vivacité de ses sentiments. Résigné, grâce à une haute philosophie à laquelle il devait la démonstration incontestée de la vie future, il s’éteignait doucement au milieu des siens, leur adressant ses suprêmes conseils, et les dernières paroles qu’il prononçait renfermaient non un « adieu » désespéré, mais un « au revoir » tout plein de promesses et d’espérances.

Dans cette fin d’un sage, semblable au sommeil de celui qui s’endort sur sa tâche accomplie, rien de lugubre ou de sinistre comme chez nous. On n’assistait jamais au spectacle répugnant de ces décomposilions qui semblent anticiper sur le tombeau, à ces déplorables effondrements de l’intelligence, qui paraît s’éteindre par fragments et ne laisser entre les mains de ceux qui entourent le vieillard qu’une misérable guenille n’ayant plus rien d’humain que la forme.

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CHAPITRE XVII LETTRES ET ARTS

Une société dont la culture intellectuelle et morale était si développée, ne pouvait rester inférieure dans le domaine des arts. Tous, ceux qui se manifestent dans le temps comme ceux qui se manifestent dans l’espace, y était assidûment cultivés depuis de longs siècles et servaient à entretenir le goût du beau et le sentiment du bien.

Au premier rang était la littérature.

Tous les genres y étaient représentés, depuis la poésie lyrique, aux généreuses envolées qui, dans des vers sublimes, s’élève à Dieu, jusqu’à ces récits aimables et charmants, où la fantaisie mêle aux conceptions les plus graves de la raison les gracieuses créations d’une imagination toujours maîtresse d’elle-même, et qui ne se départ jamais du respect de soi-même et des autres. Les poètes célébraient daus leurs hymnes la grandeur de l’Esprit Souverain, les spectacles merveilleux de la nature, les révolutions des mondes dans l’espace, les élans de l’âme vers l’infini, tout ce qui peut arracher l’homme à sa condition inférieure et réveiller en lui le sentiment de ses destinées immortelles.

D’admirables poèmes épiques, plus beaux que nos Iliades et nos Odyssées , inspirés par un ardent amour de l’humanité, retraçaient pour l’enseignement des âges nouveaux les exploits des temps antiques.

Là, rien de cette mythologie froide et incohérente où les habitants de la Terre, s’adorant eux-mêmes, divinisaient leurs plus mauvaises passions et leurs actes les plus condamnables.

Des héros à l’âme pure, ayant en vue non la satisfaction de grossiers désirs ou d’ambitions coupables, mais le bien de leurs semblables, y passaient grands et forts, luttant contre les forces naturelles pour affranchir les autres hommes de cette servitude et donnant avec joie leur vie, s’il devait en résulter, pour ceux auxquels ils se sacrifiaient, un bonheur conquis, un progrès accompli.

C’était, dans les âges passés, au temps où l’humanité lunaire vivait à la surface du satellite, lorsqu’elle avait dû, elle aussi, à force de courage et de persévérance, conquérir sur une nature hostile son indépendance et sa haute civilisation, que les divins aèdes trouvaient ces nobles figures dont le respect s’imposait à l’admiration de tous.

On ne rencontrait, dans cette littérature épurée, rien de semblable à notre poésie dramatique. Chez nous, en effet, la tragédie ne fait que mettre en œuvre les passions les plus désordonnées. Si parfois un éclair de grandeur et d’héroïque dévouement traverse cette nuit sombre, on n’aperçoit à sa clarté qu’un grouillement confus de haines ardentes, de jalousies effrénées, d’ambitions sans retenue ; notre scène tragique ruisselle toujours de sang et de larmes.

La comédie, telle que nous la pouvons concevoir, ne montre pas notre triste humanité sous un jour plus favorable : c’est que, il faut bien le dire, elle n’est que la reproduction trop fidèle de ce que nous sommes en réalité. Si les catastrophes auxquelles sont mêlés les personnages sont moins cruelles et moins effrayantes, elles sont cependant d’une perfidie plus raffinée et plus subtile.

On n’y trouve que fourberie et duplicité, intrigues malsaines dans lesquelles on fait appel aux plus viles passions, étalage cynique des plus basses convoitises. Vieillards libidineux qui sont le jouet d’intrigants, femmes adultères et coquettes, jeunes filles dont la fausse innocence cache une dépravation précoce, valets fripons, entremetteuses de toutes sortes, voilà pour l’ordinaire les personnages qui s’agitent dans une action dont la complexité et l’imbroglio font souvent le seul mérite.

Et le public de s’esclaffer et d’admirer, comme s’il se complaisait au spectacle de ses propres turpitudes.

Les auteurs se flattent sans doute de corriger les mœurs par le rire, mais ce rire ne fait que souligner l’immoralité de leurs

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conceptions, familiariser le spectaleur avec ses misères, et les lui rendre par l’habitude moins odieuses et plus acceptables.

Si chez ces êtres, d’un niveau moral plus élevé et inaccessible à nos faiblesses, on ne pouvait rien imaginer d’analogue à nos poèmes tragiques ou comiques, ils n’avaient pas pour cela renoncé aux charmes séduisants des représentalions scéniques. Aux fêtes les plus solennelles, on donnait à la foule assemblée des spectacles de nature à élever les âmes et à entretenir un culte de reconnaissance pour ceux qui avaient été les bienfaiteurs de l’humanité.

Comme il y avait dans ces cérémonies un caractère à la fois religieux et patriotique, c’était un honneur que d’y figurer et d’y tenir un rôle.

Aussi les acteurs, si l’on peut donner ce nom à ceux qui étaient investis de cette mission très haut prisée, se recrutaient-ils parmi les plus nobles et les plus intelligents, ceux qui possédaient à un haut degré les plus rares qualités de l’esprit et de l’imagination.

Il ne s’agissait pas là, en effet, de réciter, avec une mémoire plus ou moins heureuse et une mimique plus ou moins adaptée au caractère d’un personnage fictif, l’œuvre d’un poète tracée d’avance et invariable dans son expression. Un thème était donné, quelque grand acte de dévouement, quelqu’une de ces glorieuses entreprises ayant contribué à émanciper l’humanité, à augmenter la somme de son bonheur et de sa prospérité. Les grandes lignes seulement en étaient tracées. Chacun de ceux qui devaient figurer les personnages du drame y choisissait son rôle, le mieux adapté à sa propre nature et à ses sentiments. Il s’identifiait ensuite avec le personnage qu’il devait représenter, se pénétrait profondément de son caractère intime, arrivait à penser, sentir, agir comme lui. Puis, quand il l’avait fait sien, il s’abandonnait sur la scène à sa propre inspiration. Suivant que les péripéties de l’action se déroulaient, il éprouvait tous les sentiments que comportaient ces situations diverses ; il parlait suivant des impressions vraiment ressenties. C’était sa personnalité même qui était en jeu, et les spectateurs avaient sous les yeux non pas une vaine et froide illusion, mais la vie dans toute sa réalité, dans ce qu’elle a de plus noble et de plus généreux.

Les manifestations de l’art musical concouraient aussi, chez les habitants de la Lune, à la grandeur imposante de ces solennités. Mais ici, comme pour l’art scénique, il fallait pour ces hommes que la vérité seule pouvait émouvoir, des œuvres d’une absolue sincérité.

Grâce aux progrés qu’avait faits chez eux la science de l’acoustique, ils pouvaient mettre la nature tout entière à contribution et lui ménager en quelque sorte un rôle dans leurs conceptions artistiques. Ils avaient déjà noté le son mystérieux des sphères qui gravitent dans l’immensité. Ils percevaient et fixaient de même les harmonies les plus fugitives, le bruit des vagues qui tantôt se brisent mollement sur le rivage, tantôt, sous l’action du vent, s’écroulent avec un sourd fracas, le murmure des ruisseaux courant dans les plaines, le chant des oiseaux, le souffle léger de la brise dans le feuillage.

Sur ces thèmes, que leur fournissait le milieu même dans

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lequel ils vivaient, les artistes inspirés brodaient les créations les plus variées de leur fantaisie. Suivant qu’ils étaient pénétrés de joie ou de tristesse, d’enthousiasme ou de mélancolie, ils adaptaient à leurs sentiments ces motifs si riches et si divers. Ils y ajoutaient l’expression de leurs propres passions ; ils en faisaient un tout, où il était impossible de distinguer ce qu’ils devaient à la nature et ce qu’y avait ajouté leur génie créateur.

Il en résultait des mélodies d’un charme inexprimable, des concerts harmonieux dont la douceur berçait mollement les âmes, réveillait dans les cœurs les plus nobles sentiments et formait un merveilleux accompagnement aux grandes scènes dramatiques qui se déroulaient sous les yeux des spectateurs émus.

C’était dans la capitale du monde lunaire que se célébraient ces fêtes, qui devaient leur magnificence non à l’entassement puéril ou prétentieux de vaines somptuosités, mais au choix délicat, à la grandeur des conceptions artistiques dont elles étaient le prétexte et l’occasion. Ses habitants n’étaient pas, du reste, les seuls à jouir de ces spectacles magnifiques. Avec les moyens que la science avait déjà depuis longtemps vulgarisés dans ce monde privilégié, tout ce qui se faisait, tout ce qui se disait sur ces scènes grandioses était immédiatement transmis dans toutes les villes et dans les villages les plus reculés. Ceux qui n’avaient pu se rendre au lieu où siégeait le gouvernement, avaient sous les yeux, avec la fidélité la plus scrupuleuse, ces imposants spectacles. Ils voyaient les acteurs, ils les entendaient, ils percevaient le son des instruments. Rien n’était perdu pour eux et, dans ces jours où s’exaltait le culte de la patrie et de la vertu, la population entière de la Lune était réunie dans un élan commun de ferveur et d’amour.

De vastes salles, savamment aménagées pour l’acoustique et pour la vue, recevaient les nombreux spectateurs que ces fêtes attiraient.

Sur des gradins largement espacés, chacun était commodément assis, et n’était géné, comme dans nos théâtres étroits où l’on s’entasse pour s’étouffer, ni par ses voisins, ni par le va-et-vient des gens égoïstes ou distraits qui ne se font nul scrupule de déranger vingt personnes pour regagner leur place. On n’avait ménagé ni l’air ni l’espace, et, du reste, tous les assistants, pénétrés de la gravité de ces représentations, jouissaient, d’un esprit recueilli et d’un cœur ému, des grandes scènes qui se déroulaient devant eux.

Comme ceux qui se rendaient à ces solennités y venaient non pour se montrer ou pour faire un fastueux étalage de joyaux ou de toilettes voyantes, mais pour s’y abandonner aux plus nobles jouissances de l’art, les architectes qui avaient construit ces vastes édifices avaient eu soin de laisser les spectateurs dans l’ombre et de projeter toute la lumière sur la scène où se mouvaient les personnages de ces drames héroïques ou lyriques. Ce qu’on avait sous les yeux c’était la vie dans toute sa réalité et dans toute son intensité.

Fidèles aux traditions du beau, qui se transmettaient sans s’altérer de génération en génération, les peintres et les sculpteurs s’inspiraient des sentiments les plus nobles et les purs. Rien n’y venait fausser leur jugement supérieur, le culte d’une forme épurée, le sentiment des beautés toujours nouvelles de la nature. Là jamais rien de mièvre ou de contourné, rien de prétentieux ou de factice, rien surtout qui pût abaisser les âmes, et, sous le faux dehors de la beauté plastique, faire naître le goût des vils instincts, des actes dégradants.

Les gymnases où, sous la direction de maîtres respectés, se formaient les disciples du grand art, ne retentissaient pas, comme chez nous, du bruit des querelles d’école ; on ne s’y disputait pas sur la forme ou la couleur ; on ne s’y jetait pas à la tête les noms d’impressionnistes, de symbolistes. On n’y connaissait qu’une seule forme de l’art, celle qui réunit dans une expression souveraine Ja splendeur de la forme à la noblesse de l’idée.

Grâce aux moyens tout à fait perfectionnés dont ils disposaient. les écrivains et les compositeurs n’étaient pas asservis à la nécessité de noter péniblement leurs pensées à l’aide de signes lents à tracer et où se perdent souvent les mouvements et la chaleur de l’inspiration.

Des appareils spéciaux saisissaient, au moment même où ils se produisaient, les mots sortis des lèvres du poète, les sons que le musicien lirait de l’instrument qui donnait à ses émotions une forme sensible. Et l’œuvre, à jamais fixée, apparaissait ainsi toute vibrante encore des impulsions de l’âme qui lui avaient donné naissance, dans la splendeur ou la grâce de sa spontanéité.

De riches bibliothèques remplies de tous les ouvrages remarquables laissés par les âges précédents, et des revues où s’enregistraient au jour le jour les conquêtes incessantes d’une science toujours en éveil, fournissaient à tous d’inépuisables trésors. Tout ce qu’avaient pu réaliser de progrès l’art de la typographie, le dessin et la gravure, se réunissait pour placer sous les yeux de ceux qui feuilletaient ces vastes collections, les conquétes que le génie des sages avait réalisées à force de travail et de persévérance.

La simplicité des méthodes, la clarté des démonstrations, l’abondance des faits observés et la rigueur de l’esprit critique qui présidait à leurs classifications, rendaient accessible à tous les esprits la connaissance des problèmes qui sont chez nous le privilège de quelques intelligences d’élite. Et grâce à cette diffusion scientifique, ces êtres si bien doués sous le rapport de la compréhension et du raisonnement, se maintenaient à un niveau intellectuel que nous avons peine à concevoir.

Dans ce monde où tout était harmonieux et simple, l’organisation sociale était fixe et à l’abri de toutes les révolutions que suscitent sur la Terre les ambitions ou les fureurs des partis. On n’y connaissait rien non plus de ce que nous appelons les affaires. Aussi jouissait-on de l’inappréciable avantage de n’avoir pas de journaux ! Par suite, on ignorait ces polémiques ardentes où les intérêts privés déchaînés font table rase des intérêts publics, ces factums injurieux où, pour satisfaire des haines sauvages ou de basses rancunes, on vilipende les hommes les plus considérables, on exalte le vice ou la perlidie, on traîne sur la claie l’honnêteté et la vertu.

Rien de semblable non plus à ces scandaleuses entreprises où, sous prétexte de servir l’utilité générale, on trompe une multitude dont l’avidité égale la sottise, on spécule sur les plus mauvaises passions, on s’enrichit aux dépens d’autrui, et on donne le spectacle écœurant de fortunes colossales fondées sur l’agiotage et le jeu, sur la ruine d’une foule de misérables.

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Il s’était donné pour tâche d’étudier à fond tout ce qui concernait la religion, les mœurs, les institutions politiques et civiles, et se proposait de réunir tous les résullals de ses recherches dans un Mémoire qui, joint au résumé de Marcel et de Jacques, formerait à coup sûr le plus inattendu, le plus nouveau et le plus intéressant des traités. Quel émerveillement ce serait pour le monde savant de la Terre que de recevoir un jour ce livre étrange, imprimé sur la Lune, tout rempli de photographies, de dessins, de peintures, chefs-d’œuvre des artistes lunaires, représentant des êtres humains, des animaux, des monuments, des paysages inconnus !

Comment un pareil ouvrage parviendrait-il à la connaissance de ceux auxquels il était destiné ? — Le diplomate anglais ne s’en inquiétait pas pour le moment, mais il y travaillait avec ardeur.

Sa tâche, du reste, avait été facile.

Les institutions politiques qu’il s’était chargé d’étudier étaient peu compliquées : pas d’autorité tracassière jalouse de ses prérogatives, toujours prête à mesurer son importance aux ennuis et aux embarras qu’elle suscite à ses administrés. On ignorait et la tyrannie bureaucratique, et les vexations paperassières, et les inquisitions odieuses que les pauvres humains de la Terre, vraiment de très bonne composition, déguisent sous les doux euphémismes de libertés, de garanties administratives.

Là, on n’avait pas sous les yeux l’afiligeant spectacle que présente, chez les peuples qui se prétendent les plus civilisés de la Terre, l’organisation de la justice répressive. Les contestations entre particuliers étaient rares et aisées à trancher : l’équité et la bonne foi des contractants suffisaient amplement à les régler.

Quant aux attentats contre les personnes ou contre la chose publique, produits le plus souvent par l’âpre lutte pour l’existence, ils y étaient complètement inconnus.

Dès lors pas de tribunaux, pas de police, pas de gendarmes, pas de bourreaux.

Nul n’avait à redouter les dénonciations perfides, les accusations intéressées, à trembler pour lui-même ou pour les siens, à redouter les surprises de la loi ou les pièges de la chicane.

On vivait ouvertement sans avoir rien à dissimuler, et partant rien à craindre.

CHAPITRE XVIII UNE ASCENSION GIGANTESQUE

Cependant les trois voyageurs avaient dû, tout en s’occupant de leurs importantes recherches, s’inquiéter d’un problème qui avait pour eux la plus haute importance : celui d’assurer leur vie dans un milieu si différent de celui où ils avaient jusqu’à présent vécu. Sans doute, les provisions dont ils avaient pris soin de se munir en quittant la Terre, conserves de toutes sortes, biscuits et boissons diverses, pouvaient leur suffire pendant un temps assez long. Mais, depuis plus de six mois qu’ils habitaient le monde lunaire, ils y avaient déjà fait d’assez larges brèches et ils voyaient s’approcher, non sans inquiétude, le moment où ils auraient épuisé leur stock.

D’autre part, ce phénomène d’êtres vivants se nourrissant autrement que par la simple absorption de l’air, à l’aide d’éléments matériels, avait intrigué les habitants de la Lune. Les trois étrangers avaient été l’objet d’une étude qui, sans leur profond sentiment des convenances, aurait peut-être pu devenir indiscrète. Mais on se souvient que parmi les documents que renfermait l’obus, se trouvaient des atlas d’anatomie les plus récents et les plus complets. Il avait donc été facile aux savants de se rendre un compte exact de la physiologie de l’humanité terrestre, et ils avaient songé eux-mêmes à trouver pour leurs hôtes les moyens les plus simples et les plus efficaces d’entretenir leur vie.

Marcel, qui avait examiné avec eux cette importante question, avait manifesté le désir d’utiliser à cet effet les graines diverses, céréales et légumineuses qu’il avait apportées de la Terre, et d’essayer aussi la culture des essences fruitiéres dont il s’était également muni. Une assez vaste région avait été aménagée à cet effet. Sur les indications de Marcel, les Diémides mis à sa disposition avaient fabriqué les instruments aratoires, et bientôt les trois exilés de la Terre avaient pu contempler comme un champ cultivé leur rappelant leur planète natale.

Mais il était quelqu’un à qui la perspective de cette nourriture de végétariens ne souriait que médiocrement, c’était lord Rodilan.

« Les conserves de corned beef , de ham , de gibier, passe encore, disait-il d’un ton piteux, bien que cela ne vaille pas une large tranche de roastbeef saignant ; mais vos choux, vos carottes, peuh ! le triste régal. Je ne suis pas un lapin pour vivre de la sorte et ne saurais m’y faire. »

Souvent il jetait des regards de convoitise sur les gracieux et jolis animaux qui bondissaient au milieu des plaines, ou sur les poissons aux écailles changeantes qui sillonnaient comme d’un éclair d’argent les ondes limpides de la mer et des ruisseaux. Il se disait qu’avec un des bons fusils de chasse ou quelqu’une de ces lignes perfectionnées qui figuraient en ce moment dans le musée du palais, il aurait bientôt fait de se procurer de savoureux repas. Il n’avait pu même résister à la tentation de s’en ouvrir à leur ami Rugel ; mais celui-ci avait répondu en souriant, comme s’il comprenait les exigences de cet estomac britannique.

« Hélas ! il vous faudra, ami, renoncer à cette espérance. Le meurtre ici est chose inconnue ; tous les êtres vivent dans une sécurité complète ; la vie, émanation de la toute-puissance de l’Être Souverain, est chose sacrée. Que, dans votre monde où de tristes nécessités vous obligent à vous repaître d’êtres animés, vous soyez conduits à imiter l’exemple que la nature vous y donne elle-même, cela se comprend et se peut excuser. Mais rien ne saurait chez nous rendre admissible une pareille atteinte à l’ordre et à l’harmonie de notre monde. Rassurez-vous toutefois : nos savants ont songé à vous ; ils connaissent aujourd’hui les éléments indispensables à votre existence ; ils ont prévu le cas où les expériences tentées par notre ami Marcel ne vous fourniraient pas tous ceux qui vous sont nécessaires, et ils étudient la composition d’un aliment qui, sous un volume très réduit, pourra remplacer la nourriture animale à laquelle vous êtes accoutumés. »

L’Anglais fit la grimace et murmura à part lui :

« Tout cela est bel et bon, mais sent diablement la pharmacie. Enfin nous verrons. »

Il ne tarda pas à voir, en effet.

Quelques jours après cet entretien, Jacques, qui passait presque tout son temps avec les savants lunaires dans leurs laboratoires, revint tout triomphant et présenta à ses deux amis un flacon tout rempli d’une liqueur claire et transparente comme de l’eau pure.

« Qu’est cela, bon Dieu ! fit Marcel et qu’est-ce qui te rend si joyeux ?

— Mes amis, dit Jacques, nous voici maintenant assurés de ne jamais avoir à regretter les succulents repas dont le souvenir hante encore notre cher Rodilan.

— Quoi ! fit l’Anglais, prétendez-vous que votre mixture va remplacer efficacement les bœufs de Durham, les moutons du Yorkshire et les jambons de Westphalie dont le nom seul me fait venir l’eau à la bouche ?

— Parfaitement, mon très cher ; et d’abord ce que vous appelez en profane une mixture est le résultat d’une combinaison merveilleuse où se mélangent, dans des proportions scientifiquement déterminées, les éléments azotés que nous fournissait sur Terre la chair des animaux. Rien que dans ce petit flacon il y a de quoi nous nourrir tous les trois pendant plusieurs semaines. Et si nous faisions de cet aliment un usage exclusif, nous serions bientôt victimes d’une surabondance de vie et menacés de funestes congestions. Heureusement, les champs ensemencés par Marcel nous fourniront en quantité suffisante une nourriture rafraîchissante. L’élixir que j’ai l’honneur de vous présenter sera notre viande.

— Peuh ! fit l’Anglais, je savais bien que tout cela finirait par des drogues.

— Goûtez-en seulement, dit Jacques en riant ; vous jugerez après. »

Et il versa dans un verre quelques gouttes du précieux nectar.

Lord Rodilan regarda, flaira le liquide inconnu, puis brusquement fermant les yeux avec une grimace, comme un enfant qui avale une médecine, il absorba le contenu du verre. Et, se recueillant :

« On ne peut pas dire, fit-il, que ce soit excellent ; mais enfin ce n’est pas mauvais. Je doute fort cependant qu’il y ait là de quoi remplacer un beefsteak .

— Attendez donc quelques instants, répondit Jacques, et vous m’en direz des nouvelles. Voyez notre ami Marcel ; il n’y fait pas tant de façons. »

En effet, une demi-heure était à peine écoulée que lord Rodilan et Marcel, complètement réconfortés, se sentaient tout remplis d’une vigueur nouvelle, comme s’ils s’étaient assis à une table abondamment servie.

L’expérience était décisive ; le nouvel aliment fut adopté sans plus de difficulté, et les trois amis se sentirent rassurés contre la crainte de mourir de faim.

Il leur sembla même que ce genre de nourriture presque immatérielle les rapprochait quelque peu, à leurs propres yeux, de la condition supérieure des habitants de la Lune. Plus d’une fois, en effet, ils s’étaient sentis humiliés des tristes nécessités que leur imposait leur nature terrestre, et ils avaient cru surprendre parfois dans les regards de ceux qui avaient été témoins de leurs repas comme une expression de surprise et de pitié. Aussi le plus souvent avaient-ils soin de prendre leur nourriture à l’écart.

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la surface du satellite, et que bientôt l’air raréfié offrait un milieu irrespirable. À plusieurs reprises, il avait rappelé à Rugel sa promesse ; le moment élait proche où il allait être complétement édifié à ce sujet.

Les études approfondies auxquelles il s’était livré n’avaient pas détourné Jacques de la pensée de celle qu’il avait laissée sur la Terre ; il avait hâte de lui faire savoir qu’il était sorti vivant de cette redoutable entreprise. Il s’en entretenait souvent avec Marcel ; ses préoccupations n’avaient point échappé au sage Rugel qui, l’interrogeant affectueusement, n’avait pas eu de peine à pénétrer la cause de sa tristesse. Cet amour si noble et si pur, pour lequel Jacques n’avait pas craint de risquer sa vie, était un de ces sentiments que comprenait l’âme élevée de leur nouvel ami ; il l’avait encouragé avec bienveillance à ne point désespérer, et, à quelques paroles qu’il avait laissé échapper, Jacques avait cru comprendre qu’on s’inquiétait des moyens d’aviser les habitants de la Terre de l’arrivée à bon port des hardis voyageurs. Mais le temps lui paraissait long, et lui aussi attendait avec impatience.

Un jour Rugei apparut souriant :

« Je vous apporte, leur dit-il, une bonne nouvelle : nous allons dans quelques instants, si vous le voulez bien, visiter l’observatoire dont je vous ai déjà parlé. Le moment est propice ; la partie de la Lune qui regarde la Terre est maintenant dans l’ombre, et vous allez revoir votre patrie tout éclatante de lumière.

— Ah ! enfin, s’écria Marcel avec un éclat de joie et en serrant énergiquement la main que lui tendait Rugel.

— Merci, ami, dit Jacques, le visage rayonnant de bonheur.

— All right  ! fit lord Rodilan ; je vais donc revoir la joyeuse Angleterre. Quel dommage, ami Rugel, que nous ne puissions pas vider ensemble, en son honneur, la dernière bouteille de champagne qui nous resle !

— Videz-la, répliqua Rugel ; je serai avec vous de cœur, non seulement pour l’Angleterre, mais aussi pour la France, pour le monde tout entier que vous avez quitté. »

Bientôt le vin pétilla dans les verres ; on entendit retentir les cris de : « Vive la France ! vive l’Angleterre ! » Et Rugel contemplait d’un œil attendri cette joie qu’il semblait partager, et qui, malgré son impassible sérénité, touchait son cœur.

Pendant ce temps un aéroscaphe s’était avancé : c’était un véhicule à la fois élégant et solide.

Marcel, qui s’était déjà depuis longtemps familiarisé avec le mécanisme moleur, se mit au gouvernail, mit le cap sur le point de l’horizon que lui indiqua Rugel, et l’appareil s’éleva, fendant l’air avec rapidité.

Au bout de quelques heures, la mer intérieure qui s’étendait au centre de l’immense caverne était franchie, et l’on était arrivé

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au pied d une colossale montagne de granit, sorte de muraille à pic qui paraissait absolument infranchissable. Entre le pied de la montagne et la grève où venaient mourir les flots, s’élevait une petite ville d’un aspect sévère et tranquille. Là vivaient, surtout pour être à proximité du lieu où ils se livraient à leurs travaux habituels, des hommes choisis dans la classe des Méolicènes et spécialement chargés des observations astronomiques. Leurs fonctions étaient prisées très haut dans le monde lunaire ; c’étaient eux qui avaient pour mission de maintenir en quelque sorte cette humanité souterraine en communication avec l’univers extérieur. Sans eux, sans leurs constants travaux, les habitants de la Lune auraient vécu complètement étrangers à ce qui se passait dans le monde sidéral et comme enfermés dans les ténèbres d’une éternelle prison.

De ce centre de recherches scientifiques parlaient incessamment des bulletins signalant, à mesure qu’ils se produisaient, tous les phénomènes célestes, et entretenant ainsi chez ces êtres si intelligents et qui savaient que la fin du monde qu’ils habitaient était fatalement marquée dans un espace de temps que l’on pouvait déjà calculer, le désir d’entrer en relations avec l’humanité la plus voisine.

Rugel et ses trois compagnons furent accueillis à leur arrivée avec la plus bienveillante cordialité. Bien qu’ils n’eussent jamais pénétré dans cette région lointaine, Marcel, Jacques et lord Rodilan étaient suffisamment connus. Ils retrouvèrent là quelques-uns des personnages éminents avec lesquels ils s’étaient déjà entretenus dans la capitale ; tous du reste étaient déjà au courant de leurs travaux. La salle où ils avaient été reçus était vaste et presque entièrement tapissée de cartes sidérales du travail le plus fini et de l’exactitude la plus parfaite. Mais Marcel remarqua qu’il ne s’y trouvait aucun instrument propre aux observations astronomiques.

« Eh bien ! mais, fit-il en s’adressant à Rugel, où donc est votre observatoire ? Ce n’est pas d’ici que vous pouvez contempler le ciel !

— Patience, ami, répondit Rugel, nous y arrivons. »

L’un des savants qui l’entouraient fit un signe : au fond de la salle s’ouvrit une large porte donnant accès à une sorte de couloir éclairé électriquement.

« Suivez-moi, » dit Rugel.

Ce couloir aboutissait à une petite pièce de forme circulaire élégamment meublée de sièges et de divans. Un fanal électrique disposé dans le plafond l’éclairait d’une lumière douce et égale, et, sauf la porte par laquelle ils étaient entrés, on n’y remarquait aucune trace d’ouverture.

« Asseyez-vous un instant, dit leur guide et vous ne tarderez pas à être satisfaits. »

Les trois amis, surpris, passablement intrigués, obéirent sans répondre.

« Nos observatoires, dit alors Rugel, ne vous offriront, au point de vue des instruments, aucune des surprises auxquelles vous vous attendez sans doute. D’après les dessins que vous nous avez montrés et les explications que vous nous avez fournies, nous avons pu juger que toute la théorie qui préside à la construction de vos instruments astronomiques repose sur les lois de la réflexion et de la réfraction des rayons lumineux. Ces lois sont générales ; seules les applications peuvent varier suivant la différence des milieux. Notre œil est conformé comme le vôtre ; le phénomène de la vision se passe pour nous comme pour vous ; tous les appareils d’optique qui ont pour objet d’étendre à l’infiniment grand et à l’infiniment petit le champ des observations ne sont que des yeux agrandis ou perfectionnés. S’il existe — et rien ne nous prouve qu’il n’en existe pas — d’autres moyens de sonder les profondeurs de l’espace ou de scruter dans leurs plus infimes manifestations les secrets de la vie, ces moyens ne doivent être accessibles qu’à des êtres conformés autrement que nous le sommes.

« Déjà, avant que notre humanité ne fût réduite à se réfugier à l’intérieur de notre monde, d’importantes recherches avaient été faites et de sérieux résultats obtenus. Je vous montrerai bientôt toute la série des travaux préliminaires par lesquels nous avons passé. »

Depuis quelques instants Marcel paraissait préoccupé : de légers frémissements semblaient agiter d’une façon presque insensible le siège sur lequel il était assis et jusqu’au sol sur lequel se posaient ses pieds, en même temps que se faisait entendre un bruissement presque insaisissable.

On eût dit qu’il cherchait la cause de ce mouvement et de ce bruit.

Rugel, qui l’observait, reprit plus vivement, comme pour l’arracher à ses réflexions :

« Vous verrez que nous avons, comme vous, usé longtemps de lunettes et de télescopes ; mais vous savez que les instruments réflecteurs sont toujours d’un maniement difficile et ne supportent pas des grossissements aussi considérables que ceux qui sont fondés sur le principe de la réfraction. Nous sommes arrivés dans la fabrication de nos lentilles à une telle perfection, nous avons pu construire des lunettes d’un tel diamètre que nous avons renoncé à l’usage des télescopes. »

Et Rugel s’étendit avec complaisance, en de longs détails, sur les procédés savants et précis à l’aide desquels ils obtenaient ces merveilleux et gigantesques objectifs ; sur les mécanismes simples et puissants qui faisaient mouvoir sans peine ces appareils, dont les proportions dépassaient tout ce que la science lerrestre avait jusqu’à présent pu réaliser.

Marcel et ses deux amis, vivement intéressés par les descriptions auxquelles se livrait Rugel, par les souvenirs des âges loiniains qu’il évoquait, par la succession de progrès scientifiques obtenus à travers les siécles et qu’il faisait passer sous leurs yeux, ne s’apercevaient pas que le temps s’écoulait et que plusieurs heures étaient déjà passées depuis leur entrée dans le réduit assez étrange où ils s’entretenaient encore.

« Tout cela est très curieux et fort instructif, ami Rugel, dit Marcel avec gaieté ; mais est-ce seulement pour nous faire une conférence sur l’histoire de l’astronomie lunaire que vous nous avez conduits ici ?

— Toujours impatient, répondit Rugel en souriant. Mais rassurez-vous, nous sommes arrivés.

— Arrivés ! s’écriérent à la fois Marcel, Jacques et lord Rodilan. Où ? Comment ?

— À la surface de la Lune, » répondit simplement Rugel.

CHAPITRE XIX L’OBSERVATOIRE

La porte s’était ouverte ; les trois habitants de la Terre, sous le coup d’une vive émotion, s’engageaient à la suite de Rugel dans une large galerie, assez faiblement éclairée, qui s’ouvrait devant eux. À son extrémité, une nouvelle porte cédait sous la pression de leur guide ; ils faisaient quelques pas et s’arrêtaient émerveillés. Ils se trouvaient sur une vaste terrasse inondée d’une lumière dont l’éclat, légèrement voilé par une teinte bleuâtre, ne rappelait en rien celle du soleil, mais ressemblait plutôt, avec une intensité infiniment supérieure, à celle dont la Lune, lorsqu’elle est dans son plein, éclaire les nuits terrestres.

Ils promenaient autour d’eux des regards surpris et contemplaient avec admiration l’étrange paysage qui se déroulait sous leurs yeux : une plaine immense, au centre de laquelle s’élevait le gigantesque édifice dans lequel ils se trouvaient, au sol crevassé et profondément tourmenté ; à l’horizon lointain des masses formidables de montagnes et de rochers aux formes capricieuses ; des pics dénudés, aux arêtes aiguës, dressant leurs cimes vers le ciel et projetant au loin des ombres fantastiques.

Ils étaient encore sous le coup de cette émotion, lorsque Rugel, levant le bras, leur désigna du doigt le ciel qui s’étendait au-dessus de leurs têtes.

Ils levèrent les yeux. Un tremblement subit agita leurs membres, et, dans un irrésistible élan, ils s’étreignirent avec ardeur : leurs visages étaient baignés de larmes.

Ils ne pouvaient que balbutier, comme sous l’impression d’une indicible angoisse : « La Terre ! la Terre ! »

Dans le ciel d’un noir profond, sous un angle de 1° 54’, s’arrondissait un globe immense, brillant comme quatorze pleines lunes, qui déversait sur les campagnes lunaires les ondes d’une lumière intense, mais douce et tranquille.

C’était le monde qu’ils avaient quitté il y avait déjà six mois.

La Terre, à ce moment pleine, tournait vers la Lune l’hémisphère contenant l’ancien continent.

Les trois amis distinguaient à l’œil nu les contours brillants des terres et les masses plus sombres des océans, reconnaissaient l’Europe aux côtes profondément découpées, la vaste surface de l’Asie avec les presqu’îles qui la terminent, et au sud l’Afrique triangulaire. Mais c’était surtout sur la France que Jacques et Marcel fixaient leurs yeux avides pendant que lord Rodilan répétait d’une voix que le saisissement rendait plus rauque : «  England ! England !  »

Rugel les observait en silence et semblait partager leur émotion.

« Venez, amis, leur dit-il ; vous allez voir la Terre de plus près. »

Ils s’arrachèrent comme à regret à leur contemplation et marchèrent derrière Rugel, non sans retourner la tête et sans lever encore les yeux vers le disque énorme qui brillait au-dessus de leurs têtes.

La terrasse sur laquelle ils se trouvaient surmontait une imposante construction qui se dressait au milieu d’une vaste dépression sur les confins de l’Océan des Tempêtes, dans le voisinage du cratère de Hansteen.

C’était une sorte de palais aux proportions colossales, de forme carrée, et composé de plusieurs étages. La partie inférieure, entourée de murs massifs d’une hauteur de quinze mètres environ, était percée de larges baies garnies d’un cristal épais, d’une extrême

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transparence, et séparées par de hautes colonnes à moitié engagées dans la muraille. On y avait ménagé de vastes salles qui servaient de bibliothèques, de musées, de cabinets de travail pour les astronomes dont la vie se passait à observer le ciel.

À la hauteur de la frise que supportaient les colonnes, s’élevait en retrait une construction autour de laquelle régnait une terrasse de dix mètres de largeur, hermétiquement fermée par de grands panneaux de verre cintrés dont la partie supérieure, formant dôme, s’appuyait sur la plate-forme surmontant le massif central et servant elle-même de base au dernier étage, où se trouvaient installés les instruments d’observation.

C’est sur cette terrasse vitrée que les voyageurs avaient été conduits tout d’abord, et c’est là qu’ils avaient contemplé la Terre, dont la vue subite les avait jetés dans une si vive émotion.

Ils n’étaient pas au bout de leurs surprises.

Bientôt un ascenseur électrique les transporta avec Rugel à l’étage supérieur ; ils débouchaient sur la dernière plate-forme, et de nouveau, à travers l’armature de verre qui, ici encore, formait une coupole de douze mètres de diamètre complètement étanche, ils revirent l’astre vers lequel se reportaient toujours leurs pensées.

Leur visite avait sans doute été annoncée : car à leur apparition ils se virent entourés par les savants attachés à l’observatoire et qui s’empressaient autour d’eux en leur souhaitant la bienvenue. On les regardait avec une curiosité mêlée de respect.

Celui qui paraissait être le premier dans ce corps d’élite s’avança vers eux :

« Nous saluons avec bonheur, dit-il, votre arrivée parmi nous. Nous connaissons vos héroïques aventures ; nous nous sommes réjouis avec toute la population lunaire de la venue de nos frères terrestres ; nous partageons l’espoir que votre présence fait concevoir à l’homme éminent qui nous gouverne, et nous aiderons de tout notre pouvoir à sa réalisation. Mais nous allons, dès à présent, et en attendant mieux, vous rapprocher par la vue du globe qui vous est si cher. »

Et il leur désigna de la main trois sièges dont chacun se trouvait placé à proximité d’un énorme cylindre faisant saillie à l’intérieur de la coupole et terminé par une lentille sertie dans un tube métallique, semblable aux oculaires dont sont munis sur la Terre les instruments d’observation astronomiques

« Regardez, » leur dit-il.

Trois exclamations de surprise jaillirent à la fois :

« La France !

« Paris !

«  London  ! »

Grâce à la puissance des instruments mis à leur disposition, la Terre s’était rapprochée d’une incroyable façon ; elle était si près qu’on en distinguait tous les détails géographiques, comme si une vaste carte eût été étendue sous leurs regards : montagnes, forêts, fleuves, cités.

Un mécanisme précis permettait de faire mouvoir sans effort l’appareil et de le promener sur toute la surface éclairée du globe terrestre.

Et leur œil insatiable ne pouvait se détacher des lieux où ils avaient vécu.

Tandis que lord Rodilan fouillait la gigantesque ville de Londres, qui lui apparaissait comme une large tache grise rayée de fils imperceptibles qui devaient être des rues, et que coupait une ligne noirâtre, la Tamise, Marcel et Jacques, palpitants d’émotion, tenaient leurs regards obstinément fixés sur Paris. Bien que le grossissement fourni par ces merveilleux instruments et que Marcel estima à vingt mille fois environ, fût tel qu’on eût dû distinguer tous les monuments, l’épaisseur de l’atmosphère terrestre en diminuait singulièrement la netteté. Entre les observateurs et la surface de la Terre s’étendait comme un voile qui estompait les contours, faisait osciller les lignes et empêchait l’œil de se fixer.

Pour les astronomes de la Lune qui n’avaient pu, sur ces impressions troublées et incertaines, établir que des conjectures, il était difficile de se reconnaître dans ce milieu flottant ; mais Marcel et Jacques y retrouvaient facilement les lieux où ils avaient passé une si grande partie de leur vie et qu’ils connaissaient si bien. Quelques instants leur avaient suffi pour s’orienter ; ils distinguaient maintenant, à l’ouest de la grande ville, comme un point étoilé, qui devait être évidemment la place de l’Étoile avec ses douze larges voies rayonnantes, et, ce point de repère établi, ils avaient bientôt fait d’assigner à chaque monument, dans ce plan presque effacé, la place qu’il devait occuper.

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Il allait de Dunkerque, qui se baigne dans les flots de la mer du Nord, aux villes du Midi qui se mirent dans les eaux transparentes de la Méditerranée ; de la pointe extrême de la Bretagne au massif neigeux des Alpes dont les sommets, se profilant dans une atmosphère moins dense et au-dessus de la région des nuages, se détachaient avec une éclatante blancheur. Il ne pouvait se lasser de suivre le cours des fleuves et de reconnaître au passage les villes qu’ils traversent ; tour à tour Rouen, Nantes, Bordeaux, Lyon attiraient ses regards.

Puis, tandis que lord Rodilan, après avoir jeté un regard sur Londres, se complaisait à passer en revue sur la surface du monde tous les points où l’avide nation anglaise avait planté son drapeau, et sentait son cœur se gonfler d’un insolent orgueil, Marcel, franchissant les frontières de la France, s’arrêtait, non sans un mélancolique regret, sur les provinces violemment séparées de la mère patrie.

Mais bientôt, s’arrachant à cette contemplation qui ravivait en lui de si cruels souvenirs, il franchissait le Rhin, passait sur l’Allemagne, à ce moment toute couverte de nuages, mais qui, son imagination aidant, lui semblait toute hérissée d’armes, pour courir au bord de la Néva, où son âme patriotique semblait deviner de futurs alliés. Bientôt, redescendant au sud de l’Europe, il suivait ces côtes si pittoresquement découpées et que l’atmosphère, plus transparente dans cette région, lui permettait de distinguer avec plus de netteté.

C’était la Grèce étalée comme une feuille de mûrier, l’Italie qui s’allonge vers le continent africain, l’Espagne toute zébrée de chaînes de montagnes, l’Algérie étroitement serrée entre la Méditerranée et l’Atlas, le Sahara déroulant ses longues plaines jaunâtres jusque vers l’Afrique centrale aux mystères insondables.

Mais toujours son regard revenait vers la France, cette douce patrie qu’on peut bien quitter, mais qu’on ne saurait jamais oublier.

Cependant, à mesure que le temps marchait, le globe terrestre tournait sur son axe ; l’Europe s’effaçait peu à peu, et déjà les côtes du continent américain semblaient sortir de l’Atlantique.

« Amis, leur dit alors Rugel, pardonnez-moi de vous arracher à ce spectacle qui, je le comprends, charme vos cœurs ; mais vous êtes ici chez vous et vous aurez le temps de contempler à loisir la Terre dans toutes ses phases, car votre séjour dans notre observatoire se prolongera autant que vous le jugerez nécessaire. Laissez-moi vous montrer les appartements qui vous sont réservés ; puis je vous abandonnerai aux soins du savant Mérovar, mon collègue du Conseil Suprême, qui dirige ici les observations astronomiques, et qui a déjà étudié, comme vous ne tarderez pas à vous en convaincre, les moyens de vous mettre en communication avec ceux que vous avez quittés. Pour moi, les devoirs de ma charge m’obligent à me séparer de vous pour quelque temps. »

Il les conduisit à l’étage inférieur où avaient été préparées, pour les voyageurs, des chambres spacieuses meublées avec un luxe sévère et élégant. Tout y avait été disposé avec un soin attentif pour satisfaire aux exigences de ces étrangers d’une nature si différente de celle des habitants de la Lune.

Les trois amis prirent congé, non sans un certain sentiment de tristesse, de celui qui, depuis leur arrivée, avait été leur guide fidèle et dévoué, et leur avait toujours témoigné une véritable et sincère amitié. Puis ils prirent possession des lieux où ils allaient vivre pendant quelque temps, et ce fut avec une réelle satisfaction qu’ils se retrouvèrent seuls : car, après les émotions violentes par lesquelles ils venaient de passer, ils se sentaient pris d’un invincible besoin de repos.

Dans les jours qui suivirent, ils furent l’objet des attentions et des prévenances de tous les astronomes de ce merveilleux observatoire. Chacun avait à cœur d’initier les visiteurs aux secrets de ses travaux, à leur faire admirer les instruments si parfaits dont il disposait. Jacques et lord Rodilan lui-même avaient fini par s’intéresser à cette science supérieure de l’astronomie, privilège des esprits les plus hardis, où les résultats fournis par l’observation aidée du calcul revêtent toutes les couleurs et ont tout le charme des créations les plus brillantes et les plus fantaisistes de l’imagination. Comment, du reste, seraient-ils demeurés indifférents, lorsque c’était à cette science même qu’ils devaient de s’être rapprochés par la vue du monde auquel ils tenaient encore par tant de liens si forts et si puissants ?

CHAPITRE XX MÉCANIQUE ET OPTIQUE

Un problème de mécanique inquiétait Marcel. Il se demandait par quels moyens il avait pu être transporté avec ses compagnons du fond du monde lunaire à la surface du satellite. Ainsi qu’il le savait déjà, l’immense excavation qui servait d’asile aux réfugiés d’un monde devenu inhabitable, était située à une profondeur d’environ quinze de nos lieues terrestres. De quels puissants procédés disposaient donc les ingénieurs de cette étrange humanité pour pouvoir élever suivant la verticale, à de telles hauteurs, des poids aussi considérables ? Il avait fallu en effet, semblait-il, que tout ce qui avait servi à la construction et à l’aménagement de l’observatoire fût transporté à la périphérie. Il y avait là de quoi troubler profondément l’esprit le plus audacieux. Il fut bientôt fixé et demeura émerveillé de la simplicité des moyens employés pour obtenir de si étonnants résultats. Il refit avec le savant Mérovar le voyage qu’il avait déjà accompli avec Rugel, et, sous ce guide éclairé, il avait tout examiné et s’était rendu compte de tout.

C’était la cheminée d’un ancien volcan que les habitants de la Lune avaient utilisée pour y installer les appareils mécaniques qui leur permettaient de communiquer avec le monde extérieur.

Ils disposaient, on le sait, d’une inépuisable force motrice, l’électricité ; ils n’avaient eu qu’à disposer dans ce long couloir presque vertical, dont ils avaient régularisé les parois, une cage d’ascenseur de cinq mètres environ de côté. Les montants et les croisillons en étaient formés d’une tôle d’acier très résistante ; les diverses parties étaient reliées entre elles par des boulons solidement rivés, ce qui donnait à l’ensemble la rigidité d’un corps plein. De distance en distance, aux quatre angles de cette cage, s’allongeaient des poutres de tôle, également boulonnées, de longueur forcément variable, suivant la distance qui séparait les montants de la paroi rocheuse, et profondément scellées dans cette paroi.

L’ascenseur qui circulait dans cette sorte de cheminée était muni, à chacun de ses angles, de deux roues dentées, l’une au sommet, l’autre à la base, s’engrenant sur quatre crémaillères disposées le long des montants. Le mouvement leur était donné, avec une vitesse d’environ vingt kilomètres à l’heure, par un moteur électrique d’une formidable puissance sous un volume relativement restreint, aménagé dans la partie inférieure de l’ascenseur. Ce moteur, propulsif lorsqu’il s’agissait de faire monter l’appareil, servait, à la descente, de modérateur et de frein. Tout était calculé avec une rigueur si mathématique, les matériaux employés étaient d’une telle homogénéité et d’une telle résistance, le travail d’exécution était d’une telle perfection que le tout fonctionnait avec la douceur et la sûreté d’un appareil de précision, et que les chances d’accident avaient été réduites à une proportion infinitésimale.

Pour plus de sécurité, pour ne rien abandonner à l’imprévu, toujours possible dans les œuvres humaines, l’esprit de prévision des ingénieurs lunaires avait disposé, au-dessous du point de départ de l’ascenseur et dans l’axe même de la cage, une profonde cavité remplie d’une eau rendue plus dense par l’addition d’un mélange chimique, et dont l’élasticité devait, en cas de chute, amortir le choc terminal.

Marcel restait saisi d’admiration devant ce travail colossal, qui se développait sur une hauteur de quinze lieues, et dont la seule conception paraissait effrayante.

Comment des êtres humains, aux forces bornées, avaient-ils pu concevoir et réaliser un pareil ouvrage ?

En y réfléchissant, il se disait bien que cette prodigieuse quantité de matériaux à employer représentait, sur la Lune, un poids

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six fois moindre que sur la Terre ; il savait, pour en avoir déjà vu de remarquables applications, que les ingénieurs lunaires étaient arrivés à résoudre, comme en se jouant, d’importants problèmes de mécanique et que leur génie scientifique, triomphant des résistances de la matière, avait inventé les machines les plus puissantes et les plus variées, réduisant en quelque sorte à néant le travail individuel de l’homme.

Toutefois ce qu’il avait devant les yeux était si démesuré et semblait dépasser de si haut toutes les prévisions, qu’il ne pouvait en croire ses yeux.

Le savant Mérovar paraissait jouir de sa surprise.

« Nous avons, lui dit-il, été heureusement servis par les circonstances. Lorsque notre humanité, contrainte de quitter la surface de notre globe, s’est retirée dans les régions souterraines qu’elle occupe aujourd’hui et que l’Esprit Souverain semblait lui avoir ménagées comme un dernier refuge, nos savants ne se sont pas résignés à rester à jamais séparés du monde extérieur, de cet espace infini où les astres poursuivent leur course immuable. Partout ils ont dirigé leurs investigations ; nul point accessible n’est resté inexploré. C’est ainsi que nous avons conslaté l’existence de nombreuses cheminées de volcans éteints ; mais presque toutes étaient de forme irréguliére, de direction oblique ; leur parcours sinueux se prêtait mal à l’établissement d’appareils nous permettant de communiquer avec l’extérieur. Nous avons fini par trouver celle que vous venez de parcourir.

« Sa direction verticale, son diamètre étroit, la rendaient merveilleusement propre à l’usage auquel nous la destinions. Malheureusement elle était, comme du reste tous les cratéres de la Lune, vous ne l’ignorez pas, obstruée à quelque distance de la surface par une épaisse couche de laves et de déjections volcaniques accumulées. Il nous a fallu nous frayer un passage à travers ces matériaux d’une extrême dureté, et nous avons pour cela recouru à nos explosifs, qui ont une force d’expansion considérable. Pour régulariser dans la mesure du possible les aspérités qui, en maints endroits, hérissaient les parois, nous ayons employé des béliers puissants.

— Je suis frappé, interrompit Marcel, des résultats magnifiques obtenus par votre industrie ; mais je me demande comment vous êtes arrivés à créer dans cette cheminée d’une prodigieuse hauteur, et surtout dans l’observatoire construit à la surface même de la Lune, une atmosphère respirable. Je sais par ma propre expérience qu’il ne faut pas s’élever beaucoup au-dessus du niveau de la caverne où nous sommes tombés, pour arriver bientôt à des couches où l’air raréfié est impropre à entretenir la vie.

— Votre remarque est fort juste, et vous allez comprendre comment ce problème a été résolu aussi facilement que les autres.

« Au bas de la cheminée on se meut notre ascenseur, sont établies de puissantes machines foulantes alimentées par l’air qui forme l’atmosphére où nous vivons ; cet air, aspiré par elles, est incessamment refoulé dans la cheminée avec une pression qui l’éléve jusqu’à la surface et l’accumule dans l’observatoire. Le jeu de ces machines est calculé de facon à ce que la colonne ascendante et l’atmosphère qui remplit tout l’édifice, de toutes parts hermétiquement clos, soient maintenues à une pression constante et sensiblement égale à celle que nous supportons dans notre monde souterrain. Et le mouvement de ces machines, fonctionnant sans relâche, fournit à la cheminée et à l’édifice qui la surmonte un courant d’air sans cesse renouvelé et toujours respirable. Les éléments inutiles sont ainsi entraînés et rejetés dans la circulation générale, où ils se purifient et se transforment à nouveau. Vous pouvez vous assurer par vous-mêmes qu’a tous les étages de l’observatoire, la respiration est aisée et facile, et que la vie à cette hauteur n’a rien perdu de son activité.

— Tout cela est merveilleux, » murmurait Marcel.

Les instruments d’optique dont les trois amis avaient éprouvé la formidable puissance, devaient être de leur part l’objet d’un examen attentif. La grande difficulté qui s’était présentée tout d’abord, pour les astronomes lunaires, consistait dans l’impossibilité où ils étaient d’opérer à découvert à la surface de la Lune. D’un autre côté, les observations n’étaient possibles qu’à l’aide d’instruments articulés de façon à pouvoir se mouvoir dans tous les sens et capables de fouiller toutes les régions de la voûte céleste. Il avait donc fallu trouver une combinaison telle que l’observateur, restant dans un milieu rigoureusement clos et rempli d’air respirable, put cependant, sans effort et sans déplacement, faire mouvoir son instrument dans le vide extérieur.

Le système des lunettes équatoriales, tel qu’il est le plus communément usité sur la Terre, ne pouvait en rien remplir ce but, l’observateur étant obligé de se déplacer en même temps que la lunette. Mais ils avaient trouvé dans les lunettes coudées le moyen qu’ils cherchaient, et ce ne fut pas l’un des moindres étonnements de Marcel de constater que ces sortes d’appareils d’optique, auxquels les astronomes terrestres avaient été conduits par le seul désir de rendre les observations plus commodes et par suite plus précises, étaient justement ceux auxquels avaient dû recourir leurs confréres de la Lune en raison des conditions toutes spéciales où ils se trouvaient.

On connaît ce genre de lunettes imaginées par l’un des plus ingénieux et des plus savants astronomes [3] de l’Observatoire de Paris.

Le corps de l’instrument est formé de deux parties cylindriques montées à angle droit : l’une, celle qui porte l’oculaire, est paralléle à l’axe du monde ; l’autre, celle qui est munie de l’objectif, est parallèle à l’équateur. À cet objectif est adaptée une sorte de boîte rectangulaire renfermant un miroir en verre argenté incliné à 45° et pouvant tourner sur lui-même de façon à se placer en face de tous les points du ciel au-dessus de l’horizon,

L’image d’un astre quelconque, réfléchie par ce miroir et réfractée par l’objectif, vient rencontrer un second miroir également incliné à 45° et disposé au point où les deux parties de l’instrument forment un coude. Ce miroir à son tour réfléchit l’image ainsi reçue et l’envoie jusqu’à l’oculaire, qui n’est lui-même qu’un microscope de fort grossissement. Et c’est cette image ainsi amplifiée qu’examine l’œil de l’observateur.

C’est sur ce principe qu’étaient fondées les lunettes dont se servaient les astronomes lunaires, avec cette particularité que le tube porteur de l’oculaire qui faisait saillie à l’intérieur de la salle d’observation, y pénétrait par une ouverture cylindrique qu’il fermait hermétiquement tout en pouvant pivoter sur lui-même avec le corps tout entier de l’instrument.

Quant à la lunette elle-même, qui se trouvait ainsi presque complètement à l’extérieur, elle reposait, par l’extrémité de son axe horaire sur un massif solide, où un systéme d’engrenages, mis en mouvement par un moteur électrique d’une extrême précision, lui permettait de suivre, au gré de l’observateur, un astre quelconque dans sa course.

Un autre mécanisme permettait à l’astronome de pointer le miroir objectif sur l’astre qu’il voulait étudier. L’une des quatre faces de la salle d’observations disposée dans le plan méridien, avait été aménagée de facon à recevoir trois de ces appareils, de dimensions égales et en tout semblables, quant à la disposition, à ceux qui sont en usage sur la Terre, mais qui en différaient pourtant par un point essentiel : leurs proportions colossales et leur perfection absolue. Les objectifs, en effet, ne mesuraient pas moins de 3 m ,50 de diamètre et pouvaient supporter des grossissements utiles de 25.000 fois. Ainsi s’explique le prodigieux effet qu’avait produit sur les trois voyageurs la vue de la Terre si brusquement rapprochée d’eux. Trois autres lunettes, de construction semblable, mais non plus équatoriales, disposées symétriquement sur la face opposée, permettaient de balayer tous les points du ciel et de compléter les recherches astronomiques,

C’était pour rendre possibles les observations simultanées, qui seules peuvent assurer un contrôle efficace, que les savants lunaires, auxquels ne coûtaient ni le temps ni les efforts, avaient ainsi multiplié le nombre de ces gigantesques lunettes. Quant aux autres instruments astronomiques, cercles divisés, lunettes méridiennes, etc., ils offraient beaucoup d’analogie avec les nôtres et il devait en étre nécessairement ainsi, l’astronomie étant une science exacte fondée sur les lois mathématiques qui sont les mêmes dans l’univers tout entier.

D’aussi savants astronomes n’avaient pu négliger la source féconde d’observations que peut fournir l’analyse spectrale des astres, et, dans ce domaine de l’astronomie physique comme dans celui de la science pure, les résultats obtenus par eux dépassaient de beaucoup ceux qu’on a atteints sur la Terre. Cette partie de la science, toute récente chez nous, leur était familiére depuis longtemps, et ils avaient pu, grace à l’excellence de leurs procédés et à la supériorité de leurs instruments, analyser bien plus complètement la constitution physique des astres composant notre système planétaire.

D’ailleurs, il n’échappait pas à Marcel que les observateurs lunaires se trouvaient dans des conditions tout à fait uniques et bien autrement favorables que ceux de la Terre. Ces longues nuits de trois cent cinquante-quatre heures que leur ménageait, chaque mois, le mode de rotation de la Lune, leur offraient de merveilleuses facilités. Ils pouvaient, en effet, se livrer à des observations longues et suivies dont rien ne venait ni troubler ni déranger le cours. Dans le ciel d’une immuable pureté, que n’épaississaient jamais aucunes vapeurs, que ne voilait aucun nuage, où la lumière arrivait toujours nette et franche, on pouvait discerner les astres avec la plus rigoureuse précision. En outre et par suite de la lenteur même de cette rotation, le mouvement apparent des étoiles était extrêmement faible et à peu près le même que celui de notre étoile polaire. Ils pouvaient donc suivre avec exactitude la marche de l’astre qu’embrassait le champ de leurs lunettes, et aucune des variations qui se pouvaient produire ne leur échappait.

Dans de telles conditions, ils avaient trouvé la solution de bon nombre de problèmes que se posent encore aujourd’hui les astronomes terrestres.

C’est ainsi qu’ils avaient pu depuis longtemps dresser des cartes assez complètes de Mercure et de Venus : ils avaient découvert que la rotation de cette dernière planète sur son axe s’effectuait dans un temps sensiblement égal à celui de sa révolution autour du soleil [4] . Et cet étrange phénomène astronomique, que n’avaient pas encore soupçonné les savants de la Terre, avait jeté Marcel dans une profonde surprise.

Mars avec ses continents, ses canaux gigantesques et ses calottes de glaces polaires, n’avait plus de mystère pour eux. L’atmosphère épaisse qui enveloppe Jupiter leur en avait, comme à nous-mêmes jusqu’ici voilé la surface, et leurs études sur cette planète n’étaient guère plus avancées que les nôtres. Mais ils avaient résolu l’anneau de Saturne, et Marcel put se convaincre par ses propres yeux qu’il est composé d’une infinité de petits astres très rapprochés, tournant autour du noyau central avec une rapidité telle que la lumière qu’ils réfléchissent paraît continue. Quant à Uranus et à Neptune, perdus dans les profondeurs du ciel, ils avaient bien pu déterminer sur leurs disques des differences de teintes qui faisaient croire à la présence de continents et d’océans ; mais l’extrême éloignement de ces astres ne leur avait permis de

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Ils avaient poussé très avant leurs recherches d’astronomie sidérale, et les résultats obtenus n’avaient pas été moins féconds.

Autour de bon nombre des étoiles les plus rapprochées, ils avaient pu, grâce aux puissants moyens d’investigation dont ils disposaient, observer de nombreux satellites ou plutôt de véritables planètes effectuant, comme celles de notre système solaire, leurs révolutions autour de l’astre central.

Et lorsque Marcel, s’abandonnant à son goût pour l’astronomie, fouillait de ces gigantesques lunettes la voûte céleste toute resplendissante d’étoiles, quand son regard émerveillé contemplait ces myriades de soleils, les uns blancs comme le nôtre, les autres d’un rouge sanglant, d’un vert d’émeraude, d’un bleu profond ou d’un jaune d’or, qui jonchent l’immensité, il se demandait avec stupeur quelle inconceyable puissance maintient ces mondes suspendus dans les espaces infinis, et règle avec une immuable harmonie leurs révolutions diverses.

Et son imagination, s’exaltant devant cet éblouissant spectacle, s’élancait au delà de ces planétes qu’il avait vues tourner autour des soleils les plus voisins ; il se disait qu’autour de tous les autres, de ceux que distinguent nettement les instruments astronomiques, de ceux qu’ils n’entreyoient que d’une façon vague dans des amas confus, de ceux plus loinlains encore que révèle l’impression de leur lumiére affaiblie sur une plaque sensible, de ceux enfin que l’esprit seul devine se succédant sans fin dans les incommensurables espaces, d’autres mondes gravitent.

Et là encore, toujours et partout, il sentait que vivaient des humanités, combien diverses, combien différentes de la nôtre et de celle de la Lune !… Son imagination s’épuisait sans trêve à essayer de les figurer.

La vie sous ses formes multiples, depuis les types les plus rudimentaires et les plus grossiers jusqu’aux conceptions supérieures se rapprochant de plus en plus de la perfection, circulait dans l’univers sans bornes, célébrant la gloire et la grandeur de la force unique et souveraine d’où tout émane.

Et son âme se perdait dans un ineffable ravissement.

CHAPITRE XXI À LA SURFACE DE LA LUNE

Pendant que Marcel se plongeait ainsi dans la contemplation de tant de merveilles scientifiques et admirait le génie avec lequel avaient été résolus tant de hauts problèmes, ses deux compagnons, que la passion de l’astronomie n’animait pas d’un zèle égal, commençaient à se sentir pris de préoccupations plus personnelles. Pendant les premiers temps de leur séjour dans l’observatoire, ils ne pouvaient détacher leurs regards du globe terrestre ; mais, à la longue, la constante uniformité de ce spectacle, l’impossibilité de voir plus avant avaient commencé à faire naître dans leur âme quelques mouvements d’impatience.

Jacques surtout, que tant de liens rattachaient encore à la Terre, souffrait de voir son ami oublier ce qui, à ses yeux, devait être le but unique vers lequel ils devaient tendre, c’est-à-dire l’établissement de communications régulières avec le monde terrestre.

Il s’en ouvrit un jour à Marcel.

« Toutes ces études où nous nous absorbons, lui dit-il, sont du plus haut intérêt, et je suis comme toi heureux d’avoir pu connaître ce monde supérieur où nous avons déjà tant appris, et où il nous reste assurément encore plus à apprendre. Mais ne songes-tu pas que nous avons laissé derrière nous des amis qui, depuis de longs mois, tiennent leurs yeux avidement attachés sur le disque de la Lune, nous croient maintenant définitivement perdus et sans doute nous pleurent ?

— Pardon, ami, lui répondit Marcel ; ma passion de savoir ne m’a pas rendu égoïste et j’ai songé au problème qui t’inquiète. Mais tu sais qu’en dehors de l’enceinte où, grâce à des moyens artificiels, nous pouvons vivre en ce moment, la vie est impossible à la surface de la Lune. Il me paraît bien difficile que, de cette enceinte étroite où nous sommes confinés, des signaux soient faits qui puissent être aperçus de la Terre. Toutefois nous devons tout tenter, même l’impossible, pour rassurer nos amis, et j’étais résolu à m’en entretenir avec le savant Mérovar : car il est bien évident que, pour construire cet observatoire et disposer en dehors leurs instruments d’optique, ils ont dû trouver le moyen de se mouvoir et d’agir dans le vide ambiant. Ton anxiété, que je partage, ne fait que me décider. Nous allons sur-le-champ en avoir le cœur net. »

Lord Rodilan, informé, haussa les épaules.

« Vous avez bien tort de vous inquiéter ainsi, fit-il en souriant. Il y a beau temps qu’on nous croit morts et que notre nom figure à côté de celui de tous ces fous qui ont voulu, par des entreprises insensées, rendre leur nom célèbre, Érostrate, Empédocle et tant d’autres. Croyez-moi, ne vous pressez pas tant que cela, si vous n’avez pas d’autre souci que de rassurer des gens qui, pour sûr, ne pensent plus à nous.

— J’ai meilleure confiance dans le cœur de ceux qui nous aiment, répliqua Jacques avec vivacité ; et, se tournant vers Marcel, il ajouta : « Allons sur-le-champ trouver l’astronome. »

Aux premières ouvertures des deux amis, Mérovar répondit sans paraître surpris : « Je vous attendais. Du jour où, en vous recevant, le prudent Aldéovaze a manifesté l’espérance de voir, grâce à vous, s’établir prochainement des communications entre votre monde et le nõtre, nous nous sommes préoccupés des moyens pratiques d’arriver à ce résultat, et nous serons dans très peu de temps en mesure de vous donner satisfaction. »

Et il déploya sous leurs yeux une carte tres détaillée de la région dans laquelle s’élevait l’observatoire. Le cratère sur lequel il était construit, l’un des plus petits que l’œil des astronomes ait distingués à la surface de notre satellite, et qu’ils n’ont jugé à propos de désigner par aucun nom particulier, qu’on ne trouve même marqué par aucun chiffre sur les cartes les plus complètes,

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était situé par 9° 31’ de latitude sud et 49° 16’ de longitude occidentale, et se dressait isolé au milieu d’une immense plaine, dans la partie méridionale de l’Océan des Tempêtes. La vaste dépression à laquelle les astronomes ont donné ce nom, après s’être étendue du cratère rayonnant de Képler au large cirque d’Hévélius, s’enfonce vers le sud, en une sorte de golfe au fond duquel s’élèvent le cratère de Hansteen, et plus bas encore celui_de Billy. C’est un peu au nord-ouest du premier de ces deux cratères, et sur une ligne le reliant à celui de Flamsteed, que se creusait l’étroite cheminée que le génie des savants lunaires avait aménagée pour faciliter leurs communications avec l’extérieur.

Le hasard les avait merveilleusement servis : rien ne gênait là leurs observations, et c’était dans un horizon lointain qu’apparaissaient à leurs yeux les cimes dentelées ou les murailles tourmentées des montagnes et des cratères que l’absence d’atmosphère leur permettait d’atteindre. Autour de lui s’étendait un large espace uni, sur lequel on ne remarquait aucune de ces boursouflures qui, d’ordinaire, rendent si irréguliére la surface de la Lune. On eût dit une vaste plaine liquide, subitement figée par un temps calme.

« C’est là, leur dit Mérovar, que nous comptons établir les appareils à l’aide desquels nous donnerons de vos nouvelles à ceux qui en attendent sans doute avec anxiété.

— Là, là, s’écria Marcel, à la surface de la Lune, en plein vide ? Mais on n’y saurait vivre ?

— Ah ! répondit Mérovar, vous n’êtes pas au bout de vos surprises. Nous avons déjà depuis longtemps trouvé le moyen de parcourir la surface désolée de notre monde, et, si yous voulez nous y suivre, vous pourrez y faire de curieuses observations.

— Nous sommes prêts, » firent les trois amis.

Ils descendirent à l’étage inférieur de l’obseryaloire et pénétrèrent dans une vaste salle ou se trouvaient rangés le long des murs des sortes de mannequins ayant vaguement la forme humaine.

« Voilà, leur dit Mérovar, les appareils qui nous permettent de vivre et de nous mouvoir dans le vide extérieur.

— Mais ce sont là, s’écria lord Rodilan en riant, de vulgaires scaphandres !

— Oui, fit Mérovar, mais des scaphandres renversés. Lorsqu’il s’agit pour des êtres humains de vivre dans l’eau, l’appareil dans lequel ils s’enferment doit pouvoir résister à la pression du milieu ambiant, qui augmente à mesure qu’on s’enfonce dans les couches liquides. Ici le problème est inverse : comme il est impossible de vivre, vous le savez, sans qu’une pression extérieure vienne faire équilibre aux forces d’expansion dont notre organisme est animé, il est de toute nécessité que nous soyons, d’une manière permanente, enveloppés d’une atmosphère portée à une tension suffisante. Et c’est pour cela que nous sommes

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Et, leur donnant l’exemple, il se mit en devoir de revêtir un des appareils disposés le long du mur.

« Que chacun de vous, leur dit-il, choisisse à sa taille ; mais ayez bien soin de fermer très hermétiquement toutes les ouvertures, car la moindre fuite, en laissant échapper l’air dont vous serez entourés, pourrait vous exposer à de sérieux dangers. ».

Bientôt les trois voyageurs et leur guide se trouvaient revêtus de ce costume dont l’étrangeté provoqua l’hilarité de lord Rodilan. Leurs têtes seules étaient encore libres.

« Certes, fit-il, si mes amis de la Terre me voyaient en pareil équipage, ils auraient peine à me reconnaître.

— Aucun d’eux surtout, repartit Jacques, ne pourra se vanter d’avoir tenté une expédition semblable à celle que nous allons accomplir. »

L’appareil dans lequel ils étaient étroitement enfermés était formé d’un tissu à la fois souple et tenace, revêtu d’un enduit qui le rendait absolument imperméable. La tête du voyageur était emprisonnée dans une sorte de sphère de métal garnie, à sa partie antérieure et sur les côtés, de plaques de cristal permettant au regard de parcourir presque tout l’horizon. Dans cette sphère s’ouvrait l’orifice d’un conduit qui y amenait l’air nécessaire à la respiration. Cet air venait d’un réservoir métallique, placé sur le dos, où il était comprimé à une pression considérable, et, grâce à un organisme automatique réglé avec une rigoureuse précision, il s’échappait d’une façon continue et à une tension toujours constante. La quantité en était calculée de manière à pouvoir entretenir la vie pendant une durée de dix heures. Pour fournir une issue à l’air qui s’échappait du réservoir, dont l’accumulation aurait fini par faire éclater l’appareil et qui, du reste, chargé des produits de l’expiration, c’est-à-dire d’acide carbonique et de vapeur d’eau, n’aurait pas tardé à devenir irrespirable, une petite soupape spéciale avait été ménagée au milieu de la poitrine. Lorsque la pression intérieure dépassait un certain degré, la soupape s’ouvrait d’elle-même, puis se refermait grâce à un ressort puissant et l’occlusion était complete.

Apres s’être divertis quelques instants de ce nouveau déguisement, Marcel, Jacques et lord Rodilan s’étonnèrent de garder sous cette enveloppe, qui semblait rigide, le libre usage de leurs membres et la facilité de tous leurs mouvements.

« Non seulement, leur dit Mérovar, nous pourrons agir et nous mouvoir, mais il nous sera même permis de communiquer entre nous. »

Et il leur fit remarquer au niveau de la sphère correspondant aux oreilles deux petits récepteurs microphoniques, et devant la bouche un appareil de transmission ; le tout était une merveille de délicatesse et de fini. Un fil métallique reliait les récepteurs à un petit accumulateur électrique fixé au réseryoir à air.

À l’extérieur, un fil mobile d’une longueur de deux mètres environ et muni à son extrémité d’un anneau permettait à chaque touriste, en fixant cet anneau à la sphère de son voisin à l’aide d’un crochet disposé à cet effet, d’entrer en conversation suivie avec lui, de lui parler et d’entendre sa réponse.

« Tout cela est extrêmement ingénieux, dit Marcel, et dénote de la part de vos physiciens un sens des plus pratiques. J’ai hâte d’expérimenter ces charmants petits appareils que personne n’a encore songé sur la Terre à utiliser de la sorte.

— Allons donc, » répondit Mérovar.

Et il les fit pénétrer dans une petite pièce hermétiquement close et dont il eut soin de refermer soigneusement la porte.

« Nous sommes ici, leur dit-il, dans une écluse à air, et la paroi que voici nous sépare seule du vide extérieur. I] ne nous reste plus qu’à ajuster les sphères sur nos têtes. »

Quand ils furent préts, Mérovar se mit en demeure d’ouvrir la porte qui donnait sur le dehors, et à peine les boulons qui la retenaient eurent-ils été largués qu’elle s’échappa d’elle-même sous la pression de l’air intérieur, malgré les ressorts dont elle était munie, et les quatre hommes eux-mêmes, violemment poussés en avant, seraient tombés s’ils ne s’étaient arc-boutés sur les solides bâtons ferrés dont leur guide avait eu soin de les armer.

Ils éprouvèrent tout d’abord une sensation étrange : l’appareil qui les revêtait, brusquement gonflé par la dilatation de l’air qui y était contenu, s’arrondissait autour de leurs membres en forme de manchons dans lesquels ils semblaient flotter. Cependant, après un premier instant de surprise, ils reconnurent que, grâce à la souplesse du tissu dont il était formé, la liberté de leurs mouvements ne se trouvait nullement gênée ; ils s’apercevaient à peine que leurs doigts étaient emprisonnés dans des gants.

Marcel s’expliqua alors comment avait pu s’élever cet observatoire dont la construction lui avait paru jusqu’alors un fait inexplicable. Il comprenait maintenant qu’une armée de Diémides, amenés à la surface de la Lune, avaient pu, avec les appareils dont ils étaient eux-mêmes revêtus, façonner sur place les blocs rocheux que les pentes du cratère fournissaient en abondance, et qu’il eût été impossible, à cause de leur masse, d’amener à pied d’œuvre au moyen de l’ascenseur. Il se rendait parfaitement compte que, la pesanteur étant sur la Lune six fois moindre que sur la Terre, les hardis constructeurs avaient pu mouvoir sans trop de peine des masses dont les proportions nous sembleraient démesurées. D’un autre côté, il calculait que, pour obtenir une stabilité égale à celle des monuments terrestres, il avait été nécessaire de donner à la base de l’observatoire et à l’épaisseur de ses murailles des dimensions beaucoup plus grandes. De telle sorte que, si l’effort paraissait moindre, les proportions données au travail rétablissaient à peu près l’équilibre.

Les trois voyageurs promenèrent alors leurs regards autour d’eux. Le soleil, dont aucune atmosphère ne tempérait l’ardente lumière, inondait de ses rayons la surface de la Lune. Le spectacle était éblouissant.

Ils se trouvaient sur une sorte de plate-forme qui entourait l’édifice. L’orifice du cratère, qui ne mesurait pas moins de huit cents mètres environ de diamètre, avait été comble, à l’exception de la cheminée qui servait à la fois de cage à l’ascenseur et de conduite à l’air qui venait du fond dans l’observatoire, et c’est au centre de ce sol factice, représentant un travail gigantesque, que s’élevait le colossal monument d’ou ils venaient de sortir.

Sous la conduite de Mérovar qui les précédait, ils s’engagérent dans une sorte de chemin grossiérement taillé dans le roc. Jamais, depuis qu’ils étaient arrivés dans ce monde ou tout était étrange, ils n’avaient ressenti d’une manière plus complète les effets singuliers de la loi de la pesanteur. Leur poids spécifique se trouvait diminué dans d’étonnantes proportions ; leurs pieds posaient à peine sur le sol ; le moindre effort leur faisait franchir des distances considérables ; ils avaient descendu avec une merveilleuse facilité la pente âpre et tourmentée du cratère, et lorsqu’ils regardaient derrière eux la route qu’ils avaient suivie, ils se demandaient avec une sorte d’horreur comment ils ne s’y étaient pas brisés mille fois.

Au bout d’une heure environ, ils se trouvèrent au pied du cratère, dans la plaine que bornaient au loin des masses confuses de rochers. À la surface de ce monde éteint, tout était d’une morne tristesse, et l’éclatante lumière du soleil, qui s’écrasait sur le sol, augmentait encore cet aspect de suprême désolation. Tout était mort et immobile, et, dans ce silence universel que ne troublait même pas le bruit de leurs pas, les trois habitants de la Terre étaient comme surpris de se sentir vivants.

Revenus de cette première émotion, ils s’étaient arrêtés pénétrés d’une satisfaction profonde. Fouler le sol de cet astre jusque-là inaccessible ; contempler de leur base ces montagnes, ces cratères immenses dont ils n’avaient eu jamais sous les yeux que des images lointaines et fugitives ; sonder de l’œil ces précipices monstrueux qu’ils n’avaient fait que soupconner ; avoir là sous les pieds ce monde inconnu, quel rêve et quel triomphe !

Ils sentaient frémir en eux l’âme des conquérants. Le grand Colomb avait dû éprouver quelque chose de semblable le jour où, pour la première fois, il avait planté l’étendard de Castille sur la terre nouvelle que son génie avait en quelque sorte fait jaillir de l’Océan. Mais combien plus grande et plus étonnante était la conquête due à leur courage et à leur persévérance !

Pour eux, ce que les imaginations les plus audacieuses avaient à peine osé concevoir était réalisé. Les fictions des poètes et des romanciers se trouvaient distancées ; le rêve était maintenant un fait accompli. Comme s’il eût deviné les pensées qui les agitaient et compris les sentiments qui faisaient battre leurs cœurs, Mérovar les laissa quelque temps à leurs réflexions ; puis, reprenant sa marche, il se dirigea suivi de ses compagnons du côté de l’énorme cratère de Letronne.

Le sol sur lequel ils s’avançaient était hérissé d’aspérités qui, malgré leur agilité, rendaient souvent leur marche pénible et lente : nulle trace de terre ou de sable ; partout la roche nue, aux arêtes vives et tranchantes, réfléchissait avec une insoutenable intensité une lumière blanche et crue. Sans la précaution prise de teinter fortement de bleu les plaques de cristal qui permettaient à leur vue de s’étendre au dehors, ils n’auraient pu en supporter l’éclat.

À une distance d’environ quatre kilomètres, ils se trouvèrent dans une région complétement unie, dont le sol ne présentait plus aucune irrégularité. On eût dit la surface tranquille d’un lac subitement congelé.

Le savant Mérovar s’arrêta et, accrochant à la sphère qui recouvrait la tête de Marcel son fil téléphonique :

« Voilà, lui dit-il, l’emplacement que nous avons choisi pour y établir les signaux lumineux qui pourront être aperçus de la Terre.

— Il me paraît, répondit Marcel, parfaitement convenir ; mais je ne vois rien ici des préparatifs que vous sembliez m’annoncer.

— Soyez sans crainte, vous serez bientôt édifié à cet égard. »

Et il lui expliqua que les astronomes de l’observatoire avaient songé à attirer l’attention de leurs confrères de la Terre par de puissants foyers électriques, et que déjà tout était préparé à l’observatoire même pour réaliser ce projet. Ils étaient convaincus que leurs signaux seraient aperçus cette fois, maintenant surtout que l’éveil était donné par la tentative si heureusement réussie des trois voyageurs. Il ne restait plus qu’à arréter avec eux la forme de signaux capables à la fois d’être compris et de rassurer leurs amis. Jacques et lord Rodilan, qui avaient accroché leurs fils à la sphère de Marcel, écoutaient cette communication et, autant que pouyait le leur permettre leur étrange costume, manifestaient une vive émotion. Jacques surtout, qui pensait que

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Quant à lord Rodilan, malgré son scepticisme plus apparent que réel, d’autres sentiments l’agitaient : son orgueil était secrètement flatté à l’idée que son nom irait volant de bouche en bouche avec celui de ses deux compagnons dans l’un et l’autre hémisphère terrestre.

Tous approuvèrent avec enthousiasme le choix de l’emplacement, et Marcel, après avoir rapidement consulté ses compagnons, s’arrêta à l’idée de figurer, à l’aide des foyers préparés, les trois lettres initiales de leurs noms, comme au moyen le plus rapide et le plus sûr de faire connaître à leurs amis leur heureuse arrivée dans le monde lunaire.

On revint en toute hâte à l’observatoire, où l’on pénétra en usant des mêmes précautions qu’on ayait prises pour en sortir.

On approchait de la période où cette partie de la Lune allait rentrer dans la nuit. Mérovar avait calculé qu’ils avaient encore devant eux une durée de jour équivalente à peu près à soixante-douze des heures terrestres, et ce temps-là lui paraissait suffisant pour tout disposer. Une centaine de Diémides reçurent les instructions nécessaires et, au moment fixé, on se trouva prêt pour tenter l’expérience. Il avait été convenu, après de longs et minutieux calculs, que chacune des lettres que l’on allait ainsi tracer aurait une hauteur de trois cents pieds. Pour les former on avait disposé six mille foyers lumineux de grande dimension, reliés entre eux par des fils qui aboutissaient à l’intérieur du monument, dans la salle des observations. De puissants accumulateurs, installés dans la partie inférieure de l’édifice, fournissaient le courant qui deyait animer tout ce gigantesque appareil.

L’observatoire avait été, depuis environ yingt-quatre heures, atteint par la ligne d’ombre, et il était maintenant plongé dans d’épaisses ténèbres.

Tous les astronomes étaient réunis autour de Marcel et de ses compagnons : il n’en était aucun qui ne s’intéressit à cette expérience sans précédent qui pouyait avoir, si elle réussissait, d’incalculables et décisives conséquences. Jusqu’à présent on avait agi au hasard ; c’était sans aucune certitude d’être compris ou même aperçu qu’on avait tenté d’attirer l’attention des habitants de la Terre. Maintenant on était sûr d’être attendu ; le télescope de Long’s Peak pouvait distinguer à la surface de la Lune des objets ayant neuf pieds de hauteur ; les lettres lumineuses en auraient trois cents ; nul doute que le message ne parvînt à son adresse.

Évidemment, il faudrait attendre quelque temps encore avant d’avoir la réponse des amis avec lesquels on allait se mettre en rapport. Mais le doute n’était plus possible ; le succès était assuré, et, après tant de siècles d’attente, on pouvait bien se résigner à quelques jours de patience pour en obtenir l’absolue confirmation.

Marcel voulait que la première lettre figurée fût l’R initiale du nom de lord Rodilan.

« C’est vous, mon cher ami, lui disait-il, qui nous avez fourni les moyens d’arriver jusqu’ici. À vous doit revenir l’honneur d’inaugurer la série des communications interplanétaires.

— Ah ! mais non, fit lord Rodilan ; c’est vous qui avez été l’âme de cette entreprise, c’est à yous qu’appartient cet honneur.

— Eh bien ! pour nous mettre d’accord, ce sera notre ami Jacques qui débutera : il y a là-bas quelqu’un qui souffre de son absence et qui a hâte d’être rassuré.

— Je m’y oppose formellement, interrompit Jacques avec force. Sans toi, nous n’aurions rien tenté ; sans toi, je serais encore plongé dans le désespoir. Si l’avenir me garde quelque bonheur, c’est à toi que je le devrai.

— Eh bien ! soit, puisque vous le voulez, » fit Marcel avec gaieté.

Et, saisissant une poignée de cristal fixée à un socle métallique, lui servant de support et auquel aboutissaient tous les fils venant du dehors, il l’abaissa d’un geste brusque.

Tout s’éclaira soudain : deux mille foyers lumineux d’une incomparable puissance venaient de s’allumer à la fois. Des flots de rayons d’une lumiére aveuglante traversaient l’espace, emportant avec eux les veux et les espérances des exilés. Une M de feu, aux proportions colossales, se détachait dans la nuit, et, aux lueurs qu’elle répandait autour d’elle, on eût dit que le jour avait remplacé les ténèbres, tant apparaissaient vifs et nets les cratères, les chaînes et les pics lointains qui bornaient l’horizon.

Pendant une heure, les deux mille foyers rayonnèrent dans l’espace, et le cœur des trois amis tressaillait à la pensée qu’au même instant ceux qui les aimaient étaient, après de longues angoisses, rassurés sur leur compte. Puis tout s’éteignit, et la nuit qui enveloppa de nouveau toute la contrée, parut plus sombre encore après cette éblouissante illumination.

On laissa s’écouler une heure avant de faire un nouveau signe, et bientôt resplendit à son tour un J aussi colossal que l’M tracée tout d’abord. Il brilla pendant une heure ; un intervalle s’écoula encore et ce fut le tour de la lettre R. Les trois voyageurs avaient ainsi signalé leur présence.

Et pendant le reste du temps où cette partie du disque lunaire resta dans l’ombre, les signaux furent assidûment répétés en donnant rigoureusement à chacun d’eux la même durée. Cette régularité devait être pour les observateurs terrestres la preuve certaine que, dans ces phénomènes, rien n’était dû au hasard, et devait dissiper tous les doutes.

Les astronomes de la Lune qui ne cessaient d’observer l’astre avec lequel ils cherchaient ainsi à se mettre en relations, et qui en suiyaient les phases, avaient soin d’interrompre les signaux pendant tout le temps que la région des Montagnes Rocheuses était éclairée par les lueurs du jour. Ils s’étaient du reste appliqués à calculer exactement l’époque où la Lune devait, dans sa période d’ombre, se montrer aux observateurs de Long’s Peak au-dessus de l’horizon.

Le premier message interplanétaire avait été lancé de la Lune à la Terre : c’était maintenant à la Terre de répondre.

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CHAPITRE XXII CATASTROPHE

Marcel se résignait assez facilement a attendre, mais Jacques et lord Rodilan lui-mēme étaient tourmentés d’impatience et se demandaient sans cesse pourquoi, pendant tout le temps qu’avaient duré leurs signaux et qui représentait six rotations terrestres, aucune réponse ne leur avait été faite.

Jacques surtout s’alarmait.

« Oh ! disait-il, pour que rien n’ait répondu à notre appel, il faut qu’un effroyable malheur soit survenu. Qui sait si quelque cataclysme n’a pas détruit l’observatoire de Long’s Peak, si Mathieu-Rollére n’est pas mort, si Héléne…

— Eh ! doucement, mon cher Jacques, interrompit Marcel ; du train dont tu y yas tu pourrais aussi bien prédire la fin du monde. Crois-moi, ton imagination s’égare ; tu vois tout en noir et cela sans raison.

— Mais enfin, criait lord Rodilan, pourquoi ne répondent-ils pas ? Qu’attendent-ils ? Ah ! si c’étaient des Anglais, ils ne nous auraient pas laissés si longtemps dans l’embarras. Mais ces Américains, ces Yankees, un tas de puffistes qui ne savent rien faire à propos.

— Calmez-vous, mon cher ami, et réfléchissez. Voilà sept mois que nous sommes partis. Il est bien évident que, pendant les premières semaines, le grand télescope de Long’s Peak n’a pas cessé d’être braqué sur la Lune tout le temps où l’astre a été observable. Puis, dame ! la surveillance a dù ensuite se relâcher.

— Pourquoi donc ? dit Jacques. Moi, j’y serais resté dix ans s’il l’avait fallu.

— Sans doute ; mais songe donc que nos amis, qui pouvaient facilement nous suivre sur le disque lunaire, ont dû nous voir tomber dans la rainure qui nous a engloutis. Crois-tu qu’ils aient dû conserver grand espoir que nous ayons échappé à la mort ?

— Moi, j’aurais espéré contre toute espérance, répliqua Jacques.

— Un Anglais ne désespère jamais, gronda lord Rodilan.

— Je crois bien, moi aussi, reprit Marcel, que nos amis n’ont pas désespéré et c’est pour cela que je n’ai pas hésité à tenter d’entrer en communication avec eux. Mais il faut bien se rendre compte de la facon dont les choses ont pu se passer. Nous avons fait des signaux pendant l’espace de huit nuits terrestres ; il est fort possible qu’ils n’aient pas été aperçus tout d’abord, car c’eût été un hasard bien extraordinaire s’il s’était trouvé là, juste au moment où nous les commencions, quelqu’un pour les observer. Plusieurs nuits ont pu s’écouler avant qu’ils aient été vus.

— Eh bien, mais, dit lord Rodilan, pourquoi, s’ils ont fini par les apercevoir, n’ont-ils pas répondu sur-le-champ ?

— Peste ! comme vous y allez ! mon cher lord. Mais, en supposant qu’ils n’aient reconnu les signaux que dans les dernières nuits de leur apparition, il leur a fallu se préoccuper tout d’abord des moyens de répondre, examiner, discuter ce qu’il convenait de faire, et, une fois la chose arrêtée, en préparer l’exécution. À mon sens, ils n’ont guère pu penser à autre chose qu’à l’établissement de quelque signal lumineux. Or, aux Montagnes Rocheuses on est mal outillé pour de semblables entreprises. Il aura fallu se procurer au loin les appareils nécessaires, les disposer, les mettre en état de fonctionner, et tout cela a dû évidemment prendre beaucoup de temps. Ajoutez que peut-être, au moment où nos signaux sont arrivés, il n’y avait que des subalternes à l’observatoire ; il est du reste fort probable que Mathieu-Rollère, rappelé à Paris par ses fonctions et ses importants travaux, a quitté depuis longtemps l’Amérique.

— Oh ! dit Jacques avec un accent de tristesse, Hélène n’aurait pas dû lui permettre de s’éloigner.

— Mais, mon pauvre ami, tu ne te rends pas compte de la situation : tu sais que tu es vivant toi, mais ta fiancée l’ignore ; elle doit au contraire te croire à tout jamais perdu. Après sept mois quels arguments aurait-elle pu opposer à son père, si celui-ci avait jugé inutile une plus longue attente ? Je comprends ta fièvre et tes craintes ; je comprends aussi votre impatience, milord ; mais, en vérité, vous n’êtes pas raisonnables. Le plus sage est d’attendre. D’ailleurs, nous est-il possible de faire autrement ?

— C’est juste, fit lord Rodilan ; mais allons-nous donc attendre ainsi les bras croisés ?

— Jusqu’à la prochaine période d’ombre il n’y a rien de plus à faire. Mais aussitôt que la région où nous nous trouvons sera rentrée dans les ténèbres, nous dirigerons nos lunettes vers l’Amérique du Nord. Si nous n’aperceyons rien, nous recommencerons nos signaux, et, cette fois, j’en ai la conviction profonde, nous aurons une réponse, je ne sais laquelle, mais nous en aurons une.

— Eh bien, attendons, » dit Jacques avec un soupir.

On se résigna donc, puisqu’il n’y avait pas autre chose à faire.

Mais la période de temps qui les séparait du moment si ardemment désiré fut peut-être la plus cruelle qu’ils eurent à passer depuis qu’ils avaient quitté le monde terrestre. Ils se sentaient près de rentrer en contact avec tout ce qu’ils avaient laissé derrière eux et ils se demandaient avec anxiété si leurs espérances allaient enfin être réalisées. La fièvre de l’attente avait gagné Marcel, lui aussi, malgré son empire sur lui-même, et lord Rodilan était dans une agitation qu’il ne se connaissait pas depuis longtemps.

Mais le plus troublé était Jacques, dont tout l’amour semblait se réveiller avec une ardeur nouvelle, maintenant qu’il se sentait plus près d’atteindre le but poursuivi.

Les trois amis allaient et venaient sans cesse ; incapables de se tenir en place, les nerfs toujours tendus, les yeux brillants, l’esprit hanté d’une idée fixe, ils erraient au hasard, mettant à chaque instant l’œil à l’oculaire des lunettes, comme si leurs regards pouvaient surprendre le secret de ce qui se préparait aux Montagnes Rocheuses. Leur agitation n’avait pas échappé à l’attention de ceux qui les entouraient : tous comprenaient l’impatience qui les dévorait, et par un commun accord on feignait de ne pas remarquer ce que leur façon d’agir avait d’étrange et d’insolite, surtout dans un milieu aussi tranquille et aussi complètement étranger aux troubles de l’esprit et aux désordres de la passion. On semblait au contraire les entourer de plus de soins. Une sympathie discrète les enveloppait ; Mérovar surtout s’empressait autour d’eux, s’efforçait de les distraire et de leur rendre moins pénibles les tortures de l’attente.

Cependant l’instant approchait où ils allaient pouvoir recommencer la tentative interrompue. Encore l’espace de deux jours et la nuit allait gagner la région où s’élevait l’observatoire. Marcel, Jacques et lord Rodilan décomptaient les minutes.

Comme s’il avait voulu hâter le moment de reprendre ses expériences, l’ingénieur était sans cesse occupé à visiter ses appareils de communication, à s’assurer de leur bon fonctionnement. Il les vérifiait pour la centième fois peut-être lorsqu’il lui sembla percevoir, dans la pièce où il se trouvait, une odeur singulière ; elle était très faible, mais caractéristique ; c’était comme une vague odeur de soufre.

Il n’y attacha pas d’abord grande importance ; mais comme elle persistait, il chercha autour de lui pour voir si elle ne provenait pas de quelque laboratoire voisin. Ne découvrant rien, il rentra dans l’intérieur de l’édifice : l’odeur s’y faisait aussi sentir ; il lui sembla même qu’elle s’était quelque peu accentuée.

Il allait descendre aux étages inférieurs lorsqu’il rencontra Mérovar, qui semblait le chercher.

« Qu’est-ce donc, lui dit-il, que ces émanations inaccoutumées répandues dans l’air que nous respirons ? Avez-vous donc ici des chimistes se livrant à quelque expérience sur les gaz dérivés du soufre ?

— Nullement, répondit l’astronome, nous ne nous occupons ici que d’astronomie, et je ne m’explique pas encore ce phénomène que j’ai remarqué comme vous. Voyons ensemble si nous n’en pourrons pas découvrir la cause. »

Accompagnés de Jacques, de lord Rodilan et de quelques autres des savants qui dirigeaient les travaux de l’observatoire, ils parcoururent ensemble les diverses parties du vaste monument. Partout ils ressentirent la même impression, plus forte cependant à mesure qu’ils descendaient et se rapprochaient de la cage de l’ascenseur.

Déjà tout le monde avait éprouvé cette sensation désagréable, et, sans que personne s’en montrât encore inquiet, on commençait à s’en préoccuper.

On eut beau tout examiner avec le plus grand soin, rien d’anormal n’apparut qui pût fournir l’explication de ce phénomène.

Marcel, l’esprit toujours hanté par l’idée fixe qui l’obsédait, n’avait pas tardé à laisser Mérovar continuer ses investigations, et était retourné à ses appareils. Il y avait été rejoint par Jacques et lord Rodilan, plus impatients que jamais de yoir résolu le problème qui les passionnait si fort.

« Laissons nos amis, dit Jacques, chercher la cause de ce qui se passe ; nous avons quelque chose de plus important à faire. Dans combien de temps penses-tu, mon cher Marcel, que nous pourrons renouveler nos signaux ?

— Rassure-toi, le moment approche où nous saurons à quoi nous en tenir. Déjà la pénombre s’approche de nous. Dans vingt-quatre heures l’ombre sera assez épaisse pour que nos foyers rallumés puissent être aperçus de la Terre. Mais si nos calculs sont exacts, le jour commencera à ce moment à poindre aux Montagnes Rocheuses, et il nous faudra encore attendre douze heures au moins avant que nos amis puissent apercevoir nos signaux et y répondre.

— Comme tout cela est long ! fit lord Rodilan. Il faut, en vérité, se trouver exilé sur la Lune pour apprendre la patience.

— En vérité ! mon cher lord, fit Jacques en souriant, c’est pour le coup que vos amis de Londres ne reconnaîtraient plus en vous le gentleman si froid, si correct, si impassible, qu’ils étaient habitués a voir.

— C’est que aussi, tout cela finit par m’agacer. J’ai vu, depuis que j’ai quitté la Terre, tant de choses extraordinaires que rien ne me semble plus impossible, et je m’irrite de voir que des gens aussi savants que vous l’êtes tous ici, n’arrivent pas plus vite à résoudre une question qui me paraît si simple.

— Voilà bien nos flegmatiques, s’écria Marcel en riant de tout son cœur. Tant qu’ils se trouvent au milieu du train ordinaire de la vie, rien ne les étonne, ne les émeut ; ils font les dédaigneux et les blasés. Qu’une chose nouvelle et en dehors de leurs prévisions vienne à se présenter, leur imagination s’exalte ; ils deviennent du jour au lendemain les plus impatients des hommes. Voyez-vous, milord, la véritable sagesse consiste à garder toujours et en toute circonstance le calme et la dignité de son esprit, à ne rien dédaigner, à ne rien prendre au tragique, à se garder de tout découragement comme de toute espérance folle, et, comme le disait la sagesse antique, à prendre le temps comme il vient et les gens comme ils sont.

— Moralisez, moralisez, mon cher Marcel, puisque vous avez le temps et la liberté d’esprit de le faire… Mais, en vérité, que se passe-t-il donc ? Cette odeur de soufre commence a devenir insupportable. »

Pendant ce temps, en effet, les émanations sulfureuses qui avaient déjà depuis quelque temps attiré l’attention de tout le personnel de l’observatoire, étaient devenues de plus en plus sensibles, et la respiration commençait à être difficile.

« Il y a là quelque chose d’inexplicable, s’écria lord Rodilan. Il faut absolument savoir à quoi s’en tenir. »

Marcel et Jacques, penchés sur les appareils, semblaient étrangers à tout ce qui se passait autour d’eux.

Au moment où l’Anglais se levait pour aller aux informations, la porte s’ouvrit. Mérovar parut sur le seuil.

« Amis, dit-il, nos recherches ne nous ont rien fait découvrir. Mais comme la situation devient de plus en plus grave, j’ai cru devoir, sans plus attendre, informer le Conseil Suprême de ce qui se passe ici, et dans peu nous allons sans doute voir arriver quelques-uns des savants auxquels les questions physiques et géologiques sont familières. Ils découvriront certainement la cause de ce phénomène anormal et prendront les mesures nécessaires pour y pourvoir. Il est probable, autant que j’en puis juger, que quelque fissure se sera produite dans la cheminée de l’ascenseur et aura fourni une issue à des gaz accumulés dans une cavité voisine. Du reste, nous allons être fixés à cet égard. »

Presque au même instant remontait l’ascenseur, où avaient pris place trois savants délégués par le Conseil Suprême pour se rendre compte de ce qui se passait et y chercher remède.

La nouvelle du phénomène inexpliqué qui s’était produit à l’observatoire s’était promptement répandue dans le monde lunaire, et l’émotion était grande. On savait que les trois habitants de la Terre y étaient installés depuis plusieurs semaines avec l’intention d’organiser, si la chose était possible, les communications avec le monde terrestre. Tout ce qui touchait à cette grave et importante question intéressait au plus haut degré, comme on l’a déjà vu, la population tout entière. Un grand espoir était né, depuis l’arrivée des trois voyageurs, de voir réaliser enfin un projet si longtemps caressé et toujours jusqu’ici inutilement tenté. Aussi se demandait-on avec anxiété si toutes ces espérances allaient se trouver encore une fois déçues.

Les nouveaux venus eurent bientôt fait de reconnaître la nature du gaz dont la présence viciait l’atmosphère. C’était un sulfure d’hydrogène.

« Vos conjectures, dirent-ils à Mérovar, sont évidemment fondées. Bien qu’aucune secousse ressentie dans les régions souterraines et que nous aurions infailliblement constatée, ne soit venue la révéler, il est certain qu’une crevasse s’est produite en un point quelconque de la cheminée de l’ascenseur, et a livré passage à ce gaz méphitique. Il faut donc avant tout que l’observatoire soit évacué, car l’air va devenir d’instant en instant plus irrespirable, et nous ne tarderions pas à être tous asphyxiés. »

Sur-le-champ Mérovar donna les ordres nécessaires pour qu’on se préparât au départ, et courut prévenir les trois amis.

Absorbés par l’attente fiévreuse du signal qui devait confirmer toutes leurs espérances, étrangers à tout ce qui se passait autour d’eux, ils étaient tous les trois dans la partie supérieure de l’observatoire, que des fils reliaient aux appareils électriques établis au dehors.

Déjà depuis plusieurs heures toute la région était plongée dans les ténèbres ; mais, ainsi que l’avait calculé Marcel, lorsque la nuit avait gagné l’observatoire, il était environ midi aux Montagnes Rocheuses, et il y avait encore quatre ou cinq heures à attendre.

L’œil rivé à l’oculaire des gigantesques lunettes, ils suivaient tout frémissants le mouvement de rotation de la Terre et voyaient la lumière reculer peu à peu vers la côte occidentale de l’Atlantique.

Le savant Mérovar entra précipitamment.

« Amis, leur dit-il, la situation devient périlleuse ; les enyoyés du Conseil Suprême ont décidé que l’observatoire devait être évacué. Déjà leur ordre est, en partie, exécuté ; il ne reste plus ici que nous. Hâtons-nous de redescendre pendant qu’il en est temps encore. »

Marcel ne parut pas l’entendre.

Jacques et lord Rodilan semblaient, eux aussi, insensibles à l’imminence du péril. Mérovar renouvela ses instances, et, pendant qu’il parlait, on entendit un bruit sourd semblable à une explosion lointaine ; mais personne n’y fit attention.

Cependant l’atmosphère se chargeait de plus en plus des émanations du gaz délétère. Déjà les visages se congestionnaient, les

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yeux s’injectaient, la respiration devenait plus sifflante ; mais, dans l’état de surexcitation où ils se trouvaient, ils paraissaient ne pas s’en apercevoir. Jacques lui-même, oubliant qu’il était médecin, ne tenait aucun compte de ces redoutables symptômes.

Cependant Mérovar devenait plus pressant.

« Eh bien, partez sans moi, s’écria Marcel ; pour rien au monde je n’abandonnerai ce poste à un pareil moment. »

D’un geste, et sans même détourner leurs yeux de l’oculaire, Jacques et lord Rodilan firent comprendre que rien, pas même l’approche de la mort, ne saurait ébranler leur résolution,

« L’ombre approche, murmurait Jacques.

— Elle atteint déjà les Montagnes Rocheuses, fit lord Rodilan d’une voix tremblante d’émotion.

— Amis, reprit Marcel dans un état d’exaltation indescriptible, nous touchons au but. Dans quelques instants nous allons savoir si nos signaux ont été aperçus et si le grand problème des communications interplanétaires est résolu. »

En présence de cette abnégation sublime, de ce sacrifice de la vie accompli avec tant d’héroisme et de simplicité, le cœur de Mérovar, malgré l’empire qu’il avait sur lui-même, se sentit ému. Le souvenir des grands dévouements à la science, dont l’histoire du monde lunaire lui offrait de si remarquables exemples, revint à son esprit, et il admira.

Muet et immobile, il croisa les bras sur sa poitrine et attendit.

Tout à coup, trois cris surhumains jaillirent à la fois :

« Le signal !

« Le feu !

« Hurrah ! »

Au milieu du champ des trois lunettes braquées sur Long’s Peak , venait d’apparaître une lueur soudaine qui, malgré l’effroyable distance, se détachait nette, brillante et soutenue.

Haletants, éperdus, aux trois quarts asphyxiés dans cette atmosphère qui, de seconde en seconde, devenait plus intolérable à leurs poumons épuisés, ils ne pouvaient s’arracher à cette contemplation et ne s’apercevaient pas que la mort s’approchait d’eux à grands pas.

Au bout de quelques instants, Marcel se leva avec un pénible effort et regarda ses compagnons. Déjà l’asphyxie avait fait son œuvre.

Renversés sur leurs sièges, la tête inclinée et les bras pendants, ils ne donnaient plus aucun signe de vie.

Mérovar lui-méme gisait sur le sol.

« C’est la mort, murmura Marcel ; mais qu’au moins nos amis sachent que nous les avons aperçus. Notre dernière pensée aura été pour eux. »

Et il se dirigea en chancelant vers le commutateur qui devait enflammer et lancer à travers l’espace les lettres lumineuses qui portaient leur message ; mais, au moment où il allait l’atteindre, il tourna sur lui-méme et s’abattit comme une masse.

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DEUXIÈME PARTIE

Chapitre premier la villa de rugel.

À une distance d’environ vingt lieues terrestres de la capitale du monde lunaire, et en s’éloignant du bord de la mer intérieure, on rencontrait les premiers contreforts de la formidable muraille de granit sur laquelle s’appuyait la vote de la caverne. Là, dans un site délicieux, se creusait un lac alimenté par plusieurs cours d’eau descendus des montagnes voisines.

Ce lac aux ondes pures et transparentes était entouré de collines revêtues d’une riche vegétation et qui inclinaient jusqu’à ses bords sinueux leurs épais tapis de mousse. Rien n’était charmant comme cette solitude enchantée qu’égayaient le chant des oiseaux et les douces brises se jouant dans le feuillage.

Presque au centre du lac s’élevait une île de dimensions assez restreintes, mais où se trouvaient réunis les arbres des essences les plus précieuses, les fleurs les plus parfumées de la flore lunaire. Tout y semblait préparé pour le plaisir des yeux.

Dans ce monde si calme et si paisible, ce lieu paraissait être plus calme et plus paisible encore. On eût dit que c’était là un asile inviolable réservé à l’étude ou à la méditation.

À peu de distance du bord, une habitation spacieuse, mais d’un style à la fois délicat et gracieux, se trouvait comme posée sur le gazon qui descendait en pente douce jusqu’au rivage. Sur ce fond d’un vert très tendre elle se détachait brillante et légère, avec son promenoir soutenu par de fines et sveltes colonnettes, ses murs d’un blane azuré égayés de peintures et de mosaïques, ses terrasses aux élégants balustres, ses campaniles, ses clochetons ajourés dont la fantaisie apparente présentait cependant une savante harmonie.

Par les baies largement ouvertes entraient à flots l’air et la lumière. Dans cette heureuse région, l’atmosphère était plus douce à respirer : on n’eût pu souhaiter plus merveilleux séjour pour rendre la paix aux âmes troublées, la santé aux corps affaiblis.

C’est dans cette retraite que le sage Rugel venait se reposer des travaux que lui imposaient ses hautes fonctions. La femme qui avait été la compagne de sa vie était morte déjà depuis longtemps, ne lui laissant qu’un gage de son amour, une fille sur laquelle s’étaient reportées toutes ses affections. Mais le souvenir de celle qu’il avait perdue ne s’était jamais effacé de sa mémoire. Il ne pouvait songer sans tristesse au temps heureux qu’il avait passé auprès d’elle. De là cette teinte de mélancolie qui voilait toujours son visage, mais qui n’enlevait rien à la noblesse de son âme, à la bonté de son cœur.

Son education terminée, Oréalis était rentrée dans la maison paternelle ; elle s’était efforcée de combler le vide laissé par sa mère, qu’elle avait à peine connue ; et parfois, en la voyant toujours aimante et douce, le père attendri croyait retrouver l’épouse que son cœur regrettait sans cesse.

Oréalis, la fille chérie de Rugel, était d’une splendide beauté.

Elle était à cet age où la jeune fille devient femme et unit encore les grâces de l’enfance au charme pénétrant de la jeunesse. Son visage régulier, expressif, était éclairé par deux grands yeux noirs, qui, dans son teint d’un blanc légèrement rosé, brillaient comme deux sombres diamants. Leur éclat était tempéré par une infinie douceur : ils étaient les interprètes d’une âme pure, mais accessible aux sentiments les plus élevés et aux plus généreuses passions. D’épais cheveux d’un blond cendré encadraient ce radieux visage et retombaient en flots soyeux et ondulés sur ses épaules. Un étroit cercle d’or, où s’enchâssaient d’étincelantes pierreries, était posé sur cette adorable chevelure et faisait scintiller leurs mille feux au milieu de ses teintes adoucies. Elle était vêtue d’une étoffe vaporeuse et légère, d’une éblouissante blancheur, dont les manches flottantes laissaient l’avant-bras à nu et qui, relevée sur le côté, découyrait une tunique d’azur aux broderies d’argent. Sa taille assez élevée était svelte et bien prise et offrait d’admirables proportions. Phidias n’aurait pu rêver modèle plus parfait lorsqu’il faisait jaillir du marbre ces jeunes immortelles où les formes les plus parfaites du corps féminin semblaient comme baignées d’une atmosphère divine.

Sa démarche était harmonieuse et souple ; ses gestes étaient nobles et dignes, et, à la voir s’avancer d’un pas rhytmique et cadencé, on ne pouvait s’empécher de murmurer le vers du poète :

Parfois, lorsqu’une pensée joyeuse agitait doucement son âme, lorsqu’elle revoyait son père après quelque temps d’absence, son visage, aux lignes ordinairement calmes et tranquilles, s’illuminait d’un céleste sourire.

On ne pouyait la voir sans se sentir gagné par l’attrait qui émanait d’elle ; tous ceux qui l’approchaient l’aimaient et l’entouraient d’un religieux respect.

Trois femmes de la famille de Rugel l’aidaient, dans cette paisible demeure, à entourer de soins et d’affection celui dont tout le monde admirait la haute intelligence et chérissait la bonté. Mais Oréalis les surpassait toutes en charme et en beauté, et si, dans ce monde supérieur, n’eût régné une égalité absolue, on eut dit une jeune reine au milieu de sa cour.

Dans cette maison de Rugel, d’ordinaire si calme et presque muette, régnait depuis quelque temps une agitation inaccoutumée. C’est là qu’après la catastrophe dans laquelle ils avaient failli trouver une mort horrible, avaient été transportés les trois voyageurs venus de la Terre.

C’est à Rugel qu’ils devaient leur salut.

Aux premières nouvelles de l’accident survenu à l’observatoire, il s’était ému et inquiété du sort de ses amis. Du palais où siégeait le prudent Aldéovaze entouré du Conseil Suprême, on attendait avec impatience le résultat de la mission confiée aux savants qu’on avait chargés de rechercher les causes du phénomène.

Bientôt on avait appris que l’ordre avait été donné d’évacuer l’observatoire devenu intenable, et que tout le personnel en était descendu. Seuls, les trois habitants de la Terre et Mérovar avaient refusé de quitter la place. Rugel comprit.

« Ah ! les grands cœurs ! s’écria-t-il ; ils vont périr victimes de leur amour pour la science ; mais je les sauverai malgré eux, s’il le faut. » ;

Et il était parti en toute hâte.

Arrivé au pied de la cheminée de l’ascenseur, il la trouva toute remplie de vapeurs méphitiques et irrespirables. Pendant qu’on lui expliquait brièvement tout ce qui s’était passé, on entendit soudain comme un coup de tonnerre qui, répercuté par les échos des parois rocheuses, descendit en grondant avec de sourds roulements.

Presque immédiatement après, on distingua comme un sifflement, et la colonne d’air refoulée et toute chargée d’émanations sulfureuses, fit reculer les assistants.

« Ils sont perdus, murmura l’un des savants ; sous la poussée des gaz, la fissure s’est agrandie. Tout est maintenant rempli par les gaz délétères. Il n’y a plus rien à faire. »

Rugel eut un geste énergique.

« J’irai, » dit-il simplement.

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— Alors vous n’irez pas seul, répliqua le savant qui avait déjà parlé ; nous vous accompagnerons. »

Et, munis de respirateurs à air comprimé semblables à ceux dont on se servait pour parcourir la surface du satellite, les trois savants et Rugel se précipitèrent dans l’ascenseur qui remonta avec une vertigineuse rapidité.

Arrivés à l’observatoire, ils se dirigèrent sans hésiter vers la salle d’observations où ils étaient bien sûrs de rencontrer ceux qu’ils cherchaient. Ils pouvaient, grâce aux appareils dont ils étaient revêtus, traverser impunément cette atmosphère mortelle.

Les quatre corps gisaient sur le sol sans aucune apparence de vie. Sans s’attarder à chercher s’ils respiraient encore, ils les enlevèrent et les transportèrent dans l’ascenseur qui redescendit aussitôt. Pendant le trajet on prodigua aux quatre infortunés les soins que réclamait leur état, insufflations d’ozone savamment graduées à l’aide d’inhalateurs perfectionnés, frictions avec des réactifs énergiques, pressions rythmées sur la région thoracique, tout fut mis en œuvre pour ramener en eux la vie qui paraissait éteinte.

Mérovar, dont la conformation toute différente de celle de ses trois compagnons par suite du développement de son appareil respiratoire, offrait plus de résistance à l’intoxication par les voies aériennes, avait déjà donné quelques signes de vie, avant même que l’ascenseur eût touché le sol ; mais rien n’avait pu tirer de leur insensibilité les trois habitants de la Terre.

On les transporta dans une vaste salle que de grandes ouvertures permettaient d’aérer largement, et l’on continua les soins actifs et intelligents qui jusque-là étaient demeurés inutiles.

Rugel surtout était inquiet et anxieux.

« Les malheureux ! disait-il ; quelle terrible imprudence, ou plutôt quelle obstination sublime ! Vont-ils donc ainsi périr sans recueillir le fruit de leurs efforts ? Pourvu qu’Azali arrive à temps. »

Et se tournant vers l’un des savants qui s’empressaient autour des trois amis :

« J’ai, dit-il, fait prévenir l’habile Azali ; il va nous dire s’il reste encore quelque chance de les rappeler à la vie… Mais le voici. »

Et il s’avança vers le nouvel arrivant.

C’était un homme dans toute la force de l’âge. Son front élevé dénotait un esprit méditalif et ses yeux brillaient de la plus vive intelligence ; ses traits étaient graves et doux. Il avait approfondi les sciences de la vie et passait à juste titre pour l’un des plus versés dans la connaissance de toutes les questions qui intéressent l’organisme.

Lorsqu’il arriva, Mérovar reprenait déjà l’usage de ses sens, et se rendait compte de ce qui se passait autour de lui ; mais, trop affaibli encore par l’ébranlement qu’il avait subi dans tout son être, il ne pouvait qu’assister, spectateur ému mais impuissant, aux efforts tentés pour sauver ses amis.

Azali s’approcha des trois corps qui gisaient étendus sur une large couche, et, sur son ordre, on les dépouilla de leurs vêtements. Il les ausculta minutieusement ; puis, se relevant :

« Tout espoir n’est pas perdu, dit-il ; mais il faut se hâter. »

Il fit un signe à un jeune Diémide qui l’avait accompagné. Celui-ci s’éloigna et revint bientôt porteur de trois appareils spéciaux dont Azali avait pris soin de se munir en prévision de ce qui allait se passer. Ces appareils consistaient en une sorte de cage formée de fils métalliques embrassant exactement le thorax et disposée de façon à pouvoir jouer librement. Ces fils étaient agencés de manière à ce que leurs pointes vinssent s’appuyer sur les muscles dont la contraction et l’extension déterminent dans l’être vivant les mouvements d’aspiration et d’expiration. Un courant électrique, d’une intensité proportionnée aux résultats qu’on voulait obtenir, agissait à l’aide des fils sur les muscles de la poitrine et déterminait ainsi un phénomène artificiel de respiration d’une parfaite régularité.

Les trois corps inanimés furent revêtus de ces appareils qui, sous l’influence du fluide électrique, se mirent immédiatement à fonctionner. Le physiologiste en suivait le jeu d’un œil attentif. En même temps, les inhalateurs, mis en mouvement avec de minutieuses précautions, faisaient pénétrer dans la poitrine des moribonds des ondes bienfaisantes d’ozone destinées à remplacer l’air vicié qui la remplissait, et à purifier les organes souillés.

Pendant plusieurs heures dura ce travail patient et assidu. Rien n’était changé dans l’aspect cadavérique de Marcel ; mais déjà Jacques et lord Rodilan semblaient revenir lentement a la vie : leur peau plus souple était moins froide, leurs joues se coloraient d’une teinte presque rose, leurs yeux, dont Azali soulevait de temps

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en temps la paupière, étaient moins vitreux, leur pouls, jusque-là insensible, commençait à se faire sentir.

« Maintenant il n’y a plus à craindre pour leur vie, » dit Azali en se relevant.

Et, les laissant aux soins de ceux qui les entouraient, il revint à Marcel.

L’ingénieur était toujours dans le méme état ; toute apparence de vie semblait l’avoir abandonné, et, malgré l’action des courants électriques, la respiration artificielle était restée sans résullat.

« Il a absorbé plus longtemps que ses amis les gaz empoisonnés, murmura le physiologiste ; c’est l’intoxication qu’il nous faut combattre. »

Il avait prévu le cas. S’armant alors d’un petit instrument de métal analogue aux seringues dont on se sert sur la Terre pour les injections hypodermiques, il fit pénétrer profondément dans le tissu musculaire du flanc gauche de Marcel une certaine quantité d’un liquide incolore, mais d’une puissante énergie antitoxique. La douleur de cette blessure n’avait pas déterminé chez le malade le moindre tressaillement ; mais bientôt, sous l’action de l’agent injecté, le cœur, dont les mouvements semblaient avoir cessé, recommença à battre faiblement. En même temps que la circulation du sang reprenait son activité, se déterminaient des mouvements respiratoires.

Le visage assombri d’Azali s’éclaira :

« Courage ! fit-il, nous le sauverons. »

Il fit encore au patient deux nouvelles piqûres, et, à la suite de chacune d’elles, on put voir les mouvements vitaux reprendre et s’accélérer.

Au bout d’une heure, Marcel lui aussi était hors de danger.

Rugel, qui avait suivi avec une attention émue cette lutte de la science contre la mort, serra la main d’Azali ; son visage était rayonnant de joie.

« Ne yous réjouissez pas trop tot, ami, répondit le jeune homme ; leur vie matérielle est assurée, mais le poison qu’ils ont absorbé a profondément agi sur leur organisme, et principalement sur le cerveau, centre de toute pensée et de toute sensibilité. Il leur faudra bien du temps et bien des soins avant qu’ils aient recouvré le libre jeu de leurs fonctions et l’intégrité de leurs facultés intellectuelles.

— Pour cela, je m’en charge, » répondit Rugel.

Et c’est ainsi que les trois amis se trouvaient transportés dans l’asile tranquille où devait s’achever leur rétablissement.

CHAPITRE II UN AMOUR SANS ISSUE

Les prévisions d’Azali s’étaient réalisées.

Grâce aux soins dévoués dont ils avaient été l’objet, Marcel et ses deux amis avaient recouvré assez promptement leur santé physique ; mais il s’était produit en eux un phénomène étrange. Sous l’influence du poison qui avait envahi tout leur organisme, leur intelligence était demeurée comme assoupie ; leur esprit était resté plongé dans des ténébres profondes ; la mémoire avait disparu ; les idées ne s’enchaînaient que d’une facon confuse ; les perceptions même des sens étaient incohérentes et comme inachevées.

Pour tout dire en un mot, il semblait que leur cerveau fût devenu comme une table rase où plus rien ne restait des notions acquises et des idées emmagasinées. Ils étaient semblables à des enfants qui ouvrent aux impressions de la vie une âme neuve et candide encore ; ils avaient tout à rapprendre.

Et c’était un spectacle à la fois singulier et attristant que de voir ces hommes robustes, dans toute la maturité de leur vie, redeyenus ignorants, timides et hésitants comme de petits enfants au seuil même de l’existence.

Pendant les quelques jours qui avaient suivi la terrible secousse, ils avaient été de la part de la fille de Rugel l’objet de la plus vigilante sollicitude.

Comme tous les autres habitants du monde lunaire, elle connaissait leur histoire et elle n’avait pu se défendre d’un sentiment d’admiration profonde pour ces hommes qui avaient fait si héroïquement le sacrifice de leur vie. Elle avait voulu présider elle-même aux soins qui leur étaient donnés. Elle suivait d’un regard ému les progrès rapides de cette résurrection, et lorsqu’elle constata que, malgré la santé physique revenue, leur esprit tardait à reprendre toute sa puissance et toute sa lucidité, elle se sentit profondément troublée et s’en ouvrit a Azali.

Le jeune sayant était depuis longtemps l’ami de son cœur.

Ils avaient vécu l’un à côté de l’autre, et, dans ce monde où les sentiments se développaient en toute liberté et sans qu’aucune convenance vint jamais les contraindre, ils s’étaient sentis portés l’un vers l’autre et s’étaient abandonnés au charme d’une affection partagée. Comme ils n’avaient rien à cacher et ne pouvaient du reste rien dissimuler de ce qu’ils éprouvaient, Rugel avait eu connaissance de ce penchant réciproque aussitôt qu’il avait pris naissance. Tout dans cet amour, qui ne ressemblait en rien aux passions de la Terre, était pur, simple et loyal. C’est ainsi que les choses se passaient toujours dans ce milieu privilégié, et, selon toute vraisemblance, ils devaient bientôt s’unir et fonder autour de Rugel une nouvelle famille.

L’accident qui était survenu aux habitants de la Terre avait rapproché la jeune fille de celui que tout le monde autour d’elle considérait comme son fiancé.

Retenu par les soins dont les trois malades étaient l’objet, Azali ne s’éloignait guère de la maison où ils avaient été transportés. Tout le temps qu’il ne passait pas auprès d’eux il le consacrait à celle que son cœur avait choisie.

Avec l’innocence et la liberté de mœurs où rien d’impur ne germait jamais, ils allaient souvent, lorsque Rugel était rappelé à la capitale par les devoirs de sa charge, se promener le long des rivages enchantés de l’île ou dans les bosquets fleuris dont elle était couverte.

Et leurs entretiens, tour à tour graves et enjoués, trahissaient la sérénité de leur âme, leur calme confiance dans l’avenir. Rien chez Oréalis de ces manèges de coquetterie, de ces manœuvres savantes, de ces provocations étudiées où s’exerce ici-bas l’astuce féminine, lorsqu’il s’agit de s’assurer, dans la course au mari, la conquête d’un beau nom ou d’une brillante fortune.

Et, du côté d’Azali, rien qui ressemblât à ces protestations d’amour qui, parfois, sonnent si faux, à ces exagérations convenues, à ces compliments fades et vulgaires, sous lesquels on cache si souvent sur la Terre la sécheresse de son cœur ou la bassesse de ses convoitises.

Un jour, dans une de leurs promenades accoutumées, Oréalis interrogea le jeune savant sur le sujet qui, depuis quelque temps, commençait à la préoccuper.

« Ami, lui dit-elle, je me demande avec quelque inquiétude si nous devons nous réjouir d’avoir arraché à la mort ceux qu’elle l’état dans lequel se trouve leur esprit me trouble et me tourmente. Il semble avoir reculé jusqu’au premier âge de la vie ; il n’a ni plus de force ni plus de portée que celui d’un enfant. Doivent-ils donc rester toujours emmurés dans ces limbes de l’intelligence ? S’il en était ainsi, nous ne les aurions sauvés que pout les condamner à une existence indigne d’eux et tout à fait misérable.

— Je suis, moi aussi, répondit Azali avec un accent de tristesse, inquiet de l’état où je les vois. Je sayais bien que la commotion qu’ils avaient éprouvée était profonde, mais je ne les jugeais pas si gravement atteints. La mémoire du passé paraît chez eux complètement abolie ; ils sont tout entiers aux impressions fugitives du moment. Ce qu’il faut faire pour les rendre à eux-mêmes, c’est réveiller par tous les moyens possibles le sentiment de leur personnalité effacée.

« C’est à vous, Oréalis, bonne et douce comme vous l’êtes, déjà pour eux si maternelle, qu’il appartient de faire, en leur rappelant sans cesse les événements par lesquels ils ont passé, revivre en eux les souvenirs momentanément assoupis. Ainsi leur intelligence se développera rapidement, et ils auront bientôt retrouvé, grâce à votre généreuse influence, le sentiment de leurs grands desseins et la volonté de les poursuivre.

— Que l’Esprit Souverain vous entende, » murmura Oréalis, devenue pensive.

Dès lors elle fut tout entière à l’œuvre de guérison qu’elle avait entreprise. Et c’était chose charmante et mélancolique à la fois de voir cette grande et belle jeune fille se faire l’éducatrice patiente et dévouée de ces trois hommes bronzés par de si rudes traverses, mais redevenus enfants, qui l’écoutaient avec avidité comme une sœur aînée.

Dans de merveilleux récits qu’avec une ingénieuse habileté elle appropriait à l’état de leur esprit, la jeune fille faisait revivre sous leurs yeux les terribles épreuves par lesquelles ils avaient passé, les travaux qu’ils avaient accomplis, les espérances qu’ils avaient conçues, et réveillait ainsi peu à peu la conscience de leur être. Ils restaient suspendus à ses lèvres ; parfois leurs sourcils se contractaient comme si, dans un travail de réflexion intérieure, se déchirait un coin du voile qui leur cachait encore la réalité, et on pouvait prévoir déjà l’instant où ils auraient repris la pleine possession d’eux-mêmes.

Mais c’était Marcel surtout qui semblait, plus encore que ses deux amis, subir la magnétique influence de la jeune fille. Le son de sa voix le jetait dans une sorte d’extase ; le charme qui se dégageait de toute sa personne agissait irrésistiblement sur lui ; des mouvements confus dont il ne se rendait qu’imparfaitement compte agitaient son cœur. Et lorsque, redevenu lui-méme, il s’interrogea sur ce qu’il éprouvait, il se demanda, non sans quelque effroi, si ce sentiment délicieux n’était que de la reconnaissance ou méritait un nom plus tendre.

Bientôt il ne lui fut plus possible de se faire illusion : il éprouvait des émotions jusqu’alors inconnues. Son esprit actif et chercheur, qui ne s’était jamais passionné que pour la solution de problèmes scientifiques ou la réalisation de quelque entreprise hardie, semblait avoir perdu son initiative et sa vigueur. Une sorte de lassitude langoureuse l’avait envahi : il se plaisait maintenant à se laisser bercer par de molles rêveries. Le chant des oiseaux, l’harmonie du vent dans le feuillage le ravissaient ; son imagination surexcitée lui représentait sans cesse la belle Oréalis : il n’en pouvait détacher sa pensée, et, loin d’elle, il restait plongé dans une mélancolie dont la tristesse n’était pas sans charme.

Le doute ne lui était plus permis : il aimait la jeune fille.

L’instant où cette vérité lui apparut sans nuages fut cruel pour lui. Il savait qu’Oréalis était fiancée à un homme dont il était lui-même l’obligé, et, dans la droiture de sa conscience, il frémissait à penser qu’il ne pouvait s’abandonner à son amour sans se montrer odieusement ingrat. Et puis, que d’obstacles entre lui et celle vers qui l’entraînait son cœur !

En supposant que leurs âmes eussent pu se comprendre et que le sentiment qu’il éprouyait pût être partagé, comment une union aurait-elle été possible entre deux êtres de nature si différente ?

Marcel avait trop de loyauté dans l’âme pour ne pas juger sainement la situation nouvelle qui lui était faite. Il essaya bravement de combattre la passion qui l’avait peu à peu envahi. Cette lutte fut pour lui la cause de douloureux déchirements.

Il fuyait maintenant la présence de celle qu’il recherchait naguère ; mais il avait perdu, avec l’ignorance de l’état de son cœur, le repos et la tranquillité de l’esprit.

Cet état de trouble et d’incertitude où se débattait Marcel avait pas échappé à l’observation de ses deux amis. Jacques et lord Rodilan, qui avaient été frappés comme le jeune ingénieur, avaient passé par les mêmes phases que lui. Grâce à la sollicitude attentive et dévouée dont ils étaient entourés, ils avaient remonté peu à peu, eux aussi, la pente où leur raison s’était effondrée : ils avaient reconquis toute la liberté de leur intelligence et retrouvé, Jacques ses ardeurs généreuses, lord Rodilan la possession de lui-même et le calme un peu dédaigneux dont il ne s’était que rarement départi depuis qu’il avait quitté la Terre.

Ils s’inquiétaient de la tristesse étrange de Marcel.

La cause ne leur en avait pas longtemps échappé : Jacques se retrouvait tel qu’il avait été lorsque son cœur s’était ouvert à l’amour qui, maintenant encore, le remplissait tout entier. De là pour Marcel une sympathie plus grande et plus affectueuse.

Quant à l’Anglais, ce qui le préoccupait surtout, c’était la question de l’issue finale de leur entreprise.

Qu’adviendrait-il d’eux si le chef naturel de leur expédition perdait, dans un fol et irréalisable amour, la lucidité d’esprit et l’énergie nécessaires pour la conduire jusqu’au bout ? Malgré les singulières aventures où l’avaient jeté son désir d’émotions nouvelles et son dégoût d’un monde qu’il connaissait trop bien, lord Rodilan n’avait pas tout à fait dépouillé le vieil homme. Sans doute les péripélies de cet étrange voyage avaient fait vibrer dans son âme des sensations qu’il se croyait incapable d’éprouver et qui l’avaient ravi. Le spectacle de ce monde si different de celui qu’il avait quitté n’avait pu le laisser insensible, et, plus d’une fois, malgré son flegme britannique et sa volonté de ne s’étonner de rien, il s’était senti surpris ou saisi d’admiration.

C’était là, pour un blasé comme lui, quelque chose de tout nouveau et qui l’avait délicieusement remué.

Il s’était même promis d’étonner à son tour les habitants de la Terre (car il comptait bien y revenir un jour) par la description de cette humanité supérieure ; et c’est pour cela qu’il s’était attaché, avec une ardeur qui l’étonnait lui-même, à l’étude des mœurs, des institutions, de l’histoire du monde lunaire. Et ce n’était pas une mince satisfaction pour son orgueil de penser que, grâce à lui, l’Angleterre aurait sa part de gloire, et non la moindre, dans cette merveilleuse épopée qui révélerait à la Terre un univers inconnu et serait le point de départ d’une ère de progrès que personne jusque-là n’aurait osé rêver.

Mais si tout cela satisfaisait l’esprit de lord Rodilan, il était d’autres exigences contre lesquelles il se débattait, et non parfois sans en souffrir. Bien qu’il affectât jadis d’être devenu indifférent aux plaisirs délicats d’une table bien servie, sous prétexte que pour son palais fatigué rien ne saurait être nouveau, il n’avait pas tardé à regretter ce qu’il dédaignait autrefois.

Il s’accommodait mal de cette composition chimique qui suffisait à ses amis et qu’il appelait dédaigneusement une nourriture scientifique. Les tentatives d’ensemencements faites par Marcel et dont quelques-unes seulement avaient réussi, fournissaient bien aux trois exilés de la Terre des céréales et des légumes auxquels ils étaient habitués, mais cela sans assaisonnement aucun. Et comme toute nourriture animale lui était interdite, l’infortuné fils d’Albion souffrait chaque jour davantage en songeant aux larges tranches de roastbeef saignant, à la turtle-soup et aux pickles variés dont la seule idée lui mettait maintenant l’eau à la bouche.

Il songeait donc sérieusement au retour.

Il ne s’en était pas encore ouvert à Marcel : il sentait bien que le jeune ingénieur ne pouvait accueillir cette idée tant qu’il n’aurait pas réalisé ce qui était le but immédiat de son entreprise, c’est-à-dire l’établissement de communications régulières entre les deux planètes.

Mais si Marcel, se laissant aller aux tendres sentiments qui semblaient le dominer maintenant, allait perdre de vue le projet qu’il avait formé, l’espoir de ce retour se trouverait indéfiniment ajourné. Bien plus, si l’ingénieur songeait à consacrer définitivement sa vie à celle qu’il aimait, qu’adviendrait-il de ses deux compagnons ?

Telle était la question qui s’imposait à l’esprit de lord Rodilan et qui lui faisait envisager l’avenir avec inquiétude. Il n’était décidément pas fait pour ce monde supérieur.

La fille de Rugel n’avait pas été sans remarquer le changement survenu dans l’humeur et le caractère de Marcel. Elle ne pouvait pas lire au fond de son cœur, car l’habitant de la Terre était privé de ce sens subtil qui, dans le monde lunaire, établissait entre la parole et la pensée une si étroite union que rien ne s’y pouvait dissimuler. Mais, à l’expression du regard de Marcel, aux tendres inflexions de sa voix, au trouble qui l’agitait lorsqu’il se trouvait en sa présence, elle avait fini par comprendre le sentiment dont elle était l’objet.

Elle n’avait vu tout d’abord dans cet empressement de Marcel à rechercher sa société que les manifestations d’une âme reconnaissante, quelque chose de semblable à la gratitude inconsciente qu’un enfant éprouve pour celle qui veille autour de son berceau, sourit à ses joies et adoucit ses souffrances. Mais peu à peu, à mesure que la tendresse de Marcel devenait plus pressante et son humeur plus inégale, elle s’était sentie elle-même troublée.

Lorsqu’elle vit qu’il avait perdu de vue le but de son voyage, ne parlait plus de ses grands travaux et paraissait renfermer sa vie dans le cercle étroit de cette intimité nouvelle, elle l’observa plus attentivement et ne tarda pas à être fixée sur la nature de ce qu’il éprouvait pour elle.

Ce fut pour la jeune fille une découverte pénible.

Certes, elle ressentait pour le héros d’une si merveilleuse aventure, pour celui surtout que ses soins avaient ramené à la vie du cœur et de l’intelligence, une sympathie profonde ; mais elle avait l’âme trop élevée, elle était d’une nature trop supérieure pour pouvoir s’abandonner, en présence de l’amour qu’elle inspirait, à la joie puérile d’une vanité satisfaite.

Il n’y avait pas de place dans son cœur pour l’orgueil, et c’était avec tristesse qu’elle voyait Marcel souffrir ainsi d’un amour sans issue.

Dès lors elle s’appliqua à guérir cette âme blessée.

Loin de chercher, en fuyant Marcel, à irriter sa passion, elle faisait naître les occasions de le rencontrer et de s’entretenir avec lui, de le ramener, en lui montrant la sérénité de son cœur, à un sentiment plus juste de la réalité, à dissiper les chiméres dont pouvait se bercer son esprit, à faire revivre les hautes ambitions auxquelles il avait tout d’abord consacré sa vie.

Ensemble ils parcouraient les ravissants jardins qui entouraient la maison de Rugel ; ils erraient au bord du lac, ou quelquefois, montant dans une embarcation légère, ils se laissaient doucement bercer par la brise embaumée qui flottait sur les eaux tranquilles.

« Ami, lui disait-elle, le moment ne vous semble-t-il pas venu, maintenant que vous avez complètement recouvré la santé, de reprendre vos tentatives si brusquement interrompues ? Vos amis de la Terre attendent avec anxiété la réponse aux signaux qu’ils vous ont adressés. Comptez-vous les laisser longtemps encore dans une incertitude si cruelle ?

— Ah ! répondit Marcel avec un mouvement d’impatience qu’il ne put dissimuler, pourquoi m’arracher ainsi à mon rêve enchanté ? Depuis que je vis auprès de vous, Oréalis, je me sens heureux comme je n’aurais jamais osé l’espérer. Êtes-vous donc déjà si fatiguée de ma présence ? Que vous ai-je fait pour que vous cherchiez ainsi à m’éloigner de vous ?

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— Chassez de telles pensées, ami, répondit avec douceur la jeune fille. Si vous pouviez lire dans mon cœur, vous y verriez pour vous une affection profonde, et c’est précisément parce que vous m’êtes cher que je m’inquiète du repos indigne de vous où vous vous oubliez. J’aime vos grands desseins, j’aime l’audace de votre entreprise ; mais j’aime aussi la gloire qui vous attend et je ne veux pas y renoncer pour vous.

— Oui, reprit Marcel avec vehémence, vous aimez en moi ce qui maintenant est de peu de prix à mes yeux. Ce que je voudrais vous voir aimer, c’est moi-même, c’est mon cœur tout plein de vous, car je ne puis pas retenir plus longtemps l’aveu qui brûle mes lèvres. Oréalis, je…

— Arrêtez-vous, ami, interrompit vivement la jeune fille, en appuyant sur ce mot « ami » qui semblait sonner faux à l’oreille de Marcel ; je sais ce que vous allez dire. Depuis longtemps votre secret m’est connu et j’ai fait tous mes efforts pour que le sentiment qui vous possède restât renfermé dans les limites d’une sincère et loyale amitié. Rien d’autre en effet ne saurait exister entre nous. Alors même que d’insurmontables obstacles ne nous sépareraient pas, vous savez bien que je ne saurais répondre à votre amour.

« Je ne m’appartiens plus : ma foi est unie à un homme que vous devez aimer et respecter. Mon cœur a confirmé le choix de ma raison, et c’est de celui-là seul qui m’a jugée digne de lui que je dois attendre la part de bonheur à laquelle tout être humain a le droit d’aspirer. Je ne sais comment les choses se passent dans le monde d’où vous venez ; mais ici nos âmes ne sauraient passer d’un amour à l’autre, et lorsqu’une fois notre cœur a parlé, c’est pour toujours.

— Ah ! vous me torturez, murmura Marcel ; ce que vous me dites là, je me le suis répété cent fois, et ce n’est que vaincu par l’excès de mon amour pour vous que j’ai laissé échapper le secret que j’aurais voulu garder au plus profond de mon âme. Ce qui me déchire le cœur, c’est cette vertu souveraine, cette sérénité d’âme qui vous met si au-dessus de nos passions terrestres, et peut-être est-ce parce que je vous sais inaccessible à mes vœux que je me sens plus violemment attiré vers vous.

— Enfant, fit en souriant Oréalis, c’est toujours l’impossible qui vous tente ; c’est ce désir d’atteindre l’irréalisable qui vous a poussé jusqu’ici, et c’est encore le même espoir qui vous égare aujourd’hui. Autant la première ambition était noble et généreuse, autant la passion dont vous souffrez maintenant est regrettable et funeste. Elle deviendrait misérable si elle devait vous détourner plus longtemps de votre grande tâche.

— Eh ! que voulez-vous que je devienne maintenant que vous brisez en moi la seule espérance qui me rattachait à la vie, et pouvait me donner la force d’aller jusqu’au bout ?

— Ce que je veux, c’est que vous soyez un homme ; c’est que vous chassiez les vaines chimères qui obscurcissent votre esprit et troublent votre volonté ; c’est que, esclave du devoir que vous vous êtes imposé, marchant d’un pas ferme et sans regarder en arrière dans la voie que vous vous êtes tracée, vous poursuiviez sans faiblesse la réalisation de votre œuvre féconde. Ah ! poursuivit-elle en s’animant, je rêve pour vous de grandes et nobles destinées. Je veux qu’après avoir exploré notre monde, vous retourniez vers ceux de la Terre, que vous leur appreniez qu’il existe ici toute une humanité prête à entrer avec eux en relation, que vous soyez le premier pionnier de cette route dans laquelle va entrer le génie humain. Et mon cœur vous suivra ; je serai fière en pensant à vous, et il me sera doux de croire que le désir de mériter mon estime et mon admiration n’a pas été étranger aux efforts que vous aurez faits pour mener à bien ce glorieux dessein. »

Pendant qu’elle parlait, son visage s’était transfiguré et rayonnait d’enthousiasme ; ses yeux semblaient lancer des éclairs, sa poitrine était gonflée d’émotion ; elle semblait grandie. On eût dit qu’elle voyait déjà en esprit cet avenir brillant où les deux mondes, réunis dans une pensée fraternelle, iraient côte à côte et d’un pas égal vers la lumière et le progrès.

Marcel la regardait avec surprise. Jamais elle ne lui avait paru si radieuse et si belle ; il ne soupçonnait pas une telle hauteur dans les sentiments, une telle élévation dans l’âme. Mais aussi il comprenait combien cet être d’une nature si parfaite était éloigné de lui. Il sentait se creuser, plus profond et plus infranchissable, l’abîme qui le séparait d’elle.

Et des sentiments confus agitaient son cœur.

Renoncer à cet amour qui, depuis quelque temps, bercait si doucement sa vie, lui semblait impossible ; mais d’autre part comment ne pas se montrer digne des magnifiques espérances qu’Oréalis avait conçues ?

On pouvait lire sur son visage les combats qui se livraient en lui.

Enfin ce qu’il y avait de bon et de noble dans son cœur l’emporta :

« Eh bien ! soit, dit-il ; il sera fait comme vous l’exigez : je renonce à l’espoir d’être aimé de vous. Je me contenterai de votre estime et de votre amitié. Mais je les veux tout entières, et puisqu’il faut pour les obtenir et pour les conserver me vouer sans réserve à l’achèvement de l’œuvre commencée, j’obéirai. »

CHAPITRE III SOTTISE ET ROUTINE

« Rien encore, fit avec un accent de découragement l’astronome Mathieu-Rollére, en s’arrachant à regret à l’oculaire du télescope. Trois mois se sont déjà écoulés depuis que nos amis nous ont révélé leur présence ; je commence à craindre qu’il ne leur soit arrivé malheur et que nous ne soyons forcés de renoncer à des espérances qui paraissaient si magnifiques.

— Bah ! reprit l’honorable W. Burnett, avec son flegme américain, il ne faut désespérer que lorsqu’il est absolument démontré que le succès est impossible.

— Sans doute, mais s’ils ont pu faire les premiers signaux que vous avez aperçus, pourquoi n’ont-ils pas recommencé ?

— Ah ! pourquoi ? Le sais-je, moi ? Mille accidents ont pu survenir dont il nous est impossible d’avoir la moindre idée, et dont un seul suffit sans doute à expliquer leur silence. Mais songez que, dès à présent, le seul fait qu’ils ont pu arriver à la surface de la Lune, et de là se mettre, ne fût-ce qu’une seule fois, en communication avec nous, apporte à la science la solution d’importants problèmes.

— Oui, mais je voudrais…

— Vous êtes trop impatient, mon vénérable ami. N’est-ce donc pas déjà beaucoup que de savoir que la vie est possible à la surface du satellite ? Et, sur ce point, le doute n’est pas permis : il ya de l’air, sinon tout autour de la Lune, du moins dans certaines parties, puisque nos amis y vivent et ont pu de là faire leurs signaux. Quant à ces signaux eux-mémes, il est difficile d’en préciser la nature. À en juger par leur forme et leurs intermittences voulues, ils semblent bien être de nature électrique. Mais comment nos voyageurs, avec les modestes ressources dont ils disposaient, auraient-ils pu les produire ? La réponse a cette question est assez embarrassante. Comment sont-ils parvenus à se mettre en rapport avec l’humanité lunaire ? Jusqu’ici nous n’en pouvons rien savoir, et de nouveaux signaux seuls pourront nous renseigner.

— C’est vrai, mais c’est précisément cette absence de nouveaux signaux qui me désole. S’ils ont pu faire les premiers, rien ne s’oppose à ce qu’ils les renouvellent. En supposant même que l’un d’entre eux ait péri, les autres auraient pu recommencer l’expérience. Pour que rien ne soit apparu, il faut, j’en ai bien peur, que tous les trois aient succombé. Et je vous l’avouerai franchement, mon cher ami, cette pensée me torture et m’obsède. C’est moi qui ai poussé mon neveu à s’associer à cette téméraire entreprise : j’ai voulu réaliser et pour lui, et pour moi-même, et pour mon pays une conquête sublime ; j’ai séparé Jacques de celle qu’il aimait. Ma fille n’a rien perdu de sa confiance : elle demeure toujours assurée qu’elle reverra son fiancé. Mais si mes craintes sont, comme je le prévois, hélas ! trop fondées ; si Jacques ne revient pas, que deviendrai-je en présence de son désespoir ? Ah ! je sens aujourd’hui la terrible responsabilité que j’ai assumée ; dans mon fol orgueil de savant je n’y avais pas songé. Mais maintenant elle pèse sur moi de tout son poids et je me demande avec terreur si je n’ai pas été sacrilège en tentant ainsi le Ciel.

— Rassurez-vous, mon ami ; ce qu’ils ont fait nous est un gage de ce qu’ils pourront faire encore. Pour moi, j’ai la conviction profonde que, dans un délai qu’il ne nous est pas permis de fixer dès à présent, ils nous donneront encore des signes manifestes de leur présence. Tout d’ailleurs n’est-il pas merveilleux dans cette incroyable odyssée ? Vous êtes-vous jamais demandé comment nos voyageurs, que nous ayons vus disparaître dans une crevasse au pied du cratère d’Aristillus, ont pu se trouver transportés dans le voisinage du cratère de Hansteen, c’est-à-dire à environ 60 degrés, qui font plus de quatre cent cinquante lieues de quatre kilomètres ?

— C’est vrai, murmura Mathieu-Rollère, je n’y avais jamais songé.

— Eh ! bien, s’ils ont pu franchir une pareille distance dans les conditions où doit se trouver, selon les observations astronomiques, la surface de la Lune, il est difficile d’admettre que, réduits à leurs propres forces, ils y soient parvenus ; et il est évident qu’ils ont dû être aidés, Par qui ? Comment ? Il nous est impossible de le savoir. Tout ce que nous pouvons conclure, et nous le savions déjà par la découverte du boulet qui a déterminé leur départ, c’est que la Lune est réellement habitée et que nos amis ont pu se mettre en communication avec les êtres, quels qu’ils soient, qui y vivent.

— Mais comment alors, avec le puissant télescope dont nous disposons et qui permet de distinguer des objets ayant neuf pieds de côté, n’avons-nous jamais rien aperçu qui dénotât la présence d’êtres vivants et intelligents ?

— Il y a assurément là quelque chose d’inexplicable ou plutôt d’inexpliqué, car tout viendra en son temps. Pour l’instant, ce qui est certain, c’est que nos amis sont arrivés sur la Lune, y ont vécu, franchi de très grandes distances, exécuté des signaux sur l’existence desquels le doute n’est pas permis. Si vous trouvez que ce n’est pas là un résultat magnifique, vous êtes bien difficile. Ne leur mesurons pas le temps et attendons avec patience. »

Le ton d’assurance avec lequel parlait l’astronome américain avait fait sur l’âme un peu troublée du vieux savant une salutaire et réconfortante impression. Aussi ce fut avec une ardeur toute juvénile qu’il s’occupa, avec l’ingénieur Georges Dumesnil, de préparer la grande installation de signaux destinés à assurer les communications futures.

Ils se hâtèrent de retourner en France.

I] avait été convenu que, pendant leur absence et toutes les fois que le moment serait favorable, sir William Burnett renouvellerait, à intervalles réguliers, le signal déjà fait et resté sans réponse. Les trois voyageurs comprendraient ainsi que leur message avait été reçu et qu’on attendait de leur part d’autres communications.

Si quelque chose de nouveau se montrait sur la surface du satellite, le directeur de l’observatoire de Long’s Peak devait immédiatement en aviser Mathieu-Rollère. Tout ainsi réglé, le vieil astronome s’était mis résolument en campagne.

Il s’agissait, on se le rappelle, d’obtenir du gouvernement français l’autorisation de disposer, dans une plaine du Sud-Algérien, les appareils électriques nécessaires à la production des signaux, et aussi d’amener l’Observatoire de Paris à disposer, en faveur de l’entreprise, des fonds qui lui sont alloués sous la rubrique de : Recherches scientifiques .

L’autorisation fut obtenue, mais ce ne fut pas sans peine. Pendant que le savant était en Amérique, le ministère avait été une fois de plus renversé. Les amis puissants sur lesquels il comptait avaient été rendus aux douceurs de la vie privée. Sous prétexte d’épuration, tout le haut personnel administratif était renouvelé, et l’astronome n’y connaissait plus personne. Aussi les choses n’allèrent-elles pas aussi vite qu’il s’en était flatté.

Il se heurta dès les premiers pas à la routine ordinaire des bureaux.

On ne comprenait pas d’abord ce qu’il demandait.

Quand on le comprit, il fallut savoir par quel ministère l’autorisation devait être accordée. Il semblait bien que cela ressortit à l’Instruction publique. Mais, comme il s’agissait d’une installation sur le territoire d’un département français, cela pouvait bien dépendre de l’Intérieur. D’un autre côté, la plaine choisie se trouvant dans la zone soumise à l’autorité militaire, il était bien difficile de se passer du consentement du ministre de la Guerre. Ce qu’il fallut entasser de paperasses, rédiger de demandes, faire de courses et de démarches, ne peut être compris que par ceux qui ont eu la malchance d’avoir affaire à ces autocrates infatués d’eux-mêmes, aussi grincheux qu’inabordables, et qui, parce qu’ils font les importants, croient avoir quelque importance.

Le malheureux savant s’essouffla, pendant plusieurs semaines, à aller de ministère en ministère, et il put vérifier par lui-même l’exactitude de ce mot d’un homme qui connaît bien cette administration que l’Europe aurait grand tort de nous envier :

« Il faut plus de temps à un dossier pour franchir la Seine qu’à un bateau à voiles pour franchir l’Atlantique. »

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Enfin, un jour vint où la bienheureuse autorisation, revêtue de tous les cachets, paraphes, signatures, timbres, visas requis par un formalisme aussi puéril qu’inquisitorial, se trouva entre les mains de Mathieu-Rollére.

Il fallait maintenant s’occuper de la question d’argent. Là, ce fut autre chose.

Aux premières ouvertures que fit l’astronome au directeur de l’Observatoire de Paris, celui-ci, tout en ne désapprouvant pas son projet, lui déclara que la disposition des fonds était en dehors de ses attributions, et dépendait d’une Commission sans l’avis de laquelle rien ne pouvait être décidé. Du reste, il se déclara prêt à réunir la Commission.

La discussion y fut orageuse. Les objections contre le projet proposé par Mathieu-Rollère éclatèrent nombreuses et passionées. Que venait faire là ce visionnaire, dont les fantaisies renversaient toute la science officielle ? N’était-il pas entendu depuis longtemps que la Lune, sans air et sans eau, était inhabitée et inhabitable ? Que venait-il chanter d’êtres humains parvenus dans la Lune, y ayant vécu et y ayant manifesté leur présence ? Si cela était vrai, que diable ! cela se saurait, et personne nen savait rien. C’était lui, Mathieu-Rollère, qui était dans la Lune : il fallait l’y laisser et ne point s’occuper de pareilles folies.

Au milieu de ce déchaînement de clameurs furieuses, quelques voix timides s’élevèrent : « Pourquoi condamner ainsi, sans vouloir examiner, une proposition qui pouvait être sérieuse ? Si l’on ne voulait pas ajouter foi aux declarations de l’observateur américain, on pouvait cependant accorder quelque créance aux affirmations plus réservées du directeur de l’observatoire de Nice. Celui-là n’était pas un puffiste ; il avait certainement vu quelque chose. N’y avait-il pas là des indications précieuses ? Était-il digne d’une assemblée de savants français de passer outre dédaigneusement sans vouloir rien tenter ? Que deviendrait le bon renom de la France, qui toujours s’était enorgueillie de marcher la première dans la voie des découvertes scientifiques ? Quelle honte ne rejaillirait pas sur elle si quelqu’autre nation, plus avisée et plus hardie, lui dérobait la gloire d’une pareille initiative ? »

Mais le président de la Commission, vieux savant routinier qui vivait sur sa réputation bien plus que sur son réel mérite, et qui redoutait toute découverte dont il n’était pas l’auteur, se leva, et, dominant le tumulte :

« Trêve de discussion ! s’écria-t-il ; nous sommes les gardiens sévères des fonds que l’État a mis à notre disposition. Nous n’avons pas le droit de les hasarder dans des entreprises insensées, de les gaspiller pour satisfaire à de sottes vanités. Qu’on nous donne à atteindre un but précis et défini, et nous verrons ce qu’il convient de faire ; mais on ne nous apporte ici que des billevisées, rêves creux d’un cerveau malade. Nous serions coupables si nous leur prêtions l’oreille un instant de plus.

— Eh bien ! soit, s’écria Mathieu-Rollère exaspéré. Je vous apporte ici des résultats certains, scientifiquement constatés, contrôlés par des expériences réitérées. Aveugles qui ne voulez pas voir… Ah ! vous avez beau jeu à parler de gaspillage, à faire étalage de prudence et d’économie ! Est-ce qu’on ne prodigue pas chaque jour et à pleines mains l’argent de la France pour contenter de mesquines ambitions, ou pour fournir à d’encombrantes médiocrités l’occasion de se produire ? Et aujourd’hui qu’il s’agit de l’œuvre la plus considérable que la science moderne ait jamais tentée, vous parlez de scrupules et de conscience !… Yous êtes indignes du nom de savants, vous êtes des misérables ! »

La colère l’aveuglait ; on dut l’entraîner.

« Eh bien ! disait-il, pendant qu’on l’emmenait, je saurai me passer de vous. Il ne sera pas dit que la stupide obstination de quelques esprits encroûtés me fera renoncer & mes projets. Je réussirai enyers et contre tous… »

En parlant ainsi le vieux savant croyait fermement au succès ; mais lorsqu’il fallut venir à la réalisation de son projet, il se heurta à des difficultés qu’il n’avait pas prévues. Il avait tout d’abord songé à une souscription publique ; mais pour la mener à bon port il fallait de la réclame, beaucoup de réclame, et c’est là une denrée qui, avec les mœurs actuelles du journalisme, coûte horriblement cher. Les directeurs des journaux scientifiques le traitaient tout bas de vieux fou, et ne voulaient pas, en s’associant à une pareille utopie, compromettre le nom et la dignité de leurs revues. Quant aux autres organes de publicité, ils n’acceptaient quelques entrefilets qu’à des prix exorbitants.

Mathieu-Rollère, qui avait commencé par payer avec une inaltérable confiance, voyait rapidement diminuer ses ressources personnelles. La souscription était ouverte depuis un mois, et on avait juste recueilli 1.967 fr. 50.

L’astronome n’y comprenait rien.

Comment pouvait-on rester insensible à la solution d’un pareil problème ? Il s’indignait de voir les gens aller et venir, courir à leurs plaisirs ou à leurs affaires, dépenser des sommes considérables en futilités, sans s’inquiéter de fournir à la science les moyens d’achever la plus magnifique conquête qu’ait pu rêver l’esprit humain, celle d’un monde.

Il ne tarda pas à tomber dans un état de profond abattement. Il avait perdu cette exubérance de vie et cette activité presque juvénile qui lui avaient fait jusque-là une si verte vieillesse ; il songeait avec mélancolie à toutes ses espérances déçues ; les craintes et les remords, dont il avait déjà entretenu l’honorable W. Burnett, lui revenaient à l’esprit et le torturaient.

Sa fille, qui depuis le départ de Jacques ne l’avait jamais quitté, avait gardé une âme plus ferme. L’amour qui remplissait son cœur semblait le fermer à tout sentiment autre que la foi et l’espérance. Quand elle vit le vieillard ainsi découragé, elle lui dit simplement :

« Pourquoi désespérer, mon père ? Si c’est une misérable question d’argent qui vous arrête, prenez la fortune que m’a laissée ma mère, et faites-en l’usage qu’il vous plaira. Je la sacrifie avec joie et je suis bien certaine que celui que j’aime, lorsque je le reverrai, — car je le reverrai, j’en suis sûre, — approuvera ma décision. Nous vivrons pauvres, s’il le faut, mais heureux d’avoir accompli une grande tâche,

— Enfant, dit Mathieu-Rollère tout ému, en attirant sa fille sur son cœur et en la baisant au front, tu es un noble cœur ; tu es la digne fille d’un savant et tu mérites le grand amour d’un honnête homme. Mais, ma chérie, qu’est-ce que les 70 ou 80.000 francs dont tu peux disposer ? C’est par centaines de mille francs, par millions peut-être, qu’il nous faut compter ; c’est ce que l’égoïsme et la cupidité d’un siècle voué aux plus vils intérêts nous refusent obstinément. Ah ! je me sens profondément atteint, et je crains bien de mourir avant d’avoir pu mener notre œuvre à bonne fin.

— Ne parlez pas ainsi ! s’écria Hélène ; prenez cet argent que je

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Le vieillard secoua la tête sans répondre.

Il se consumait dans ses tristes réflexions, et son découragement grandissait chaque jour, lorsqu’il reçut tout à coup de Long’s Peak une dépêche lui annonçant que les trois lettres lumineuses M. J. R. avaient reparu au sud de l’Océan des Tempêtes, dans le voisinage du cratère de Hansteen.

Cette nouvelle rendit au vieil astronome toute son ardeur et toute son énergie : il se jura de réussir.

CHAPITRE IV RETOUR À L’OBSERVATOIRE

L’accès de l’observatoire était redevenu libre.

Le travail avait été long et difficile. Il avait tout d’abord fallu rechercher la fissure par où s’étaient échappés les gaz méphitiques qui, après avoir rempli la cheminée de l’ascenseur, avaient envahi tout l’édifice et failli causer la mort de Mérovar et des trois étrangers. À cet effet, des hommes, revêtus des appareils qui leur permettaient d’explorer la surface lunaire, avaient soigneusement parcouru la longue cheminée, en examinant minutieusement ses parois.

De longs jours s’étaient écoulés dans cette recherche, et on avait fini par constater qu’à une hauteur de six lieues terrestres environ, la paroi rocheuse ayait cédé sous la pression des gaz intérieurs.

Une crevasse s’était produite, et c’était par un énorme trou béant que le gaz s’était précipité et avait tout envahi. Heureusement cette première poussée n’avait été suivie d’aucune autre : car, sans cela, rien n’aurait résislé à la pression de ce torrent formidable, et la partie supérieure de l’observatoire eût volé en éclats. Mais les vapeurs empoisonnées avaient partout remplacé l’air respirable ; elles occupaient tout l’espace et condamnaient les travailleurs aux plus minutieuses précautions.

Pour boucher la large ouverture, il avait fallu hisser jusque-là de nombreux blocs de roches, les encastrer profondément dans le massif ou s’était produite la fissure, les noyer dans un ciment tenace, et ce travail de Titans ne s’était pas accompli sans de durs et pénibles efforts.

Ainsi s’était trouvée constituée une épaisse muraille artificielle, faisant corps avec la masse rocheuse elle-même et aussi solide qu’elle.

Cela fait, on avait dû songer à débarrasser la cheminée et l’observatoire de l’air vicié qui les remplissait.

Pour y parvenir, des ouvertures avaient été pratiquées dans la partie supérieure du vitrage de la salle qu’occupaient les grandes lunettes et dans les baies qui éclairaient la partie inférieure du monument. Puis des ventilateurs puissants, disposés en bas de la cheminée et fonctionnant sans relâche, ajoutant leur action à celle des pompes qui servaient d’ordinaire, avaient peu à peu remplacé par un air pur l’atmosphère mortelle qui la remplissait. Cela avait duré longtemps, et, pendant que cette œuvre d’épuration s’accomplissait, la région où était situé l’observatoire avait successivement passé de la période de lumière à la période d’ombre.

Et c’était un spectale étrange que de voir ce torrent de gaz et de vapeurs se condenser instantanément sous l’action du froid de l’espace, et retomber sur le sol en flocons neigeux.

Quatre mois s’étaient écoulés depuis l’accident qui avait interrompu si malencontreusement l’échange commencé de communications avec les astronomes de Long’s Peak.

Les travaux avaient enfin repris leur cours, et le sage Rugel s’était empressé de se rendre auprès de Marcel qui, après son entretien décisif avec Oréalis, avait, sans plus tarder, regagné la capitale du monde lunaire et attendait avec impatience le moment où il pourrait renouveler ses tentatives.

Jacques et lord Rodilan, qui n’avaient pas eu les mêmes raisons que Marcel pour oublier le but poursuivi, avaient, plus que lui peut-être, hâte de rentrer dans une vie plus active. Tous les trois apprirent avec joie la bonne nouvelle que leur apportait Rugel, et l’on revint à l’observatoire. Le père d’Oréalis, bien qu’il accueillit avec une égale affabilité les trois étrangers, paraissait cependant témoigner à Marcel une affection plus grande et qui avait quelque chose de paternel. Dans ses fréquentes visites, il n’avait pas été sans remarquer l’état d’âme dans lequel se trouvait le jeune ingénieur, et comme sa fille ne pouvait avoir de secret pour lui, il avait pu suivre dans tout son développement la phase de passion par laquelle avait passé Marcel.

Jamais, sans doute, il n’avait été inquiet au sujet de sa fille, et n’avait redouté que le sentiment dont elle était l’objet pût troubler la paix de son âme. Mais il n’avait su se défendre d’une secrète sympathie pour des souffrances morales que sa haute intelligence comprenait, et il avait admiré la force avec laquelle Marcel en avait triomphé, l’énergie avec laquelle cette âme virile s’était reprise. Maintenant, en effet, Marcel semblait avoir complètement oublié cet instant de faiblesse.

La vérité est que son cœur saignait encore ; mais il avait juré à Oréalis d’être digne d’elle, et il était résolu à tenir son serment. À peine de retour à l’observatoire, les trois amis allèrent, avant tout, visiter les appareils qui leur avaient déjà servi à faire leurs signaux lumineux. Tout était en bon état : rien ne s’opposait à ce que les communications fussent reprises au point où elles avaient été interrompues.

Cet examen terminé, Marcel, suivi de ses amis, s’était rendu dans la salle des observations. Les deux astres étaient à leur premier quartier, et, pour les deux points d’où devaient se faire les signaux, la concordance des nuits était complete. Mais à ce moment, sur la Terre, le continent américain était encore éclairé et il fallait attendre plusieurs heures ayant qu’il fût rentré dans la nuit et qu’il fût possible d’y revoir le point lumineux déjà entrevu.

Tous trois étaient en proie à la plus vive impatience.

« Vous me croirez, si vous voulez, mon cher Marcel, s’écria lord Rodilan, mais je donnerais bien mille guinées pour savoir ce qu’on pense de nous sur la Terre. Nous regarde-t-on comme des fous ou nous tient-on pour d’audacieux savants qui vont révolutionner tout ce que l’on sait ou croit savoir sur la Lune ?

— Vous faites, mon cher lord, répondit Marcel, bien de l’honneur à nos compatriotes terrestres. Tenez pour certain que, sauf pour nos amis de Long’s Peak et sans doute aussi l’oncle de Jacques, personne ou presque personne ne s’intéresse à nous. Je suis même conyaincu que, si la nouvelle de apparition de nos lettres lumineuses a été communiquée au monde savant par l’honorable Burnett, elle n’a dû rencontrer que la plus stupide incrédulité. Tant de gens seraient dérangés dans leurs habitudes et leur routine, et il est si simple de nier ce que l’on ne comprend pas !

— Certes, fit Jacques ; rappelez-vous donc ce qui s’est passé déjà. Est-ce que le monde savant s’est ému lors du voyage, déjà si merveilleux, de Barbicane, Michel Ardan et Nicholl ? Sans doute cela a fait quelque bruit en Amérique et surtout en Floride, où l’expérience avait été tentée. On y a promené en triomphe les audacieux explorateurs, et ç’a été prétexte à de plantureux banquets et à de longs discours. Mais cet enthousiasme n’a pas eu de lendemain, et il a fallu, pour qu’on en gardât le souvenir, qu’un illustre écrivain français [5] se fît l’historien de cette incroyable épopée et en décrivît, avec son talent habituel, les émouvantes péripéties. Sans lui, toute cette fantastique histoire serait promptement retombée dans l’oubli et aujourd’hui elle serait complètement ignorée.

— Jacques a raison, reprit lord Rodilan ; mais vous oubliez que dans ce premier voyage ne figurait aucun Anglais. Sans cela, l’Angleterre n’aurait pas permis qu’un tel exploit demeurât inconnu.

— Eh bien ! fit Marcel en souriant, nous avons cette fois avec nous un citoyen de la libre Angleterre, et nos noms sont assurés désormais de rester immortels. »

Il y avait bien un peu d’ironie dans cette réponse ; mais, comme elle renfermait en somme un éloge assez direct, le noble lord ne jugea pas à propos de la relever.

« Du reste, ajouta-t-il, nous ne tarderons plus maintenant à savoir à quoi nous en tenir sur ce point, car vous vous êtes, je le suppose, préoccupé du retour ? »

Le front de Marcel s’assombrit.

« J’y ai songé, en effet, dit-il. À vrai dire, si je ne suivais que mes propres inspirations, il me plairait d’achever mes jours au milieu de cette humanité qui tient un rang si élevé dans l’échelle des êtres vivants. Quitter ce monde si voisin de la perfection, où tout est noble et grand, pour retomber sur la Terre, où tout est mesquin, grossier et petit, n’a rien qui puisse me tenter beaucoup. Bien d’autres motifs encore pourraient me rattacher au monde lunaire ; mais je ne dois pas songer à moi seul. Je sais que trop de raisons vous rappellent tous les deux, et, lorsque le moment en sera venu, je partirai avec vous. »

Jacques lui serra la main

« Mais, poursuivit Marcel, je crois bien qu’il se passera encore du temps avant que nous puissions songer sérieusement aux préparatifs de notre retour. Il nous faut avant tout assurer les communications avec la Terre. C’est là notre tâche, nous nous y devons tout entiers. Or, à mon avis, cela sera long. Jugez-en vous-mêmes : depuis qu’ils nous ont fait le signal que nous n’avons fait qu’entrevoir sans pouvoir y répondre, nos amis sont sans nouvelles de nous. Ils ne peuvent évidemment rien tenter sans être assurés que nous vivons encore. Sans doute ils vont avoir dans quelques instants la certitude que nous n’avons pas péri et que nous les avons aperçus. Comme moi, vous les connaissez ; nous ne pouvons douter qu’ils ne se mettent immédiatement en mesure de faire tout le nécessaire pour que les communications deviennent régulières, suivies et utiles. Ils vont chercher le système le plus prompt à la fois et le plus pratique. Ce système, quel sera-t-il ? Nous l’ignorons encore.

— En effet, dit Jacques, et j’ajouterai qu’il est fort peu probable qu’ils choisissent, pour nous envoyer des signaux suivis, la région des Montagnes Rocheuses. Ce n’est pas dans cette contrée tourmentée ni à une telle altitude qu’ils pourraient être facilement établis et fonctionner régulièrement.

— C’est juste, poursuivit Marcel ; il nous est impossible de deviner de quelle région du globe terrestre nous arriveront les prochains appels. Quelle plaine choisiront-ils à cet effet ? L’avenir seul pourra nous renseigner sur ce point. Quoi qu’il en soit, nous ne saurions rien tenter d’autre que ce que nous avons fait déjà avant d’être complètement fixés sur toutes ces questions. »

Pendant que Marcel parlait, la nuit avait peu à peu enveloppé l’Atlantique et déjà elle atteignait Long’s Peak. Les trois observateurs avaient repris leurs places aux oculaires des lunettes. Leur émotion était grande et le silence le plus profond régnait dans la salle.

Une heure, deux heures se passèrent sans que rien apparût.

Soudain un point lumineux brilla au milieu des ténèbres.

Un triple cri de joie se fit entendre.

Cette fois aucun doute n’était possible : le signal était là, sous leurs yeux, immobile et fixe. Ce n’était pas une illusion, un rēve de leur imagination surexcitée ; c’était une réalité vivante.

Et il leur semblait que ces rayons de feu leur apportaient la voix même de ceux qui les avaient lancés à travers l’espace ; ils les sentaient frémir et vibrer ; l’âme de leurs amis y tressaillait ; c’était plus qu’un message lumineux, c’était comme un courant magnétique qui faisait battre les cœurs à l’unisson.

Le problème était done résolu ! Leurs signaux, patiemment attendus, avaient été aperçus et compris ; on y avait répondu, et, sans se laisser décourager par la longue période d’inaction qui avait suivi, on avait renouvelé, sans se lasser, le signal de réponse.

Quelle admirable constance avaient montrée les observateurs de Long’s Peak ! Quelle sublime foi dans l’avenir de la science ! Et comme les trois voyageurs leur étaient aujourd’hui reconnaissants de ne s’être laissé abattre par aucune désespérance !

Le feu brillait toujours ; au bout d’une heure il s’éteignit.

« Vite ! s’écria Marcel ; on attend avee anxiété, depuis bientôt quatre mois, que nous donnions signe de vie. Ne faisons pas plus longtemps languir nos amis. »

En disant ces mots il appuyait la main sur la poignée du commutateur placé à sa portée.

La nuit profonde qui enveloppait les plaines lunaires s’éclaira brusquement : un J enflammé se dessina gigantesque sur le sol.

À toi, ami, dit-il en se tournant vers Jacques, l’honneur de révéler le premier notre présence à ceux qui nous attendent. Si ton oncle et celle que ton cœur n’a jamais oublié sont encore aux Montagnes Rocheuses, je veux qu’ils soient sans retard rassurés sur ton compte.

— Merci, dit Jacques en lui serrant la main.

— Vous m’excuserez, mon cher lord, ajouta Marcel en souriant ; mais ni vous ni moi ne sommes amoureux…

— Oh ! pour moi, interrompit lord Rodilan, il y a longtemps que mon cœur a cessé de battre, si toutefois il a jamais battu. Mais pour vous, mon cher, il serait peut-être téméraire d’affirmer que l’amour de la science a toujours régné seul dans votre âme. »

À cette allusion, toute bienveillante qu’elle fût, un nuage passa

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« Personne ne m’attend sur la Terre ni ne me regrette ; je ne fais pas aux quelques indifférents que j’ai pu coudoyer dans ma vie l’honneur de les tenir pour des amis. J’aurai dû au moins à ce voyage l’insigne bonheur d’en rencontrer deux, et cela me suffit. »

L’amitié qui unissait ces trois hommes était maintenant devenue indissoluble. Née par l’effet du hasard, de la pensée commune de tenter quelque chose d’inouï, elle s’était fortifiée au milieu des plus redoutables épreuves, des fortunes les plus diverses subies ensemble, et aujourd’hui le succès obtenu, grâce à leur indomptable énergie, la consacrait à jamais.

Du jour où ils s’étaient embarqués tous les trois dans l’obus de la Columbiad et s’étaient confiés aux hasards de l’immensité, ils ne s’étaient jamais quittés.

C’est toujours appuyés les uns sur les autres qu’ils ayaient affronté des périls inconnus, risqué cent fois leur vie, triomphé enfin de la nature elle-même, dont ils semblaient avoir vaincu les lois. Quoi qu’il arrivât désormais, ils étaient unis par des liens que rien ne pouvait briser.

Cependant les lettres magiques s’étaient succédé à intervalles réguliers, et chaque fois qu’à leur éclat flamboyant succédaient les ténèbres, ils voyaient briller au loin, immuable et fixe, le signal de Long’s Peak.

« Décidément, murmura lord Rodilan, nos amis manquent d’imagination. Leurs phrases ne sont pas longues : Un point ; c’est tout.

— Vous raillez, mon cher Rodilan, fit Marcel ; mais cela même confirme mes prévisions. Il est bien certain, à mon avis, que s’ils comptaient nous envoyer d’Amérique les signaux qui doivent permettre de correspondre utilement, ils auraient déjà trouvé le moyen d’assurer ces communications. Évidemment ils se préparent. Combien de temps leur faudra-t-il pour être en mesure ? Eux seuls peuvent le savoir. Mais je suis convaincu qu’à un moment donné, bientôt peut-être, nous verrons apparaître quelque chose de nouveau qui nous donnera pleine satisfaction. Je le répète, nous n’avons qu’à attendre. »

Et il fut convenu que, jusqu’à nouvel ordre, on s’en tiendrait aux signaux échangés jusqu’à ce moment.

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CHAPITRE V EN ALGÉRIE

Au sud-est de Biskra, à 50 kilomètres environ de la capitale des Ziban, sur la rive droite de l’Oued-Djeddi, s’étend une vaste plaine qui se prolonge à l’est jusqu’au Chott Melrhir et au sud jusqu’à l’Oued Mélah.

Du côté de l’ouest, l’horizon est borné par les collines de sable qui séparent le bassin de ces cours d’eau, le plus souvent desséchés. C’est dans cette région visitée par les Romains, puis par les conquérants arabes qui en expulsèrent les Berbères autochtones, que Mathieu-Rollère et l’ingénieur Georges Dumesnil avaient résolu d’établir le système de signaux qui devaient leur permettre de correspondre avec les habitants de la Lune.

Le vieil astronome s’était juré de réussir : il s’était tenu parole. Mais ce n’avait pas été sans peine. Après le piteux échec de la souscription publique qu’il avait ouverte, il ne fallait plus songer à faire de nouveau appel au public. La foule égoïste, asservie à des intérêts matériels, était incapable de se passionner pour une grande idée scientifique encore dans le domaine de la théorie, et dont elle ne voyait pas l’utilité pratique. Ceux mêmes que leurs études ou leurs fonctions semblaient préparer à accueillir favorablement ce grand projet, se montraient incrédules et peu disposés à relâcher les cordons de leurs bourses.

Mathieu-Rollère s’était même adressé à ce généreux donateur qui avait déjà fait tant de sacrifices pour le progrès des sciences astronomiques, et doté l’Observatoire de Paris des instruments les plus perfectionnés. Mais, à ce moment, le riche banquier qui faisait un si noble usage de sa fortune, venait de consacrer des sommes considérables à l’érection de l’observatoire de Nice, et, malgré l’enthousiasme que lui causa le projet conçu par Mathieu-Rollère, force lui fut de laisser à d’autres la gloire de rendre possible cette grandiose entreprise. Malgré sa confiance, le vieux savant sentait le doute envahir son âme, lorsqu’une note, lue par hasard dans un journal, vint lui rendre toute son assurance.

À ce moment siégeait sur le trône du Brésil plus qu’un souverain, un sage. L’empereur Dom Pedro  II partageait sa vie entre les devoirs de sa charge et l’étude des sciences, pour lesquelles il était passionné. Chaque année, lorsqu’il avait pourvu aux affaires de l’État, il venait en France, dans ce foyer de lumières, qui, malgré les coups de la mauvaise fortune, n’a cessé de rayonner sur le monde. Membre correspondant de l’Académie des Sciences, il s’intéressait à tous les travaux de la docte assemblée. Son esprit large et curieux de savoir n’avait pu se désintéresser des importants problèmes que pose sans cesse l’astronomie aux esprits avides de recherches spéculatives.

Déjà, dans un précédent voyage, il s’était, lors d’une visite à l’Observatoire de Paris, rencontré avec Mathieu-Rollère, dont les travaux sur les satellites d’Uranus lui avaient paru fort remarquables. Ce prince, si différent de la plupart de ceux qui ceignent le bandeau royal, était assez mal compris par la foule de ses sujets, habitués à voir dans ceux qui gouvernent tout autre chose que des philosophes ou des savants. Aussi devaient-ils, quelques années plus tard, se soulever contre lui et le chasser brutalement du trône.

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Un jour, en jetant un regard distrait sur le courrier mondain du Figaro , Mathieu-Rollère y lut ces lignes :

« Sa Majesté l’empereur Dom Pedro vient d’arriver à Paris. Il se propose d’y faire un séjour assez prolongé pour mettre la dernière main à un important travail sur lequel il désire consulter quelques-uns de ses collègues de l’Institut. »

La face du vieux savant s’illumina. S’il ne s’écria pas comme Archiméde : « Euréka ! » c’est qu’il n’y songea pas, mais il se frotta vigoureusement les mains.

« Voilà mon affaire, dit-il en bon français ; c’est bien la le seul homme qui puisse me comprendre et m’aider. » Sans retard, il se présenta chez l’auguste souverain qui, avec sa bonhomie habituelle, le reçut aussitôt.

Dans cette première entrevue, Mathieu-Rollère fit connaître à son impérial collègue tout ce qui s’était passé : le voyage accompli par Marcel et ses compagnons, l’apparition des lettres lumineuses sur le disque lunaire, les travaux déjà exécutés à l’observatoire de Long’s Peak pour ébaucher un commencement de communications. Il lui mit sous les yeux les télégrammes échangés avec l’honorable W. Burnett, et les plans déjà tracés pour tirer de tant d’héroïques efforts des conséquences utiles et durables.

L’empereur fut enthousiasmé.

Aussi, lorsque Mathieu-Rollère lui fit part de l’insuccès de ses combinaisons pour réaliser la somme nécessaire à un pareil travail, son bienveillant interlocuteur se montra-t-il avec empressement disposé à lui venir en aide.

Plusieurs conférences suivirent, dans lesquelles on examina avec attention tous les devis que l’ingénieur Dumesnil avait soigneusement dressés. Le total en était fort élevé : il dépassait 3 millions.

Dom Pedro fit la grimace.

« Peste ! dit-il, je ne suis pas un souverain assez riche pour me payer une telle fantaisie. La liste civile que m’octroient mes sujets et que mon parlement vote chaque année en rechignant, ne pourrait supporter un tel accroissement de dépenses. Ah ! mon cher ami, les monarques d’aujourd’hui sont de bien pauvres sires, et je songe quelquefois avec tristesse que votre grand roi Louis  XIV , qui puisait à son gré dans la bourse de ses sujets, ne faisait pas tant de façons lorsqu’il s’agissait de faire jaillir du sol les merveilles de Versailles ou de Marly.

— Tout dégénère, murmura le vieux savant. C’est à Louis  XIV aussi que nous devons l’Observatoire, et s’il n’existait pas aujourd’hui, Dieu sait si ceux qui nous gouvernent consentiraient à en faire les frais. J’avais pourtant bien compté sur Votre Majesté ; elle était mon dernier espoir et, si elle me manque, tout est perdu.

— Voyons, dit l’empereur, il y a peut-être moyen de s’entendre. Ne pourriez-vous apporter quelques modifications au plan déjà tracé, ajourner au moins quelques dépenses ? »

Une branche de salut s’offrait à l’astronome ; il s’y raccrocha désespérément.

« Assurément, dit-il. Notre collaborateur a prévu un chemin de fer Decauville allant de Biskra jusqu’à l’emplacement choisi, c’est-à-dire d’environ cinquante kilomètres. On peut y renoncer provisoirement et faire effectuer, à l’aide de chariots ou par tous les autres moyens dont dispose le pays, les transports nécessaires, et ce serait là une importante économie. On peut réduire aussi, je pense, les frais de personnel et d’habitation : car, en ce qui touche le réseau électrique, on n’y saurait rien retrancher. Je m’en entendrai avec Dumesnil.

— Eh bien ! faites, dit l’empereur. Je mets à votre disposition une somme de 1.500.000 francs ; c’est tout ce que je puis faire. Et, ajouta-t-il avec un sourire, je serai grondé pour cette nouvelle folie.

— Cela nous suffira, dit Mathieu-Rollère ; il faut que cela nous suffise. Que Votre Majesté soit bénie ! »

Dans les derniers jours du mois de janvier 188., les bords de l’Oued-Djeddi étaient devenus le théâtre d’une activité extraordinaire. Toutes les pièces nécessaires à l’installation projetée étaient amenées en chemin de fer jusqu’à Biskra, et chaque jour partaient de cette ville de longues files de chariots et de chameaux chargés de lourdes caisses ou d’objets divers dont les formes bizarres inquiétaient fort les naturels du pays. C’étaient dans cette région, d’habitude morne et désolée, une animation et une vie tout à fait insolites. Les grincements des roues, les hennissements des chevaux, les jurons des conducteurs troublaient le silence des solitudes.

Secondés par une vingtaine d’ouvriers électriciens venus de Paris et choisis avec soin, Mathieu-Rollère et l’ingénieur Dumesnil se multipliaient. Partout on les voyait, avec leurs casques de liège et leurs vêtements blancs, hâter les convois, presser le déchargement des matériaux. Bientôt on put commencer a construire les hangars et les habitations de bois démontables destinées au personnel de l’entreprise. Il n’y avait, en effet, qu’à rajuster toutes les parties préparées à l’avance et soigneusement numérotées.

Le travail avança rapidement et, dès le 8 février, on put s’occuper de préparer le sol où devait être établi le réseau électrique.

Sur une étendue d’environ deux hectares de terrain soigneusement nivelé, on disposa tout d’abord une charpente massive formée de poutres distantes l’une de l’autre d’un mètre et se coupant à angle droit. Cette charpente constituait un rectangle de 125 mètres de longueur sur 80 de largeur, divisé en 10.000 carrés d’un mètre de côté. À chacune des intersections des poutres on fixa solidement par la base une puissante lampe électrique à arc, munie d’un réflecteur parabolique argenté de 50 centimètres de rayon. Chacun de ces réflecteurs était relié aux réflecteurs voisins au moyen de griffes et de vis de pression qui assuraient à l’ensemble une cohésion parfaite.

Pendant un mois, les vingt ouvriers électriciens, stimulés par l’ingénieur Dumesnil, que dévorait une fiévreuse impatience, travaillérent sans relâche, et, au grand étonnement des indigènes que la curiosité attirait sans cesse sur ce chantier d’un nouveau genre, les 10.000 foyers s’étendirent sur le sol.

Déjà lorsque le soleil, si ardent dans ce climat brilant, dardait ses rayons sur ces surfaces polies, il les faisait briller d’un insoutenable éclat. Plus d’une fois, on avait dû écarter les importuns dont l’insistance menaçait de troubler les travaux, et Mathieu-Rollère avait fini par faire entourer le chantier et ses dépendances d’une solide palissade dont quelques sentinelles surveillaient les abords.

Sur le réseau ainsi disposé on pouvait facilement dessiner en traits lumineux toutes les lettres de l’alphabet. Un système de fils électriques, soigneusement isolés, reliait chaque foyer d’un côté aux puissantes dynamos qui produisaient les courants, et de l’autre à 25 commutateurs disposés en forme de clavier et dont chacun portait une lettre de l’alphabet.

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Comme bon nombre des foyers pouvaient entrer dans la combinaison de plusieurs lettres différentes, on avait eu soin de les relier par des fils distincts aux commutateurs destinés à enflammer chacune des lettres auxquelles ils devaient participer .

Ainsi un certain nombre de foyers servant à la lettre D pouvaient servir aux lettres B, E, R, L, etc. Chacun d’eux était donc rattaché par des fils aux commutateurs que l’on devait actionner pour former ces diverses lettres. Il suffisait, pour obtenir le signe que l’on voulait produire, d’abaisser une poignée d’ivoire. En la relevant tout s’éteignait et, à une autre manœuvre, sous l’action de nouveaux courants, s’enflammaient les foyers destinés à former la lettre suivante.

C’était là l’application simple et pratique du système de signaux conçu par l’ingénieur Georges Dumesnil. Sur une surface relativement assez restreinte et toujours la même, pouvaient se succéder dans un temps très court tous les caractères nécessaires pour exprimer la pensée dans ce qu’elle a de plus précis. Il était impossible de concevoir une réalisation à la fois plus complète et plus sûre de la théorie du télégraphe optique.

L’une des habitations avait été aménagée pour recevoir la série des commutateurs, et elle était située à une assez grande distance du réseau électrique pour que la manœuvre des leviers ne fût pas gênée par l’insoutenable éclat des foyers lumineux.

Pour protéger le rectangle ainsi établi contre les pluies que ramène chaque année la saison d’hiver, on ayait disposé de larges toiles goudronnées qui, une fois étendues, en recouvraient toute la surface.

Tout ce travail si délicat et si minutieux avait pris beaucoup de temps. Un mois avait suffi pour fixer solidement sur leur charpente de poutres les 10.000 lampes électriques. Mais pour établir ce réseau multiple de fils qui se côtoyaient sans se confondre, on avait employé cing longues semaines.

Pendant ce temps, des mécaniciens avaient monté les machines à vapeur et dynamo-électriques.

Tout se trouva prêt à fonctionner le 14 avril.

On approchait à ce moment de la nouvelle lune.

« Profitons de l’instant, dit Mathieu-Rollère, pour nous assurer que tout marche bien. Nous pouvons en ce moment essayer pendant la nuit nos appareils sans crainte d’être vus de nos amis qui, assurément, ont toujours l’œil au guet. Nous ne devons pas nous exposer, en commençant des signaux que nous serions forcés d’interrompre, à leur donner une fausse joie. Nous ne devons agir qu’à coup sûr. »

La précaution était bonne. Avant d’arriver à un fonctionnement parfait il s’était produit quelques à coups. Des fils s’étaient rompus ; d’autres, malgré les précautions prises, s’étaient enchevêtrés, et les matières qui les isolaient avaient été détruites par le frottement. De là des perturbations dans les courants et des réparations qui nécessitèrent plusieurs jours.

Enfin tout fut réglé et l’on put tenter un dernier essai.

Par une nuit sombre, où d’épais nuages recouvraient le ciel, les 10.000 lampes furent enflammées, et ce flot de lumière, jailli brusquement du sol et allant frapper les nuées, les fit resplendir d’un éclat inaccoutumé.

Pour compléter l’expérience et se rendre un compte exact de la façon dont fonctionnaient les appareils, on fit successivement paraître toutes les lettres de l’alphabet, et l’on vit, spectacle étrange, ces caractères gigantesques se dessiner flamboyants sur la voûte sombre du ciel. On eût dit qu’une main mystérieuse traçait ces lignes de feu, comme jadis, au festin d’un roi barbare, avaient brillé sur le marbre poli des murailles les lettres menaçantes qui annonçaient l’écroulement d’un empire. Et les populations avoisinantes, frappées de terreur à la vue de ce météore d’un nouveau genre, se prosternaient dans la poussière, en se demandant quels sortiléges venaient apporter en ces lieux ces étrangers maudits, et murmuraient le nom d’Allah.

Tous les Européens qui vivaient à Biskra et bon nombre de touristes, attirés par la curiosité, se pressaient autour de l’enceinte et saluaient de leurs acclamations et de leurs vivats cette tentative dont le monde savant commençait à s’émouvoir.

L’acte de libéralité de l’empereur du Brésil n’avait pas tardé à être connu, et le sacrifice d’une somme aussi importante avait frappé ceux qui jusque-là avaient été les plus incrédules. On se disait que, pour que ce monarque à l’esprit si éclairé se fut ainsi décidé sans hésiter, il fallait que Mathieu-Rollère lui eût fourni des renseignements bien précis, des preuves bien décisives. Et une sorte de revirement commençait à s’opérer dans l’opinion publique. On était revenu sur la question des communications possibles avec le satellite de la Terre, et le problème ne paraissait plus insoluble. Les théories soutenant que certaines parties de la Lune pouvaient être habitables, revenaient en faveur ; on rappelait ces apparitions de points lumineux que certains observateurs prétendaient avoir constatées à des époques différentes sur le disque lunaire ; et on se disait qu’après tout, dans ce domaine astronomique, l’expérience avait fréquemment démenti les assertions qui semblaient les mieux établies, et apporté à la science des révélations insoupçonnées.

Cette agitation des esprits avait franchi les limites étroites de l’Institut et des sociétés savantes. Les journaux spéciaux s’étaient emparés du problème et l’examinaient sous toutes ses faces. À leur suite, les grands organes de publicité avaient cru devoir en entretenir leurs lecteurs et, avec la fièvre de reportage et le besoin d’informations rapides qui caractérisent notre époque, on était allé très vite et très loin dans cette voie.

On avait voulu s’assurer d’abord du départ des trois voyageurs que Mathieu-Rollère affirmait avoir atteint la surface de notre satellite. Des reporters intelligents étaient allés jusqu’en Floride, avaient vu de leurs yeux la Columbiad , interrogé les gens du pays, magistrats ou simples particuliers, et fait connaître au monde entier qu’un second départ de l’obus fondu par le Gun-Club avait eu lieu réellement le 15 décembre 188..

De tous côtés arrivaient les preuves confirmant cet événement extraordinaire.

À Baltimore, on avait retrouvé le procès-verbal de vente qui rendait lord Rodilan acquéreur de la Columbiad et de tous ses accessoires.

À l’observatoire de Long’s Peak, sir W. Burnett, interwievé à maintes reprises, avait raconté la vie de Marcel dans ces parages, la trouvaille du boulet mystérieux, et confirmé la réalilé de l’apparition sur le disque lunaire des lettres lumineuses indiquant l’arrivée des trois voyageurs.

Devant cette abondance de renseignements répandus partout à des milliers d’exemplaires, le doute n’était guère possible, et les noms de Marcel de Rouzé, de Jacques Deligny et de lord Rodilan devinrent bientôt célèbres.

C’est en Angleterre surtout que ce mouvement d’excitation prit le caractère le plus aigu.

Du jour où l’on avait su qu’un membre de l’aristocratie anglaise figurait parmi les audacieux explorateurs, le snobisme des habitants du Royaume-Uni s’en donna à cœur joie, et les colonnes du Times , qui reflètent toujours si exactement les sentiments de ses nombreux lecteurs, retentirent du nom du noble lord. On savait maintenant le rôle qu’il avait joué dans cette œuvre colossale, et l’on allait répétant que sans lui rien n’eût été possible, ce qui prouvait bien une fois de plus que l’Angleterre était toujours et partout la première nation du monde. Pour un peu on lui aurait attribué tout l’honneur de cette conception grandiose ; Jacques et Marcel auraient été réduits au rôle de modestes comparses.

À l’apathie et à l’indifférence contre lesquelles s’était heurté Mathieu-Rollère, avait succédé un incroyable engouement. Les savants qui jadis le traitaient de fou parlaient maintenant de lui avec une admiration émue. Tous voulaient avoir pressenti la grandeur de ses projets et l’y avoir encouragé. À chaque instant il recevait aux confins du désert les lettres les plus flatteuses, et, à l’heure où il n’en avait plus besoin, les offres les plus brillantes lui arrivaient de tous côtés.

Mais, tout entier à son œuvre, le vieux savant dédaignait ces retours de la renommée ; il prisait à leur juste valeur ces palinodies plus ou moins intéressées ; il s’était trop rudement heurté à l’égoisme et à l’ignorance des hommes pour pouvoir être touché des marques de sympathie tardive dont il était l’objet. Il attendait patiemment le moment où la nuit lunaire allait concorder avec la nuit terrestre, et il se promettait, aussitôt que les lettres lumineuses brilleraient de nouveau, de lancer à travers l’espace le premier message qui devait inaugurer les communications interstellaires.

Les sacrifices d’argent consentis par l’empereur du Brésil n’avaient pu, malgré la libéralité du prince, répondre à tout ce qu’avait rêvé Mathieu-Rollère. L’idéal eût été d’installer à proximité du réseau électrique un instrument semblable à celui qui, aux Montagnes Rocheuses, permettait d’observer notre satellite. Les communications auraient pu être ainsi rapides et ininterrompues. Mais il avait fallu y renoncer, et comme le télescope de Long’s Peak était le seul dans le monde entier capable de distinguer exactement les signaux envoyés à la Terre, le vieil astronome avait dû rester en relations avec lui. Un fil télégraphique le reliait à Biskra ; de là, par la voie ordinaire, il correspondait directement avec sir W. Burnett. Il avait été convenu qu’aussitôt qu’un nouveau signal apparaîtrait sur la Lune, Mathieu-Rollère en serait immédiatement informé. Comme les observateurs se relayaient sans relâche à l’oculaire du télescope, rien ne pouvait leur échapper et aucun retard dans la transmission n’était possible.

Tout étant ainsi préparé, Mathieu-Rollère voulut réserver à celui qu’il considérait comme son bienfaiteur l’honneur d’envoyer le premier message, et Dom Pedro avait accepté avec empressement cette marque flatteuse de distinction. On était arrivé au 20 avril ; la Lune allait entrer dans son premier quartier, et l’ombre enveloppait la région où se creuse l’Océan des Tempétes. Le ciel était dégagé de nuages, et, dans cette atmosphère limpide étincelaient des milliers d’étoiles au milieu desquelles brillait d’un vif éclat la partie de notre satellite qu’éclairait le soleil.

L’instant paraissait solennel : Mathieu-Rollère, l’ingenieur Dumesnil, le vieil empereur et tous les assistants se sentaient saisis d’une vive émotion.

Sur un signe du vieux savant, l’empereur, d’un geste rapide, abaissa la poignée qui devait enflammer les 10.000 foyers.

Brusquement tout s’illumina et la gerbe de lumière, que n’arrêtait plus, comme dans les essais précédents, la voûte des nuages, jaillit dans l’espace en y traçant aussi loin que l’œil pouvait la suivre un resplendissant sillon.

Pendant une heure brilla ce monstrueux fanal.

« Notre appel, disait Mathieu-Rollère tout joyeux, a été certainement aperçu de nos amis, et nous pouvons, je crois, commencer sans crainte à envoyer notre télégramme. »

Et successivement, durant les cinq heures où la Lune resta sur l’horizon, brillèrent, chacune pendant dix minutes, les lettres formant le premier message enyoyé de la Terre à son satellite, et ce message, témoignage de gratitude et d’admiration pour ceux qui avaient tant osé, était conçu en ces termes :

CHAPITRE VI LA TERRE A PARLÉ

Depuis que Marcel, Jacques et lord Rodilan avaient aperçu le fanal des Montagnes Rocheuses, quatre mois s’étaient écoulés, et jamais n’avaient cessé de briller, dans la nuit obscure, les signaux qui, d’une planéte à l’autre, entretenaient la certitude d’une correspondance établie et l’espérance de la compléter bientôt.

L’Anglais raillait.

« Pardieu ! disait-il, c’était bien la peine de faire un si long voyage pour arriver à un si mince résultat. Avouez, mon cher Marcel, que votre entretien avec nos amis d’Amérique est d’une incontestable et quelque peu fatigante monotonie.

— Patience ! cher ami, » murmurait Marcel.

Les trois voyageurs mettaient à profit tout le temps où les observations devaient forcément, par suite de la position des deux astres, demeurer interrompues. Ils parcouraient toutes les régions du monde lunaire, en étudiaient minutieusement la faune et la flore, observaient attentivement les mœurs, se pénétraient des progrès scientifiques réalisés par ces intelligences d’un ordre si élevé.

Ils ne se dissimulaient pas que, quelque assurées que pussent être les communications établies entre les deux mondes, elles ne pourraient jamais être assez complètes et assez rapides pour pouvoir embrasser tout ce qu’il y aurait de part et d’autre d’intéressant à savoir.

Ils avaient déjà, grâce aux livres, aux albums et aux échantillons divers dont ils s’étaient munis, donné aux habitants de la Lune une idée assez précise de l’histoire et de la civilisation de leurs frères terrestres. Ils voulaient de même, lorsqu’ils seraient de retour sur la Terre, pouvoir faire connaître, telle qu’elle était dans ses traits principaux, cette humanité jusqu’alors inconnue et où ils avaient découvert tant de brillantes qualités et de vertus aimables qui avaient à la fois charmé leur cœur et ébloui leur esprit. Marcel et ses compagnons mettaient à accomplir tous ces travaux une activilé fébrile ; ils accumulaient les documents, multipliaient les investigations et les recherches, comme s’ils avaient sent déjà que le temps leur était mesuré, et que le moment arriverait bientôt où, leur tâche terminée, il leur faudrait se préparer au retour.

Ce travail ininterrompu rendait l’attente moins pénible.

Chaque fois que la position respective des deux astres permettait d’échanger des signaux, ils montaient à l’observatoire, et, tout en coordonnant leurs notes, classant leurs documents, ils ne cessaient d’observer le disque de la Terre, attentifs à saisir toute manifestation nouvelle. Puis, lorsque la période de concordance des nuits s’était achevée sans rien apporter autre chose que le point lumineux qui brillait toujours au sommet de Long’s Peak, ils retournaient à leurs études en se disant, non sans un soupir : « Ce sera sans doute pour la prochaine fois. »

Le 20 avril, la Lune était à la veille de son premier quartier. Fidèles à leur habitude, les trois amis venaient d’arriver à l’observatoire. Ils s’étaient, comme de coutume, approchés en toute hâte des lunettes braquées sur la Terre, et avaient parcouru d’un regard rapide toute la partie plongée dans l’ombre.

« Rien encore, murmura Marcel ; décidément, c’est long. »

Lord Rodilan haussa les épaules :

« Vous avez la foi robuste, mon cher Marcel ; c’est bien par acquit de conscience et pour vous être agréable que je vous ai accompagné jusqu’ici ; car du diable si j’espère que nous serons plus heureux aujourd’hui. Pour ma part, je commence à croire que nos amis manquent d’imagination. Je les voudrais un peu plus prolixes. »

Pendant ce temps, Jacques s’était approché de l’oculaire que Marcel venait de quitter.

« Tiens ! tiens ! » fit-il tout à coup.

Et il se frotta vigoureusement les yeux comme pour mieux voir.

« Qu’y a-t-il ? demanda vivement Marcel.

— Voyez donc là-bas, au-dessus de l’équateur. Qu’est-ce que cela ? »

Marcel s’était précipité, et lord Rodilan lui-même avait pris son poste d’observation.

Un foyer lumineux, d’une intensilé bien supérieure au fanal des Montagnes Rocheuses, brillait dans la nuit. Sa clarté toujours soutenue, sa fixité, écartaient tout doute possible : ce n’était pas là un phénoméne géologique comme l’éruption d’un volcan, ou accidentel comme un vaste incendie, c’était évidemment l’œuvre d’une intelligence humaine. Ce qui venait confirmer cette opinion, c’est que le foyer d’où s’échappait ce puissant rayon, avait une forme régulière et géometrique : il formait un rectangle aux arêtes vives et nettement dessinées.

« Ce sont eux, n’est-ce pas ? s’écria Jacques.

— Je le crois, répondit Marcel.

— Ah ! ma foi, fit lord Rodilan en riant, si c’est pour cela qu’ils nous ont fait attendre si longtemps, ce n’est vraiment pas la peine. Un point carré au lieu d’un point rond ; vous voyez qu’ils n’en sortiront pas.

— Qui vivra verra, dit Marcel ; nous allons savoir bientôt à quoi nous en tenir. »

Et le mystérieux rectangle brillait toujours.

« Mais où donc sont-ils ? demanda Jacques.

— C’est facile à déterminer, répondit Marcel. Vous voyez que la pointe orientale du Brésil n’est pas encore entrée dans l’ombre qui règne sur la majeure partie de l’Atlantique et sur tout l’ancien continent. Nous pouvons calculer au moyen du micromètre — et en même temps il manœuvrait cet appareil délicat dont chaque lunette était munie — la longitude et la latitude du lieu où se trouvent nos amis. Nous savons que la pointe du Brésil vers Pernambouc est par 37 degrés environ de longitude à l’ouest du méridien de Paris. Or, je trouve justement près de 37 degrés entre ce point et le lieu où brille le signal. D’autre part, en suivant, autant que le permet la distance, la direction de l’équateur terrestre, je crois pouvoir affirmer que la latitude de ce lieu est d’environ 35 degrés. »

Pendant qu’il parlait ainsi, lord Rodilan, penché sur un planisphère terrestre, suivait attentivement toutes ces indications, et, comme on dit en termes de marine, faisait le point.

« Très bien ! s’écria-t-il ; cela nous place dans la région algérienne, un peu au sud entre Alger et Constantine. Les maladroits ! ajouta-t-il à mi-voix, pourquoi diable n’ont-ils pas choisi Malte ou l’île de Chypre ? Au moins l’Angleterre aurait en mains la clé des communications.

— Vous êtes vraiment insatiable, mon cher Rodilan, riposta Marcel ; la part de votre glorieuse nation n’est-elle pas assez grande puisque vous êtes parmi nous ? Vous avez un pied partout, en Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique, en Océanie, et il vous faut encore la Lune. Pour mon compte, permettez-moi de me réjouir de ce que nos amis ont choisi, pour réaliser une idée française, une terre française. »

Et comme l’Anglais faisait la grimace, il ajouta :

« Peut-étre, d’ailleurs, n’ont-ils pas pu faire autrement ; nous ne savons ce qui s’est passé. »

Lord Rodilan allait répondre quand Jacques, qui, pendant ce léger débat, n’avait cessé de rester en observation, poussa une exclamation.

« Ah ! la lumière a disparu. »

Tous trois reprirent leurs places aux oculaires des lunettes.

Ils n’attendirent pas longtemps.

À l’endroit méme où avait brillé le rectangle lumineux et sur le champ même que couvrait la nappe de feu, se détacha tout à coup une lettre flamboyante que tous distinguèrent aussitôt.

« Une H ! s’écrièrent-ils en même temps.

— Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? murmura lord Rodilan.

— C’est évidemment le commencement d’un mot, » dit Jacques. Marcel avait tiré son chronomètre.

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« Ah ! les braves gens, fit-il tout rayonnant ; ils ont improvisé tout un alphabet. »

Au bout de dix minutes, un changement à vue s’opéra : la lettre O apparut là où brillait l’instant d’auparayant la lettre H.

« C’est admirable, s’écria Marcel, qui, avec son esprit pratique d’ingénieur expérimenté, avait tout compris. Nous allons voir se succéder, à la même place, toutes les lettres du premier message échangé entre les deux mondes. »

Aussitôt qu’avait été constatée la présence du rectangle lumineux sur la surface de la Terre, le bruit de cet événement considérable s’était répandu dans l’observatoire tout entier, et le savant Mérovar, qui le dirigeait, s’était empressé d’adresser un avis au chef de l’État lunaire, qui, personne ne l’ignorait, portait un si vif interêt à tout ce qui touchait aux communications interplanétaires.

Discrètement et sans bruit, tous ceux à qui leur rang dans la hiérarchie scientifique le permettait, avaient pénétré dans la salle d’observations, et, depuis l’apparition des premières lettres, manifestaient sur leurs visages un enthousiasme que leur réserve habituelle empêchait seule d’être bruyant.

Les lettres de feu se succédaient de dix minutes en dix minutes, sans solution de continuité. On eût dit que ceux qui les projetaient à travers l’espace, sentant qu’ils ne pouvaient disposer que de quelques heures de nuit, se hâtaient pour pouvoir envoyer à leurs amis une pensée complète. Au bout de soixante-dix minutes, un mot entier avait été transmis : c’était le mot « honneur ».

Mérovar, dès qu’il avait compris qu’il s’agissait cette fois d’un message verbal, avait multiplié les avis adressés au Conseil Suprême, et, à peine le premier mot lancé d’un monde à l’autre était-il arrivé au satellite de la Terre, que ce mot, reproduit par des appareils électriques, s’étalait sous les yeux du Conseil convoqué en toute hâte.

L’émotion était vive, car l’instant était solennel.

Le problème si longtemps cherché par tant de générations, et poursuivi jusque-là au hasard, recevait enfin une éclatante et définitive solution. Aldéovaze voyait remplies les espérances que lui avait fait concevoir l’arrivée des habitants de la Terre, et dont il les avait entretenus avec une si entière confiance. Désormais, les deux planètes sœurs ne tourneraient plus étrangères l’une à l’autre dans leur éternelle orbite. Elles iraient unies par une pensée commune, et l’on pouvait attendre de cette unanimité d’efforts un développement plus rapide et plus complet de l’esprit de justice et d’amour.

Cependant, sur la côte septentrionale d’Afrique, le rectangle magique envoyait toujours de nouveaux signes, et, pendant les cing heures que dura sans discontinuer, leur transmission, on vit se dérouler cette phrase entière, qui fit battre violemment le cœur de Marcel, de Jacques et de lord Rodilan lui-même :

Grâce aux moyens d’informations rapides en usage dans le monde lunaire, la population tout entière avait été promptement avisée du fait considérable qui venait de se produire.

L’émoi avait été grand, et tous, depuis ceux qui approchaient le Conseil Suprême jusqu’aux Diémides qui occupaient les derniers rangs de la hiérarchie sociale, attendaient avec anxiété la suite d’une communication dont on n’avait évidemment que la première partie.

Il était en effet dès à présent certain que, pendant toute la période de temps où la partie de la Lune dans laquelle se dressait l’observatoire resterait dans l’ombre, les amis des trois voyageurs continueraient à leur enyoyer des messages.

Aussitôt que la phrase envoyée de la Terre fut achevée, comme le point d’où elle était partie avait encore quelques heures à être dans la nuit, on résolut d’enflammer simultanément et de faire briller sans relâche les trois lettres M. J. R. Les correspondants terrestres comprendraient ainsi qu’on les avait aperçus, et qu’ils pouvaient en toute sécurité continuer leurs communications.

Le chef de l’État, Aldéovaze lui-même, avait tenu à se rendre à l’observatoire pour y recueillir, aussitôt qu’elles se produiraient, les manifestations nouvelles de la sympathie des deux humanités. Il voulait aussi arrêter avec Marcel la prompte exécution des mesures qu’il convenait de prendre pour répondre à ces frères lointains avec la même précision et la même rapidité.

Ceux des membres du Conseil que leurs fonctions ne retenaient pas dans la capitale — et Rugel était du nombre — l’avaient accompagné.

La belle Oréalis et Azali qui avaient, l’un par sa science, l’autre par son dévouement, sauvé la vie et la raison des trois étrangers, étaient venus, eux aussi, pour être les témoins de leur triomphe, et ce qui était pour tout le monde lunaire comme une fête universelle, était pour eux en quelque sorte une fête de famille.

Ce ne fut pas sans émotion que, dans une circonstance aussi solennelle, Marcel revit celle dont image était toujours au fond de son cœur. Mais le visage de la jeune fille respirait une joie si pure, et dans les regards d’Azali brillaient une telle loyauté et une telle confiance qu’il eût rougi de s’arrêter à des pensées vulgaires et indignes de ces généreuses natures.

Le jeune savant serra avec effusion la main de Marcel, et on sentait que, loin d’avoir conçu pour l’ingénieur un sentiment de défiance jalouse, il l’estimait peut-être davantage pour avoir compris combien celle qu’il chérissait lui-même était digne d’être aimée.

« Ami, lui avait dit Oréalis avec un radieux sourire, je suis aujourd’hui bien heureuse. Vous voilà tel que je vous souhaitais ; vous avez conçu et réalisé de grandes choses, vous avez acquis des droits éternels à la reconnaissance de deux humanités. »

Marcel s’inclina sans répondre.

Cette foule de visiteurs éminents remplissait l’observatoire d’une animation inaccoutumée. Ce n’était plus le calme silencieux qui convient aux graves études, mais une sorte de frémissement ou se trahissaient, chez ces hommes cependant si sérieux, la joie du grand événement qui venait de s’accomplir et l’impatience de le voir se confirmer.

Aussitôt que le mouvement de rotation de la Terre eut ramené dans l’ombre le point de la surface où, la veille, avait paru le message, Aldéovaze voulut lui-même suivre de l’œil les observations qui allaient se continuer. Et pendant les quatre nuits terrestres qui suivirent, brillèrent successivement sur le rectangle lumineux les phrases suivantes qui faisaient vibrer l’âme de tous les assistants.

On lut d’abord :

puis :

On vit ensuite briller cet appel pressant :

Enfin Jacques et Marcel purent lire avec une émotion profonde ces deux noms qui, pour eux, disaient tant de choses :

« Ah ! mon brave oncle ! s’écria Jacques, je savais bien qu’avec son indomptable ténacité, il finirait par se mettre en rapport avec nous. Mais s’il est là, Hélène doit y être aussi. »

Et son cœur battait avec force en prononçant ce nom toujours adoré.

« Et mon fidèle ami Dumesnil ! dit Marcel d’un air triomphant. Si Mathieu-Rollère a été la volonté qui dirige, il a été, lui, le bras qui exécute. Je vois clairement comment tout a dû se passer, C’est évidemment lui qui a organisé le fanal des Montagnes Rocheuses. C’est lui encore qui a imaginé, j’en suis sûr, ce rectangle lumineux sur lequel viennent se dessiner tour à tour toutes les lettres de l’alphabet, appareil aussi simple que pratique, auquel il fallait cependant songer.

— Toujours l’œuf de Christophe Colomb, murmura lord Rodilan. Ah ! vous êtes heureux tous les deux : vous avez là-bas, à l’autre bout de ce chemin de lumière, des amis dont le cœur bat à l’unisson du vôtre. Moi, je n’ai rien ni personne…

— Eh bien ! mais, et nous ? firent ensemble Jacques et Marcel en lui serrant la main avec chaleur.

— Vous avez raison, dit-il, et je serais ingrat si j’oubliais toutes les marques d’amitié que vous m’avez données. »

Depuis longtemps, Rugel et les divers membres du Conseil avec lesquels les trois amis s’étaient trouvés en rapport connaissaient tous les détails de leur vie. Ils savaient ce qu’était l’astronome Mathieu-Rollére ; l’ingénieur Dumesnil, l’honorable W. Burnett n’étaient plus des inconnus pour eux. Ils avaient mis le prudent Aldéovaze au courant de tous ces détails de la vie antérieure de ses hôtes, et tous maintenant félicitaient chaleureusement Jacques et Marcel d’être ainsi rassurés sur le compte de ceux qui leur étaient chers. Eux-mêmes semblaient reconnaître, en ces deux noms qui avaient brillé dans l’espace, ceux de vieux amis dont on aurait été longtemps séparé et qu’on retrouverait avec plaisir.

Si Aldéovaze s’était montré impatient de consacrer enfin, d’une façon définitive, les communications commencées, Marcel ne l’était pas moins. Avec la promptitude d’esprit qui le distinguait, il eut bientôt fait d’expliquer aux savants qui l’entouraient, et dont l’esprit allait du reste au-devant de ses démonstrations, ce qu’avait fait l’ingénieur Dumesnil et ce qu’il comptait faire lui-même.

« C’est là toute une révelation, disait-il ; mais il nous faut faire mieux encore. »

Et, sur-le-champ, il expliqua son projet.

L’idée d’un rectangle disposé de façon à ce que toutes les lettres pussent y apparaître tour à tour et instantanément, était éminemment pratique, et il en avait aussitôt saisi le mécanisme. Mais il tenait à ce que les phrases qu’il enverrait à la Terre, si elles étaient tardives, fussent du moins plus complètes et plus rapides. Aussi résolut-il de disposer dans la vaste plaine où il avait déjà établi ses premiers signaux, douze rectangles analogues à celui qu’il avait vu fonctionner sous ses yeux, et qui lui permettraient de figurer d’un seul coup des mots entiers. La plupart, en effet, de ceux de la langue usuelle ne comptent pas plus de douze lettres. Rien n’empêchait même, lorsqu’on rencontrerait des mots d’une ou deux syllabes, d’en transmettre plusieurs à la fois.

Ce plan arrêté, l’exécution fut prompte, et bientôt une animation extraordinaire régna dans la plaine voisine de l’observatoire. Une armée de Diémides, choisis parmi ceux que leurs occupations habituelles rendaient les plus aptes à ce travail gigantesque, s’agitaient et se pressaient dans une confusion apparente ou régnait cependant l’ordre le plus parfait.

Sous la direction des savants qui s’étaient pénétrés de l’idée de Marcel et qui partageaient son ardeur, tous, revêtus des appareils déjà décrits, déployaient un zèle et une activité qui devaient bientôt assurer l’achèvement de l’œuvre entreprise. Les uns égalisaient le sol, les autres scellaient à même le roc les tiges de puissants foyers électriques, d’autres enfin disposaient les fils multiples qui tous correspondaient à une table située dans la grande salle des lunettes de l’observatoire. Au bout d’un mois, tout était terminé, et, au moment même où les deux astres revinrent à leur premier quartier, on était prêt à répondre.

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CHAPITRE VII LA LUNE RÉPOND

L’agitation était grande à l’observatoire de Long’s Peak. Sir W. Burnett, qui était en relations télégraphiques avec Mathieu-Rollère, avait été informé de l’instant précis où celui-ci devait envoyer à notre satellite son premier message. À ce moment, la région des Montagnes Rocheuses étant encore dans la lumière du jour, il n’avait pu s’assurer sur-le-champ que ce message était parvenu à son adresse et avait été compris. Mais aussitôt que la nuit avait gagné la contrée et que les observations avaient pu être reprises, il avait constaté sur le disque lunaire la présence des signaux accoutumés.

Cette fois cependant quelque chose de nouveau s’était produit :

les trois lettres M, J, R, au lieu de se montrer comme elles l’avaient fait jusque-là successivement, apparaissaient toutes ensemble ; elles ne brillaient pas d’une façon uniforme et continue pendant un temps déterminé, on les voyait s’éteindre et se rallumer précipitamment. Rien de régulier dans ces apparitions brusques et désordonnées. On eût dit que les mystérieux correspondants, pressés d’agir mais ne disposant pas encore de moyens plus complets, voulaient dire à leurs lointains amis : « Nous sommes là, nous vous avons vus ; un peu de patience et bientôt nous serons en mesure de vous répondre. »

Aussi les dépêches se succédaient-elles rapides et pressées entre Long’s Peak et Biskra.

Connaissant l’impatience de son collégue français, l’astronome américain lui disait : « Ayez confiance ; nos amis ont recu votre salut. L’agitation presque fébrile avec laquelle ils multiplient leurs démonstrations prouve que là-haut on se prépare avec ardeur. Nous touchons évidemment à la solution définitive du problème poursuivi. »

Et Mathieu-Rollère était dans un état d’exaltation que partageaient l’ingénieur Dumesnil, l’empereur don Pedro, et qui avait fini par gagner tous les Européens que la curiosilé avait groupés autour de lui. Les dépêches de sir W. Burnett étaient lues et commentées publiquement, communiquées à tous les journaux. Pendant les quelques nuits où les signaux faits sur la Lune restèrent encore visibles, les observateurs de Long’s Peak ne cessèrent de constater l’apparition irrégulière mais constante des lettres symboliques et d’entretenir ainsi les espérances de Mathieu-Rollère et de ses compagnons.

Un mois devait nécessairement se passer avant que le point de la surface lunaire, sur lequel se braquaient désespérément les télescopes et les lunettes du monde entier, redevint observable. Pendant ce délai force, toutes les chroniques scientifiques furent remplies d’interminables discussions, de théories indéfinies qui eurent pour résultat de tenir la curiosité publique en éveil.

De nouveaux visiteurs affluaient sans cesse dans le voisinage de Biskra, et une vie intense régnait maintenant dans toute cette région jusqu’alors à peu près déserte. En même temps, beaucoup de savants, désireux de voir confirmer leurs hypothèses ou démentir les théories contraires, beaucoup d’oisifs avides de sensations nouvelles ou de spectacles inconnus, affluaient autour de l’observatoire de Long’s Peak.

Déjà des sommes considérables avaient été offertes à l’honorable Burnett pour acheter de lui le droit de mettre l’œil au télescope et de recueillir les prochains signaux, car personne ne doutait maintenant qu’on ne dit, à la prochaine phase favorable de la Lune, être témoin de quelque manifestation décisive.

Le directeur de l’observatoire s’était montré inflexible.

« Je veux être le premier, avait-il répondu, à recevoir le message des trois voyageurs ; mais, au fur et à mesure qu’apparaîtront les signaux, je les transmettrai au poste télégraphique de Denver où tout le monde en pourra prendre connaissance. »

Force avait été aux curieux de se contenter de cette réponse, et la plupart des grands journaux des deux continents avaient envoyé à Denver des reporters chargés de les informer sans retard du grand événement que le monde entier attendait avec impatience.

Le jour si ardemment attendu arriva enfin : c’était le 18 mai qui devait rester fameux dans les annales de la science.

Comme tous les envoyés des journaux et tous les curieux se pressaient aux abords du poste télégraphique, et que, dans l’empressement général, des désordres menaçaient de se produire, l’autorité publique avait jugé à propos d’intervenir. Il avait été décidé que tous les reporters qui auraient fourni la justification de leur qualité, se réuniraient en une sorte de congrès et choisiraient l’un d’eux, chargé de se tenir auprès de l’appareil récepteur, pour recueillir et transmettre à tous ses collègues les communications de Long’s Peak.

Le choix des intéressés avait désigné le représentant du Figaro , le journal français le plus répandu et qui avait déjà défendu avec ardeur la cause de Mathieu-Rollère.

Il était onze heures vingt-trois minutes du soir au méridien de Long’s Peak , lorsque retentint tout à coup la sonnerie de l’appareil. Toutes les poitrines étaient haletantes, tous les visages tendus. Penché sur le ruban où s’imprimaient les caractères typographiques, le représentant du Figaro lut d’une voix tremblante d’émotion :

« Observatoire de Long’s Peak. — Je lis distinctement mot suivant sur disque lunaire : « Merci »

« Continuerai transmission si autres mots apparaissent. »

Un cri d’enthousiasme retentit.

On se félicitait ; ce simple mot c’était la réponse au salut envoyé de la Terre. Les voyageurs l’avaient reçu et l’avaient compris ; ils avaient, dans un délai si court, trouvé le moyen de se mettre en communication avec la Terre d’une façon plus complète et plus rapide qu’on aurait osé l’espérer, puisqu’ils pouvaient, d’un seul coup, transmettre non plus des lettres isolées, mais des mots entiers. Sûrement ils n’allaient pas s’en tenir là.

Dix minutes s’étaient à peine écoulées que la sonnerie se faisait entendre de nouveau.

Et sur le ruban télégraphique apparurent les mots : « M. J. R. vivants. »

On ne s’était donc pas trompé ; c’étaient bien les trois hardis voyageurs qui, du fond de l’espace, parlaient à leurs amis et voulaient tout d’abord les rassurer sur leur sort.

Le même jour, à quelques heures d’intervalle, une animation semblable régnait dans le voisinage de Biskra. Là aussi on attendait une manifestation nouvelle : les communications régulières de l’honorable W. Burnett avaient entretenu Mathieu-Rollère et ses compagnons dans une absolue confiance.

Aussi, dans ce coin perdu de l’Afrique, lorsqu’arriva le premier télégramme envoyé de Long’s Peak, l’astronome et l’ingénieur Dumesnil se sentirent l’âme inondée d’une joie profonde. Qu’importaient, en présence du magnifique résultat obtenu, les épreuves subies, les difficultés surmontées si péniblement, tant de luttes et tant de sacrifices ? Ils avaient eu raison contre l’envie et l’ignorance. Grâce à eux, une ère féconde s’ouvrait pour l’humanité ; la science allait voir se découvrir devant elle des horizons jusqu’alors inconnus. Et l’impérial bienfaiteur, dont l’intelligence avait compris tout ce qu’il y avait de grand dans leur idée, qui en avait rendu la réalisation possible, partageait leur ivresse.

Aux premiers mots transmis par W. Burnett, l’âme du vieux savant s’était épanouie. Les trois amis, — il en avait maintenant la certitude, — étaient vivants, et il voyait se confirmer, contrairement à ses funèbres prévisions, l’indomptable espérance qui n’avait jamais cessé de vivre au cœur de sa fille. Hélène était auprès de lui et ils confondaient leurs larmes de bonheur.

Mais les communications qui suivirent donnérent bientot à ses idées une autre direction.

Sur l’écran sombre du disque de la Lune, le télescope des Montagnes Rocheuses avait lu distinctement ces mots qui plongèrent tous les assistants dans une stupéfaction profonde et qui semblaient de nature à renverser les théories scientifiques jusqu’alors les mieux établies :

« Surface Lune inhabitable. — Intérieur habité. — Humanité lunaire heureuse entrer en relations avec Terre. »

Quelles perspectives nouvelles faisaient se dérouler devant leurs yeux ces révélations inattendues !

Si la première partie du message confirmait ce que la science avait déjà constaté depuis longtemps au sujet de la surface du satellite, comment s’expliquer cette présence de la vie au sein même d’une masse compacte ? Que pouvait être cette humanité vivant dans des conditions que l’imagination la plus audacieuse avait peine à concevoir ?

À en juger par le caractère scientifique des moyens employés pour communiquer avec la Terre, on pouvait penser que l’humanité qui vivait là était parvenue à un haut degré de développement intellectuel. D’un autre côté, les signes perçus avaient été faits à la surface. Comment cela se pouvait-il, s’il était impossible d’y vivre ?

Autant de questions mystérieuses qui demeuraient sans réponse ; et, dans la tête du vieil astronome, les idées se pressaient et tourbillonnaient dans une inexprimable confusion.

La nouvelle de cet extrordinaire événement s’était répandue dans le monde entier. Tous les Instituts, toutes les Sociétés savantes en avaient été rapidement informés, et des discussions passionnées n’avaient pas tardé à jeter la perturbation dans les esprits. La foule, que séduit toujours le merveilleux, accueillait avec enthousiasme les récits les plus fantastiques que lui servait chaque jour l’imagination surexcitée des journalistes ; plus ils étaient incroyables, plus ils étaient acceptés avec ferveur. L’opinion publique, surchauffée, accusait déjà les gouvernements d’inertie et d’indifférence : on devait en toute hâte fondre des canons monstres pour fournir à de nouveaux voyageurs l’occasion de renouveler l’expérience, construire des télescopes gigantesques égaux ou supérieurs en puissance à celui de Long’s Peak.

L’amour-propre national s’en mêlait.

Pourquoi laisser aux États-Unis le monopole des correspondances avec la Lune ? Chaque nation n’avait-elle pas le devoir de faire tous ses efforts pour arriver bonne première dans cette course vers la conquête de grandes vérités scientifiques ?

En France, les exigences étaient impérieuses.

L’œuvre, en somme, n’était-elle pas surtout française ?

Des trois voyageurs, l’un d’eux sans doute était Anglais ; mais on savait maintenant que lord Rodilan n’était pas un savant, ce n’était qu’un blasé curieux d’émotions nouvelles, et son rôle en tout cela était des plus effacés.

Et puis, Mathieu-Rollère était lui aussi un Français, et c’était lui dont l’indomptable tenacité avait, en dépit de la routine, accompli de si grandes choses. N’était-il pas juste qu’après avoir été abreuvé de tant de dédains et de tant d’amertumes, il demeurât chargé de continuer et d’achever l’œuvre qu’il avait commencée ? Il avait été à la peine, il devait être à l’honneur.

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CHAPITRE VIII À LA RECHERCHE D’UN CRATÈRE

Dix-huit mois s’étaient écoulés depuis que Marcel et ses compagnons étaient arrives sur le satellite de la Terre, et lorsque leur pensée se reportait sur tout ce qu’ils avaient éprouvé, appris et accompli, ils étaient tentés de se demander s’ils ne vivaient pas dans un rêve continu.

Un voyage extraordinaire entrepris dans des conditions qui semblaient défier toutes les prévisions humaines ; un monde nouveau découvert, monde dont la supériorité morale et intellectuelle réalisait les conceptions les plus sublimes des rêveurs et des utopistes songeant à une humanité meilleure ; une chimère grandiose, des communications régulières entre les sphères qui roulent dans l’espace, réalisée à travers mille difficultés et mille périls : voilà ce qu’avaient fait leur audace et leur foi dans la science.

Mais maintenant que le but était atteint et l’œuvre achevée, leur cœur ressentait un vide profond. Le zèle qui les avait soutenus tant qu’il y avait quelque chose à faire s’éteignait maintenant faute d’aliment. Et ils se retrouvaient avec le regret de cette Terre qu’ils avaient laissée derrière eux, de ces amis dont la pensée leur arrivait à travers l’espace, mais dont ils éprouvaient le besoin de serrer les mains, de sentir le cœur battre contre leur poitrine.

C’est que rien ne remplace la patrie absente, et, malgré les enchantements qui les avaient ravis, la Terre décidément leur manquait. Dans ce milieu étroit et renfermé où ils vivaient depuis de si longs mois, ou régnaient une lumière et une température constantes, aux horizons toujours limités, aux teintes douces mais ternes, où tout était calme et paisible, sans imprévu, sans accident, où rien n’excitait le désir, n’enflammait l’imagination, ils s’étaient pris souvent à regretter les horizons si vastes et si variés de la Terre, la chaude et brillante lumière du soleil, la profondeur du ciel bleu, la vie grouillant à la surface du sol, dans les espaces aériens et dans l’abîme liquide des flots.

Maintes fois, ils avaient désiré un orage, une tempête, quelque chose enfin qui vint rompre l’éternelle monotonie de cette inaltérable sérénité. La vie même que menaient ces êtres supérieurs ne leur suffisait plus. Toute cette existence si sage, si sobre et si réglée, leur paraissait avoir quelque chose de factice ; et ils se demandaient, si, au fond, la vie telle qu’on la mène sur la Terre, avec ses luttes et ses incertitudes, ses périls et ses aventures, ses alternatives de jours bons ou mauvais, n’était pas, pour des êtres doués de sensibilité et d’activité, préférable à cette uniformité idéale, semblable à un lac aux eaux immobiles dont aucun souffle jamais ne viendrait rider la surface.

Marcel, que retenait encore le vague sentiment endormi plutôt qu’éteint au fond de son cœur, se serait résigné peut-être, bien qu’il eût dit adieu à toute espérance, à poursuivre cette existence paisible qui berçait en quelque sorte doucement son amour. Mais Jacques et lord Rodilan commençaient décidément à en avoir assez ; ils pressaient Marcel de songer enfin au retour. Et celui-ci, cédant à leurs prières et fidèle à l’engagement qu’il avait pris envers eux, se décida à s’en ouvrir à Rugel.

« Ami, lui dit-il, les vœux du grand Aldéovaze sont aujourd’hui remplis. Le lien qui doit rattacher les deux humanités sœurs est maintenant établi, et elles pourront, comme l’avait entrevu l’esprit de ce sage, marcher de conserve dans la voie du progrès. Notre tâche est achevée. Le résultat que nous avons obtenu a dépassé de beaucoup ce que nous avions osé rêver en nous lançant dans une aventure inconnue. Si nos ambitions et nos aspirations les plus hautes ont été satisfaites, notre cœur a trouvé ici de douces récompenses ; nous y avons rencontré de précieuses sympathies, de solides amitiés, et nous en garderons l’éternel souvenir. Mais, excusez-nous, ami, cela ne nous suffit plus. Vous le comprendrez assurément, vous qui donnez toute votre vie, tout ce que vous avez de force et d’intelligence à ce monde qui vous a vu naître et où vivent ceux que vous aimez. Nous aussi, nous avons une patrie que nous chérissons ; nous avons pu ne pas souffrir d’en être séparés tant que nous étions soutenus par le désir de travailler à sa gloire et à son bonheur. Mais aujourd’hui l’amour de la terre natale se réveille impérieux dans nos âmes ; nous aspirons vers elle de toutes les puissances de notre être et nous souffrons d’en être privés. »

Pendant que Marcel parlait ainsi, le visage de Rugel s’était voilé de tristesse.

« Ce que vous dites là, ami, répondit-il, m’afflige mais ne saurait me surprendre. Je m’y attendais. J’ai bien compris qu’une fois passée la surprise qu’avait dû vous causer un monde si différent du vôtre, lorsque vous n’auriez plus devant les yeux le noble but auquel vous vous étiez voués, il vous manquerait quelque chose que toute notre affection serait impuissante à vous donner. Vous voulez nous quitter, ajouta-t-il avec un sourire mélancolique ; votre départ nous fera souffrir ; mais nous vous aimons trop pour songer même à le retarder. Pour ma part, j’emploierai à hâter ce moment après lequel vous aspirez autant de zèle et autant de soins que j’en ai mis à vous guider dans notre monde, à vous aider dans tous vos travaux. »

Le visage de Jacques et de lord Rodilan rayonnait à la pensée qu’ils allaient, l’un revoir la douce fiancée dont son cœur était rempli, l’autre échanger enfin la nourriture chimique dont il n’ayait jamais pu s’accommoder contre les larges et plantureux roastbeefs du Pall’ Mall Club .

« Eh ! bien, fit l’Anglais, puisque nous sommes d’accord sur ce point important, il serait peut-être à propos de s’enquérir des voies et moyens d’assurer notre retour.

— La question, répondit Rugel, me paraît résolue dans son principe ; nous n’avons à nous préoccuper que de l’exécution. »

Marcel reconnut en effet que le seul moyen à employer était celui qui avait permis aux trois voyageurs d’atteindre la Lune. Le poids spécifique du satellite, étant six fois moindre que celui de la Terre, la force d’attraction dont il faudrait triompher serait réduite dans les mêmes proportions.

En outre, le point neutre où les deux attractions s’annulent étant beaucoup plus rapproché de la Lune, — en réalité à huit mille lieues, — la distance à parcourir était infiniment moindre et nécessitait une vitesse initiale beaucoup moins considérable. Il fallait donc s’occuper d’établir un canon capable d’un pareil effort et qui, pour être de proportions moins démesurées que la Columbiad du Gun-club, n’en devait pas moins être énorme.

« Nous n’en sommes pas, disait Rugel, à notre coup essai en matière de constructions de cette nature. Ce n’est pas à d’autres moyens que nous avons recouru pour vous envoyer les nombreux projectiles destinés à attirer votre attention. L’engin qui a servi à lancer le boulet que vous avez si heureusement recueilli a été coulé non loin d’ici. Je vous y conduirai bientôt et vous pourrez apprécier par vous-même l’état de nos connaissances en balistique. »

Peu de temps après, en effet, revêtus de leurs appareils, accompagnés de Mérovar et de quelques-uns de ses collègues, et suivis de plusieurs Diémides, ils sortaient de l’observatoire. 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Après avoir assisté au triomphe de ses amis, Mathieu-Rollère avait repris sa place à l’Observatoire de Paris. Il y jouissait modestement de l’éclat que tous ces événements avaient jeté sur son nom. Maintenant, on l’écoutait avec déférence, on le traitait de grand homme, et ce n’était pas sans un sourire ironique que, songeant au passé, il recevait aujourd’hui tant de marques de respect de ceux-là mêmes qui l’avaient si indignement méconnu.

Bientôt, du reste, la mort de l’illustre savant qui dirigeait le premier établissement astronomique de France, laissa ce poste vacant, et le ministre de l’Instruction publique se hâta d’y appeler celui dont la foi robuste avait contribué pour une si large part à la solution du grand problème des communications interplanétaires.

Ce fut là le digne couronnement d’une vie tout entière vouée au culte de la science.

L’ingénieur Dumesnil, dont le nom était, lui aussi, devenu célèbre, s’était passionné pour l’œuvre dont il avait été l’organisateur, et s’était hâté de retourner en Algérie pour y reprendre la série de ses entretiens avec le monde lunaire.

Un an plus tard, un grand progrès se trouvait réalisé. Le gouvernement français avait obtenu sans peine du Parlement les fonds nécessaires à la construction d’un télescope de puissance égale à celui des Montagnes Rocheuses, et qui maintenant se trouvait installé sur l’un des plus hauts sommets de l’Atlas.

Un fil télégraphique spécial tenait l’ingénieur Dumesnil en relation constante avec ce poste, et il pouvait dès lors transmettre sans retard à Marcel et à ses amis toutes les informations qu’il recevait de la Lune.

L’échange de signaux se continuait lentement sans doute, car on ne pouvait opérer que pendant bien peu de temps à chaque lunaison, mais d’une manière régulière et continue.

De précieux renseignements, d’intéressants détails étaient ainsi recueillis, et, chaque jour, les deux astres apprenaient à se mieux connaître.

Ceux qui, pendant deux ans, avaient vécu de la même vie ne s’étaient pas oubliés.

Ceux de la Terre tenaient leurs amis au courant de tout ce qu’ils faisaient pour réaliser les vœux d’Oréalis. Ceux de la Lune, à leur tour, leur avaient fait savoir que le prudent Aldéovaze était mort, que Rugel avait été appelé par le Conseil Suprême à le remplacer et qu’Oréalis avait épousé Azali.

Ni le temps ni la distance ne pouvaient affaiblir les liens d’amitié qui unissaient ces âmes d’élite. Les communications duraient depuis six ans ; on pouvait espérer qu’avec les progrès toujours croissants de la science, elles pourraient devenir plus fréquentes et plus rapides, lorsqu’un jour Marcel reçut de l’ingénieur Dumesnil un télégramme ainsi conçu :

« Grande flamme apparue dans le champ du télescope ; communications interrompues. »

Et, à partir de ce moment, l’œil des observateurs scruta en vain le disque du satellite : rien de vivant n’apparut sur sa surface, qui semblait retombée à la mort.

Que s’était-il passé ? Quelque formidable explosion des forces souterraines avait-elle anéanti cette humanité au milieu de laquelle avaient vécu les trois explorateurs ? La nature inexorable, dont elle semblait violer les lois, l’avait-elle, d’un seul coup, fait rentrer dans le néant ?… Nul ne l’a jamais su. Les années passérent, les généreuses institutions dues à l’initiative de Marcel et de ses amis Page:Sélènes Pierre un monde inconnu 1896.djvu/465 Page:Sélènes Pierre un monde inconnu 1896.djvu/467

  • ↑ Un million de francs environ.

« Quel est, lui dis-je, ce son si puissant et si harmonieux qui remplit mes oreilles ?

— C’est, me dit-il, le bruit qui résulte de la course et du mouvement des astres eux-mêmes qui roulent dans des temps inégaux, mais dont la variété est fixée par une loi immuable, et qui, mêlant les sons graves aux sons aigus, forment de leur ensemble un mélodieux concert. De si vastes mouvements ne sauraient, en effet, s’accomplir en silence, et, par une loi de la nature, les mondes les plus éloignés rendent un son plus grave, tandis que les astres les plus rapprochés donnent un son aigu. C’est pour cette raison que cette région du ciel où sont fixées les étoiles produit, puisqu’elle est la plus élevée et que son mouvement de conversion est plus rapide, un son plus aigu, tandis que le cercle où se meut la Lune, étant le plus bas, fournit un son plus grave. La Terre, en effet, le neuvième des astres, se tient immobile au centre du monde. Or, ces huit révolutions d’astres, dont deux (Mars et Vénus) se meuvent avec la même rapidité, forment sept sons séparés par des intervalles égaux et qui sont la mesure de toutes choses. Ce sont eux que des hommes inspirés ont imités sur la lyre et dans les chants, se ménageant ainsi en quelque sorte un retour vers cette région supérieure, comme tous ceux qui, éminents par leur génie, ont introduit dans la vie humaine l’étude des choses divines. Mais les oreilles des hommes, dominées par ce bruit, y sont devenues sourdes : il n’est pas en vous de sens plus émoussé. C’est ainsi qu’en ces lieux appelés Cataractes, où le Nil tombe avec fracas du haut de montagnes élevées, les nations indigènes, à cause de la grandeur du bruit, ont perdu la faculté d’entendre. Ainsi le son de l’univers entier, emporté dans ce mouvement rapide, est tel que les oreilles humaines ne sauraient le saisir, de même que vous ne pouvez regarder le soleil en face, et que la puissance de votre vue est vaincue par la force de ses rayons.

  • ↑ M.  Lœwy.
  • ↑ Depuis, cette découverte, révélée par M.  Schiaparelli, a été confirmée par M.  Perrotin.
  • ↑ M.  J. Verne . De la Terre à la Lune. — Autour de la Lune .

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Famille, genre, transmission à Venise au XVIe siècle [Texte]

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Bellavitis Anna. Famille, genre, transmission à Venise au XVIe siècle. Rome : École Française de Rome, 2008. pp. 1-241. ( Publications de l'École française de Rome , 408)

www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_2008_mon_408_1_9157

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  • 1 - Patria potestas et materna imbecillitas ? [startPage] [endPage]
  • 2 - Donna , madonna et comissària ? [startPage] [endPage]
  • 3 - L'attribution des tuteurs par les Juges de Petition [startPage] [endPage]
  • 4 - Libération de tutelle ou émancipation ? [startPage] [endPage]
  • 1 - Le testament comme source [startPage] [endPage]
  • 2 - Famille et succession dans le patriciat [startPage] [endPage]
  • 3 - Les formes de la transmission [startPage] [endPage]
  • 4 - Middling sort of people ? [startPage] [endPage]
  • 1 - «Car je n''ai jamais eu de femmes, ni d''enfants» [startPage] [endPage]
  • 2 - «Car elle a peiné avec moi, avec amour, pour acquérir ce que j''ai maintenant» [startPage] [endPage]
  • 3 - «Du reste, s''il y en a, je laisse mon fils héritier et ma femme exécutrice» [startPage] [endPage]
  • 4 - L'atelier et le métier [startPage] [endPage]
  • 1 - Margarita «tisserande», Caterina «servante», Isabetta «nourrice» et les autres... [startPage] [endPage]
  • 2 - «N'ayant ni fils, ni fille» [startPage] [endPage]
  • 3 - Le choix des mères [startPage] [endPage]
  • 4 - Maternités «illégitime» [startPage] [endPage]
  • 5 - Veuves [startPage] [endPage]
  • 1 - Le moment de tester [startPage] [endPage]
  • 2 - Enfants naturels [startPage] [endPage]
  • 3 - Frères en affaires [startPage] [endPage]
  • 4 - Accidents de transmission [startPage] [endPage]
  • 5 - Circuits dotaux [startPage] [endPage]
  • 6 - L'épouse dans la boutique [startPage] [endPage]
  • 1 - «Pour l'affection et la charité qu'il m'a démontrées» [startPage] [endPage]
  • 2 - Un partage «virtuellement» égalitaire [startPage] [endPage]
  • 3 - «Elles feront ce qu'elles voudront» [startPage] [endPage]
  • 1 - «Pour la consolation de mon âme» [startPage] [endPage]
  • 2 - Au-delà de la frérèche [startPage] [endPage]
  • 3 - Le destin des filles [startPage] [endPage]
  • 1 - «Au nom de l'amour qu''il y a eu entre nous» [startPage] [endPage]
  • 2 - Enfants de familles recomposées [startPage] [endPage]
  • 3 - «S'appliquer à quelque charge ou exercice» [startPage] [endPage]
  • Conclusion [startPage] [endPage]
  • Sources manuscrites : Archivio di Stato di Venezia (ASV) [startPage] [endPage]
  • Sources imprimées [startPage] [endPage]
  • Index des noms de personnes [startPage] [endPage]
  • Table des matières [startPage] [endPage]

Liste des illustrations

  • Composition de la fratrie des enfants vivants de femmes décédées intestat [link]
  • Composition «mimimale» de la fratrie dans les demandes d'héritage entre frères [link]
  • Groupes de parents qui demandent conjointement des assignations d'héritage [link]
  • Les héritiers potentiels de la lignée paternelle [link]
  • Les héritières potentielles de la lignée paternelle [link]
  • Les héritiers et les héritières potentiels de la lignée maternelle [link]
  • Durée déclarée des mariages en 1592-93 [link]
  • Montant, en ducats, des dots dont on demande la restitution en 1592-93 [link]
  • Délai entre Vadimonium et Dejudicatum [link]
  • Tableau : 1554-56 - Tuteurs de mineurs [link]
  • Tableaux : 1591-93 - Tuteurs de mineurs [link]
  • Parents du côté maternel [link]
  • Parents du côté paternel [link]
  • Âge des garçons qui sortent de tutelle [link]
  • Âge des filles qui sortent de tutelle [link]
  • Héritiers de l''axe héréditaire d''hommes célibataires et sans enfants [link]
  • Héritier de substitution [link]
  • Héritiers de l''axe héréditaire d'hommes mariés n'ayant pas d'enfants [link]
  • Héritiers de substitution [link]
  • Exécuteurs testamentaires d'hommes mariés n'ayant pas d'enfants [link]
  • Testament paternel : héritiers de l''axe héréditaire [link]
  • Testament paternel : exécuteurs testamentaires [link]
  • Testament maternel Héritiers de l''axe héréditaire ( Residuum ) : premier héritier [link]
  • Testament maternel Axe héréditaire ( Residuum ) : successeur de l'héritier ou héritier de substitution [link]
  • Legs à la famille [link]
  • Testament maternel : Exécuteurs testamentaires [link]
  • Héritiers du residuum de veuves ayant des enfants [link]
  • Héritiers de l'axe héréditaire ( Residuum ). Famille d'origine [link]
  • Épouse et descendants [link]
  • Héritiers extérieurs à la famille [link]
  • Exécuteurs testamentaires [link]
  • Exécuteurs extérieurs à la famille [link]
  • Legs [link]
  • Héritiers de l'axe héréditaire de femmes sans enfants (5 célibataires, 15 veuves, 35 mariées) [link]
  • Exécuteurs testamentaires de femmes sans enfants [link]
  • Héritiers de substitution de femmes enceintes (en cas de décès des enfants intestat) [link]
  • Héritiers de l'axe héréditaire de femmes ayant des enfants (15 mariées, 20 veuves) [link]
  • Héritiers du Residuum [link]
  • Héritiers et usufruitiers de femmes ayant des enfants ou enceintes (sur 72 testaments) [link]
  • Exécuteurs testamentaires de femmes ayant des enfants ou enceintes [link]
  • Héritiers de femmes sans enfants - sur un total de 28 testaments [link]
  • Héritiers de substitution de femmes sans enfants [link]

Texte intégral

Introduction, 1 - femmes et hommes face à la transmission.

Une société complexe, et en pleine mutation, telle la société vénitienne au XVIe siècle, peut être lue et appréhendée à partir de points de vue différents. Dans ce travail, j''ai choisi le point de vue de la transmission, surtout, mais pas uniquement, des biens. J''ai choisi de l''analyser dans le contexte de la famille, lieu privilégié de la reproduction sociale, en insistant sur les rôles respectifs des hommes et des femmes et, surtout dans la deuxième partie, sur les différences entre groupes sociaux. Les objets et les modalités de la transmission changent, selon les cycles et les dimensions des familles, selon les activités, les richesses, mais aussi selon les idéaux qui règlent la transmission d''une génération à l''autre. En insistant sur les rôles respectifs des hommes et des femmes, je choisis de me situer dans la tradition des études «de genre » , mais plutôt que d''adopter un point de vue culturaliste, qui mettrait l''accent sur la construction d''identités sexuelles différenciées, je cherche à comprendre, dans un domaine spécifique, quelles étaient les différentes possibilités qui s''offraient aux hommes et aux femmes et comment ils et elles les utilisaient 1. Je me place ainsi dans une tradition d''études qui, surtout en ce qui concerne l''Italie, a donné des résultats importants dans les dernières années 2.

Les rôles des membres des familles, leurs droits, devoirs, possibilités de parole et expression, rentrent dans des schémas et des structures que les lois organisent et réglementent. Des lois qui, en ce qui concerne le droit familial, ont des origines très anciennes et

2 INTRODUCTION

des fondements socio-politiques qu''il est utile d''analyser. Des lois que les gens connaissent et utilisent d''une façon qui est parfois, pour nous, surprenante 3.

La première partie de ce travail est consacrée à la loi et à son application. Les lois que j''ai choisi de prendre en considération sont celles qui réglementent la succession, la restitution de la dot à la veuve et l''attribution des tuteurs à des enfants orphelins de père. Je n''ai pas analysé les cas judiciaires, des conflits, ou des procès, mais les sentences rendues par les cours civiles dans l''exercice quotidien de leur activité 4 . Je n''ai donc pas travaillé sur des situations uniques ou exceptionnelles qui auraient pu éclairer, par contraste, la «normalité » . Au contraire, j''ai mis au centre de mes préoccupations cette «normalité » de la gestion de la justice des familles et choisi de travailler sur l''activité au jour le jour de magistratures mal connues et qui ont, jusqu''à présent, suscité peu d''intérêt de la part des historiens5, exception faite pour les procédures de restitution de dot, étudiées pour la période médiévale 6 . Dans les domai-

INTRODUCTION 3

nes que j''ai considérés, l''intervention des magistrats est justifiée par l''absence d''un testament (pour la succession ab intestat) ou par l''absence, dans le testament du père ou du mari, d''instructions dans ces domaines précis (pour la restitution de la dot à la veuve ou pour le choix des tuteurs). La deuxième partie, en revanche, est consacrée aux testaments, que j''ai examinés non pas du point de vue de l''histoire des sensibilités religieuses ou de la perception de la mort, mais du point de vue des choix de transmission, des biens, mais aussi des savoirs et des modèles familiaux. Des choix qu''il faut situer dans différents contextes socio-économiques, mais aussi mettre en relation avec les lois qui les encadrent, les limitent et les permettent. Des choix qu''il faut comparer avec les sentences des juges, quand ils sont confrontés

à l''absence de testament. Des choix, enfin, qu''il faut situer dans un contexte social et historique précis. Celui d''une société en mutation, où des anciens équilibres économiques sont en train de basculer, où le commerce n''est plus le fondement de la richesse et de l''identité vénitiennes, où l''on érige des barrières contre les tentatives de promotion sociale des «nouveaux riches » . Dans la première partie de ce travail, j''ai pris en considération tous les groupes sociaux évoqués par les sources judiciaires, alors que, dans la deuxième, j''ai exclu de mon analyse le patriciat et ses stratégies successorales pour me concentrer uniquement sur le reste de la société, artisans, marchands, commerçants, notaires, docteurs, secrétaires de la République et leurs familles. Mais, avant de commencer, et pour mieux situer ma démarche, quelques mots de rappel sur les particularités de la période me semblent nécessaires.

2 - Le XVIe siècle vénitien

Venise reste, à la fin du XVJc siècle, une capitale de l''économiemonde, un pivot des échanges internationaux, une ville qui attire toutes sortes de gens, des grands négociants aux mendiants et, last but not least, le rempart des libertés intellectuelles dans l''Italie de la Contre-réforme sous domination espagnole. Et pourtant, le XVIe siècle avait très mal commencé. Les guerres d''Italie, l''annonce de l''arrivée du poivre portugais, l''invasion de la Terre ferme par les armées de la ligue de Cambrai et la trahison des élites des villes

4 INTRODUCTION

sujettes qui avaient choisi l''empereur Maximilien le'': autant d''événements qui ont fait craindre le pire à la Sérénissime et à ses dirigeants. Des générations d''historiens, à commencer par Fernand Braudel, se sont employées à essayer de comprendre et de décrire les caractéristiques de la reprise économique de Venise au XVIe siècle. Ce n''est pas tant le fait que Venise ait pu dépasser ces situations de crise qui a posé problème, mais le fait qu''il s''est agi des dernières manifestations de sa solidité socio-économique avant le début du véritable déclin, désormais reporté d''un siècle environ 7 .

I..: expansion en Terre ferme, commencée au XVe siècle, s''arrête en 1517, après la guerre de la ligue de Cambrai, mais Venise récupère la quasi-totalité de ses possessions italiennes (Stato da terra),

qui s''étendent de Bergame au Pô et jusqu''au Frioul. Par contre, les possessions en mer Adriatique et Égée sont constamment sous la menace de l''empire Ottoman, qui s''empare progressivement des colonies vénitiennes (Stato da mar). La défense de Chypre, perdue en 1574, en dépit de la «victoire » de Lépante, occupe pendant trois ans l''armée navale et représente un autre moment très difficile pour l''économie de la République. Le commerce reste le «nerf de la cité » , selon les mots d''un citoyen vénitien 8, mais, au XVIe siècle, l''activité marchande se conjugue, comme et plus qu''avant, avec les activités industrielles et Venise se confirme comme grand centre industriel, qui exporte vers le Levant les produits de ses manufactures. Il s''agit d''industries du luxe, comme le verre ou la soie, mais aussi de la draperie, qui connaît une expansion importante à cette époque. Cette évolution, qui est probablement le véritable secret de la solidité économique dont

INTRODUCTION 5

fait preuve Venise au XVIe siècle, est aussi un formidable moyen d''ascension sociale pour des entrepreneurs bourgeois et des artisans immigrés de l''Etat. Une longue tradition historiographique a parlé d''une reconversion du patriciat, qui aurait abandonné les activités marchandes pour la rente foncière. Il est certain que les Vénitiens, et surtout les patriciens, ont beaucoup investi en terres, à partir du XVIe siècle, mais il ne s''agit ni d''une «fuite » vers la rente, ni, pour reprendre l''heureuse, mais discutable, formule de Braudel, d''une «trahison de la bourgeoisie » . Partout en Europe, la hausse du prix des céréales a attiré des capitaux marchands, qui ont permis de lancer des programmes imposants de bonifications et d''intensification des cultures, un choix d''autant plus intéressant à une époque où Venise commençait à perdre le contrôle de son ravitaillement en céréales 9 . La crise ne commence pas au début du siècle, quand les navires portugais arrivent chargés de poivre à Lisbonne, et même pas à la fin, quand les navires hollandais arrivent chargés de blé en Méditerranée. Il est aussi possible que ces investissements fonciers n''aient pas soustrait de capitaux au commerce et à l''industrie, car, selon toute probabilité, les richesses disponibles, au XVIe siècle, avaient augmenté 10.

Mais Venise est également une capitale, d''un État qui a été défini comme «composite » , car ses différentes parties sont peu intégrées entre elles et les instances locales, noblesses urbaines et féodales, communautés paysannes et villageoises, gardent des marges d''autonomie, sous le contrôle d''un podestat ou d''un capitaine envoyé par Venise. Le problème du manque d''intégration entre les différentes composantes de l''État territorial se pose de manière aiguë au XVJc siècle, quand, pendant la guerre de la ligue de Cambrai, les élites des villes les plus importantes choisissent l''empereur, alors

6 INTRODUCTION

que les communautés paysannes restent fidèles à Venise, au cri de «Marco! Marco! » . Après la reconquête militaire et la répression, une politique fiscale plus favorable aux communautés paysannes qu''aux élites locales, et un contrôle plus serré sur les tribunaux locaux, sont parmi les conséquences de la crise du début du siècle'''' ·

3 - La population

Venise est une ville riche et probablement le premier centre de l''industrie européenne du luxe. Ses habitants viennent du reste de l''État, et de l''étranger, des pays de la Méditerranée, comme d''Italie et < l''Empire. La seule explication de la reprise démographique est d''ailleurs l''afflux constant de travailleurs immigrés, dont certains accèdent à la citoyenneté. La société n''est pourtant pas si ouverte, car le privilège de citoyenneté s''acquiert difficilement, d''autant plus qu''au XVIe siècle les citoyens originaires de Venise se sont désormais réservé des espaces de pouvoir dans la Chancellerie et dans la bureaucratie ducales, en limitant de plus en plus l''accès aux nouveaux venus. Pour sa part, le patriciat, élite politique et économique, reste fermé de la fin du XIVe siècle au milieu du XVIIe. En 1509, la ville comptait environ 115.000 habitants et, en 1563, elle dépasse les 168.000. La peste de 1576-77 en tua environ un tiers, mais, en 1586, la population atteint 148.000 habitants. La population connaît donc une augmentation rapide et très importante, qui se confirme même après l''épidémie de peste. Les recensements distinguent, selon une terminologie ambiguë et qui reste confuse, les nobles (entre 2 et 3 % de la population) et les «citoyens » (entre 5 et 7 % ) des «artefici » . Le premier groupe est le seul à avoir une identité claire, il s''agit des membres du Grand Conseil et de leurs familles. Le deuxième a une identité beaucoup plus compliquée, comprenant les «citoyens honorables » définition qui inclut les membres des professions, les fonctionnaires, les prêtres chefs de familles et, selon les cas, aussi les marchands «honorables » . Tous les autres, c''est-à-dire environ 90% de la population de la ville, sont classés parmi les «artefici » , c''est-à-dire ceux qui travaillent de leurs mains. Le «peuple » compose, à Venise comme ailleurs, le noyau le plus important de la population urbaine. Il est évident qu''il est

INTRODUCTION 7

possible de discerner une très grande variété de hiérarchies de richesse, de prestige et d''indépendance à l''intérieur de cette population, qui est aussi la plus mobile. Le monde des métiers et le monde du service sont traditionnellement les plus ouverts aux immigrés, venant de l''État vénitien, comme les tisserands des vallées lombardes, les calfats dalmates ou les nourrices des montagnes du Frioul, voire de l''étranger, comme les boulangers allemands 12 . Tous les travailleurs ne sont pas encadrés par les corps de métier, bien évidemment, mais les corporations à Venise sont très nombreuses. Au XVIe siècle, il y en a plus d''une centaine et l''on continue à en créer de nouvelles, dans le secteur textile 13.

Entre le «peuple » et le patriciat, la gamme des revenus et des niveaux d''honorabilité est vaste et contradictoire et les caractéristiques requises pour obtenir la reconnaissance de la citoyenneté «originaire » en contiennent une représentation éloquente. La stigmatisation progressive des «arts mécaniques » implique des classifications ambiguës, fondées en même temps sur les niveaux de richesse et sur les comportements ainsi que sur le caractère plus ou moins «noble » de la marchandise traitée: le verre, les fourrures, l''or et la soie étaient des marchandises «honorables » , et donc «convenables » pour des citoyens originaires de Venise 14 .

Pour tenter de mesurer richesses et revenus des Vénitiens, nous ne disposons pas de sources fiscales comparables au fameux

Catasto florentin de 142715 . Seules les sources de l''impôt direct sur

8 INTRODUCTION

les propriétés immobilières (Decima) ont fait l''objet de recherches visant à une classification des contribuables selon leur groupe social''

6 . On ne sera pas étonné d''apprendre qu''en 1537, dans l''ensemble de la ville, 74,8 % de la rente immobilière va au patriciat et, en 1581, 69,41 %. Les autres groupes sociaux en détiennent toutefois des pourcentages importants dans certaines contrées périphériques et, dans les «sestiers » de Castello ou Cannaregio, la propriété «citoyenne » et «populaire » atteint entre 40 et 50 % de la rente immobilière totale 17 . Dans ces zones de la ville, à l''Est et au Nord, ainsi que dans le sestier de Dorsoduro, à l''extremité occidentale, se concentrent ouvriers et salariés. Les salaires des maîtres charpentiers employés par la Scuola Grande de San Rocco dans la deuxième moitié du XVIe siècle, vont de 25 à 35 sous par jour et ceux des ouvriers de 18 à 24 sous environ, selon les calculs de Brian Pullan 18. Ceux des travailleurs de !'' Arsenal sont du même ordre, selon les recherches de Robert C. Davis 19. Un salaire de fonctionnaire de la Chancellerie, à la même époque, pouvait atteindre 200 ducats par an; au début du xvne siècle, un secrétaire du Sénat résidant à l''étranger, faisant fonction d''ambassadeur, était payé environ 120 ducats par an alors qu''un ambassadeur patricien pouvait atteindre 200 ducats par an 20 . Il est toutefois impossible de savoir à combien montaient les revenus complémentaires de ces fonctionnaires, perçus sous la forme de «grâces et bénéfices » , ceux qu''on appelait les

«utili incerti » 21 .

Cette société n''est pas seulement complexe, elle est aussi en pleine mutation, à cette époque. I.: exclusion des élites de Terre ferme du pouvoir politique a créé des situations de tension sociale qui s''expriment dans une conflictualité accrue au niveau local, mais qui sont réglées aussi au niveau judiciaire, par les tribunaux vénitiens. Les privilèges dont jouissent certains groupes sociaux de la capitale ne suffisent pas à compenser la frustration de rester en dehors de l''élite. Parmi ces «citoyens honorables » , qui composent

INTRODUCTION 9

la «Seconde couronne de la République » , il y en a qui dénoncent la politique des patriciens qui «sont en train de fermer toutes les routes par lesquelles le populaire ou autre peut se distinguer, leur but étant d''éviter que d''autres s''agrandissent trop et de rassembler par voie de parentèle ou par d''autres moyens les richesses éparses parmi le peuple » 22 . Dans certains métiers ou branches du commerce, liés à l''industrie du luxe, on assiste, à cette époque, à des carrières fulgurantes et il arrive que l''ascension sociale se fasse par le biais des filles données en mariage à des patriciens avec des dots qui dépassent toutes les limites autorisées par les lois somptuaires. Des lois somptuaires qui, par ailleurs, tout en réglementant les plus petits détails d''un repas de noce ou d''une dentelle de chemise, évitent de proposer des classifications sociales trop précises: un héritage de l" égalité'' républicaine, qui vient de la période communale et sur lequel repose, aussi, la paix sociale 23 .

Première partie. Familles dans la cité

Chapitre i. le gouvernement des familles, 1 - la loi des pères.

Dans un livre récent, sur les origines du droit romain, Aldo Schiavone parle du ius comme d''un domaine que la mentalité romaine n''a jamais totalement identifié avec le pouvoir monarchique. Ce domaine était en fait réservé à l''action souveraine des patres

et dépendait uniquement d''impératifs religieux qui ne s''identifiaient pas avec la sphère de la régalité. Dans le droit romain, écrit encore l''auteur, nous repérons le noyau originaire de la discipline de la sphère «privée » (les guillemets sont de l''auteur) de la vie de la communauté, et des fondements de la citoyenneté 1. La loi des «patres familias » est ici identifiée comme le fondement du droit romain, cette extraordinaire systématisation qui a si profondément influencé la culture et la société occidentales jusqu''à nos jours. À une époque où, grâce surtout à l''historiographie allemande, mais également sous l''influence de la pensée foucaldienne, l''on ne cesse de débattre de la «disciplinarisation » (Socialdisziplinierung)

comme d''un corollaire de l''État «moderne » et, de manière spécifique, de l''État de l''époque des réformes religieuses 2, chercher le fondement de la discipline de la vie «privée » dans les origines sociales du droit romain est un défi particulièrement stimulant. On peut remarquer, par ailleurs, que les guillemets encadrant le mot «privé » renvoient à un autre débat très actuel, celui de «l''histoire de la vie privée » 3. Un débat qui, lui aussi, a été considérablement renouvelé, notamment par les recherches des médiévistes. Les travaux des dernières années ont mis l''accent sur l''individu et, à la suite d''Aaron Gourevitch, on a pris conscience de ce que la persan-

14 FAMILLES DANS LA CITÉ

ne n''était pas une découverte du bas Moyen Âge, ni même du XIIe siècle. Mais les individus ne pouvaient exister qu''en société, «constituée de groupes régis par des valeurs auxquelles la personne était initiée et par des règles de conduite non écrites, qui renvoyaient elles-mêmes au temps des ancêtres » 4 .

Il n''est toutefois pas question, ici, de commenter les derniers acquis de l''historiographie sur l''époque romaine ou sur le haut Moyen Âge, mais d''esquisser les contours d''un ensemble de problématiques qui sont fondamentales, et fondatrices, également pour la période de la fin du Moyen Âge et des débuts de l''époque moderne. Ces règles écrites et non écrites qui disciplinent les relations entre les individus et entre les familles nous renvoient au vaste ensemble de ce droit «privé » , organisé à l''origine par les «patres familias »

qui, par l''intermédiaire du Code Justinien, est arrivé, modifié par les contacts avec les «droits barbares » , jusque dans les Statuts des communes italiennes 5.

N''importe quelle ville de la péninsule italienne peut en fait rentrer dans un tableau d''ensemble qui tracerait l''évolution des structures juridiques exprimées par la civilisation communale et, par la suite, par les seigneuries et principautés. Mais pas Venise. Les Statuts des villes italiennes sont bâtis à partir de l''intégration à la norme locale des apports du droit commun qui devient, de fait, le

LE GOUVERNEMENT DES FAMILLES 15

tissu connectif d''une législation multiforme et dispersée 6 . Le droit vénitien n''est pas le résultat de cette synthèse savante et consciente entre les conquêtes de la science universitaire et les autonomies municipales, il est le fruit d''une volonté affichée d''indépendance à l''égard des sources reconnues du droit européen. Toutefois, cette revendication d''autonomie, explicite dans le Prologue aux Statuts du doge Jacopo Tiepolo de 1242, s''adresse essentiellement aux juristes de l''Université de Bologne. Le Code Justinien et les structures juridiques romaines restent, nécessairement, la source fondamentale du droit. Les recherches les plus récentes insistent bien sur cet aspect. Les déclarations d''indépendance contenues dans le Prologue de 1242, qui reconnaissent comme source du droit les «similitudes » des normes et des cas et l''arbitrage des juges, sans pour autant faire mention du droit romain, ne seraient donc pas à lire dans le contexte d''un conflit entre la commune de Venise et l''Empire, mais plutôt comme l''expression d''un conflit interne à la ville. Un conflit entre des techniciens du droit et le groupe des «Grands » qui entouraient le Doge. La rédaction des Statuts de 1242 constituerait donc une étape parmi d''autres du processus de formation d''un corps politique, le patriciat, qui s''accomplit à la fin du XIIIe siècle par la «Serrata » du Grand Conseil, dont sortiront désormais tous les magistrats, y compris les juges, de la République de Venise. Les hommes politiques sont en même temps les maîtres du droit et de son application 7 .

L''analyse des normes du droit civil inscrites dans les Statuts permet de mettre en évidence leur fonctionnalité par rapport à la construction de la domination politique du (futur) patriciat marchand vénitien. Sans rentrer ici dans des détails juridiques complexes, on se limitera à remarquer, avec les historiens du droit, que quelques normes du droit familial vénitien renient radicalement certains principes du droit successoral romain, afin de favoriser la concentration du patrimoine dans la famille, en tant qu''unité productive et économique. L''un des exemples les plus significatifs est peut-être celui des normes statutaires qui accordent au fils d''un père «fou furieux » le droit de tester à la place de son père, à la condition, cependant, de ne pas en être émancipé, ce qui va justement contre l''un des princi-

16 FAMILLES DANS LA CITÉ

pes fondamentaux de la tradition juridique romaine. Le testament cesse dans ce cas d''être l''expression du «dominium » individuel pour devenir un simple instrument de gestion d''une entreprise familiale, dans un contexte où le fait même d''être titulaire d''un patrimoine signifie plutôt en être le gestionnaire. La famille à laquelle ces normes se réfèrent n''est pas la famille agnatique, ni la gens,

mais la famille nucléaire unissant le père et ses fils dans la frérèche marchande. Les autres branches ne peuvent pas intervenir. La subordination des fils au paterfamilias est aussi fonctionnelle à cette structure économique qui se prolonge dans la ou les générations suivantes qui continuent à vivre ensemble et à gérer conjointement

(«pro indiviso » ) le patrimoine 8 . Le lien entre la construction de la discipline des familles et la construction de la domination d''un groupe social défini juridiquement est au centre des réflexions des historiens des sociétés urbaines italiennes de la fin du Moyen Âge. De ce point de vue, les études sur Florence ont été particulièrement importantes et riches.

2 - Discipline des familles et pouvoir politique

Des recherches récentes sur l''histoire de la société urbaine italienne au Moyen Âge tardif ont tenté, avec succès, de faire le lien entre une tradition ancienne d''études juridiques et les acquis les plus récents de l''histoire sociale, de la famille et des rapports entre hommes et femmes. Elles sont surtout le fait d''historiens américains travaillant sur le terrain florentin, qui ont voulu construire un parcours qui puisse mener «towards a legal anthropology of Renaissance Italy » et ceci souvent en ouverte polémique avec l''École des Annales, qui, selon les mots de Thomas Kuehn, «saw law as epiphenomenal » 9.

LE GOUVERNEMENT DES FAMILLES 17

Isabelle Chabot a récemment ajouté à cette approche anthropologico-juridique une dimension plus strictement politique, mettant en relation l''évolution des normes sur la succession ou sur la dot avec la construction de la domination politique du patriciat florentin dans les derniers siècles du Moyen Âge. «Le régime dominé par l''élite marchande et une nouvelle aristocratie qui se met en place en 1382 et gouverne Florence jusqu''au retour de Côme l''Ancien de Médicis en 1434, joue en fait un rôle décisif dans le perfectionnement de l''État territorial toscan. Dans le cadre des grandes transformations mises en oeuvre à cette époque, une série de réformes et d''innovations institutionnelles suggère l''existence d''un dessein politique de tutelle et de contrôle des familles, une ingérence dans la sphère privée qui a d''ailleurs pu être interprétée comme un signe de l''affirmation précoce de l''État » 10.

État triomphant et envahisseur ou enchevêtrement inextricable d''intérêts «privés » et «publics » ? Dès qu''on introduit la catégorie du «privé » dans un discours sur l''État, on se trouve face à cette dichotomie et le choix n''est pas aisé. La dialectique «privé-public » a désormais trouvé sa place dans le débat sur la naissance de l''État moderne, en particulier par opposition à une tradition historiographique de matrice wébérienne qui avait mis au centre de sa réflexion l''extension des pouvoirs «publics » d''un État rationnel et centralisateur 11. Ceci implique que si, dans une analyse des origines de l''État, on introduit la notion de «privé » c''est souvent pour mettre l''accent sur les conflits entre groupes de pression, clientèles, factions 12 qui ont caractérisé l''époque de la «genèse » de l''État moderne ou alors on tombe, en quelque sorte, dans l''excès inverse, c''est-à-dire dans le paradigme de la «mise en discipline » 13• Sans

18 FAMILLES DANS LA CITÉ

nier la valeur heuristique des deux approches, il est également possible d''adopter un autre point d''observation de la complexe dialectique et interaction entre familles et État. «Micro-organismes » politiques à très haute densité d''hommes et de moyens, les villes italiennes qui, dans les derniers siècles du Moyen Âge, bâtissent des organismes politiques nouveaux, les États «régionaux » , sont un lieu d''observation particulièrement fécond. «L''historiographie plus récente -écrit encore Isabelle Chabot -tend à nuancer cette vision triomphante d''un État envahissant, faisant prévaloir une logique supérieure et impersonnelle sur les différentes formes de particularismes. L''élan réformateur du régime oligarchique des Albizzi et de leurs alliés, qu''il convient de situer dans le contexte démographique, économique et politique de ces décennies, est cependant indéniable et surtout il fait de la famille un acteur politique collectif. En quarante ans, des réformes structurelles dans le domaine du droit statutaire, de la fiscalité, de la justice caractérisent les grandes lignes d''une politique ambitieuse et novatrice qui se déploie sur le double front des affaires privées des familles, de la moralité publique et du contrôle social » 14 . Pour que la famille soit «un acteur politique collectif » , il faut, toutefois, préciser de quelles familles il est question, ou plutôt à l''établissement de quelle domination politique ces mesures, qui concernent la vie «privée » , sont fonctionnelles. La question est, en somme, non seulement celle de l''imposition d''une «discipline » aux comportements de la population, mais aussi celle de l''édification de grilles et de structures à l''intérieur desquelles puissent être gérés les conflits entre les familles qui détiennent le pouvoir. Ces conflits investissent avant tout, et surtout, les échanges matrimoniaux, les règles de dévolution des patrimoines, la succession des fils aux pères et les procédures mêmes d''identification des individus qui peuvent prétendre à la gestion de la «chose publique » 15. L''identité sociale entre sujets et objets des lois, en d''autres termes, entre ceux qui font la loi et ceux pour qui la loi est faite, est la donne fondamentale qui cache toutefois deux diversités non moins essentielles: la diversité des générations et la diversité des genres. Les «lois des pères » viennent discipliner les comportements des fils et des femmes.

LE GOUVERNEMENT DES FAMILLES 19

À Florence, pendant plusieurs siècles, la composition de l''élite politique est particulièrement changeante et instable 16, alors qu''à Venise elle est remarquablement stable, ce qui ne veut pas dire que ses modes d''identification n''évoluent pas. Stanley Chojnacki a justement consacré la plupart de ses travaux à l''évolution de la définition de cette élite, le patriciat, au-delà de l''acte fondateur constitué par la «fermeture du Grand Conseil » , décrétée le 28 février 1298 (1297 selon le calendrier vénitien). Attentif, depuis ses plus anciens travaux, à la dimension du «gender » , Chojnacki a très tôt attiré l''attention sur le fait que, pour s''assurer le contrôle de l''État, le groupe au pouvoir a dû introduire «solemn procedures formalizing men''s assumption of their private and public roles as nobles and to impose status requirements for their wives and mothers and regulations for their families'' marriages » 17. En définissant le «bon mariage » patricien selon des critères qui vont de l''identité de l''épouse au montant de la dot, on définit également l''identité du patricien et de la patricienne, en tant que mari et femme, père et mère, fils et fille: «Gender identity -what it meant to be a male or a female noble -became the basic material in the fabric of the patrician regime and patrician society » 18.

En fabriquant des règles, on ménage en même temps des espaces permettant de se soustraire à la règle. «The divisions and conflicts between patriarchal structures in both their governmental and private dimensions marked out a space where women with economic resources, social support, and personal ability could maneuver their way through, between, against, or with those interests » 19 . Chojnacki s''est surtout intéressé aux normes et pratiques du mariage ainsi qu''à sa définition par les humanistes vénitiens, comme Francesco Barbara, qui, au début du XVe siècle, considère le mariage comme le fondement de l''identité du patricien. À Venise, cependant, il ne semble pas qu''on en soit arrivé à proposer l''obligation du mariage pour les hommes politiques. À Florence, les gouvernants tentèrent de l''imposer en 1421, mais la proposition fut refusée: les fils avaient gagné contre les pères 20 .

20 FAMILLES DANS LA CITÉ

C''est toutefois l''ensemble de la législation sur la dot et sa restitution, sur la succession et la transmission des patrimoines, et de son application, qui pourrait être analysé comme un moyen, efficace, de maintenir une situation d''équilibre entre les lignages patriciens 21 . La stabilité légendaire, la continuité, la durée de la Sérénissime pourraient y trouver de nouveaux éléments d''explication, qui seraient, à mon avis, plus pertinents: en concentrant l''attention sur la gestion du conflit à l''intérieur de l''élite, on sort du discours «mythologique » , ancien et moderne, qui insiste sur les vertus de bon gouvernement du groupe patricien 22 . Partons de la notion de réciprocité: une stricte réciprocité dans le régime matrimonial, dans les mécanismes de l''alliance est une composante essentielle du bon fonctionnement interne d''une élite 23 . C''est ainsi du moins que j''interprète la législation sur le mariage et sur la dot élaborée, dans le droit vénitien, à partir des Statuts médiévaux et jusqu''aux lois somptuaires de l''époque moderne. «Peuplées de pères et de maris » , comme l''a écrit Chojnacki, les assemblées législatives de Venise s''efforçaient de définir les droits et les devoirs de chacun -en fait, «de définir les termes des deux dimensions du patriarcat privé, ayant comme référence le phénomène social complexe de la femme mariée » . La transaction matrimoniale devint donc -comme les offices -un facteur décisif dans les campagnes législatives pour «une plus grande équité dans les relations entre les nobles et entre leurs familles » 24 . La stabilité du système vénitien, qui est en partie due à la stabilité de son élite, dépendrait en somme aussi d''une bonne gestion d''un système de réciprocité dans le mariage 25 .

LE GOUVERNEMENT DES FAMILLES 21

De ce point de vue, il existe, à mon avis, une différence nette avec Florence où les normes sur l''héritage de la dot, depuis les Statuts de 1325, prévoyant que celle-ci revienne au veuf, créent des tensions entre les lignages car, en cas de mort de la femme, il n''y a aucun système de compensation de la perte économique subie par sa famille d''origine. La restitution de la dot à la veuve est prévue à Florence aussi26, comme dans la plupart des villes de l''époque, mais dans la pratique une série d''obstacles complique le processus (par exemple en imposant, à certaines époques, des délais tellement brefs qu''ils étaient impossibles à respecter) provoquant ainsi des conflits à n''en plus finir 27 . Par ailleurs, les «mères cruelles » décrites par Christiane Klapisch-Zuber étaient celles à qui on imposait, pour pouvoir récupérer la dot et se remarier, de laisser les enfants à la famille du mari2 8. Perte des enfants ou perte de la dot: le système vénitien est beaucoup plus attentif à créer des compensations et des réciprocités, du moins dans la loi.

3 - Des lois pour qui ?

Dès le xve siècle, les lois somptuaires sur la dot établissent qu''un tiers de la dot ne doit pas être rendu à la veuve ou, en cas de décès de la femme, par le mari à sa belle-famille. Toutefois, à partir du XVI" siècle, ce «tiers » ne peut jamais dépasser la somme de 1.000 ducats, même quand le montant maximum de la dot autorisé par la loi, arrive, en 1575, à 6.000 ducats. Dans la législation vénitienne, l''intérêt financier, pour le mari, d''une dot importante est donc limité à la durée du mariage 29 . Ces lois sont intéressantes surtout pour ce qu''elles révèlent: elles parlent de nobles pauvres, de compétition entre les familles et d''un impossible idéal d''égalité entre familles de l''élite. Les familles patriciennes ont bâti leur respectabilité sur le montant des dots qu''elles donnaient à leurs filles, ainsi que sur la limitation des mariages des filles et des garçons et sur l''adoption de pratiques fidéicommissaires, comme l''ont démontré les études de

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James C. Davis, et, plus récemment de Volker Hunecke et de Jutta G. Sperling 30 . Le problème qui se pose alors est aussi bien celui des patriciens trop «pauvres » pour trouver des épouses dans leur groupe social, que celui des familles de riches marchands ou de nobles de terre ferme prêtes à payer n''importe quelle somme pour faire entrer une fille dans le patriciat. Ces mêmes familles qui, aux

XVIJe et XVIIIe siècles, seront capables de payer cent mille ducats pour acheter le titre patricien. Par ailleurs, depuis le XVe siècle, toute la législation somptuaire sur les dots est parcourue par la même crainte de la diminution des mariages. Selon les calculs de Volker Hunecke, aux XVIIe et XVIIIe siècles, parmi les patriciens les plus riches, le véritable danger n''était pas celui des mésalliances, et donc de l''exclusion du Grand Conseil des fils issus de ces mariages, mais celui d''un nombre de mariages par génération insuffisant à la survie de la famille 31 . Une baisse qui se vérifie, dans le patriciat vénitien comme dans la plupart des noblesses européennes, à l''époque moderne. Les historiens, à l''instar des contemporains, ont expliqué cette baisse des mariages par les transformations des activités économiques du patriciat qui délaisse la marchandise pour investir dans la terre: le fameux passage «from commercial to landed activities » 32 .

La diffusion du fidéicommis en serait une conséquence mais, pour garder les biens unis, il fallait aussi limiter les mariages des garçons comme des filles. Seulement, en climat de contre-réforme, les filles célibataires devaient être cloîtrées au couvent. Jutta G. Sperling parle de «potlatch alla veneziana » , car plutôt que de les marier avec des patriciens de statut inférieur, les familles préféraient sacrifier leur fécondité en les mariant à Dieu 33 .

L''inflation des dots du XVI" siècle est l''une des composantes, à la fois cause et effet, de la différenciation sociale croissante à l''intérieur même de l''élite. Il y a, d''un côté, les patriciens pauvres, qui se reproduisent en épousant même des femmes non nobles et qui, selon Hunecke, ne se soucient pas que leurs fils puissent ou ne puissent pas faire partie du Grand Conseil, les «moyens » qui, essayant

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de garder leur statut, sont en plein dans la contradiction décrite et enfin les «grands » , qui se marient entre eux mais en interdisant à une partie de leurs filles et de leurs fils l''accès au mariage 34 . Le circuit d''échange et de réciprocité idéalement décrit par les Statuts et par la législation dotale doit s''adapter à l''évolution de la composition des patrimoines patriciens: il ne s''agit plus de richesses marchandes qu''il faut faire circuler, mais de biens immeubles qu''il faut conserver dans la ligne masculine. Mais, jusqu''à quel point s''agit-il d''un changement dû à une mutation économique ou bien du fonctionnement normal du système dont les conséquences sur les femmes du patriciat se font particulièrement évidentes pendant la Contre-réforme? À mon sens, la question n''est pas résolue. Déjà en 1420, le préambule de la loi qui limitait les dots parlait des filles mises au couvent sans vocation, pour pouvoir marier leurs soeurs. Deux siècles plus tard, on retrouve le même discours chez Arcangela Tarabotti et chez de nombreux patriciens de l''époque 35 . Jutta G. Sperling insiste sur le fait qu''il ne s''agit pas d''une compétition entre soeurs, mais entre frères et soeurs et qu''on trouve donc là une des conséquences des règles de la transmission qui privilégient les mâles. Cette évolution ne remet pas en cause le système de réciprocité dans les échanges matrimoniaux entre les familles patriciennes, un système que les lois somptuaires du XVIe siècle confirment et accentuent en limitant la partie de la dot correspondant au trousseau qui, depuis la loi de 1420, n''avait pas à être restituée. Tout en s''adressant à la totalité de la population, les lois somptuaires ne concernent qu''une minorité de privilégiés. En revanche, les Statuts, ainsi que les règles et les procédures de justice sur des matières relevant du «droit privé » , dessinent un ensemble de normes et de pratiques auxquelles les Vénitiens de tous les groupes sociaux ont des chances d''être confrontés à un moment ou à un autre de leur vie. De ce point de vue-là, même s''il est intéressant et tentant d''essayer de retrouver le fondement sociologique d''un système de normes, la réalité est que, quand il s''agit de droit familial, ces normes retombent sur l''ensemble de la population. Dans ses travaux sur Douai, Martha C. Howell s''est interrogée sur le fondement socio-économique de la transformation radicale des normes relatives à l''échange des biens entre époux et, plus généralement, des normes successorales, transformation à laquelle on assiste entre le milieu du XIVe et le milieu du XVIe siècle. Cette

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transformation n''est pas tant le résultat de règles imposées par «le haut » que de l''évolution d''une économie marchande fondée sur la famille comme unité de travail vers une économie fondée sur la propriété individuelle de la terre 36 .

La structure économique particulière de la région rend possible d''intégrer comme acteurs et auteurs, sur le long terme, de la transformation tous les groupes sociaux, des paysans aux seigneurs 37 .

On retrouve ici deux idées déjà évoquées pour le cas vénitien, c''està-dire le modèle économique du passage «from commercial to landed activities » , mais aussi l''importance de la période entre la fin du Moyen Âge et le début de l''époque moderne 38 .

Une période charnière, à Venise comme Florence, où il n''est cependant pas question du passage de la coutume à la norme écrite (ce «confusing time when incoherent practice was gradually codified into learned principle » décrit par Martha Howell), mais d''une évolution qui se fait par transformation ou par ajouts successifs à un corpus juridique déjà structuré et complet. Les élites politiques et les juristes y jouent donc nécessairement un rôle beaucoup plus important 39 .

4 - Continuité et ruptures à l''époque moderne

Souvent, dans ce chapitre, je me suis rapportée à l''exemple florentin, en raison del'' abondance et de la qualité des études en histoire de la famille dont cette ville a fait l''objet. De manière plus générale, les comparaisons entre Venise et Florence sont un thème classique de l''histoire de la Renaissance italienne, mais d''une Renaissance de longue durée allant du XIVe au XVIe siècle 40 . Toutefois, au XVIe siècle, Venise est une métropole de plus de 150.000 habitants, alors

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que Florence ne se remit jamais véritablement de la crise démographique des derniers siècles du Moyen Âge. Au XVI° siècle, la comparaison se heurte aussi au problème de la différente évolution constitutionnelle des deux États: à partir de 1537, l''État toscan n''est plus une République, mais un Grand-Duché 41 . L''instauration d''un régime quasi-monarchique a incité les historiens à parler d''un «absolutisme » médicéen, incarné par le personnage de Côme de Médicis. Même si les recherches les plus récentes ont bien nuancé ce propos 42 , il n''en reste pas moins vrai que, désormais, au tableau politique florentin s''est ajouté un autre élément qui, tout en n''étant pas «extérieur » (difficile de qualifier ainsi la famille Médicis à

Florence) se pose comme élément autre dans le jeu de forces entre gouvernants et gouvernés. Dans le domaine de recherches qui nous concerne ici, on peut dire que c''est aussi en vertu de cette évolution qu''il a été possible de parler, à partir des documents sur la tutelle des enfants mineurs, d''un «contrat moral » , stipulé entre les veuves mères de familles et l''État florentin 43 .

La situation vénitienne est différente car les structures politiques restent inchangées, tout au long de l''époque moderne. De ce point de vue, Venise est d''un archaïsme déconcertant, dans le panorama politique européen, un archaïsme qu''elle partage seulement avec quelques autres anciennes républiques italiennes comme Gênes44 ou la petite république de Lucques 45 . Les tentatives de réforme constitu-

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tionnelle en vue d''une plus grande centralisation du pouvoir, qui se succèdent à Venise au cours du XVI° siècle, ont un succès partiel ou de courte durée, quand elles ne se résolvent pas tout simplement en des échecs complets 46 . De toute façon, au XVIe siècle, les conflits internes à l'' élite 47 n''ont rien de comparable à ceux qui imposent à la république de Gênes de redéfinir l''identité de son groupe dirigeant 48 .

C''est cette extraordinaire continuité politique qui m''a poussée

à commencer mon analyse des derniers siècles de l''époque médiévale, quand les structures constitutionnelles et juridiques se mettent en place. Si l''époque moderne comporte des ruptures, c''est surtout dans les relations entre la capitale et le reste de l''État, aussi d''un point de vue juridique 49 .

Les patriciens vénitiens redoutaient les hommes de loi. Ils en craignaient le pouvoir, leur capacité à s''immiscer dans les relations entre gouvernement et sujets, entre groupes sociaux. Ils redoutaient ce formidable outil d''affirmation de la logique juridique qu''avait été le «droit commun » , imbrication ancienne et complexe de coutumes, statuts, droit romain et canonique qui s''était consolidé dans les autres États de la péninsule italienne. Un mélange de sources différentes, parfois antinomiques, qui pouvait tenir ensemble uniquement grâce au travail d''ajustement et aux gloses des professeurs de droit. À Venise, il n''y avait rien de tout cela: les juges ne devaient pas être des techniciens, mais simplement des hommes politiques. Ces mêmes hommes politiques faisaient les lois dans les Conseils vénitiens. L''expansion en Terre ferme finit par créer des problèmes de compatibilité entre la législation vénitienne et les législations locales, notamment dans ces matières de droit privé et familial où la pratique vénitienne était différente de la pratique des noblesses de

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Terre ferme. Francesco Sansovino remarquait, au milieu du XVIe siècle, que les avocats et les magistrats vénitiens ne se repéraient pas dans la complexité des normes successorales des villes sujettes et que, pour y arriver, ils auraient dû avoir de bien meilleures connaissances en droit romain. Depuis le début du siècle, s''étaient multipliées les cours civiles, notamment pour les procès d''appel venant de la Terre ferme mais, dans la plupart des cas, les Vénitiens avaient réussi à imposer le recours à la procédure d''arbitrage, qui était l''une des caractéristiques de leur système judiciaire. Toutefois, les «Corrections » aux Statuts sur les questions de droit privé qui sont au centre de ce travail se succédèrent à partir du milieu du XVJe, et surtout au XVIIe siècle 50 . Il s''agit de modifications de la procédure concernant les restitutions de dot ou de restrictions du droit des fils de citer les pères en justice, voire de nouvelles normes sur l''âge de sortie de la tutelle. Dans la procédure de restitution de la dot à la veuve, qui fera l''objet d''un chapitre de ce travail, la «Correction » du doge Marc'' Antonio Trevisan introduit, en 1554, des peines pour les veuves qui auraient «occulté » une partie des biens meubles du mari et impose le recours à des experts jurés pour l''estimation des immeubles 51 . Dans la même «Correction » , une norme de 1559 impose le recours à des arbitres, en plus des Juges du Procurator, dans le but de «composer et remettre ensemble ceux qui, par le sacrement solennel du mariage, se sont unis pour toute la vie » 52 . Si le système juridique organisé par les Statuts médiévaux et la procédure d''arbitrage restent le fondement de la théorie et de la pratique du droit vénitien, les innovations du XVIe et, surtout, du XVIJe siècle, peuvent être situées dans une évolution européenne plus générale. Le concept de «Family-State compact » , élaboré par Sarah Hanley, insiste sur la réglementation du mariage et de la vie des

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familles comme composantes fondamentales de la construction de la monarchie française, aux xvrc et XVUC siècles. Ces lois aussi ont une origine et une destination sociale précises, leur but étant d''accroître le contrôle des pères nobles sur les fils et sur la transmission des patrimoines mais, au XVIe siècle, l''un des problèmes fondamentaux est que la volonté d''imposer un contrôle paternel sur le mariage des enfants se heurte à la loi de l''Église sur la liberté du mariage, que le Concile de Trente réaffirme avec force 53 .

Comme le rappelle Paolo Sarpi dans les chapitres de son Histoire du Concile de Trente consacrés aux débats sur le mariage, le Concile de Florence avait déjà statué «que le mariage reçoit sa perfection du seul consentement des parties, et que ni les pères, ni tous les autres parens, n''y ont aucune autorité » 54.

Aussi bien en France qu''en Italie, l''interaction, voire la concurrence entre les lois ecclésiastiques et les lois civiles, à l''époque moderne, a été l''objet de travaux importants ces dernières années 55 .

Ces recherches ont en commun le choix de travailler en même temps sur la loi et sur son application, à partir des sources des tribunaux de la justice civile ou ecclésiastique 56• La capacité croissante des États modernes à intervenir dans la sphère privée et à

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prendre en charge les conflits familiaux est bien illustrée par le cas des Juges du Procurator vénitiens, une magistrature dont l''une des tâches était l''assignation de la dot aux femmes séparées de leur mari 57 . Institués au XIIIe siècle, les Juges du Procurator ont, dès 1374, la compétence du calcul des aliments pour les femmes séparées de leur mari. De fait, progressivement, et certainement à partir du XVIe siècle, les Juges du Procurator deviennent compétents en matière de séparation, c''est-à-dire qu''ils tranchent dans les conflits entre conjoints, pour décider si la femme a droit à récupérer sa dot. C''est la procédure appelée d'' «assurance dotale » . En période posttridentine, ces compétences entrent en évidente concurrence avec celles de l''Église sur la séparation. Angelo Rigo, qui a étudié cette magistrature dans la deuxième moitié du XVIe siècle, observe, dans le langage des normes qui définissent les tâches des Juges, une volonté de «nuancer les tons, de ne pas donner de poids formel à une action en matière matrimoniale, dont l''importance ne consiste pas tellement dans la juridiction théorique en la matière, mais dans le fait de pouvoir l''administrer dans la pratique. La compétence des Juges du Procurator dans les conflits du mariage a été conquise dans la pratique de l''exercice de lajustice » 58 .

Le paradigme de la «disciplinarisation » a ainsi été vérifié dans la pratique des cours de justice et confronté avec les espaces de manipulation des normes laissés, de fait, aux individus. Une possibilité, celle de la «manipulation » , sur laquelle a surtout insisté la microhistoire, pour en critiquer l''importance dans les dernières années 59 . Une possibilité sur laquelle, selon Stedman Jones, les historiens issus de l''École des Annales ont trop insisté, avec le résultat «d''occulter un vaste ensemble de phénomènes historiques pour lesquels cette approche volontariste n''offre aucun instrument d''analyse » 60 . Une possibilité, toutefois, que les sources judiciaires

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mettent particulièrement en évidence, comme il a été démontré par plusieurs travaux des dernières années. L''affirmation d''identité, la capacité à tirer profit de tout un arsenal juridique de la part d''hommes et de femmes illettrés est parfois surprenante. Au XVIIIe siècle, les conflits dans le monde du travail urbain étaient l''occasion de construire des normes et des règles et pas seulement pour les appliquer ou les faire respecter. À une époque où «les règles et les normes étaient très fragmentées et parfois contradictoires les unes avec les autres, il n''était généralement pas aisé de reconnaître la loi qu''il fallait respecter ou même appliquer. Dans ce contexte, les tribunaux représentaient le théâtre où les lois qui contribuaient à réglementer les relations entre les individus, soit à l''intérieur soit à l''extérieur des corporations, se manifestaient et se traduisaient en normes de comportement » 61 .

Quand le degré d''incertitude et d''arbitrage, qui est constitutif de toute norme, semble laisser trop de liberté aux individus, ou à certains d''entre eux, les professionnels du droit ne manquent pas de réagir. Si le législateur n''y pourvoit pas, ils sont alors obligés d''adapter leur discours, d''une manière qui parfois les met en opposition avec des principes généraux ou des pouvoirs plus hauts, des principes et des pouvoirs auxquels les plaignants sont habitués à faire recours tels le «droit au travail » , ou même le «droit à la survie » , invoqués dans les conflits du travail 62 .

Au-delà des énonciations de principe, indubitablement fondées sur une sorte de droit naturel auquel les acteurs font appel, il faut un certain degré de connaissance de la loi pour se lancer dans une procédure judiciaire. Une connaissance qui est réelle, comme on peut le constater en étudiant les sources émanant des cours civiles qui réglementent la vie des familles. Les salles des tribunaux deviennent alors les lieux où s''affirment, voire se construisent, des identités et des droits 63 . Les recherches de Giulia Calvi sur la tutelle à Florence à l''époque moderne l''ont bien montré, en mettant

LE GOUVERNEMENT DES FAMILLES 31

l''accent sur la capacité des veuves florentines à stipuler avec l''État une sorte de «contrat moral » qui, sous certaines conditions, leur donnait le pouvoir d''assumer la tutelle de leurs enfants 64 .

5 - Les Juges des familles à Venise

La construction d''un système juridique articulé et originel se poursuit et se complique, dans les décennies qui suivent la promulgation des Statuts du doge Jacopo Tiepolo, par la création de magistratures judiciaires de plus en plus différenciées, dont les compétences tendent toutefois à se superposer. Dans chacune d''entre elles siègent plusieurs juges, et lorsque leur décision ne fait pas l''unanimité, c''est au Doge qu''il revient de trancher: le politique prime toujours. Dans les autres villes de la péninsule, le podestat et ses juges se partagent dans des tribunaux distincts la connaissance des affaires pénales et civiles. Même là ou existent plusieurs cours de justice (et leur nombre est de toute façon toujours inférieur à celui que l''on trouve à Venise) leurs compétences restent précisément différenciées selon la matière, ou la valeur financière, ou encore selon le type de droit qu''on y applique. À Venise, en revanche, des cours différentes peuvent intervenir dans la même matière, aussi bien au civil qu''au pénal. L''absence d''une loi fondamentale qui distingue précisément les compétences des différentes magistratures, la pulvérisation des pouvoirs de jugement, l''imbrication des tribunaux impliquait, de fait, que la sentence finale revenait au Doge et que la Chancellerie ducale gardait le droit de décider, en dernier recours, du tribunal auquel il fallait s''adresser 65 .

Dans la période la plus ancienne de l''histoire de Venise, la juridiction civile et pénale était de la compétence exclusive du Doge, assisté par des juges, plutôt des «sages » que des professionnels du droit 66 . À partir, probablement, de la période du doge Sebastiano Ziani (1172-78), la fonction judiciaire fut exercée par des juges élus pour une durée déterminée, alors que la Curia Ducis des origines s''organisait en différents tribunaux, chacun ayant des compétences dans des secteurs spécifiques.

32 FAMILLES DANS LA CITÉ

Panni les douze cours ainsi formées, certaines, tel le Petit Conseil, furent en même temps des organes politiques et administratifs. Il ne reste plus que la documentation produite par six de ces cours, tribunaux civils en première instance, dont les compétences étaient limitées à la ville de Venise et dont les fonctions étaient en même temps de type judiciaire et de certification des droits (homologation et publication d''actes juridiques privés). Il s''agit des Juges du Proprio, du Forestier, de l''Esaminador, de Petition, du Mobile, du

Procurator. Celles qui nous intéressent ici, pour leurs compétences en matière de droit successoral, sont la Cour du Proprio et la Cour de Petition.

Émanation directe de la Curia Ducis, la Cour du Proprio est née à l''époque du ducat Ziani (1172-78), en même temps que la Cour du Forestier, dont les tâches concernaient surtout les conflits entre Vénitiens et étrangers. Les compétences des Juges du Proprio

étaient à l''origine très vastes, mais la documentation qui survit, à partir du XIIIe siècle, concerne surtout les paiements des dots, les successions ab intestat, les sentences sur les testaments à propos des legs immobiliers, la nomination des Procurateurs de St. Marc en tant qu''exécuteurs testamentaires, la garde des biens de Vénitiens morts à l''étranger, les partages de biens entre frères et conjoints, les droits de préemption des parents dans la vente d''immeubles à Venise et dans le Dogado. Les Juges de Petition furent institués en 1244 par le doge Jacopo Tiepolo, pour alléger le travail des Cours du Proprio et du Forestier.

Créés par le même doge qui réalisa les nouveaux Statuts de 1242, les Juges de Petition ont, comme leur nom l''indique, tout d''abord la tâche d''écouter les doléances venant des sujets et de trancher les conflits qui surgissent entre eux. Donc, en fait, rien ne différencie leur fonction par rapport aux Cours déjà existantes. Publiés à la suite des Statuts de Jacopo Tiepolo, les Statuts de la magistrature commencent de cette façon: «Puisque notre office nous impose de gouverner le peuple de Venise, nous avons estimé nécessaire, utile, possible et honnête, puisque nous sommes plus nombreux et impliqués dans plus de négoces publics, de nommer trois nobles et sages hommes, qui, à notre place, écoutent les doléances et les jugent selon justice » 67 . Progressivement, leurs compétences se spécialisent: les Juges de Petizion s''occupent de contrats de société, de relations d''affaires et de faillites, jusqu''au début du xvc siècle, quand ces importantes tâches sont transférées au

LE GOUVERNEMENT DES FAMILLES 33

Sénat. Ils continuent par ailleurs à s''occuper d''administration d''héritages, d''émancipation des mineurs, d''assignation de tutelles et de vérification des comptes des tutelles. Ce sont ces dernières tâches qui nous intéressent. Il y a plusieurs raisons à cette redondance de magistratures, dans laquelle parfois l''historien risque de s''égarer. Des impératifs de contrôle social se mêlent, dans le cas de Venise, à la nécessité de donner à une pléthore de patriciens des rôles dans l''administration de la chose publique. Au-delà de la fonction du doge, ou de procureur de St. Marc, au-delà du Sénat ou du Conseil des Dix, les patriciens venant de familles moins prestigieuses ou moins riches devaient pouvoir trouver une place dans la grande machine administrative de la République. Les sources émanant des magistratures judiciaires chargées de régler les conflits entre les familles ouvrent sur l''ensemble de la population de la ville. Dans les sentences de la fin du XVIe siècle, patriciens, marchands, fonctionnaires, artisans ou domestiques sont tous représentés, dans des proportions différentes, qui correspondent plus à la nature de la procédure et de l''acte qu''à leur présence effective dans la société vénitienne. Par exemple, peu de patriciens meurent intestat, mais beaucoup de patriciennes demandent la restitution de leur dot ou la tutelle de leurs enfants.

Chapitre II. La succession et la loi

Dans ce chapitre, il est question de la succession dite «légitime » , selon les lois, par opposition à la succession testamentaire, résultat du libre choix du testateur, qui sera traitée dans la deuxième partie de ce travail.

1 - Les normes sur la succession «légitime»

Parmi les nombreuses compétences des Juges du Proprio il y a l''assignation des héritages des morts intestats. Les demandeurs doivent présenter devant la Cour un ou plusieurs témoins qui puissent prouver leur lien de parenté avec la personne décédée (fonds

Parentele). Au bout de quinze jours, si personne n''a fait opposition, les Juges rendent leur sentence (fonds Successioni). J''ai étudié les années 1592-94 du fonds Parentele et les années 1592-95 du fonds

Successioni1, considérant que c''étaient des années «quelconques » , c''est-à-dire sans causes de mortalité exceptionnelles, comme des épidémies ou des guerres. À la limite, c''est dans des années comme celles-là que les gens ont le plus de chance de mourir sans faire de testaments, alors qu''avant de partir pour la guerre, ou pendant une épidémie de peste, la mort est une éventualité tellement probable que l''on songe peut-être plus à organiser sa succession 2 .

La succession des intestats est réglée précisément par les Statuts 3. Une remarque préliminaire s''impose: les biens se transmettent par voie masculine. Toute l''organisation de la succession est fondée sur ce principe. La succession des femmes est réglée par

36 FAMILLES DANS LA CITÉ

quelques paragraphes des Statuts, précisant que les femmes héritent des femmes aussi bien les meubles que les immeubles, alors que les femmes héritent des hommes essentiellement des biens meubles. En faisant circuler les immeubles entre femmes, les Statuts admettent à l''évidence la possibilité que des femmes en possèdent, alors que plusieurs normes de ces mêmes Statuts sont conçues précisément pour éviter que cela arrive. Il est par ailleurs très important de rappeler que la distinction entre meubles et immeubles n''est pas celle que nous entendons aujourd''hui et que, dans différentes traditions juridiques, dont celle de Venise, certains biens apparemment immobiliers (terres et édifices) peuvent être considérés des biens meubles et vice-versa. D''autre part, dans une économie marchande telle celle de Venise au XIIIe siècle, admettre les femmes à la succession des biens meubles signifie qu''on les admet à la succession des biens les plus importants. Amy Erickson, dans son livre sur les femmes et la propriété en Angleterre, a proposé une comparaison intéressante, quoique paradoxale, entre la valeur des biens meubles et la valeur des immeubles. Selon ses calculs, au xvne siècle, un cottage pouvait avoir la valeur de cinq à dix lits ou de cinq à dix vaches, alors qu''en 1990, le même immeuble pouvait valoir quatre -vingt lits 4 . Le lit est, à cette époque, une «véritable maison dans la maison » 5, d''où son importance dans la dot d''une fille. Si un homme n''a laissé que des fils, disent les Statuts, ils héritent à égalité, mais si l''un des fils, s''étant «séparé » du père suite à un jugement dit «per securitatem » , avait déjà reçu une partie de son héritage, cette partie devait être déduite de l''héritage qu''il devrait partager avec ses frères, après le décès du père. Le partage des biens parmi les fils du vivant du père n''est absolument pas la norme, à Venise, à la différence d''autres traditions juridiques, telle la coutume dite orléano-parisienne. Un partage avant la mort du père n''est donc envisageable que pour mettre à l''abri (tel est le sens de cette expression «per securitatem » ) sa part d''héritage, des créditeurs, par exemple6, ou quand le père est absent depuis trop de temps et que l''on ne connaît pas son sort. C''est un jugement analogue à celui, dit «per asicuration de dote » , que les femmes peuvent demander pour avoir, dans des circonstances semblables, l''usage de leur dot pendant le mariage.

LA SUCCESSION ET LA LOI 37

Le système repose sur une inégalité fondamentale 7 : les fils héritent des immeubles et les filles des meubles, et les filles déjà mariées, et donc dotées, ne reçoivent plus d''héritage de leurs pères. Toutefois, une fille célibataire qui, à la mort du père, considère que sa dot n''est pas «convenable » a, théoriquement, la possibilité de demander un complément, à prendre sur les biens immeubles du père. Quand il y a des fils et des filles, seules les filles à marier entrent dans la succession des intestats, mais, quand il n''y a que des filles, le partage se fait entre toutes, mariées, veuves et célibataires, après déduction du montant des dots déjà reçues. Les petites-filles de la ligne masculine partagent entre elles la partie d''héritage qui aurait dû échoir à leur père et les petites-filles de la ligne féminine «jamais ne rentrent en concurrence avec les susdites » . Remarquons la correspondance entre cette norme et la volonté exprimée par certains testateurs qui, en désignant leurs successeurs dans les générations futures, «usque ad infinitum » , ajoutent que, au cas où la ligne masculine viendrait à manquer, leur héritage irait d''abord aux filles issues de la ligne masculine, à n''importe quelle génération, et seulement après aux descendants de leurs propres filles. En absence de descendants, l''héritage des hommes se partage parmi le père, les frères et les ascendants en ligne masculine. Les soeurs n''héritent pas s''il y a des frères, mais entrent dans la succession s''il n''y a que des neveux. La succession des biens des femmes n''ayant pas d''enfants se fait selon les mêmes principes, c''est-à-dire en privilégiant les agnats de la ligne masculine. Toutefois, quand les femmes entrent dans la succession, elles héritent des femmes aussi les immeubles. Une importante différence existe entre les Statuts vénitiens et les Statuts des autres villes italiennes, au sujet de la succession des filles à leurs mères. À Gênes, Florence, Pise, Sienne, Arezzo, les filles sont exclues de la succession maternelle au profit de leurs frères ou de leurs descendants, sans qu''il soit fait aucune obligation à la mère de contribuer à leurs dots. À Arezzo, Pistoia et Florence, les filles sont en plus exclues de la succession de leurs grand-mères et arrière-grand-mères 8. Selon les Statuts vénitiens du XIIIe siècle,

38 FAMILLES DANS LA CITÉ

le partage des biens de la mère est totalement égalitaire, entre tous les fils et toutes les filles, célibataires, mariées, ou veuves. En revanche, les mères héritent de leurs enfants uniquement en absence de tout autre héritier légitime, qu''il soit ascendant, descendant ou collatéral 9.

Les normes sur la succession ab intestato dictées par les Statuts du XIIIe siècle ne sont pas modifiées par la suite. «Entre mâles, par droit de parenté, la succession a lieu d''un côté comme de l''autre, même s''ils sont à un degré très éloigné » , «mais que les mâles soient admis à succéder à des femmes, même s''ils sont à un degré très éloigné » , avait écrit Justinien. Pierre Damien, à qui il importait surtout de définir les règles chrétiennes des interdits du mariage, utilise ces citations pour affirmer que «un droit exclut l''autre, de sorte qu''il est condamnable d''unir à soi par les liens matrimoniaux celle à qui l''on peut succéder par le droit de l''héritier, et qu''à l''inverse on perd sa qualité d''héritier à l''égard de celle qu''on a le droit d''épouser » 10. On n''hérite pas de sa femme et on n''épouse pas sa mère, sa soeur, sa cousine, etc. Sans rentrer dans les subtilités des degrés de parenté selon Pierre Damien ou selon la loi romaine, qui ne concernent pas notre sujet, remarquons toutefois que ces règles fonctionnent uniquement dans un sens, puisqu''on vient de dire qu''une mère n''hérite jamais de son fils, mais elle n''a pas pour autant le droit de l''épouser. En revanche, cette lecture pourrait fonctionner pour l''héritage entre mari et femme, puisqu''il n''y a aucun droit des époux à hériter l''un de l''autre, en droit vénitien, alors que d''autres traditions juridiques de la péninsule, plus influencées par les droits germaniques, ont introduit un droit des maris à hériter de leurs femmes. Avant de rendre compte des résultats du dépouillement des actes des Juges en la matière, il faut préciser que, dans deux cas spécifiques, seule l''existence d''un testament donne droit à l''héritage. Il s''agit des enfants illégitimes et des enfants adoptifs.

2 - Enfants illégitimes et enfants adoptifs

La conditio sine qua non pour que des enfants puissent hériter de leurs parents est qu''il s''agisse d''enfants légitimes: légitimes, ou,

LA SUCCESSION ET LA LOI 39

parfois, légitimés. La différence est évidemment de taille et les différents systèmes politiques sont généralement obligés de prendre en considération ce problème 11. Pour un héritage ab intestato mais aussi, dans certains cas, pour la succession testamentaire: même par testament, un père ne peut pas faire tout ce qu''il veut. Laquestion, autrement plus délicate, des «maternités illégitimes » n''est pas, en tant que telle, prévue par les lois, mais on verra qu''on en trouve des traces, parfois assez surprenantes, dans les testaments féminins. Comme le souligne l''auteur d''un «mémoire » , rédigé à la demande de la Seigneurie en 1745, «dans les Statuts on ne parle pas d''enfants illégitimes » 12 . En effet, si l''on pense que la seule preuve de filiation requise par les Statuts est la «publica voce et fàma » , il est évident que la notion de «légitimité » n''est pas, en 1242, centrale dans les préoccupations de Jacopo Tiepolo et de son entourage. Ce même «mémoire » nous informe que «dans la pratique, dans nos tribunaux, les naturels reçoivent un douzième de la faculté paternelle et, en absence de fils légitimes, leur part est doublée » . Il est significatif que la première mention d''une distinction nécessaire entre «fils légitimes et naturels » apparaisse dans des lois du dernier quart du XIVe siècle, à une époque de bouleversement des hiérarchies à l''intérieur du groupe patricien. Des lois de 1376 et de 1382 précisent que les fils naturels, même légitimés par le mariage de leurs parents, n''ont pas accès au Grand Conseil et qu''ils ne peuvent hériter «que de leurs pères » . I: exclusion des fils illégitimes du pouvoir politique est la première d''une série de normes qui, entre la fin du XIVe et les premières décennies du xve siècle, définissent de plus en plus précisément les limites et l''identité du groupe patricien

13. Les lois qui, à partir de 1422, excluent aussi les fils de servantes ou esclaves du Grand Conseil, ne sont évidemment qu''une sorte de corollaire de cette première loi de 1376, car c''étaient le plus souvent ces enfants-là qui étaient issus d''unions non officialisées par le mariage. On peut très probablement mettre ces lois en relation avec les épidémies récurrentes de peste qui caractérisent la période :

40 FAMILLES DANS LA CITÉ

des ouvertures et un rélachement de normes sociales non écrites avaient dû s''imposer au moment des creux démographiques consécutifs aux épidémies, mais il ne fallait pas que ces situations exceptionnelles deviennent la norme. En même temps, on peut voir dans cet ensemble de lois le poids croissant du contrôle familial sur les choix et les destins des individus. La loi des pères, qui était la loi du pouvoir politique, destinait des fils au mariage et d''autres au célibat: si tous les fils illégitimes des célibataires avaient eu accès au Grand Conseil des équilibres fragiles entre les familles, ou les branches d''une même famille, auraient été bouleversés. Toutefois, la transmission de biens symboliques, tel le droit de faire partie du Grand Conseil, et la transmission de biens matériels, ne reçoivent pas le même traitement de la part des législateurs patriciens. Si la naissance est illégitime, la transmission de père en fils est interrompue pour les premiers, mais pas pour les seconds. Le lignage en tant que corps politique coupe la branche de celui qui n''a pas respecté ses règles, tout en lui imposant d''en assumer les conséquences matérielles. Une double peine, en quelque sorte. Le rédacteur du «mémoire » de 1745, qui se trouve dans un recueil de lois sur le «fidéicommis » , avait pour principal souci d''établir quels étaient les droits patrimoniaux des «naturels » selon la loi et la jurisprudence vénitiennes. «À l''époque de la rédaction des Statuts, sous le ducat de Jacopo Tiepolo, en 1242, très peu de fidéicommis étaient institués car les seuls biens étaient ceux de la marchandise » , écrit-il. «Depuis 1500, par contre, les docteurs ont beaucoup écrit en la matière et l''on a vu des jugements qui ont favorisé et élargi les droits des enfants illégitimes » . Cette intense activité des juges et des juristes aboutit, en 161 7, à une nouvelle loi, qui déclare que «dorénavant, sous le nom d''enfants et descendants ne pourront être compris les enfants naturels, sauf s''il en est fait expressément mention par les testateurs » 14. Les «enfants légitimés

a posteriori, par mariage, héritent des pères ab intestato, à exclusion des fidéicommis, mais sont admis à la succession si les testateurs le prévoient » 15. Dans sa première formulation, refusée par une large majorité des voix le 30 avril, la loi avait un caractère rétroactif. En essayant d''y mettre bon ordre, les législateurs du XVIIe siècle distinguent, pour la succession ab intestato, entre enfants illégitimes et enfants légitimés par mariage postérieur, tout en laissant aux testateurs la liberté d''inclure également dans les fidéicommis les légitimés a posteriori.

LA SUCCESSION ET LA LOI 41

Toutefois, l''opinion du juriste vénitien du XVIIIe siècle, qui identifie le XVIe siècle comme une époque charnière qui a vu, dans les faits, une extension des droits successoraux des enfants illégitimes, est fort intéressante. On peut expliquer cette relative «ouverture » du XVIe siècle par l''influence de la doctrine humaniste, suivant ainsi l''analyse que Paolo Prodi a proposée du traité de Gabriele Paleotti De nothis spuriisque filiis, publié en 1550 à Bologne 16. Contrairement aux juristes médiévaux qui avaient traité le problème surtout du point de vue de la légitimation des illégitimes, Paleotti s''efforce de démontrer que l''illégitimité de la naissance ne doit pas être un élément de discrimination, notamment dans la succession et dans les droits politiques. La démonstration, conduite avec habilité et finesse, met en avant la notion chrétienne du mariage, comme contrat librement consenti, entre les époux, ainsi qu''une conception de la noblesse fondée non pas sur le «sang » , mais sur la reconnaissance du prince 17.

À l''époque des réformes religieuses et de l''extension des pouvoirs de l''État et des Églises, l''illégitimité de la naissance était destinée à devenir de plus en plus une tache presque indélébile. Certains comportements et certaines déclarations que j''ai trouvés dans les testaments des années centrales du XVIe siècle sont probablement inimaginables un siècle plus tard. Dans les normes citées, le testament n''est pas pris en considération comme un instrument de légitimation. En réalité, il l''était, selon le Code Justinien, mais seulement après approbation de l''autorité civile: la légitimation s''obtenait «en partie par testament, en partie par la loi et en partie par l''empereur » 18.

Le problème des enfants illégitimes a fait l''objet des recherches des historiens du droit et, surtout ces dernières années, des historiens démographes et la fondation, dans les villes de l''Italie et de l''Europe de la Renaissance, de lieux d''accueil spécifiques pour enfants abandonnés en est un aspect 19. Le droit commun opérait une distinction entre les naturales tantum, c''est-à-dire les enfants des concubines et les nec legitimi, nec naturales, c''est-à-dire les «spu-

42 FAMILLES DANS LA CITÉ

rii » , enfants de père inconnu ou nés d''unions illicites, adultérines ou enfants de membres du clergé 20• Ici, il est question des naturales,

mentionnés dans les testaments des pères non pas pour être légitimés, mais pour être inclus dans la succession. Les circonstances qui amènent un père à laisser ses biens à un enfant illégitime sont toujours les mêmes: l''absence d''héritiers légitimes. Mais les enfants naturels peuvent également faire l''objet de legs spécifiques, sans être mis sur le même plan que les légitimes. L enfant «adoptif » est une autre figure d''enfant «irrégulier » qui apparaît dans les testaments. Les guillemets sont nécessaires pour la bonne raison que, comme l''écrivait l'' Altieri au début du

XVIe siècle, «l''adoption, en notre siècle, est chose assez insolite, à peu près complètement abandonnée » 21 . Les impératifs de l''Église et du droit féodal ont banni de l''Europe médiévale et moderne tout lien de filiation non fondé en même temps sur le sang et sur la légitimité de la naissance. Comme le faisait remarquer l''historien de la famille Nino Tamassia, «Nous avons le souvenir de l''extinction de maisons illustres, mais on ne constate pas que l''on ait tenté, à travers l''adoption, de les maintenir en vie » 22 • Les deux seules tentatives d''adoption, avec mariage en gendre, documentées pour le patriciat vénitien, aux XVIIe et XVIIF siècles, concernent deux familles qui en réalité, à l''époque des faits, n''étaient pas encore rentrées dans le patriciat 23 . Le titre patricien n''étant pas transmissible aux adoptés 24 , ce n''est pas par ce moyen que les familles patriciennes pouvaient conjurer le risque de l''extinction. Les maisons patriciennes réglaient le problème, autant que possible, par le mariage entre différentes branches de la Ca'' portant le même nom 25 . Pour les familles marchandes non nobles, par contre, le problème se posait de manière différente et l''adoption de parents, ou de proches, était l''une des solutions possibles au manque d''héritiers 26 .

En théorie impossible, rare ou difficile, l''adoption apparaît pourtant dans les sources de l''époque médiévale et moderne. En fait, si l''adoption romaine, impliquant droit de succession, chan-

LA SUCCESSION ET LA LOI 43

gement de nom et transfert de la patria potestas, est devenue «impossible » , d''autres possibilités s''offraient aux couples et aux individus pour élever des enfants d''autres parents dans leur famille en les traitant comme leurs propres enfants. Les notaires parisiens et lyonnais enregistrent, au XVIe et XVII" siècles, des actes d''adoption d''enfants 27 , de la même manière qu''en Provence ou en Toscane, des couples sans enfants vont chercher des enfants à élever dans les hôpitaux de la ville28 . La disparité sociale entre ces adoptants et ces enfants abandonnés est l''un des aspects significatifs de cette forme d''adoption et il est en réalité impossible de faire la différence entre un acte de charité et la recherche de personnel, apprentis, ou servants, bon marché. Les historiens se sont interrogés sur les raisons de «l''abandon de l''adoption » dans le droit médiéval et certains ont surtout mis l''accent sur l''influence de l''Église. Selon l''interprétation proposée par Jack Goody, le refus de l''adoption de la part de l''Église, comme l''extension des interdits de mariage par rapport au droit romain, se situeraient dans une stratégie complexe pour limiter le nombre d''héritiers et pouvoir ainsi récupérer les héritages des laïcs 29 •

Pour stimulante qu''elle soit, cette lecture ne prend pas en compte le fait que le monde byzantin, chrétien, ne refuse pas l''adoption 30 .

D''autres historiens ont essayé de mettre en rapport le rôle des parrains et des marraines avec le rôle de parents adoptifs: la création d''un lien de type nouveau, de parenté spirituelle, devenant incompatible avec l''adoption 31.

Le cas de Venise présente, dans ce domaine, quelques particularités qui dérivent de l''influence byzantine et notamment l''existence d''une forme spécifique de relation adoptive, n''ouvrant pas le droit à la succession, celle entre un adulte et son «fia de anema » 32 :

la terminologie utilisée, «enfant d''âme » , s''apparente à celle d''un lien spirituel, sans qu''on puisse, toutefois, l''assimiler à une relation

44 FAMILLES DANS LA CITÉ

de parrainage 33 . En même temps, dans certains testaments, l''on trouve des expressions comme «l''enfant que j''ai pris à l''orphelinat pour mon âme » : la référence à l''âme ne concerne donc pas le type de relation, mais ses effets supposés sur le salut de l''adoptant. Toutefois, l''un des problèmes soulevés par ces formes d''adoption différentes de la forme romaine classique, concerne le droit à l''héritage. Le fait qu''il n''y ait aucun lien de sang rend la succession encore plus problématique que dans le cas d''illégitimité.

3 - L'application de la loi sur la succession ab intestato

Dans les registres Parentele pour l''année 1592-93, les héritiers potentiels, y compris les mineurs représentés par leurs tuteurs, sont 503 (251 de sexe masculin et 252 de sexe féminin), à qui il faut ajouter deux groupes de «frères et soeurs » et de «fils et filles » , tous mineurs, dont le nombre n''est pas indiqué. Tous ne se sont pas effectivement présentés devant les Juges du Proprio pour revendiquer leurs droits. Ce n''est pas le cas des enfants mineurs (37, dont 15 garçons et 22 filles), sous la tutelle de leurs pères (6), mères (4) ou autres hommes extérieurs à la famille (5). Les intestats dont on demande l''héritage sont en tout 304 (dont 142 hommes et 162 femmes). D''habitude, la demande ne contient pas d''indications sur la raison ou la date du décès, mais toujours sur le lieu: la plupart des intestats sont décédés dans Venise, quelques-uns à l''étranger ou en mer. Dans les premières pages du registre, l''on trouve encore quelques cas de gens qui sont morts pendant l''épidémie de peste de 1576-77. La procédure est définie par les Statuts. «Non est necesse ut exigatur probatio: ubi publica est fama de filiis, et parentibus de prole » ,

c''est le titre du chapitre XII du premier livre des Statuts, qui récite:

«Si publica fama fuerit, quod aliquis fuerit filius alicuis, vel filia, non sit necesse, quod super hoc aliqua probatio exigatur coram Judicibus. Item dicimus in quocumque de prole. Idem dicimus de consanguineis, nepotibus et propinquis » 34 . La «publica fama » se concrétise au XVIe siècle en un, voire plusieurs, témoignages oraux rendus aux Juges. Le fait que des Statuts du XIII" siècle n''exigent pas de preuves écrites de la filiation et de la parenté n''est pas surprenant. Il l''est beaucoup plus, éventuellement, qu''à l''époque où l''Église a imposé, avec le Concile de Trente, un enregistrement rigoureux des baptêmes, des mariages et des décès, on n''ait pas introduit, dans

LA SUCCESSION ET LA LOI 45

la pratique, l''obligation de donner des preuves écrites du lien de parenté avec l''intestat. Les témoins jouent alors un rôle très important, car ils fondent le droit des parents à recevoir l''héritage. Un ou plusieurs témoignages sont toujours enregistrés par les Juges, mais les informations qu''on a sur l''identité des témoins ne permettent pas de tirer beaucoup de conclusions sur les choix et sur les relations des impétrants. Dans l''ensemble, nous avons des renseignements sur le métier, l''origine, ou le statut social de 204 témoins et seulement de l 03 morts intestat ou héritiers. Les autres ne sont que des noms. Quand cela est possible, on remarque une correspondance assez banale entre métier, origine ou statuts des témoins et des héritiers ou morts intestat. On ne sera pas surpris de constater que la fille d''un tisserand de draps présente comme témoin un autre tisserand de draps et un tisserand de soie, ou qu''un fabricant de barils demande à deux tonneliers de témoigner qu''il est bien le frère de cet autre tonnelier mort intestat, ni, par ailleurs, d''entrevoir des réseaux d''amitié, de voisinage, de collaboration entre différentes spécialisations artisanales. Les choses changent toutefois (ou plutôt ne changent pas ... ) quand les impétrants sont des patriciens, car, dans ces cas-là aussi, les témoins viennent pour la plupart de ce milieu d''artisans qui constitue, bien évidemment, l''essentiel du tissu social de la ville, mais qui ne constitue sûrement pas l''essentiel des relations des membres de l''élite. Le testament revêt une bien plus grande importance dans ce milieu, mais il arrive aussi aux patriciens de mourir sans en avoir fait (ils sont 34: 17 femmes et 17 hommes parmi les intestats). La complexité des réseaux de parenté dans un groupe caractérisé par une forte endogamie, avec le risque de voir surgir de nulle part un parent sciemment «oublié » que cela pouvait comporter, ainsi que les enjeux et l''importance d''un héritage, dans ce milieu, expliquent probablement le choix de s''appuyer plutôt sur des personnes que l''on pouvait contrôler, voire manipuler, que sur des égaux. Dans quelques cas, les témoignages oraux sont remplacés par des preuves écrites de la parenté, essentiellement des contrats de mariage, notamment quand il s''agit d''étrangers. I..: un des cas les plus complexes et où les documents sont les plus nombreux concerne la dernière héritière vivante d''une famille de citoyens vénitiens, résidant dans la paroisse de S. Martino, et qui se transmet de génération en génération un office de scribe à l''Arsenal35. Le 1 cr avril 1593, Fiorisenda Donato demande l''héritage de ses parents et de son frère et, en tant qu''héritière de ces der-

46 FAMILLES DANS LA CITÉ

ni ers (successorio nomine) elle demande à être également reconnue comme l''héritière des ancêtres du côté paternel, jusqu''à la septième génération ascendante (le grand-père du grand-père du grand-père de son père); des collatéraux à la quatrième et à la sixième génération ascendante; ainsi que de ses oncles et cousins. Pour appuyer sa demande, elle présente des actes notariés de nature différente: contrats de mariage, reconnaissances de dettes, achats de terre, transmission d''offices et même l''acte de propriété d''une esclave de vingt ans, achetée par son arrière-grand-père en 1478. Les documents joints au dossier ont pour fonction d''attester des droits de propriété et pas des liens de parenté. Fiorisenda revendique l''héritage de tous les ascendants masculins de la lignée paternelle, en se présentant comme la seule héritière vivante de son père et de son frère; c''est l''un des cas prévus par les Statuts: en absence de descendants de sexe masculin les femmes entrent dans la succession. Pourtant, elle avait eu trois frères, qui, en 154 l, avaient consenti à lui laisser en dot un office qui rapportait 60 ducats par an. Le 8 mai 1593, les magistrats rendent un jugement favorable à Fiorisenda Donato 36 .

Les Statuts définissent les droits des parents et aussi la procédure à suivre. Ils ne donnent pas une importante précision que j''ai retrouvée dans les traités du XVIIIe siècle sur la «pratique » des tribunaux civils. La précision, qui dérive de la «pratique » et pas d''une loi écrite, concerne les fils, qui n''ont pas besoin de présenter une demande aux Juges pour obtenir l''héritage d''un père mort intestat37. On revient à la priorité absolue du lien père-fils dans la transmission des patrimoines, tellement fondatrice que la succession se règle tacitement, en famille. Il n''est même pas besoin de la «publica fama » , contrairement à ce qui était affirmé par le premier livre des Statuts: la transmission du père au fils n''a pas besoin de la loi, ni de l''arbitre des Juges, elle se fait directement, sans intermédiaires. La loi du père et la loi de l''État ne sont qu''une seule et même chose. Les données et les chiffres que nous allons donc présenter concernant les liens de parenté entre les héritiers potentiels et les intestats doivent alors tenir compte d''une absence fondamentale, celle du fils qui hérite de son père.

4 - Généalogies

Les Statuts organisent la succession à partir du point de vue de la personne décédée sans testament; les registres des Juges reflè-

LA SUCCESSION ET LA LOI 47

tent, en revanche, le point de vue des parents et héritiers potentiels. Ceux qui décident de se présenter devant les Juges doivent avoir connaissance des normes, ainsi que des procédures. Des demandes incomplètes ou manifestement infondées ont pu être arrêtées avant d''être enregistrées, d''autres ont pu arriver jusqu''aux Juges alors que, apparemment, cela n''était pas nécessaire. C''est le cas d''un fils unique qui demande l''héritage de son père, mais cela peut probablement s''expliquer car il s''agit de «sujets étrangers » . Les demandes enregistrées peuvent donc être considérées comme une sorte d''indicateur de la connaissance que les Vénitiens du XVIe siècle avaient d''une loi très ancienne concernant une matière assez complexe. Une connaissance qui peut être très poussée, à en juger par le cas, mentionné plus haut, de Fiorisenda Donato. Les liens de parenté les plus proches sont aussi les plus représentés: seulement 39 filles et cinq fils arrivent jusqu''aux Juges pour demander à hériter de 32 pères morts intestats, mais ils sont beaucoup plus nombreux à demander l''héritage de leurs mères: 103 filles et 80 fils, pour 95 mères. Le chiffre des fils héritiers des pères n''est représentatif que des familles où il y avait aussi des filles célibataires, alors que le chiffre des 39 filles demandant l''héritage de leur père représente, pour l''essentiel, des familles où il n''y avait que des filles vivantes. Il est dommage que l''on ne puisse en aucune manière établir des comparaisons entre les demandes concernant les pères et celles concernant les mères, car, à première vue, on pourrait arriver à la conclusion, séduisante, mais complètement infondée, que les mères testent moins que les pères. Les données concernant les mères sont les seules à pouvoir nous donner quelques renseignements sur la composition réelle des familles, puisque tous les enfants héritaient à égalité de leur mère. Évidemment, ce sont les familles où les mères sont mortes avant de pouvoir choisir leurs héritiers. Une première opération donne 1,92 enfants par mère, dont 0,85 garçons et 1,08 filles. Si on descend plus dans le détail, on peut construire le tableau suivant:

Composition de la fratrie des enfants vivants de femmes décédées intestat

groupe voyage quebec angleterre

Le chiffre que l''on obtient en multipliant le nombre d''enfants par famille par le nombre de cas n''est pas celui des personnes qui se sont effectivement présentées aux Juges, pour la simple raison que, dans beaucoup de cas, ces personnes demandent un pourcen

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tage de l''héritage de leur mère, ce qui permet de déduire le nombre d''enfants qui composent la fratrie. En fait, les enfants ont pu se présenter en ordre dispersé, car certains vivent ailleurs, par exemple, ou n''ont pas gardé de relations avec leurs frères et soeurs. Le chiffre que l''on obtient ainsi est évidemment plus important: 212 enfants, sans compter la dernière cellule du tableau, qui correspond au cas d''un fils s''étant présenté au nom de ses frères et soeurs, sans en préciser le nombre. On arrive ainsi à une moyenne de 2,25 enfants par femme, tout groupe social confondu. Après la relation mère -fille et mère -fils, le lien le plus représenté est celui entre frères: 62 frères, mais seulement 17 soeurs, demandent à hériter de 57 frères. Le frère hérite du frère quand celui-ci n''est pas lui-même un père. La relation entre frères tout en étant subordonnée au lien père -fils, est de fait la relation privilégiée entre hommes. Ce n''est pas l''impression qui se dégage de la lecture des Statuts, car les frères rentrent dans la succession des intestats seulement après les enfants, fils et filles, et à égalité avec les ascendants masculins, père, grand-père, arrière grand-père, oncle etc. En réalité, pour des raisons qui sont tout simplement démographiques, les frères demandent bien plus fréquemment à hériter de leurs frères que les oncles de leurs neveux (4 cas) ou les pères de leurs fils (3 cas). Juste après le lien entre frères, vient celui avec les frères des pères: 24 neveux (mais seulement 14 nièces) demandent à hériter de 20 oncles paternels. Nous pouvons tirer seulement des renseignements partiels sur la composition des fratries à partir de ces données, puisque l''héritage des frères doit être partagé avec les autres ascendants masculins.

Composition «mimimale" de la fratrie dans les demandes d''héritage entre frères

groupe voyage quebec angleterre

Les personnes qui demandent à hériter de leurs soeurs sont beaucoup moins nombreuses et la relation privilégiée est celle entre soeurs: 13 hommes et 21 femmes demandent à hériter de 23 soeurs. En droit vénitien, les soeurs héritent de leurs soeurs à égalité avec les frères, mais elles n''héritent de leurs frères qu''à égalité avec les neveux des frères. De manière générale, le droit des femmes à succéder ab intestato vient toujours derrière le droit des hommes: quand un homme et une femme sont au même degré de parenté avec un intestat, la femme hérite des meubles et l''homme des meu

groupe voyage quebec angleterre

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bles et des immeubles, et quand une femme précède un homme dans le degré de parenté ils héritent à égalité 38 .

Quand elles se trouvent dans la condition de pouvoir revendiquer un héritage, les femmes le font en personne et en leur propre nom, sans besoin d''intermédiaires ou de «tuteurs » . Un héritier potentiel peut revendiquer en même temps l''héritage de plusieurs personnes, comme nous l''avons vu, mais il est décidément plus fréquent que des femmes et des hommes se présentent en groupe de fils et filles, de frères et soeurs ou alors, ce qui est plus rare, ce sont des collatéraux ou plusieurs générations qui se présentent ensemble devant les juges. Le tableau qui suit le montre:

Groupes de parents qui demandent conjointement des assignations d''héritage Que des groupes de parents se réunissent pour réclamer un héritage ou que des individus s''organisent pour obtenir plusieurs héritages simultanément est la démonstration d''une certaine conscience de la parenté et d''une connaissance des normes juridiques qui traversent les groupes sociaux. On remarquera, par ailleurs, qu''il n''est jamais fait allusion à des procureurs, avocats ou notaires qui puissent agir d''intermédiaires 39 .

Il n''en reste pas moins vrai, comme on l''a dit plus haut, que les liens de parenté les plus représentés s''arrêtent à la génération de ses parents ou à la sienne. Le tableau suivant montre quels sont les autres liens de parenté les plus représentés.

Les héritiers potentiels de la lignée paternelle

groupe voyage quebec angleterre

50 FAMILLES DANS LA CITÉ

Les héritières potentielles de la lignée paternelle

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Mis à part le cas de Fiorisenda Donato que je n''ai pas indu dans le tableau, dans l''ensemble, la généalogie ne remonte pas très loin, pour d''évidentes raisons démographiques. La généalogie ascendante de la lignée maternelle est encore moins étendue.

Les héritiers et les héritières potentiels de la lignée maternelle

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Si on fait abstraction de la transmission directe de la mère à ses enfants et de celle entre soeurs, la transmission par voie féminine, et donc dans la lignée maternelle, est très limitée. Les femmes héritent des femmes meubles et immeubles, on l''a dit, mais, au-delà de la mère, dont héritent tous les enfants, y compris les filles dotées et mariées, les règles de succession privilégient les hommes. Les ascendants dans la lignée maternelle dont on peut espérer un héritage ne vont pas au-delà de la deuxième génération, pour les hommes comme pour les femmes. C''est en se mariant qu''une femme reçoit sa part de l''héritage paternel, sous forme de dot, et elle perd par la même occasion la possibilité de recevoir tout autre héritage de la part de son père. Le lien exclusif entre père et fils qui fonde la transmission ab intestato s''appuie donc sur le système dotal, qui en est le corollaire et qui le rend possible. On y reviendra, mais remarquons dès maintenant que si la transmission se fait à la mort du père, pour les hommes, pour les femmes, elle se fait pendant la vie du père, au moment du mariage. À cette occasion, une héritière (la

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fille dotée) transfère à un non-héritier (son mari, qui ne recevra son héritage qu''après la mort de son père) le droit d''utilisation (mais pas la propriété) de son héritage (la dot). Le mari reçoit donc des mains de sa femme l''héritage d''un père qui n''est pas le sien et que seulement à sa mort (du mari) pourra être récupéré par la fille de ce dernier (sa femme). La comparaison avec le fonds des sentences (Successioni) confirme ce tableau. Les sentences font état des contestations d''autres membres de la famille et une partie, au moins, n''a pas dû être favorable. Ces registres des Juges du Proprio permettent de vérifier l''application de la loi et donc de vérifier concrètement les effets des normes sur la succession ab intestat. I.: héritage des mères, égalitaire et indifférencié, profite à tous leurs enfants: dans la période considérée (1592-95), 120 filles et 141 fils héritent de 149 mères. Le rapport garçons-filles est toutefois inversé, par rapport à la précédente série. En fait, si les enfants ayant demandé l''héritage de leurs mères étaient à 56,3 % des filles et à 43,7 % des garçons, ceux qui en ont reçu un sont à 46 % des filles et à 54 % des garçons 40 . Il est difficile de dire si ces oscillations sont dues au hasard ou si les sentences des Juges ont été plus défavorables aux femmes qu''aux hommes. Dans l''ensemble, les intestats sont 246 femmes et 194 hommes, alors que les femmes qui héritent sont 331 et les hommes 443. Si on regroupe les données des héritages venant des deux lignes, paternelle et maternelle, en les séparant selon le sexe des héritiers, on a les résultats suivants: Des femmes ont reçu: -147 héritages venant de femmes de la lignée maternelle, mères comprises -12 héritages venant d''hommes de la lignée maternelle -11 héritages venant de femmes de la lignée paternelle -78 héritages venant d''hommes de la lignée paternelle, pères compris Les femmes héritent surtout de leurs mères (120 des 14 7 héritages); elles héritent peu des hommes du côté maternel, car la succession s''est interrompue au niveau de leur mère; elles héritent de leurs tantes maternelles car c''est la génération la plus proche, évidemment, mais aussi car la succession entre soeurs est directe.

52 FAMILLES DANS LA CITÉ

Les femmes héritent de leurs pères, le cas échéant, mais peu des autres hommes du côté paternel. Des hommes ont reçu: -158 héritages venant de femmes de la lignée maternelle, mères comprises -19 héritages venant d''hommes de la lignée maternelle -30 héritages venant de femmes de la lignée paternelle -48 héritages venant d''hommes de la lignée paternelle, y compris les pères. Les hommes, comme les femmes, héritent de leurs mères, mais, dans la mesure où les mères n''héritent pas de leurs ascendants masculins, les hommes héritent peu des hommes du côté maternel; ils héritent davantage des femmes du côté paternel, car leurs pères en héritent. La succession des pères est complètement sous-représentée, en raison de la pratique de ne pas exiger des fils qu''ils prouvent leur ascendance paternelle. La succession des femmes est généralisée, dispersée, celle des hommes est concentrée et sexuellement déterminée. Il faut maintenant se demander «Cui prodest? » Pour qui, et pour quoi fait-on testament? Et pourquoi décide-t-on de ne pas le faire? Selon des recherches sur l''Angleterre à l''époque moderne, la pratique testamentaire est plus répandue dans les régions où la coutume de l''héritage ab intestato se traduit en un partage égalitaire parmi tous les enfants. Le testament servirait alors à privilégier un enfant, en général le fils aîné, au détriment des autres 41 . Dans le cas vénitien, si une mère ne fait pas testament, ses biens sont partagés à égalité entre ses enfants: est-ce que le testament maternel déroge à cette norme? Si un père ne fait pas testament, ses biens seront partagés de manière différente selon le sexe de ses enfants et les filles non dotées seront en droit non seulement d''exiger une dot, mais de rentrer dans la succession des immeubles si cette dot ne leur convient pas. Est-ce que le testament vise à régler le partage des meubles et des immeubles d''une autre manière ou permet d''éviter que les filles ne se mêlent des affaires de la famille (ou de la boutique) pour faire valoir leurs droits? Un frère qui meurt intestat sans avoir d''enfants fera de ses frères, mais aussi de son père, grand-père et des autres ascendants masculins, des héritiers.

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En quoi le testament d''un homme célibataire sans enfants contrevient-il à cette norme? L''importance de la relation entre frères est typique du monde marchand vénitien, organisé en frateme, groupe de frères qui commercent ensemble. Les Statuts règlent aussi dans le détail les frateme compagnie, sociétés de fait, qui peuvent aussi inclure les oncles et les cousins, et qui ne peuvent se défaire qu''en demandant une autre sentence des Juges du Proprio (fonds

Divisioni). Et encore, une femme qui n''a pas de famille propre, ni mari, ni enfants, laissera-t-elle ses biens à des membres de sa famille d''origine, frères et soeurs, neveux et nièces? À la regarder d''en bas, du point de vue des héritiers potentiels, la généalogie ne remontait que rarement très loin en arrière et elle était nettement différenciée entre hommes et femmes. À la regarder d''en haut, du point de vue de la personne qui laisse un héritage sans testament, la généalogie est encore nettement différenciée entre hommes et femmes et, surtout pour une femme, elle ne va pas très loin. Le souci de mettre bon ordre en la matière et surtout l''illusion de choisir, de décider même au-delà de sa propre existence informent tout testament. Ce sera l''objet de la deuxième partie de ce travail, mais auparavant il faut nous interroger sur d''autres modalités de transmission des biens par voie féminine, en examinant le problème de la restitution de la dot à la veuve et de l''attribution de la tutelle à des enfants mineurs.

Chapitre III. La restitution de la dot à la veuve ou à sa famille

1 - la logique de la dot.

Les règles de dévolution des héritages ab intestat, que nous venons d''énoncer, définissent la société vénitienne comme «lignagère » , c''est-à-dire comme une société dans laquelle «les biens garantissant l''aisance et la stabilité sociale sont transmis de manière privilégiée, sinon exclusive, par les hommes » 1. Mais, «à la différence des sociétés lignagères africaines, les sociétés européennes, même lignagères, n''excluent jamais tout à fait les femmes des mécanismes dévolutifs » 2•

On rentre ainsi dans le débat sur la diverging devolution, c''està-dire, selon la formule de l''anthropologue Jack Goody, la bilatéralité de la succession qui assure aux garçons comme aux filles une part de l''héritage des parents, un modèle sur lequel l''anthropologue anglais est récemment revenu, pour en réaffirmer la validité 3.

En réalité, le fait que dans les systèmes lignagers européens les femmes soient dotées ne veut pas dire qu''elles reçoivent des biens de la même qualité et quantité que les hommes, au contraire. Selon la typologie décrite pour la Grèce ancienne, le sexe détermine une exclusion absolue de la maison, qui revient toujours à des mâles issus de mariage légitime, alors que les filles sont dotées et vont «jouer les mères dans d''autres maisons de la cité » 4 .

En revanche, comme à Venise, les relations patrimoniales entre les frères, par rapport aux biens du père, sont totalement égalitaires: «masculinité, légitimité et égalité fraternelle sont des principes absolus » 5. Notons que cette égalité entre frères légitimes est le fon-

56 FAMILLES DANS LA CITÉ

dement de la structure républicaine de la cité grecque, comme elle l''est de la république aristocratique de Venise. Les prestations matrimoniales jouent des rôles très différents en Europe et en Afrique, mais, dans les deux cas, l''essentiel des richesses va aux hommes bien qu''une partie soit distraite au profit des alliés 6. Les alliés, c''est-à-dire les époux des filles, reçoivent ces richesses, mais n''en ont pas la propriété. Toutefois, en Europe, les systèmes lignagers sont plus ou moins «atténués » , c''est-à-dire «susceptibles de donner prise à des stratégies venant des maternels et aboutissant, finalement, à infléchir ces systèmes dans le sens d''une bilatéralité plus ou moins prononcée » 7 .

La bilatéralité n''est donc pas constitutive du système, mais bien une correction, toujours partielle, apportée à une structure qui reste lignagère et qui donc privilégie la ligne masculine. À partir des règles de succession ab intestato énoncées dans les Statuts, j''ai défini ailleurs le système vénitien comme «imparfaitement » bilatéral, car donnant aux femmes des droits successoraux importants, mais toujours inférieurs à ceux des hommes. Par exemple, le fait qu''une fille déjà dotée puisse rentrer dans la succession du père au cas où la dot ne provient pas des biens paternels, ou, encore, le fait que la fille qui juge sa dot insuffisante puisse en exiger un complément, sont des corrections importantes au système de l''exclusio propter dotem 8.

La fidélité du droit vénitien au droit romain explique pourquoi le système de la restitution de la dot est préféré aux différentes sortes de compensations maritales visant à protéger la veuve qui furent introduites dans le reste d''Europe et dans une bonne partie de l''Italie par les droits germaniques 9 . Par exemple, en droit normand, le douaire, destiné à assurer la survie de la veuve, correspond à l''usufruit d''un tiers «des choses immeubles dont le mari est saisi lors de leurs épousailles et de ce qui lui est depuis échu » 10.

L''ancienne coutume de Normandie semble chercher à concilier des impératifs passablement contradictoires. D''une part, elle met en place des dispositifs variés pour empêcher que les biens d''une

LA RESTITUTION DE LA DOT À LA VEUVE OU À SA FAMILLE 57

ligne ne passent aux représentants d''une autre ligne; pour y parvenir, elle exclut les filles de l''héritage des biens immeubles et interdit les donations entre époux. D''autre part, elle cherche à éviter que l''épouse ne soit pieds et poings liée à son mari en lui garantissant, contre vents et marées, une position stable: la dot et le douaire y pourvoient 11 . La raison profonde de ces ajustements et adaptations de la norme, tout à fait semblables à ceux que nous retrouvons à Venise, est d''éviter la dispersion des patrimoines. La garantie de la restitution de la dot, ainsi que les normes somptuaires dont il a été question dans le premier chapitre, qui limitent la partie de la dot qui n''est pas rendue, sont la réponse vénitienne à ce problème.

2 - La dot : héritage du père ou héritage du mari ?

Dans les sociétés marquées par le droit romain, au moment du mariage l''épouse reçoit une dot qui représente sa part de l''héritage paternel, alors que l''époux reçoit l''héritage du père à la mort de ce dernier. Des donations inter vivos, des participations aux revenus: il peut y avoir évidemment plusieurs formules pour échapper à cette attente et recevoir son héritage, ou une partie de celui-ci, du vivant du père 12. En revanche, il est certain que l''héritage que la fille peut espérer recevoir de son père lui parvient sous forme de dot, promise au moment du mariage et, normalement, payée dans les années qui le suivent. Il y a donc, en principe, un décalage temporel dans l''accès des deux époux aux héritages paternels 13. Dans le cas vénitien, l''héritage maternel est partagé à égalité parmi les enfants, garçons ou filles, mais, dans ce cas encore, seule la fille, et pas le fils, peut disposer au moment du mariage ou de son entrée au couvent des biens hérités venant de la mère ou de la famille maternelle. Là, aussi, il y a un décalage temporel entre mari et femme. Est-ce une autre manière de signifier que la fille mariée est «morte pour le lignage » ? Peut-être. Toutefois, dans la bourgeoisie vénitienne du XVIe siècle, dans environ la moitié des mariages, le père de l''époux est déjà mort au moment des noces et dans environ un tiers des cas le père del'' épouse

58 FAMILLES DANS LA CITÉ

l''est aussi 14 . Donc, en réalité, à Venise aussi, comme dans beaucoup d''autres régions d''Europe à la même époque 15, le mariage ne se réalise que quand les questions d''héritage sont déjà réglées aussi bien pour les hommes que pour les femmes. On peut y voir simplement des banales raisons démographiques et d''espérance de vie à cela, mais on peut aussi rappeler que, selon le modèle dit «de Hajnal » , le mariage retardé, pour attendre l''héritage des parents, est l''une des caractéristiques du système familial d''Europe occidentale 16.

Il y a toutefois deux variables à introduire, qui nous interdisent de nous contenter de cette réponse. Tout d''abord, le modèle de Hajnal se réfère à des sociétés rurales où, pour s''installer, les jeunes générations sont obligées d''attendre d''avoir des terres à exploiter, ce qui n''est pas le cas à Venise; d''autre part, les données que nous venons de citer concernent un groupe spécifique et pourvu de moyens économiques 17 .

La dot, propriété de la femme, est payée au mari qui en a la gestion et l''usufruit pendant toute la durée du mariage. La femme est toutefois considérée comme la première créancière hypothécaire du mari, dès son établissement dans sa maison. En l''acceptant, le mari s''engage en fait à rendre la dot au moment de sa mort. À l''inverse, pendant toute la durée du mariage, la femme ne peut pas y toucher, mais elle peut la léguer. Le premier paradoxe du système est qu''il s''agit d''un bien dont la proprietas passe du père à la fille, sans que cette dernière en ait jamais la possessio, qui est transférée au mari. Mais c''est en même temps un bien qui doit revenir en possession de sa propriétaire, car, tout en étant «donné » il reste toujours la propriété du donateur,

LA RESTITUTION DE LA DOT À LA VEUVE OU À SA FAMILLE 59

suivant un modèle qui s''apparente avec celui du «keeping while giving » formulé par Annette Weiner 18. Toutefois, il ne s''agit pas de biens «sacrés » mais de biens «lignagers » . Il faut alors introduire, pour l''héritage féminin aussi, la dimension temps. La récupération de l''héritage paternel n''est pas subordonnée, pour les filles mariées, à la mort du père, mais à celle du mari. On a donc des biens qui changent de possesseurs sans changer de propriétaire et qui ensuite sont en principe rendus, sous une forme qui peut être identique, ou équivalente, mais aussi augmentée (contredot) ou diminuée (perte du tiers). Il est évident que si le fait de survivre à ses parents fait partie de l''ordre du probable, survivre à son mari rentre seulement dans l''ordre du possible. I.: âge des époux joue alors un rôle fondamental. Au xve siècle, dans son traité sur le mariage, Francesco Barbara incite les jeunes patriciens à choisir des épouses à peine pubères, afin de les éduquer et de façonner leur caractère selon leurs bons désirs. En réalité, Stanley Chojnacki montre que, au début du xve

siècle, les garçons se mariaient vers vingt-six, vingt-sept ans et, à la fin du siècle, vers trente-trois, trente-quatre. Pour les filles, faute de données, il faut s''en remettre aux souhaits, voire aux consignes, exprimés dans les testaments des parents. Une grande variété d''âge au mariage est prévue par les testaments patriciens, allant de douze à vingt ans, mais, au début du xve siècle, la plupart s''arrête à quatorze ans, alors que, vers la fin du xve siècle, l''on remarque la tendance à reculer le mariage des filles, vers leurs dix-huit ans 19.

Dans les testaments des marchands du xvre siècle, j''y reviendrai dans la deuxième partie, il est souvent prévu que les garçons restent à la maison, «sous leur mère » jusqu''à vingt-cinq, voire trente ans, et que les filles ne soient pas mariées avant l''âge de dix-sept ou dix-huit ans. À la même époque, les garçons vénitiens sortent de leur période d''apprentissage entre dix-neuf et vingt ans et les filles entre seize et vingt-et-un ans 20 . Le statut d''apprenti étant, par définition, incompatible avec une vie de famille 21 , l''âge à la fin de l''apprentissage est à considérer aussi comme l''âge à partir duquel

60 FAMILLES DANS LA CITÉ

il devient envisageable, pour des jeunes gens, des'' établir à leur propre compte et de fonder une famille. Par rapport aux autres groupes sociaux, il semble donc que les âges au mariage des artisans soient plus élevés pour les filles et moins élevés pour les garçons. En conclusion, puisqu''il semble bien que l''écart d''âge entre mari et femme soit strictement lié au groupe social, on peut dire que plus la dot est importante, plus cet écart est élevé et plus il y a de chances qu''il y ait, tôt ou tard, une veuve à rembourser. : Cimportance accordée à la conservation de la dot implique sa restitution à la mort du mari. On retrouve ce droit même dans les régions d''Europe où le mariage se fonde sur la communauté des biens entre époux. C''est le cas des Pays-Bas où, à la mort du mari, la veuve récupère son apport dotal et, s''il n''y a pas d''enfants, elle a en plus le droit de récupérer la moitié du patrimoine commun 22 . À Venise, la procédure de la restitution de la dot à la veuve est réglementée de manière détaillée. Les Statuts spécifient que, pour la restitution, il faut choisir les «propriétés attenantes et les plus utiles » , et qu''il faut commencer par les biens de foris. En fait, si la dot, en tant que «part patrimoniale des enfants mis en circulation » 23 est presque inévitablement composée de biens meubles, elle est souvent rendue en biens immeubles, du moins à Venise. Il s''agit des biens, appartenant à la famille du mari, sur lesquels elle avait été «assurée » . Si l''on assume que la dot implique la circulation des biens, on peut trouver normal que l''on fasse circuler les «meubles » (mobiles). En réalité, la définition de ce qui était «meuble » ou «immeuble » est objet de débat parmi les juristes à l''époque moderne et, au XVIIIe siècle, il est sûr que les biens immobiliers, quand ils sont en dehors de Venise, sont considérés des biens meubles 24 .

Cette évolution, à vrai dire assez paradoxale, qui fait des terres ou des maisons en «Terre ferme » des biens meubles et des maisons bâties sur les eaux de la lagune des biens immeubles, se réalise dans le contexte des débats sur la restitution de la dot à la veuve. On peut supposer qu''il s''agit de répondre à des conflits d''interprétation qui trouveraient leur origine dans les Statuts qui, tout en déclarant que les immeubles étaient destinés aux fils et les meubles aux filles, prévoyaient de rendre aux veuves, en remboursement de leurs dots, des propriétés «utiles et attenantes » en commençant

LA RESTITUTION DE LA DOT À LA VEUVE OU À SA FAMILLE 61

par les biens «de foris » . Ce n''est pas la femme en tant que telle qui est exclue des biens immobiliers venant du père, mais la femme à un moment précis de sa vie. Les droits successoraux des femmes, mais des hommes aussi, dépendent à la fois de leur place dans la généalogie et de leur cycle biologique. Selon une glose du XIVe siècle aux Statuts, les biens «de foris » sont ceux «in quibus vir vel socer non habitat » . Si on s''en tient à une traduction littérale de la phrase, la veuve n''a pas le droit de chasser son beau-père et, dans les cas où la femme prédécède à son mari, sa famille n''a pas le droit de chasser le veuf de la maison «dans laquelle il habite » . Est-ce bien de cela dont il est question? Cela semble peu probable, mais je note quand-même que c''est la traduction littérale de l''expression: «des biens dans lesquels le mari ou le beau-père n''habitent pas » . En revanche, il est certain que l''on peut désigner, par cette expression, les immeubles qui ne rentrent pas directement dans la ligne de succession masculine, au contraire, en particulier, de la casa da stazio familiale dans Venise. On peut voir, dans cette hiérarchie des biens, qui n''est d''ailleurs pas propre à Venise, un exemple de ces biens qui sont, en principe, exclus des circuits d''échange et de réciprocité et que l''auteur de

l''Essai sur le don avait volontairement écarté de son analyse, en précisant que «nous parlons surtout des meubles » , car la «propriété foncière (... ), intransmissible, liée à la famille, au clan, à la tribu, beaucoup plus qu''à l''individu, ne peut pas sortir de la famille pour être cédée à un étranger » 25 . En droit normand, l''ambiguïté de la définition des biens meubles et immeubles ne réside pas dans leur emplacement, mais dans le fait qu''il s''agit, ou pas, de biens appartenant au lignage du mari: si elle est considérée comme un bien lignager, même une somme d''argent devient «immeuble » 26 .

Les biens lignagers revêtent donc un caractère quasi-sacré. Comme on l''a vu dans le chapitre précédent, dans la transmission

ab intestato des biens immeubles du père les Statuts privilégient les fils mais, dans le cas présent, il ne s''agit plus de transmission intra-familiale, mais de transmission des biens de la belle-famille à la veuve du fils. Puisque la dot, payée préférablement en argent et meubles, est assurée sur des biens immeubles, la réciprocité du système fait qu''un paiement en meubles soit rendu en immeubles.

62 FAMILLES DANS LA CITÉ

La question est de savoir de quels «immeubles » il s''agit. JeanFrançois Chauvard a donné, pour les restitutions de dots dans le patriciat, au XVIJc et au XVIIIe siècle, une lecture qui s''oppose à celle que nous propose la glose aux Statuts, dont on vient de parler. Il arrive à la conclusion que les biens «dont l''ancrage est faible au sein du patrimoine-biens des femmes, biens achetés ou périphériques » , sont utilisés pour payer les dots, alors que «ce sont les biens lignagers qui sont le plus souvent convoqués pour rembourser la veuve, parce qu''ils ne sont pas irrémédiablement perdus pour la famille du mari. Dès lors que le couple a engendré une descendance, les biens cédés à la mère ont toute chance de réintégrer, après sa mort, le lignage du mari » 27 . L''héritage du père (la dot) devient alors l''héritage du mari (les biens lignagers utilisés pour sa restitution). Toutefois, une veuve qui demande sa dot doit quitter la maison du mari et a probablement l''intention de se remarier: comment la famille du défunt mari peut-elle être certaine que les biens lui reviendront? Stanley Chojnacki, en se fondant sur l''étude de 454 sentences de restitution de dots du XIVe et du xve siècle, concernant des veuves patriciennes, constate que «in nearly 3/ 5 ot the daims involving dead wives, the husbands also were deceased. In an indeterminate but undoubtedly large number of those cases, the widow had chosen not to daim her dowry but instead to live in her late husband''s house » 28 . Il est peut-être trop optimiste de parler de «choix » car, comme il a été démontré pour d''autres réalités, les veuves de l''élite n''étaient pas libres de leurs choix 29 . Ces veuves patriciennes qui, aux XIVe et xve siècles, ne demandent pas la restitution de leurs dots, ne représentent aucun danger pour le patrimoine lignager, mais, quand une veuve demande la restitution de sa dot, elle n''a plus le droit de vivre dans la maison de son mari. Elle va probablement se remarier, ce qui comporte des risques encore majeurs de dispersion du patrimoine qu''elle récupère de sa belle-famille. Les enfants reçoivent normalement un tiers de la dot de leur mère, qui ne lui est donc pas rendu, toutefois, s''il y a des filles, la question de la dot se pose à nouveau et, puisqu''il y a transmission préférentielle des biens de la mère à la fille, ces biens lignagers éventuellement

LA RESTITUTION DE LA DOT À LA VEUVE OU À SA FAMILLE 63

reçus par la veuve du fils risquent d''être «remis en circulation » pour la dot de la fille.

3 - La restitution de la dot

Une veuve qui demande à la famille de son mari la restitution de sa dot, doit suivre une procédure complexe, expliquée par les Statuts 30 . Dans un délai d''un an et un jour après la mort du mari, les veuves ou leurs représentants peuvent manifester leur intention de lancer la procédure en présentant un Vadimonium, c''est-à-dire le contrat de mariage, ou des témoins qui confirment leurs dires. Une fois cette démarche effectuée, la veuve doit encore prouver

(iurare, disent les Statuts) le montant des biens dont elle demande la restitution, et aussi prouver que ces biens, ou des biens équivalents, sont en possession du mari. Elle dispose de trente ans pour le faire 31 . Ce n''est qu''après avoir reçu cette preuve que les Juges rendent une sentence Dejudicatum. Toutefois, si la veuve déclare ne pas avoir été au courant de la procédure, ou, comme le dit une glose aux Statuts, si la femme est décédée avant et que ce sont ses héritiers qui font la démarche, le délai d''un an et un jour peut aussi être dépassé. Donc, en fait, la procédure pouvait s''étaler sur des décennies et engager les héritiers du mari et de la femme encore longtemps après leur décès 32 .

Une fois qu''elle avait reçu sa sentence, la veuve ne recevait plus rien des biens du mari, mais pouvait encore vivre dans sa maison, jusqu''à restitution complète de la dot 33. On comprend que cette norme pouvait déjà poser quelques problèmes à des femmes n''ayant pas de biens propres et, peut-être, en décourager plus d''une. En

64 FAMILLES DANS LA CITÉ

1343, une correction aux Statuts précise que si, à la mort du mari, ses héritiers payent à la veuve sa dot et sa robe de deuil (vestis vidualis),

sans qu''elle ait eu à en demander la restitution aux Juges, elle doit quitter la maison du mari dans les deux mois. Si elle refuse, les Juges peuvent l''y obliger (imponere poenam et poenas) 34 . Stanley Chojnacki considère cette «correction » comme la preuve que certains maris «facilitated their widows'' recovery of their dowries, enabling them to dispense with the courts » 35 . Certes, mais il ne faudrait pas oublier les trois dernières lignes de la loi, qui parlent de «peines » à prévoir «si mu lier forte de domo viri sui exire noluerit

» 36 . En fait, une femme qui vient de perdre son mari peut aussi être chassée de sa maison sous l'' oeil bienveillant de la République. Les procédures de restitution de dots ont été enregistrées dans les archives des Juges du Proprio: la demande de restitution sous la rubrique Vadimonia, les sentences des Juges sous la rubrique

Dejudicatum. Les actes de restitution sont classés selon la qualité des biens rendus: dans les registres Mobili, De foris, et Minutarum.

Une organisation complexe qui rend compte de la complexité des opérations. Plusieurs autres normes du XVIe et du XVIIe siècle introduisent des contrôles plus stricts sur la veuve et ses prétentions, des peines pour celles qui «occultent » des biens du mari au moment d''en faire l''inventaire 37 , l''ordre à suivre dans la restitution des biens 38 et les droits des créanciers du mari défunt 39 .

I.: examen des actes de cette magistrature 40 permet de conclure qu''au XVIe siècle, dans environ les trois quarts des cas, ce sont les veuves qui demandent restitution de leur dot, dans l''année qui suit le décès du mari. Il est tout à fait exceptionnel que ce délai soit dépassé mais si cela arrive c''est toujours par «ignorance de la loi »

(quia nescivisse legem41 ). Dans 15% des cas, le dossier est présenté par les enfants, parfois représentés par un tuteur s''ils sont mineurs

LA RESTITUTION DE LA DOT À LA VEUVE OU À SA FAMILLE 65

et, dans 10% des cas, il s''agit d''autres parents (frères, soeurs, nièces, neveux ou petits-enfants). En 1592-93, quand les professions des maris sont indiquées, l''on trouve quarante-cinq artisans, quatre marins, quatre marchands et deux docteurs. Les patriciens sont environ 15% du total (25 sur 153) mais il faut penser que dans la société vénitienne ils ne représentent que 2 à 3% environ. Ils sont donc surreprésentés dans cette source et, dans la moitié des cas (13 sur 25), c''est la veuve qui présente son Vadimonium.

Ces sources viennent confirmer l''existence d''un problème spécifique au patriciat relativement à la restitution de la dot, pour les raisons déjà évoquées: plus grande différence d''âge entre mari et femme ainsi que, bien évidemment, l''intérêt de récupérer un patrimoine parfois très important. La différence d''âge a aussi comme conséquence que les veuves soient encore en âge de se remarier, ce qui explique pourquoi elles demandent leur dot à la famille du mari. Malheureusement, ces documents ne nous informent pas sur l''existence d''enfants du couple. Le système de réciprocité dans l''échange matrimonial, dont nous avons identifié les liens avec la construction de la domination patricienne, continue donc de fonctionner, même si, dans une moitié des cas, ce n''est pas la veuve qui en profite personnellement, mais la famille dans son ensemble. Parfois, comme dans le cas des héritiers de Regina Gradenigo, ce sont les petits-enfants qui réclament la dot de leur grand-mère 42 . Dans un autre cas, celui de Contarina Zen, veuve de Marino Bragadin, ce sont les héritiers testamentaires de sa mère, Maria, qui réclament la restitution d''une dot de 2.550 ducats, comprenant des immeubles à Venise, ainsi qu''un legs du cardinal Zen43 .

Les registres des Vadimonia nous montrent donc, dans le patriciat comme dans les autres groupes sociaux, des veuves prenant en main leur destin et celui de leurs enfants, pour fournir la preuve de leur droit à la restitution de la dot. Les pièces justificatives présentées sont, presque toujours, les contrats dotaux stipulés devant notaire ou, dans le cas des patriciens et des citoyens de Venise, enregistrés à l''Avogaria di Comun mais parfois, faute de preuves écrites, des témoins interviennent. Par exemple, en 1553, à propos de la dot de Faustina, veuve de Domenico de Alberi, une voisine déclare: «Je ne connais pas la valeur de sa dot, mais tout le monde disait qu''elle avait une belle dot et de très belles robes: une robe en soie écarlate, avec des manches

66 FAMILLES DANS LA CITÉ

roses en taffetas, et d''autres de toutes sortes » . Une autre affirme:

«Quand elle s''est mariée, j''étais chez ma marraine mais, à mon retour, je me suis installée chez elle pour apprendre à tisser et j''ai vu toutes les choses magnifiques qu''elle avait reçues en dot. Un beau lit, des robes, des draps de lin et d''autres choses qui coûtaient beaucoup d''argent, mais je ne saurais pas dire combien, car je ne m''y connais pas assez » 44 . Comment pouvait-on procéder dans des cas semblables? Les autres témoignages ne sont pas plus précis, mais on apprend que le mari de la soeur de Faustina avait été sommé de lui donner cinquante ducats, correspondant à la moitié de la dot de son épouse, morte en couches, car il avait été présent à la rédaction du testament de sa femme, ce qui était formellement interdit par les lois vénitiennes. Les Juges décident finalement de l''autoriser à demander la restitution de cent-cinquante ducats. Dans le cas de Marieta Da Balao, veuve du pêcheur Antonio Barbuza, deux témoins présentent deux inventaires presque identiques du trousseau, contenant des robes et des fourrures et aussi

«une ceinture en argent, car c''était la mode à l''époque » , sans en donner d''évaluation. Les deux femmes appelées à témoigner vivaient comme apprenties («garzona » ) chez la mère du mari, où elles virent arriver et s''installer la jeune épouse, quarante ans auparavant. Dans ce cas, en plus des témoignages, les Juges peuvent compter sur les registres de la Scuola Grande de la Misericordia qui avait donné trente ducats à Antonio pour la dot de Marietta. La dot est évaluée à quarante ducats 45 . Même dans des milieux populaires, une veuve peut avoir renoncé à demander la restitution de sa dot ou ne pas en avoir eu le temps, et ce sont alors ses héritiers qui s''en chargent. On trouve alors les enfants d''un fileur entamer la procédure pour obtenir la dot de leur grand-mère ou les deux filles d''un cordonnier qui demandent la dot de leur mère, dont elles ont hérité 46 .

Les actes des Juges du Proprio donnent des renseignements sur différents sujets, par exemple, sur la durée des mariages qui, dans plus de la moitié des cas, atteint une vingtaine d''années. Le faible nombre de cas (68) ne permet toutefois pas de tirer des conclusions plus générales 47 .

LA RESTITUTION DE LA DOT À LA VEUVE OU À SA FAMILLE 67

Durée déclarée des mariages en 1592-93

groupe voyage quebec angleterre

Les registres des Vadimonia nous renseignent surtout sur la composition des dots reçues au mariage. En 1592-93, sur un total de 153 actes, dans la quasi-totalité des cas la dot est composée uniquement de meubles, au sens actuel du terme, c''est-à-dire le trousseau, toujours présent et généralement évalué, et de l''argent. Des immeubles apparaissent surtout dans des dots patriciennes: sur les neuf dots comprenant des immeubles en ville, cinq appartiennent à des femmes du patriciat et, sur les dix qui comptent des immeubles en Terre ferme, sept appartiennent à des patriciennes. Parmi ces cas, il y a cinq dots, toutes patriciennes, comprenant à la fois des maisons en ville et des terres en dehors de Venise. Les montants des dots reflètent la même hiérarchie sociale, car les dots les plus riches sont celles que des femmes du patriciat ont apportées à des hommes du même groupe social. On va des 9.000 ducats donnés par Bianca Valier à Sebastian Badoer aux 11.000 ducats que Marietta Lezze a donnés à Gerolamo Bragadeno et jusqu''aux 20.000 payés par Elena Soranzo à Vettor Pesaro. La limite autorisée par les lois somptuaires étant, à l''époque, de 6.000 ducats, on remarquera qu''elle est dépassée par sept des vingt-cinq dots de femmes patriciennes. Dans l''ensemble, les trois quarts des dots (90 sur 135) sont inférieures à mille ducats, chiffre considéré la limite à partir de laquelle les pouvoirs publics devaient en prendre connaissance et les époux faire enregistrer le contrat de mariage à l''Avogaria di Comun.

Aucune des dots reçues par des artisans ou marins ne dépasse la limite des 1.000 ducats et la plupart (31 sur 48) sont inférieures à 500. Au-delà de la limite de 1.000 ducats, les seules identités reconnaissables sont: trois juifs, deux marchands de laine, un notaire et les vingt-cinq patriciens de l''échantillon.

Montant, en ducats, des dots dont on demande la restitution en 1592-93

groupe voyage quebec angleterre

68 FAMILLES DANS LA CITÉ

Une partie des dots n''est pas évaluée, s''agissant, généralement de «tout l''héritage » de l''épouse, une formule autorisée par les lois somptuaires qui n''imposaient aucune limite aux dots des héritières. La richesse de la source nous permet d''autres croisements, notamment avec les registres correspondants des Dejudicatum,

c''est-à-dire des sentences des Juges. Un seul registre contient des sentences rendues entre le 2 septembre 1589 et le 14 mars 160348 .

En réalité, il y a des interruptions dans l''enregistrement de même qu''il y a des sentences qui se réfèrent à des Vadimonia présentés en 1592-93 qui n''apparaissent pas dans le registre correspondant. L''enregistrement est donc lacunaire, pour les Vadimonia comme pour les Dejudicatum.

Tout en tenant compte de ces incertitudes, un premier renseignement qu''il est possible de tirer concerne le délai entre la présentation du Vadimonium et la sentence. Les données contenues dans le tableau suivant concernent 121 dots, c''est-à-dire la quasi-totalité des sentences du registre (126 en tout). Dans les autres cas, la date du Vadimonium n''apparaît pas dans la sentence.

Délai entre Vadimonium et Dejudicatum

Presque trois quarts des sentences qui sont rendues, le sont dans les six mois qui suivent le Vadimonium, pour le reste le délai reste le plus souvent compris entre un an et deux ans, mais, dans certains cas, l''on peut même arriver à vingt ou trente ans. Dans ces cas, ce sont évidemment les héritiers qui en profitent. Ainsi, la sentence rendue le 10 février 1590 au sujet de la dot de la veuve d''un boulanger, concerne une demande présentée quarante ans auparavant. C''est le fils du couple, qui est aussi l''héritier de sa soeur, qui finalement se voit octroyer un Dejudicatum, pour 625,18 ducats 49 .

En fait, entre la demande présentée par la veuve et la sentence rendue par les Juges, l''intéressée, ou ses héritiers, doivent donner la preuve du montant de la dot, qui n''est pas nécessairement comprise dans le Vadimonium. Cela explique au moins en partie non seulement ces très longs délais mais certainement aussi le fait que

LA RESTITUTION DE LA DOT À LA VEUVE OU À SA FAMILLE 69

les sentences soient bien moins nombreuses que les demandes. Il est impossible de dire combien de Vadimonia restaient impayés, mais il est évident qu''on a là la preuve que le système était plus performant dans la théorie que dans la pratique. La comparaison entre la dot déclarée dont on demande la restitution et la somme, ou les biens, que les Juges assignent à la veuve est aussi instructive. Il y a toujours une différence, toujours la même: la valeur de la dot déclarée, et prouvée par le contrat de mariage, est toujours supérieure à celle de la dot rendue par la sentence

Dejudicatum 50. Parfois, l''utilisation de la formule «pro resta dotis » permet de penser qu''une partie avait déjà été payée, dans d''autres cas, on peut penser que la dot promise n''a pas été entièrement payée, ce qui arrivait, on le sait par d''autres sources, assez souvent. On peut en donner quelques exemples. Le 6 juillet 1579, Camilla de Gherardo Cavaneis épouse Giovanni Fiume, fils du notaire Baldissera. Le père promet une dot de 2.000 ducats, comprenant un immeuble à Venise de la valeur de 700 ducats et le mari promet de la rendre, le cas échéant,

«selon les lois de Venise » . À la fin de l''acte le notaire a enregistré les paiements: 750 ducats en argent comptant le jour même et 400 en objets le 30 novembre. Le contrat est enregistré à l''Avogaria di Comun le 14 juillet 1592, par le frère et exécuteur testamentaire de Camilla. Les deux époux sont déjà morts, mais pour pouvoir présenter demande de Vadimonium il faut que le contrat soit auparavant enregistré auprès de l''Avogaria, conformément à la loi qui obligeait les citoyens vénitiens à enregistrer les contrats de mariage si la valeur de la dot était supérieure à 1.000 ducats 51 . Le Vadimonium

est enregistré auprès de la magistrature du Proprio deux jours plus tard, le 16 juillet. La sentence arrive le 5 septembre: Giulio, frère de Camilla, a droit à 633,8 ducats sur les biens meubles et immeubles de Giovanni et Baldissera Fiume 52 . Cette somme, qui ne correspond pas aux deux tiers de la dot promise, se rapproche plus des deux tiers de la somme payée selon l''acte enregistré(= 778,6 ducats), mais n''y correspond pas non plus.

70 FAMILLES DANS LA CITÉ

Le 28 juillet 1567, Agnesina Vallaresso, une veuve patricienne, épouse Angelo Gritti, lui aussi un membre du patriciat 53 . La dot que cette veuve promet à son époux se monte à 3.150 ducats, dont 1.150 sont payés le jour même en argent comptant et 1.050 le 14 août en objets et bijoux. Le 4 juillet 1592, Agnesina présente son

Vadimanium et la sentence arrive le 5 septembre: elle a droit à 2.354,18 ducats «pro resta eius datis » 34 .

Le 10 mai 1570, est enregistré auprès d''un notaire, le contrat, stipulé quelque jours auparavant, entre deux marchands, Valerio Misani, qui promet sa fille Cornelia et Jacomo di Raini, qui l''accepte comme légitime épouse 55. La dot est de 3.000 ducats, et, dans l''éventualité d''une restitution, elle est «assurée » sur un immeuble à Venise. C''est ce même immeuble que les Juges assignent à la veuve, par la sentence du 12 septembre 1592, en lui attribuant une valeur de 2.586 ducats 56 .

Le2janvier 1593, unefemmegrecqueoriginairedeCorone, une colonie vénitienne, Marina Chieriaculi, présente son Vadimanium,

contenant des attestations de paiement de sa dot au mari, un Vénitien originaire de Chioggia. Il n''y a pas de contrat de mariage dans ce dossier, mais des déclarations rendues devant notaire et à la présence de deux témoins, un marin et un fabricant de chapelets en perle de verre 37 . La dot et la contredot se montent à 600 ducats, les Juges lui en attribuent 488, «pro resta eius datis » 58 .

Rendues peu de temps après la présentation du Vadimonium,

ces sentences ne sont que quelques exemples, parmi d''autres, du fonctionnement de la procédure. Le lien entre la dot promise, la dot effectivement payée, et la dot attribuée par la sentence des Juges, n''est pas évident. La règle du «tiers » , jamais énoncée, est peut-être implicite, mais la formule «pro resta » , souvent utilisée dans la sentence, montre que le remboursement de la dot était un processus long, qui se faisait par étapes et dans lequel, probablement, les magistratures n''intervenaient pas toujours ni à toutes les étapes. Ces quelques actes de la Magistrature nous montrent aussi des modalités différentes et variées de prouver l''existence d''un mariage et d''une dette entre les familles.

LA RESTITUTION DE LA DOT À LA VEUVE OU À SA FAMILLE 71

Meubles par définition, les dots, on l''a dit, peuvent être «assurées » sur des immeubles et les Statuts, en contemplant cette éventualité, en définissent la nature et la qualité. I.: analyse des registres

Mobili, De foris et Minutarum pour les mêmes années permet de vérifier la théorie dans la pratique. Il s''agit de l''étape ultérieure de la procédure: une fois que la sentence avait été émise, il fallait détailler les biens à transférer à la veuve ou à ses héritiers. Les registres contiennent la description et l''évaluation des biens à rendre, selon leur qualité. Dans les registres Minutarum, se trouvent essentiellement des immeubles urbains, mais aussi quelques terres ou maisons à la campagne, dont la majorité se trouve dans les registres De foris. Les inventaires, très intéressants, contenus dans la série Mobili, ne sont pas des inventaires dotaux, mais des inventaires des biens appartenant au mari et qui doivent servir à rembourser sa veuve de sa dot. Les enfants d''un apothicaire, par exemple, obtiennent, en paiement de la dot de leur mère, une grande quantité d''outils de pharmacie et de substances médicamenteuses59

; la veuve d''un mercier présente aux Juges l''inventaire de la boutique de son mari, dont le contenu, de la valeur de 633 ducats, lui est attribué en paiement partiel de sa dot 60 . Marietta Raines, veuve d''Andrea Rizzo, un secrétaire ducal, présente un long inventaire, dans lequel apparaissent plusieurs tableaux, dont «un tableau de la Vierge, de la main de Zan Bellin » , le tout évalué 525 ducats 61 .

Dans l''année 1592, environ 55.000 ducats en immeubles dans Venise, 22.000 ducats en objets et 95.000 ducats en immeubles en dehors de Venise sont transférés à des veuves ou, dans une minorité de cas, à leurs héritiers 62 . La même année, les dots dont on avait demandé la restitution s''élevaient à 222.300 ducats, dont 4.915 en immeubles dans Venise et 9.680 en immeubles en dehors de la ville. La proportion des meubles et des immeubles entre les dots déclarées et les dots rendues est donc de un à dix environ. Les raisons de cette disparité sont à chercher, on l''a dit, dans l''obligation d''assurer la dot reçue et il est évident qu''un bien immobilier constitue l''assurance la plus sure et la plus durable. En 1592, sur quarante-six actes de restitution d''immeubles dans Venise, dixneuf concernent des mariages patriciens. Si, pour les familles les

72 FAMILLES DANS LA CITÉ

plus riches, on peut reconstruire des stratégies patrimoniales dans le choix des immeubles transmis aux veuves, dans la plupart des autres cas le bien immobilier est très probablement rien d''autre que ce que les Juges ont trouvé de plus sûr et plus apte à assurer la survie de la veuve. Le premier document de notre série, daté du 11 janvier 1592, concerne la veuve d''un charpentier de !'' Arsenal, qui reçoit en paiement de sa dot la «casa da stazio » à deux étages, avec escalier en bois, salle («portico » ) et chambres à l''étage, cave et grenier,

«in qua habitat » . Ici il s''agit de se garantir un toit et une rente, car le rez-de-chaussée est loué pour 5 ducats par an. L''ensemble, évalué 565 ducats, lui est donné «pro resta eius dotis » 63 .

Il faut néanmoins insister sur ce décalage temporel dans la possibilité des femmes d''accéder à l''héritage, ainsi que sur ce jeu de rôles qui fait que l''héritage du père devient en fait l''héritage du mari. Il faut aussi insister sur le fait que dans une société où, apparemment, le marché immobilier est restreint 64, ces transferts immobiliers par voie féminine deviennent économiquement significatifs. Les procédures pour obtenir la restitution de sa dot ne sont qu''une des démarches qu''une femme est appelée à faire, si elle se retrouve veuve. Un autre problème, de la plus haute importance, est celui du destin des enfants. Ne détenant pas la patria potestas 65 ,

une veuve qui veut garder ses enfants auprès d''elle est donc obligée de s''adresser à une magistrature, les Giudici di Petizion. En ouvrant les registres de cette magistrature nous pénétrons encore un peu plus dans l''univers des relations familiales, mais également dans leurs aspects très concrets et prosaïques, car les tuteurs d''un enfant mineur sont aussi responsables de ses biens et ont la charge de les lui rendre, à sa majorité.

Chapitre IV. La tutelle «légitime» des orphelins

Le dernier chapitre de cette première partie exploite les archives d''une autre magistrature, les Giudici di Petizion, qui attribuait des tuteurs aux orphelins, si le père était mort intestat ou sans désigner de tuteurs dans son testament.

1 - Patria potestas et materna imbecillitas ?

Dans l''Italie médiévale et moderne, la protection des mineurs orphelins et la nécessité de leur attribuer des tuteurs fut l''objet d''une intense et riche élaboration juridique''. Se fondant sur l''abondante normative romaine sur le sujet, les Statuts des villes italiennes élaborèrent des approches particulières, en instituant des magistratures spécifiques. Les villes toscanes semblent particulièrement précoces dans ce domaine et déjà à la fin du xne siècle, à Sienne, parmi les compétences des Provéditeurs de la Biccherna il y a la

«minorum provisione » .

Il faut cependant distinguer entre les différentes attributions institutionnelles concernant les mineurs. Selon une distinction héritée du droit romain, la tutelle peut être testamentaire, quand le tuteur est désigné par le testateur, légitime, quand le tuteur est choisi par les magistrats parmi les parents les plus proches ou dative, quand, en absence de tuteurs testamentaires ou légitimes, les magistrats assument eux-mêmes la tutelle, voire désignent d''autres tuteurs externes 2 . À Venise, depuis le XIIIe siècle, cette fonction de tutelle est exercée par les Procurateurs de St. Marc, la dignité la plus importante de la République, après le Doge 3. Ils n''intervien-

74 FAMILLES DANS LA CITÉ

nent qu''en dernier recours, quand la famille est totalement absente, en assumant la gestion des biens du mineur. Limportance économique de cette fonction est évidente et le choix de la confier à une magistrature de l''importance des Procurateurs de St. Marc un exemple précoce d''intervention des plus hautes instances de l''État dans la vie des familles 4 . Une magistrature spécifique ayant ces mêmes fonctions, les U-fficiali dei Pupilli, ne fut instituée à Florence qu''à la fin du XIVe siècle, dans le cadre de la réorganisation radicale de l''État qui suivit la peste de 13485. À cette même époque, suivant l''exemple des Procurateurs de St. Marc, des «Bureaux des mineurs » sont créés dans les villes de l''État vénitien, tels les

Procuratores pupillorum à Trévise ou les 0-fficiales et Deputati ad negotia pupillorum à Udine. Ces magistratures n''interviennent que quand toute autre solution familiale s''est avérée impossible, alors que la tâche des Juges de Petition consiste à trouver une solution à l''intérieur de la famille. Un examen des actes de cette magistrature nous permettra donc un autre regard sur les rôles et les hiérarchies dans la famille.

Qui étaient les candidats potentiels? Qui avait cette possibilité et ce droit? La question de la tutelle se pose immédiatement, en droit romain, en termes de genre 6. Elles-mêmes soumises, jusqu''à la Lex Claudia, à la tutelle de leurs maris, les mères ne pouvaient ni être tutrices ni adopter. Même par la suite, la tutelle féminine n''est pas juridiquement prévue car, même en ayant acquis une capacité juridique, cette capacité s''arrêtait à leur propre personne. «Telle est la norme, laquelle correspond à une structure presque immobile. L''histoire des pratiques, en revanche, nous montre des changements parfois rapides dans les faits et mille formes d''adaptation du droit aux transformations sociales » 7 . S''il est vrai que l''historien

LA TUTELLE «LÉGITIME » DES ORPHELINS 75

du droit «perdrait de vue son objectif essentiel s''il se contentait de décrire les mouvements qui emportent tout » 8, l''historien de la société s''intéresse précisément à ces adaptations de la norme à la réalité. «Limpossibilité d''une tutelle des mères se heurtait à Rome à une habitude bien attestée dès l''époque républicaine: les veuves élevaient elles-mêmes leurs enfants, contrôlaient elles-mêmes leur entretien et leur éducation jusqu''à l''âge adulte. Il était assez fréquent qu''après un divorce, la femme, remariée ou pas, obtînt de son premier mari la garde des enfants du premier lit, qui cohabitaient très souvent avec ceux d''un second lit » 9 . La garde est donc facilement confiée aux mères, alors que la tutelle du patrimoine des mineurs reste sous le contrôle des hommes de la famille. Toutefois, ce refus du droit romain face à la tutelle maternelle s''explique aussi par un autre ensemble de normes et de comportements qui vont évoluer avec l''affirmation du Christianisme. Dans la Rome d''Auguste, les remariages étaient non seulement permis, mais encouragés, par des normes qui pénalisaient veufs et divorcés qui auraient choisi de ne pas se remarier. Puisque les secondes noces des femmes étaient aussi encouragées, en leur donnant la tutelle des enfants on risquait de les faire sortir du lignage paternel

1°. On comprend alors que, dans le contexte de la morale chrétienne, la possibilité de la tutelle maternelle ait pu se construire, à condition que la veuve ne se remarie pas (car il n''était évidemment plus question de divorce, du moins formellement). Les juristes des derniers siècles de l''époque impériale admirent qu''une mère puisse demander à l''empereur une autorisation spéciale de tutelle de ses enfants si elle promettait de ne pas se remarier 11 .

Sur ces bases, la doctrine juridique médiévale parcourt le hiatus entre théorie et pratique, en construisant la possibilité d''une tutelle maternelle et grand-maternelle, admises en tant que tutelles «légitimes » . C''est la doctrine des glosateurs, qui bâtit la justification théorique d''une pratique répandue. C''est en tant que «secundum legem a iudice data » , c''est-à-dire parce que les juges l''accordent, que la tutelle maternelle devient légitime et non pas le contraire 12.

Les glossateurs ne sont, toutefois, pas unanimes et certains la considèrent

«extraordinaria, anomala, irregularis » , mais il est évident qu''il s''agit plus que d''un débat théorique, de l''adaptation critique de la théorie à la réalité, un exercice dans lequel les glossateurs

76 FAMILLES DANS LA CITÉ

excellaient. En 1519, Jacques de Révigny constatait qu''à la mort du père les mères s''opposaient aux autres parents pour obtenir la tutelle de leurs enfants et, tout en stigmatisant le comportement de celles qui, après l''avoir obtenue «corruptela et errore » , profitaient des biens des enfants pendant leur minorité, il concluait qu''elles avaient le droit d''être préférées à tous les autres tuteurs potentiels, à l''exception des ceux qui avaient été désignés par testament 13. À la fin du Moyen Âge, on peut constater une évolution dans la pensée des glossateurs vers une plus grande tolérance à l''égard de la tutelle des mères et des grands-mères sur leurs enfants mineurs. Il était évident pour tous que la tâche de tuteur comportait des responsabilités et pouvait exiger des compensations mais, en même temps, il ne fallait pas que les tuteurs puissent se servir dans la caisse de leurs protégés. Les Statuts de certaines villes italiennes prévoyaient de pouvoir obliger les tuteurs désignés à accepter la charge, d''autres contemplaient la possibilité de donner un salaire aux tuteurs. L''existence d''une dette du tuteur à l''égard du mineur pouvait être une cause d''annulation de la tutelle et, de manière générale, les Statuts urbains prévoient l''obligation, pour les tuteurs, de dresser l''inventaire des biens du mineur au commencement et à la fin de la tutelle. La question de la transmission des patrimoines était évidemment au coeur du problème, mais celle de l''intérêt de l''enfant était également devenue centrale 14.

À la fin du Moyen Âge, lorsqu''il s''agit d''attribuer la tutelle, les juristes, dans leur Consilia, tendent à suivre l''ordre de succession prévu par les Statuts, ce qui privilégie généralement les agnats et la famille paternels. Il est en fait rare que les Statuts s''éloignent de la loi romaine selon laquelle «la matrice ne donne pas droit à la succession » et donnent aux mères des droits successoraux sur leurs enfants. Par conséquent, quand s''affirme le lien entre droit à la succession et droit à la tutelle, les juristes qui choisissent de défendre la tutelle maternelle utilisent la «ratio pietatis et presumpte affectionis » , c''est-à-dire l''argument de l''amour et de l''affection, qu''une mère est supposée éprouver à l''égard de ses enfants 15. Cette argumentation pouvait devenir tellement importante que les termes du problème en étaient inversés. Aux XVIe et au XVIIe siècle, en Toscane, c''est justement en vertu du fait qu''elles n''en héritent pas que les mères sont préférées en tant que tutrices de leurs propres enfants: leur amour est pur et désintéressé 16 .

LA TUTELLE «LÉGITIME » DES ORPHELINS 77

Dans la perspective des juristes de la fin du Moyen Âge, il restait toutefois encore à résoudre un véritable problème, celui de la responsabilité juridique. Le tuteur étant par excellence une figure publique, puisqu''il représentait le mineur dans tous ses actes ayant une valeur publique, comment pouvait-on accorder cette capacité à une femme, exclue par définition des «offices publiques » ? La solution consistait à considérer la charge de tutelle comme une exception qui ne dérogeait pas à la norme générale et, de toute façon, en aucun cas le droit à la tutelle ne pouvait être accordé à des femmes autres que la mère ou la grand-mère et, en aucun cas, une femme ne pouvait choisir les tuteurs de ses enfants 17.

Celle de la responsabilité juridique des femmes est en réalité une question très complexe que les différentes traditions juridiques européennes traitent de manière différente. Si la condition des veuves comporte, généralement, la possibilité d''assumer des responsabilités juridiques, pour elles-mêmes et pour leurs enfants 18, la condition de femme mariée est bien plus contraignante. En Angleterre, en France et dans les pays d''Europe du Nord, les conditions de «femme sole » ou de «femme couverte » , c''est-à-dire mariée, sont très différentes, et, notamment dans le cas anglais, les droits des femmes mariées deviennent en bonne partie théoriques à l''époque moderne 19. En revanche, les femmes portugaises avaient, au XVIe siècle, une grande liberté dans la gestion de leurs biens, même pendant le mariage 20 . Dans certains cas, comme à Florence, les femmes ne peuvent pas se présenter en personne devant les notaires ou devant les magistrats, et elles doivent toujours se faire représenter par un «mundium » 21 , une institution d''origine lombarde, qui

78 FAMILLES DANS LA CITÉ

n''existe pas à Venise. À Rome, selon une norme ajoutée aux Statuts en 1494, une femme, quelle qu''elle soit sa condition, ne pouvait stipuler des contrats qu''en présence de deux hommes de sa famille 22 .

Les femmes mariées, à Venise, peuvent disposer de leurs biens extra-dotaux et peuvent léguer par testament leur dot 23 . On les rencontre donc dans les actes notariés, agissant en première personne

24 , ainsi que dans les actes de la Giustizia Vecchia, en tant que maîtresses stipulant des contrats d'' apprentissage 25 . Plus surprenant, comme on va le voir, c''est le fait que les femmes vénitiennes aient eu un droit, limité, mais réel, de désigner les tuteurs de leurs enfants. Dans ce domaine aussi, chaque société trouvait des solutions différentes et Venise a, dans ce domaine aussi, son originalité.

2 - Donna , madonna et comissària ?

De fait, en droit vénitien, la distinction fondamentale entre cura

et tutela, c''est-à-dire entre le fait de s''occuper d''enfants mineurs et le fait de gérer leurs biens, n''existe pas 26 . Les deux fonctions se résument dans la «commissaria » , une expression latine, qui désigne les personnes ou les institutions à qui les enfants sont «confiés » . L''expression est généralement utilisée par les testateurs qui «confient » la gestion de leurs biens aux commissarii, mais, quand il y a des enfants en bas âge, l''expression implique également la tutelle. La réunification, en une seule fonction, de cura et tutela

n''est probablement pas propre à Venise, mais modifie les termes du problème quant au rôle des mères car si la cura est ce qui revient le plus facilement aux mères, c''est bien la tutela, avec toutes ses implications économiques et juridiques, qui pose problème. Les Statuts vénitiens consacrent un livre entier, le deuxième, et plusieurs normes postérieures, aux modalités de choix et à la définition des tâches des tuteurs des enfants mineurs et des fous («men-

LA TUTELLE «LÉGITIME » DES ORPHELINS 79

tecapti » ) 27 . Le tuteur est dans l''obligation de rendre les comptes de tutelle, à la fin de la période, sauf s''il a été institué tuteur «sans obligation de rendre des comptes » , ce qui vaut aussi pour la mère, qui peut être désignée comme «donna, madonna » et «tutrice sans reddition des comptes » . Le tuteur désigné par le testament paternel assume ipso facto sa tâche, alors que si le choix a été fait par le testament de la mère, de la grand-mère ou, dit la loi, par «tout autre étranger » , il faut qu''il soit confirmé par une sentence des Juges du Mobile 28 . La possibilité, pour une mère, de choisir les tuteurs de ses enfants est soumise à l''aval des magistrats, mais elle n''est pas exclue, ce qui constitue une différence fondamentale avec le cas Florentin 29 et peut-être une véritable exception par rapport au reste de la péninsule. Procurateurs de St. Marc, Juges de Petition, Juges du Mobile:

les magistratures intervenant dans le problème des tutelles sont donc au moins trois. On voit là un exemple de l''intense production législative et aussi de la superposition possible entre les compétences parallèles de magistratures différentes, qui caractérise l''histoire juridique et institutionnelle vénitienne. La compétence des Juges du Mobile sur le sujet dérive de leurs compétences sur les conflits au sujet des testaments, pourvu que les exécuteurs testamentaires soient vivants. Parmi les autres compétences de cette magistrature, il y a le jugement de tous les conflits concernant des sommes inférieures à cinquante ducats 30 .

En absence de tuteur testamentaire, disent encore les Statuts, le choix est fait par les Juges, après convocation des parents du côté paternel et maternel, suivant les critères de «propinquitatis » et «agnationis » : les plus proches parents, à partir des agnats 31 . Ces assemblées de parents, appelés à manifester, le cas échéant, leurs bonnes intentions à l''égard des enfants, se retrouvent fréquemment dans les pratiques juridiques des villes et campagnes européennes, mais le «conseil de tutelle » , éventuellement désigné par le testament du père, peut devenir une structure permanente ayant la tâche de gérer conjointement les biens du mineur 32 . C''est ce qu''on appelle, en droit vénitien, une «commissaria » .

80 FAMILLES DANS LA CITÉ

Au XVIIIe siècle, Marco Ferro, auteur d''un dictionnaire fondamental du droit vénitien, écrit, sous la rubrique des tutelles, que «la mère ou la grand-mère sont préférées car on suppose que personne ne prenne le plus à coeur le destin des enfants » 33 . L''argument affectif apparaît au XVIIIe siècle, mais est totalement absent des textes des Statuts de 1242, qui se limitent à faire appel aux «Propinquis ex parte Patris et Matris » 34 .

La clause de non remariage n''est pas évoquée par les Statuts Vénitiens et il arrive qu''une mère qui s''est remariée demande la tutelle de son enfant. C''est le cas de Soprana, veuve Carignola et remariée à Giorgio Nicolai, qui a une fille mineure, dont elle demande, et obtient, la tutelle «pour pouvoir encaisser les créances et payer les dettes aussi bien dans cette ville qu''ailleurs » 35• Un autre cas est encore plus intéressant, car la mère, remariée, non seulement obtient la tutelle des enfants issus de son premier mariage, mais aussi l''autorisation de partager les biens de la frérèche que son premier mari formait avec ses frères. Non seulement il y avait des oncles paternels pouvant entrer en concurrence avec la veuve, mais ces oncles auraient eu, théoriquement, tout intérêt à assumer la tutelle pour garder uni le capital de la frérèche 36 . Que les veuves ayant la tutelle de leurs enfants puissent se remarier paraît en fait tout à fait logique et normal, dès qu''on sort des milieux aristocratiques. On peut rappeler qu''à Londres, au XIVe siècle, 57 % des veuves demandant la tutelle de leurs enfants s''étaient déjà remariées 37 .

LA TUTELLE «LÉGITIME » DES ORPHELINS 81

La clause de non remariage apparaît fréquemment dans les testaments des maris mais, comme on le verra dans la deuxième partie, il y a aussi des maris qui, au contraire, encouragent leurs épouses à se remarier. De fait, j''ai trouvé des contrats de mariage de veuves qui prenaient avec elles les enfants du premier, ou précédent, mariage, dont elles étaient tutrices. Leur dot et, éventuellement, des legs de la famille d''origine, servaient à leur entretien 38 .

Mais le remariage de la mère pose un problème qui peut trouver aussi des solutions différentes. Un mari peut être nommé par les Juges tuteur des enfants de son épouse 39 , mais il a aussi la possibilité de s''en faire exonérer, car cela provoque «trop de conflits et ennuis » et demander que son épouse reste la seule tutrice des enfants qu''elle avait eus dans un précédent mariage 40 .

3 - L'attribution des tuteurs par les Juges de Petition

Notre échantillon se compose de 49 sentences d''attribution de tutelle d''enfants mineurs, rendues entre 1554 et 1556 et de 130 sentences rendues entre 1591 et 1593. Au XVIe siècle, on ne trouve pas trace des assemblées de parents dans les sources des Juges de

Petition, mais uniquement la requête présentée par la personne qui souhaite assumer la tutelle. Sans aucun doute, il s''agit d''une pleine responsabilité juridique et économique, dont les aspects sont détaillés précisément dans l''acte d''attribution de la tutelle. Ainsi, audelà de quelques formules rituelles, chaque attribution de tutelle est différente, car chaque tuteur doit spécifier le détail des actes qu''il demande à pouvoir accomplir. Par exemple, dans sa requête pour obtenir la tutelle de ses deux filles, la veuve d''un teinturier demande à pouvoir «continuer et faire continuer le métier de teinturier » , «commercer, c''est-à-dire acheter et vendre en payant par lettre de change ou en argent comptant et troquer des marchan-

82 FAMILLES DANS LA CITÉ

dises » , «les envoyer par voie de terre et par voie de mer, sur des bateaux, et galères, pour le profit et le gain de cette tutelle » 42 •

Pour pouvoir, par la suite, récupérer des biens, par exemple en cas d''héritage reçu par les mineurs, les tuteurs doivent présenter une autre demande aux Juges 43 . La question la plus délicate est, toutefois, celle des biens immobiliers et, pour aliéner un immeuble appartenant au mineur dont on a la tutelle, il faut en demander l''autorisation aux Juges de Petition. De la même manière, un père voulant vendre, louer ou même récupérer des biens que ses enfants ont hérités de leur mère doit en demander l''autorisation. Les formules peuvent parfois être trompeuses et faire penser que des pères sont obligés de demander la tutelle de leurs enfants. En réalité, ils la demandent au sujet d''actions légales spécifiques et ponctuelles, toujours concernant l''héritage maternel. C''est le cas du patricien Nicola Barozzi, dont l''épouse, Marina, est morte intestat, laissant quatre filles et deux fils, qui ont hérité une maison de leur mère. Pour pouvoir la louer, le père doit demander la tutelle sur ses enfants

«quant à l''autorité » de louer la maison 44 . La séparation des biens entre conjoints et les droits des enfants à l''héritage de leurs mères, mais pas des maris à l''héritage de leurs femmes, expliquent la nécessité de cette démarche. Les Juges ont un droit de regard sur les activités des tuteurs, que l''on peut apparenter au contrôle que les Conseils de tutelle ou des parents continuaient d''exercer sur les tuteurs désignés, se réunissant périodiquement pour prendre les décisions les plus importantes au sujet des enfants. Dans le cas de Venise, cette supervision de la part d''autres membres de la famille est remplacée par une supervision de la part de l''État. Périodiquement, les tuteurs s''adressent à la magistrature pour demander l''autorisation d''utiliser des biens appartenant aux mineurs et les magistrats fixent le montant des sommes que les tuteurs sont autorisés à dépenser.

LA TUTELLE «LÉGITIME » DES ORPHELINS 83

En 1640, une nouvelle loi impose aux Juges de Petition de mener une enquête avant d''autoriser les tuteurs à vendre des immeubles. Les Juges sont aussi censés obliger les tuteurs à déposer l''argent de la vente à la Monnaie d''État et bien veiller à la compilation des inventaires des biens à la fin de la période de tutelle, une norme qui existait déjà, mais qu''il a été jugé utile de rappeler 45 . L''honnêteté des tuteurs est donc l''enjeu de cette norme. Un problème auquel les sentences font parfois allusion, comme dans le cas de cette veuve d''un tisserand de soie qui avait confié ses trois filles, issues de deux mariages, à son frère, qui aurait dû, «comme cela lui était imposé par les liens du sang, les nourrir et gouverner » . Selon les dires d''un certain Tadeus, l''oncle n''avait gardé chez lui que l''aînée et avait «envoyé » («expedivit » ) les deux dernières filles à l''hôpital de la Pietà, d''où Tadeus en avait sorti une, Elisabeth, dont il demandait la tutelle 46 . Inceste entre oncle et nièce, d''un côté, et recherche de main d''oeuvre à bon marché de l''autre? Toutes les hypothèses sont possibles, mais, quoi qu''il en soit, les Juges accordèrent à Tadeus la tutelle d''Elisabeth.

Tableau: 1554-56 -Tuteurs de mineurs

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Tableaux: 1591-93 -Tuteurs de mineurs

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Parents du côté maternel

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FAMILLES DANS LA CITÉ

Parents du côté paternel Les sentences de tutelle concernent dans la quasi totalité des enfants mineurs, quatre des adultes «mentecapti » et une seule un homme de trente-cinq ans dont le père demande, et obtient, la tutelle, car il «gère mal ses substances, s''enivrant tous les jours dans les tavernes et dilapidant son argent et celui de sa famille » 47 . La protection des mineurs et des incapables se conjugue avec la protection de la cellule familiale, ses biens et ses valeurs. Quatre autres sont des sentences concernant des enfants dont le père est incarcéré, voire prisonnier des Turcs 48 .

Envisageons la composition sociale de l''échantillon: les patriciens sont 13 (sur 49) en 1554-56 et 30 (sur 130) en 1591-93. Il est évident que, plus encore que pour les restitutions des dots, la tutelle d''un enfant devient un enjeu de taille quand il y a un patrimoine

à hériter. En absence d''héritage, le destin des orphelins peut se décider par des arrangements entre parents, amis, voisins 49 .

Toutefois, on trouve aussi de nombreux artisans et, parmi eux, tous les cas de demande d''attribution de tutelle de la part d''une personne qui ne déclare pas de liens de parenté avec l''orphelin 50 . Il peut y avoir plusieurs raisons à cela, notamment la présence importante d''immigrés: quand on a quitté sa terre natale, les liens d''amitié se transforment en liens de famille. Mais il faut aussi penser que des orphelins en quête de famille pouvaient devenir des apprentis à bon marché. Dans quelques cas, la sentence attribue la tutelle conjointement à un frère et une soeur (2) ou à la mère et à l''oncle paternel (8). Les fratries sont le plus souvent mixtes et nombreuses, et on ne voit pas apparaître de solutions différentes au sujet des filles et des garçons. Les données vénitiennes confirment donc bien la tendance plus générale: la tutelle est essentiellement confiée aux mères qui, le plus souvent, se présentent d''elles-mêmes devant les

LA TUTELLE «LÉGITIME » DES ORPHELINS 85

Juges. L''intermédiation d''autres membres de la famille, généralement leurs frères, est rare. Le style de la requête est extrêmement technique et très synthétique et la source ne laisse filtrer aucune expression de sentiments, de liens de famille, d''amour maternel5 1.

Les oncles paternels viennent juste après, surtout dans ces familles marchandes ou patriciennes où le frère du père est aussi son associé dans la compagnie familiale ou le propriétaire, en indivision, de l''héritage familial. La tutelle est généralement demandée peu de jours après la mort du père, mais, dans quelques cas, on comprend que les enfants ont vécu avec leur mère sans qu''aucun acte légal lui en ait attribué la tutelle et que celle-ci est demandée car il y a une propriété à vendre ou des biens à récupérer. La garde des enfants peut donc être assumée de fait par la mère, sans besoin d''une démarche auprès des autorités.

4 - Libération de tutelle ou émancipation ?

Le 1er avril 1592, Giacomo Benalio, nommé en 1586 tuteur des enfants (quatre garçons et une fille) de son frère, explique aux Juges qu''en 1590 il avait été remboursé («liquidatus fuisse » ) de 750 ducats dépensés dans l''année, pour les «domestiques, précepteurs, habitation et autres frais nécessaires et courants » , ainsi que de 144

ducats pour les menues dépenses des enfants. Depuis lors, sa nièce, Lucrezia, s''était mariée et l''un des neveux, Nicolà, était parti en Syrie, «pour se discipliner et s''instruire dans le commerce et le négoce » , ce qui coûtait à l''oncle environ 400 ducats par an. Les neveux étaient majeurs, selon les lois vénitiennes, qui fixaient à seize ans pour les garçons et à quatorze ans pour les filles l''âge légitime de sortie de tutelle 52, mais ils étaient encore sous la tutelle de leur oncle. Le dernier avait désormais dix-neuf ans, mais l''oncle gérait encore leurs biens, et il avait fait des «dépenses extraordinaires » en nourriture et en habits de soie. Pour ces dépenses, il demande donc à se payer sur le capital de 30.000 ducats appartenant aux enfants

53 . Il apparaît donc que cet oncle gérait les biens, mais devait demander l''autorisation de s''en servir. L''anomalie de cet acte tient surtout au fait que la tutelle est prolongée au-delà de la minorité légale des enfants, mais il se peut que, derrière cet acte, il y ait

86 FAMILLES DANS LA CITÉ

eu un testament paternel désignant d''autres tuteurs que le frère et obligeant les enfants à rester sous tutelle jusqu''à un âge plus avancé que celui prévu par la loi. En fait, à la mort des tuteurs testamentaires ou si ceux-ci refusaient d''assumer la tutelle, les Juges de Petition étaient interpellés pour en désigner d''autres. La situation d''un autre jeune homme pourrait confirmer cette lecture. Bartolomeo Casterio explique («narrans et exponens » ) aux Juges que, dans son testament, son père avait ordonné qu''il ne puisse administrer ses biens qu''à l''âge de trente ans. Toutefois, arrivé à l''âge de vingt-cinq ans «et plus » et ayant «l''intention et la capacité » («peritia » ) d''aller vivre pendant quelques années à Alexandrie pour y exercer le commerce, Bartolomeo demande à être libéré de la tutelle de ses «commissarii » et à recevoir sa part de l''héritage paternel, ce que les Juges lui concèdent, en allant contre le testament paternel5 4 .

Dans les registres des Juges de Petition, on trouve aussi, mêlées aux sentences d''attribution de tutelle et à d''autres actes concernant des conflits d''héritage, des sentences de «libération de tutelle » , suite à des requêtes présentées par des jeunes ayant tout juste atteint l''âge «légitime » . Le premier chapitre du deuxième livre des Statuts de 1242 avait fixé à douze ans, pour les filles comme pour les garçons, l''âge «légitime » pour être «idoneus in iudiciis, vel contractibus

» 55 . Les Statuts précisaient ensuite qu''il fallait attribuer des tuteurs aux mineurs de douze ans. Dans des normes postérieures, cet âge fut modifié jusqu''à arriver, en 1586, à quatorze ans pour les filles et seize ans pour les garçons. En droit vénitien, l''âge de sortie de tutelle est donc resté longtemps fidèle à la tradition romaine la plus ancienne 56 et, même au XVIe siècle, il est très précoce 57 • À la même époque, dans d''autres villes italiennes ou dans d''autres régions d''Europe, l''âge de la majorité et de l''émancipation de la

LA TUTELLE «LÉGITIME » DES ORPHELINS 87

tutelle était plutôt fixé à vingt-cinq, voire trente ans 58 . Dans certains cas, d''ailleurs, il n''y avait pas accord entre les textes de loi, la pratique des notaires et les souhaits des parents 59 .

La formule utilisée par les Statuts est très éloquente: «apte au jugement d''un tribunal et aux contrats » , c''est-à-dire une responsabilité juridique pleine, qui implique aussi la possibilité d''être l''objet d''une procédure judiciaire, voire d''une condamnation. Toutefois, d''autres normes montrent que, dans certains domaines, la prise de responsabilité s''échelonnait sur plusieurs années. Pour pouvoir participer au Grand Conseil, les jeunes nobles devaient avoir vingt-cinq ans, mais selon le rite dit de la Barbarella, des jeunes de vingt ans pouvaient être tirés au sort pour en faire partie 60 . Dans certaines lois somptuaires de la fin du XIIIe siècle, on était considéré «homme » (domino) seulement à partir de l''âge de vingt ans et «femme » (domina) seulement après le mariage 61 . D''ailleurs, en droit romain, la puberté ne constituait pas l''entrée dans l''âge adulte, qui se faisait seulement à l''âge de vingt-cinq ans et, dans certains Statuts italiens, une fille pouvait se marier à vingt-cinq ans, sans autorisation patemelle 62 • A Venise, les dots des filles âgées de plus de vingt-cinq ans pouvaient dépasser les limites imposées aux autres et, à cet âge-là, une fille qui n''avait pas été mariée par sa famille, était en droit d''exiger une dot de son père. Par ailleurs, l''émancipation de la patria potestas nécessitait partout une démarche légale 63 . Les normes statutaires concernant

88 FAMILLES DANS LA CITÉ

les «fils de famille » spécifient tout ce qu''ils ne pouvaient pas faire mais ne parlent ni d''âge, ni de procédure de sortie de cette condition, qui se réduisait au fait de «ne pas être divisé de son père » 64 .

Si l''on compare ces normes à celles sur la tutelle, on aboutit à la conclusion que, d''un point de vue juridique, l''absence de la figure paternelle signifiait en fait aussi la possibilité d''entrer précocement dans l''âge adulte. La «libération de tutelle » nécessite également d''entreprendre une démarche légale, auprès des Juges de Petition. Pour prouver leur âge, les jeunes font appel aux registres des baptêmes de leurs paroisses ou, plus rarement, aux archives familiales, comme Elena Priuli, une jeune patricienne qui présente «le livre de comptes du grand-père paternel » 65 . Les filles sont parfois représentées par d''autres membres de la famille qui demandent leur «libération de tutelle » afin qu''elles «puissent dorénavant gérer personnellement leurs biens, demander les comptes de leur administration, et faire tout ce que peuvent faire les hommes libres et qui ne sont pas sujets aux autres » («ho mines liberi et non subiecti » ) 66 . Parfois des jeunes filles se présentent en personne devant les Juges: en 1592, Magdalena a Plathea Lunga, âgée de seize ans, demande ainsi à être libérée de la tutelle de son oncle paternel et les magistrats qui acceptent sa demande l''autorisent, selon la formule que l''on vient de citer, à se considérer désormais «un homme libre et non sujet » 67 .

En 1591-93, les 46 demandes de «libération de tutelle » concernent 58 jeunes, 39 garçons et 19 filles.

Âge des garçons qui sortent de tutelle

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Âge des filles qui sortent de tutelle

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LA TUTELLE «LÉGITIME » DES ORPHELINS 89

Plus de la moitié des garçons sortent de tutelle un an ou plus après l''âge, de seize ans, fixé par la loi, alors que les deux tiers des filles en sortent à l''âge «légitime » de quatorze ans. Dans deux cas, les Juges semblent être restés fidèles aux anciennes limites d''âge qui avaient été modifiés par la loi de 1586. Les filles sortent donc plus jeunes, en droit et en fait, de la tutelle parentale. On retrouve la même différence d''âge entre garçons et filles dans les âges de sortie d''apprentissage et dans les âges au mariage mais, dans le cas des tutelles, il existe une contradiction manifeste entre la loi et la volonté des parents qui, dans leurs testaments, ont plutôt tendance à faire reculer le moment de la prise de contrôle de leurs enfants sur l''héritage. Les Juges non seulement sont du côté de la loi, mais ils arrivent parfois à contredire le testament paternel sans que, toutefois, cela implique qu''ils prennent la place du tuteur dans la gestion des biens des femmes.

Deuxième partie. Projets et pratiques de transmission

Chapitre v. acteurs et objets de la transmission, 1 - le testament comme source.

Il a fallu les études pionnières d'' Alberto Tenenti 1 et, plus tard, de Philippe Ariès2 pour attirer l''attention des historiens sur l''évolution du sens de la mort et des sensibilités religieuses autour de la mort «de soi » . C''est seulement à la suite de ces travaux que le testament a été élevé au statut de «source privilégiée » de l''histoire des mentalités, afin de comprendre le processus de «déchristianisation » au

XVIIIe siècle3, ou l''évolution des sensibilités religieuses à l''époque des réformes protestantes et catholiques4, comme à «l''automne du Moyen Âge » 5. Ces travaux ont privilégié l''histoire des mentalités 6,

alors que, dans les mêmes années, d''autres ont aussi mis l''accent sur les nouvelles possibilités qu''une étude quantitative des testaments offrait à l''histoire de la famille 7 .

94 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

Le testament est, par définition, un acte de liberté, qui s'' oppose à la contrainte des normes sur la succession ab intestato. Le testateur n''a toutefois pas la liberté de priver complètement ses enfants de l''héritage et une part de celui-ci est destinée, quoi qu''il arrive, aux enfants. C''est la «legitima » qui correspond, dans le cas de Venise, à un tiers de l''héritage paternel 8, mais qui peut être aussi beaucoup plus importante. Par exemple, en droit castillan, le testateur ne peut disposer que d''un cinquième de son patrimoine, le reste étant, de toute façon, destiné à ses héritiers «légitimes » 9 .

Seulement en pays de droit écrit et, de plus en plus, avec la diffusion du droit romain à l''époque moderne, le testament a la fonction de distribuer les biens du testateur. En revanche, là où la succession est réglée par les coutumes, comme à Paris, les «actes à cause de mort » se résument essentiellement à des donations

«ad pias causas » 10. Toutefois, même s''il ne peut pas désigner de légataire universel, le testateur parisien peut organiser le partage de sa «quotité disponible » et faire des «legs ordinaires » à des personnes de son choix 11 . Parfois, la coutume règle la succession

ACTEURS ET OBJETS DE LA TRANSMISSION 95

aux biens immeubles, c''est-à-dire surtout à la terre, laissant aux individus une certaine liberté concernant le destin des biens meubles. De cette règle générale, quel'' on retrouve par exemple dans les Flandres, peuvent dériver des choix d''adaptation des normes à la réalité sociale qui se traduisent non pas dans la modification des règles coutumières, mais dans la transformation progressive des biens immeubles en biens mobiliers 12 .

La transmission des biens des parents aux enfants suit, par ailleurs, des règles et des formes différentes selon les différentes traditions juridiques, ce qui se traduit, aussi, par des temporalités différentes. L''exemple de la coutume parisienne est, de ce point de vue, assez significatif. La pratique étant celle de «doter » filles et garçons au moment du mariage, le transfert des biens des parents aux enfants ne se fait pas à la mort des premiers, mais au mariage des derniers. Par la suite, à la mort des parents, les enfants déjà dotés sont censés «rapporter » les biens reçus pour procéder à un nouveau partage parmi tous les enfants, mais, en principe, une bonne partie de la succession est réglée pendant la vie des pères et mères 13 .

Ceci n''est pas le cas de Venise où, comme nous l''avons vu, les différentes temporalités se réfèrent, en principe, aux deux sexes: les fils héritent à la mort des parents, les filles au moment du mariage. Acte juridique, le testament doit être rédigé selon des règles précises et validé par la présence de témoins. Sept en droit romain, ils se réduisent à deux en droit vénitien. Les Statuts précisent que, pour qu''un testament oral, c''est-à-dire non rédigé et en absence de notaire, soit valable, il faut la présence de deux hommes ou de quatre femmes comme témoins, la règle étant que le témoignage d''un homme équivaut au témoignage de deux femmes 14. À la fin du XVe siècle, les témoins de ces testaments passent de deux à trois (et donc à six, s''il s''agit de femmes) 15.

Les liens des témoins avec le testateur font aussi l''objet de l''attention des législateurs: ainsi une loi de 14 7 4 interdit aux maris d''assister à la rédaction du testament de leurs épouses 16. On voit là se dessiner un conflit potentiel, dont il a déjà été question, c''est-à-

96 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

dire le conflit d''intérêts entre famille d''origine et mari au sujet des biens des femmes. La liberté testamentaire des femmes mariées, que les lois protègent réellement, comme il a été démontré par le cas de Faustina De Alberi, se traduit, en fait, le plus souvent, dans le choix d''aller rédiger ses dernières volontés dans la maison d''un des membres de sa famille d''origine. C''est, par exemple, le cas de Felicita Pegolotto qui, en 1537, se «rend personnellement dans la maison de (son) frère » pour y dicter son testament et ne laisse rien à son mari car elle estime «ne rien avoir reçu de sa part » 17.

Une norme rajoutée aux Statuts en 1532 manifeste le souci de respecter les souhaits les plus intimes des testateurs: elle impose, en effet, aux notaires de rédiger les testaments dans la langue du testateur, c''est-à-dire en vulgaire, alors que «les notaires veulent écrire en latin, en ajoutant des mots très différents et contraires à la volonté et disposition des testateurs, et contre leurs intentions » . «D''autant plus » , dit encore la loi, «qu''il est presque impossible de traduire les mots latins dans la langue vulgaire du testateur » 18.

Les historiens travaillant sur Venise utilisent souvent les testaments comme source mais il s''agit généralement d''une utilisation ponctuelle, dans le cadre de recherches sur des individus ou des familles spécifiques, facilitée par un inventaire nominatif des testaments, remontant au XIXe siècle. L''existence même de cet inventaire est due non seulement au zèle des archivistes vénitiens, mais aussi au fait que les actes notariés et les testaments sont enregistrés séparément et que, à l''époque de la Sérénissime, un double du testament devait être enregistré à la Chancellerie inférieure. Les recherches faisant une utilisation quantitative du testament sont, en revanche, plus rares 19.

ACTEURS ET OBJETS DE LA TRANSMISSION 97

Le testament est une source magnifique et prolixe, mais trompeuse. C''est pour cette raison qu''il faut le lire comme une déclaration d''intentions et comme l''expression de circonstances précises de la vie de quelqu''un et pas comme la preuve de ce qu''était la réalité des transferts des biens d''une génération à l''autre. Il faut aussi faire attention à chercher dans cette source l''expression de sentiments, car le testateur n''avait pas toutes les libertés, étant limité par des lois, auxquelles le testament répond, tout en s''y adaptant. Pour comprendre quand et pourquoi on faisait un testament, il faut avoir toujours à l''esprit la norme statutaire sur la succession ab intestato,

dont il a été question dans la première partie de ce travail. Il est en revanche très difficile, et parfois impossible, de tirer des testaments des renseignements sur la composition des richesses du testateur car, bavards sur d''autres questions, les testaments sont le plus souvent très avares de renseignements sur le sujet 20 .

Les testaments sont la source de cette deuxième partie de mon travail. Ils ont été choisis selon deux critères principalement: l''exclusion des nobles et la déclaration, de la part du testateur, d''un métier, d''une profession, d''une activité. Pour les testaments féminins,

il a fallu, dans la quasi-totalité des cas, se contenter de la mention du métier ou de la profession du père ou du mari. Le choix de déclarer l''activité que l''on exerce n''est pas nécessairement fait par le testateur. Certains notaires ne l''indiquent jamais, d''autres presque toujours. On sait d''ailleurs que le notaire n''a pas uniquement le rôle d''authentifier le testament, car il peut intervenir, voire orienter le testateur 21 . Les notaires vénitiens, par exemple, avaient l''obligation de demander aux testateurs s''ils voulaient faire des legs aux grands hôpitaux d''État. Le choix de ne pas étudier les testaments de la noblesse n''est pas seulement cohérent avec mes orientations de recherche plus anciennes, mais résulte aussi d''une constatation très simple: les modalités de transmission des biens dans le patriciat ont fait l''objet de recherches importantes, dont il est utile de rappeler ici quelques acquis fondamentaux.

98 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

2 - Famille et succession dans le patriciat

Nos connaissances sur les pratiques successorales du patriciat viennent d''une série de monographies sur des histoires de familles 22 ,

auxquelles il faut ajouter l''apport des monographies d''histoire de l''architecture sur les palais patriciens 23 et, surtout de quelques études d''ensemble, qui ont défini les grandes lignes de l''évolution historique de la famille patricienne. Pour l''époque moderne, les livres de James Cushman Davis The decline of the Venetian Nobility as a Ruling Class (1962), et de Volker Hunecke, Der Venezianische adel amende der Republik (1995) 24 restent deux ouvrages de référence. Plus de trente ans les séparent et le livre de Hunecke représente la réponse de l''historiographie des années 1990 aux hypothèses de Davis sur le déclin démographique du patriciat comme cause de sa décadence et de sa crise politique. Les deux livres sont consacrés au problème de la crise démographique qui caractérise le patriciat vénitien, comme d''autres noblesses d''Italie et d''Europe à la même époque et sur les deux derniers siècles de l''époque moderne. Entre l''un et l''autre, Stanley Chojnacki a publié ses travaux sur la famille patricienne entre le XIVe et le début du XVI" siècle, dont une partie a été rassemblée dans le volume

Women and Men in Renaissance Venice. Twelve Essays on Patrician Society (2000). En revanche, nous ne disposons pas d''un ouvrage plus général sur l''ensemble du XVIe siècle, ce qui accentue ses caractéristiques de siècle de «transition » , entre la gloire passée et la décadence à

ACTEURS ET OBJETS DE LA TRANSMISSION 99

venir. C''est pourtant le siècle des grands portraits de famille d''un Titien ou d''un Tintoret et de l''édification de palais somptueux, destinés à abriter les familles les plus riches de l''élite. C''est le siècle de la puissance et du triomphe 25 . Dans la perspective de la construction de l''identité familiale patricienne qui est celle de Chojnacki, le XVIe est le point d''arrivée d''un processus commencé avec la Serrata

du Grand Conseil à la fin du XIIF siècle. Mais c''est au moment même où «Venise, la sage et la sereine, devient le modèle quasi atemporel d''une république bien réglementée » 26 , que tout semble basculer. Hunecke propose une date, 1552, qui «symbolise le tournant le plus profond dans l''histoire du patriciat vénitien depuis le Moyen Âge tardif> P. C''est la date du dernier testament de la famille Querini de Santa Maria Formosa qui, prévoyant le partage des biens parmi les fils, donnait naissance à de nouvelles branches de la famille et à de nouvelles «maisons » , au sens à la fois concret et figuré 28 .

À partir du XVIe siècle, le commerce maritime ne représente plus la source principale de la richesse patricienne, car les investissements fonciers deviennent de plus en plus importants. Dans une société marchande fondée sur l''argent et les biens mobiliers, le père partage ses biens parmi ses fils, donnant à chacun l''opportunité de faire fortune et de fonder une famille. On a défini cette époque, qui se termine au XVIe siècle, comme celle d''un système familial «coopératif » et «paritaire » qui aurait favorisé la formation de branches multiples des lignages patriciens 29 . Toutefois, la structure de la frérèche, en tant que communauté de frères, entre en contradiction avec cet éparpillement des familles issues d''un même père et les différentes branches de la Ca'', la «maison » patricienne, gardent des liens économiques, ainsi que politiques 30, très étroits. Chojnacki a démontré que ces liens sont entretenus aussi bien par les hommes que par les femmes, qui «émigrent » d''une famille à l''autre, mais gardent des relations avec leur famille d''origine. Leurs testaments, dans les derniers siècles du Moyen Âge, privilégient les filles, à qui est souvent destinée une partie de la dot maternelle. Le

100 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

rôle des oncles maternels peut être très important dans la carrière politique d''un jeune patricien, surtout s''il n''a pas de famille propre. Chojnacki a en fait démontré qu''il existait, déjà au XVe siècle, des formes de célibat laïc dans le patriciat, et une hiérarchie entre les fils destinés au mariage et à la vie politique de haut niveau et ceux qui se consacraient principalement à une activité marchande et nomade, qui retardait et parfois empêchait la formation d''une famille indépendante 31 . Encore une fois, la «rupture » du XVI" siècle est probablement à nuancer et les comportements familiaux sont à voir et à insérer dans une perspective de plus longue durée. La forme même que prend la pratique du fidéicommis dans le 12atriciat vénitien témoigne de la persistance du modèle précédent. A la différence de la plupart des noblesses de la même époque qui choisissent cette forme de succession, le patriciat vénitien ne privilégie pas l''aîné des fils ni même un seul des fils, en gardant le lien entre transmission des biens immobiliers et frérèche 32 . Ce qui change véritablement, à partir du XVIe siècle, c''est l''importance des propriétés immobilières, surtout en Terre ferme, dans la composition des capitaux des familles patriciennes 33 , d''où la nécessité, ou le choix, d''en éviter la dispersion, par des pratiques fidéicommissaires

L''originalité vénitienne consiste dans le fait de conjuguer fidéicommis et partage égalitaire des biens parmi des fils qu''on oblige à vivre ensemble, avec leurs familles ou avec la famille du seul fils autorisé à se marier et à se reproduire légitimement. Les recherches de Monica Chojnacka sur les recensements (Stati delle anime) du

XVIe et du XVIIe siècle ont montré que la quasi-totalité des ménages patriciens cohabitaient avec la famille du mari, alors que dans le reste de la population le modèle néolocal dominait 35 . Ces formes de cohabitation suscitent, encore au XVIIIe siècle, une surprise teintée d''admiration dans les récits des voyageurs étrangers 36 .

ACTEURS ET OBJETS DE LA TRANSMISSION

3 - Les formes de la transmission

Les règles et les pratiques de la transmission d''une generation à l''autre ont été étudiées surtout par rapport à la terre et aux groupes sociaux qui fondaient leur richesse sur sa propriété ou sur son exploitation, c''est-à-dire la noblesse et les paysans 37 . Dans ce domaine, le dialogue et les échanges entre historiens, anthropologues

38 et juristes 39 ont été particulièrement féconds. Dans les sociétés méditerranéennes, aux coutumes d''héritage influencées par le droit romain, la dot est la part de l''héritage qui revient aux filles et les débats qui ont opposé des anthropologues et des historiennes des femmes portaient sur le problème de la signification de la dot par rapport à la transmission des terres et des immeubles. La dot était interprétée par Diane Owen Hughes comme le dédommagement accordé aux filles pour leur exclusion de «la seule richesse qui compte dans une société agricole, c''est-à-dire la terre » , et, par Jack Goody comme la preuve d''une «dévolution divergente » et donc équitable, si non égalitaire, des biens familiaux aux fils et aux filles40 . Quand ces problématiques ont été insérées dans un con-

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texte urbain et, plus précisément, dans les villes italiennes de la Renaissance, à la place des terres on a mis les palais de famille, transmis par les mâles aux mâles, alors que les femmes étaient «dédommagées » par des biens mobiliers ou des immeubles de valeur inférieure ou périphériques 41 .

Au-delà de la terre et des immeubles, d''autres biens peuvent et doivent être transmis d''une génération à l''autre. Si la terre était incontestablement le fondement de la richesse dans l''ensemble de l''Europe d'' Ancien Régime, la structure de la richesse était bien plus complexe dans le contexte urbain et, à plus forte raison, dans une ville comme Venise, bâtie sur l''eau et sur le commerce. Il est à peine nécessaire d''ajouter qu''une bonne partie des populations urbaines (et bien sûr rurales) n''avaient aucune propriété immobilière à transmettre à qui que ce soit. Mais d''une génération à l''autre on ne transmet pas que de la terre ou de l''argent, on transmet aussi «des biens immatériels: le pouvoir, le prestige, les charges, les capacités, les professions » 42 . Cette autre transmission suit d''autres chemins, internes ou externes à la famille, et en partie organisés par les institutions. La formation des jeunes, par l''institution scolaire et par l''apprentissage, en est un aspect. À Venise, à la fin du XVF siècle, selon les calculs de Paul Grendler, environ 26% des garçons et seulement 0,2% des filles, d''âge compris entre six et quinze ans, allaient à l''école 43 . Toutefois, puisque les filles de la bonne société étaient souvent éduquées dans des couvents 44 et qu''une autre partie des

ACTEURS ET OBJETS DE LA TRANSMISSION 103

filles, et des garçons aussi, recevait une instruction rudimentaire à la maison, le pourcentage de jeunes gens capables de lire et écrire était certainement supérieur. Les écoles municipales, instituées par des lois du milieu du XVIe siècle, étaient fréquentées aussi par des jeunes des familles artisanes et la publication, par des maîtres vénitiens, de deux manuels pour apprendre aux «artisans et aux femmes » à lire, écrire et compter est la preuve de l''existence d''acquéreurs potentiels 45. Dans certains contrats d''apprentissage, les maîtres s''engageaient à laisser les garçons fréquenter l''école un jour par semaine. La République assurait également la formation de ses cadres dirigeants et de ses fonctionnaires de haut niveau, dans la Scuola di Rialto, où les jeunes patriciens apprenaient la philosophie et la logique, et la Scuola di San Marco, où les candidats aux postes de la Chancellerie ducale apprenaient la grammaire, la rhétorique et la philologie 46 . Même la formation des docteurs en médecine pouvait se faire en partie à Venise, ce qui permettait des économies considérables par rapport à un cursus normal suivi à l''Université de Padoue. Un diplôme délivré par le Studium vénitien ne coûtait que douze à quatorze ducats, alors que le diplôme de Padoue coûtait, dans les premières décennies du XVJe siècle, entre quinze et trente ducats. Au cours du XVIe siècle, au moins 603 diplômés sortirent du Studium vénitien, dont plus de la moitié venaient de l''État vénitien

Dans les milieux patriciens et citoyens, les filles recevaient une éducation surtout à la maison et il m''est arrivé de trouver dans le testament d''une mère un legs «à la maîtresse de mes filles » 48 .

Les écrivaines vénitiennes de l''époque, telles Cassandra Fedele, Moderata Fonte, Lucrezia Marinella ou Arcangela Tarabotti, ne proviennent pas du patriciat et les biographies de certaines d''entre elles montrent une volonté d''affirmation sociale qui s''exprime, de la part des pères, par le choix de donner une éducation poussée à leurs filles, à défaut, parfois, de garçons 49 . Les choix, les recom-

104 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

mandations, les directives pour l''éducation des enfants apparaissent aussi dans les testaments, des pères et des mères. L''apprentissage est en même temps une relation de travail et de formation. Cela est d''autant plus vrai à Venise, comme dans d''autres villes d''Italie du Nord et du Centre, où l''apprenti ne paye pas le maître mais reçoit un salaire à la fin de la période d''apprentissage

50 . Ce salaire est très réduit et il n''est absolument pas comparable avec celui qu''un travailleur dans la même branche d''activité pouvait recevoir à la même époque. Il faut toutefois prendre en compte le fait que, dans la quasi-totalité des contrats d''apprentissage, les apprentis, garçons ou filles, sont nourris et, le plus souvent, aussi logés par le maître. Les plus jeunes, pourvu qu''ils aient une famille, retournent souvent chez eux le soir, surtout dans les métiers les moins spécialisés, comme les «travaux d''aiguille » . Au contraire, dans l''artisanat de luxe ou dans certains métiers très spécialisés, comme les apothicaires, les orfèvres, et les marchands, les apprentis ne reçoivent pas de salaire, voire payent le maître pour l''enseignement dispensé. Les contrats d''apprentissage ne nous renseignent que sur un aspect de la transmission du métier, c''est-à-dire la transmission à un jeune ne faisant pas partie de la famille qui transmet. Le fait que l''apprenti soit payé par le maître accentue le caractère de l''apprentissage comme solution de remplacement de la cellule familiale pour des jeunes orphelins ou immigrés. Toutefois, les recherches de Simona Cerutti sur Turin ont montré que, au XVIIIe siècle, des familles d''artisans pouvaient envoyer leurs enfants en apprentissage chez d''autres artisans appartenant à la même branche d''activité. L''apprentissage pouvait donc faire partie d''une stratégie visant à renforcer des liens entre groupes d''artisans, en faisant circuler certains membres de la jeune génération 51 . Cette lecture rapproche le cas de Turin du cas anglais où la circulation des jeunes était un moyen d''éducation habituel, dans tous les groupes sociaux, au point de scandaliser un observateur vénitien, qui, à la fin du XVe siècle, voyait dans cette pratique éducative la preuve que les Anglais n''aimaient pas leurs enfants 52 .

ACTEURS ET OBJETS DE LA TRANSMISSION 105

Les contrats d''apprentissage vénitiens ne mentionnent pas toujours le métier du père (et jamais celui de la mère). Quand c''est le cas, on remarque effectivement que les apprentis, quand ils ne sont pas orphelins, ont des pères artisans qui auraient pu les former dans leur métier et même que parfois le père exerce le même métier que le maître, ou la maîtresse, chez qui les enfants vont apprendre. On entrevoit parfois une logique de mobilité sociale, quand le fils d''un chiffonnier va apprendre le métier de tailleur, ou quand un tailleur de Bergame envoie son fils chez un tailleur de Venise. Mais l''on voit aussi des orfèvres vénitiens qui envoient leurs enfants en apprentissage chez des confrères de la cité. On comprend alors qu''à Venise aussi la transmission du métier suivait des chemins moins directs et linéaires que la transmission interne à la famille, pour ne pas dire de père en fils. D''ailleurs, à la fin du XVIe siècle, un patricien vénitien pouvait affirmer que les enfants qui n''étaient pas éduqués sous «l''ombre paternelle » devenaient de «bien meilleurs maîtres » 53 .

Toutefois, sans connaître la taille de la famille et le nombre d''enfants, il est impossible d''en dire plus. Au-delà des «stratégies » d''éducation ou de mobilité, je crois en fait que la structure de la frérèche, qui permet à un père marchand de partager (sans vraiment les partager!) ses capitaux parmi ses fils, est en fait difficile à reproduire dans le contexte de l''atelier artisanal. Il semble difficile que tous les enfants suivent les traces de leurs parents 54 . En revanche, la transmission du métier à l''intérieur de la famille ne laisse que peu de traces documentaires, qu''il y a plus de chances de trouver dans les testaments ou dans des sources judiciaires. Cela pose problème surtout quand il s''agit de la formation des filles, pour qui les contrats d''apprentissage sont une source beaucoup plus rare que pour les garçons.

4 - Middling sort of people ?

Ma préoccupation principale dans cette partie de mon travail a été de conjuguer une approche de genre avec une analyse attentive

106 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

aux catégories sociales. Trop souvent, quand on parle d''hommes et de femmes dans le passé, on tend à généraliser à partir des groupes sur lesquels on a le plus de sources et d''informations, c''est-à-dire les noblesses et les élites urbaines. La catégorie du genre est une

«catégorie utile pour l''analyse historique » 56, non seulement dans une perspective d''histoire culturelle et des représentations, mais également dans une perspective d''histoire sociale 57 . Il s''agit, donc, de travailler sur les rôles respectifs des hommes et des femmes dans la transmission des biens, dans différents milieux sociaux. I..: échantillon se compose de huit cent cinquante testaments du XVIe siècle, dont quatre cent cinquante appartiennent à des hommes et femmes des milieux populaires et artisanaux, deux cents à des hommes et femmes du milieu de la marchandise et du commerce et deux cents à des hommes et femmes du milieu des professions et de la bureaucratie d''État. Le choix de ne prendre en considération que ceux qui déclarent une activité implique aussi qu''on exclue tous ceux qui ne se définissent que par des titulatures: les rentiers, mais aussi ces «citoyens honorables » qui sont des marchands de haut niveau et ne se définissent plus comme tels, mais par des épithètes, comme «messere » 58.

La question de la représentativité de l''échantillon doit être posée. Il est évident qu''il ne s''agit pas de tous les testaments du XVIe siècle, ni même de tous les testaments d''une année, ou de tous les testaments des artisans, des marchands ou des fonctionnaires. La recherche pourrait continuer, quasiment à l''infini. Mon souci a été de recueillir des testaments de notaires différents, rédigés par des gens, socialement identifiables, vivant dans différentes zones de la ville. Les liens et les dépendances entre formes de famille, comportements familiaux et identité sociale ou professionnelle sont un sujet classique d''histoire sociale, qui a été un objet de débat historiographique dans les dernières années. Les travaux issus de la «microhistoire » , en utilisant l''outil interprétatif des «fronts de parenté » , ont analysé les comportements familiaux comme des réof

ACTEURS ET OBJETS DE LA TRANSMISSION 107

panses conjoncturelles à des situations d''incertitude 59 . Les débats sur les jeux d''échelles et sur les capacités heuristiques du «micro » , qui ont captivé l''attention des historiens de la société dans les années 199060 , ne sont toutefois pas clos et certains travaux récents ont essayé de renouveler les termes du débat 61, notamment dans le domaine de l''histoire de la famille italienne, dans lequel les recherches microhistoriques trouvent leur origine 62 . Sans vouloir passer sous silence les difficultés posées par toute tentative de classification des individus dans des catégories sociales, mises en relief et discutées par une littérature historique riche et importante 63, j''ai décidé de prendre le risque de regrouper les testateurs, et les testatrices, en groupes, selon les activités déclarées, plutôt que de séparer simplement les hommes des femmes. Ce choix m''a permis, comme on le verra dans les chapitres qui suivent, de proposer des lectures et des interprétations de comportements ou de stratégies, liés à l''exercice de certaines activités et à la structure des patrimoines qui les conditionnent et qui en dépendent. Ces groupes «intermédiaires » 64 , ni pauvres au point de ne pas laisser d''héritage, ni riches au point de ne vivre que de leurs rentes, représentent des identités sociales qui ne sont ni étanches, ni aisées à définir. Les échelles de l''honorabilité séparent les arts libéraux des arts mécaniques, mais certains arts mécaniques deviennent honorables quand ils mobilisent des capitaux importants. Un artisan soyeux à la tête d''une entreprise peut prétendre à ne pas (ou plus) être considéré comme un «mechanicus » . Au XVIIIe siècle, à Paris, on pouvait écrire que les merciers «ne travaillent point et ne font aucun ouvrage de la main, si ce n''est pour enjoliver les choses qui sont déjà faites et fabriquées » . Ils sont donc à l''égal des marchands, même s''il s''agit d''un de «ces corps qui sont regardés comme mixtes, c''est-à-dire qu''ils tiennent du marchand et de l''artisan » 65 . À

108 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

Venise, au XVIe siècle, certains merciers deviennent très riches et participent au commerce maritime international. On pourrait presque avancer l''hypothèse que Venise ait anticipé de deux siècles le mouvement d''ascension sociale des merciers qui caractérise les grandes villes d''Europe au XVIIJe siècle. La situation particulière du marché du luxe vénitien, dans le contexte de la «conspicuous consumption » du XVJe siècle, pourrait justifier cette lecture 66 .

Les milieux que j''ai choisis communiquent entre eux d''autant plus que, dans une même famille, à la même génération, des frères peuvent choisir des activités différentes. Cela caractérise surtout ces familles marchandes qui décident de faire étudier des enfants à l''Université de Padoue, pour qu''ils deviennent des hommes de loi ou des médecins, ou à la Scuola di San Marco, pour qu''ils entrent à la Chancellerie ducale. C''est justement au moment du testament que ces choix concernant le destin des fils sont explicités et déterminent des stratégies successorales différenciées et spécifiques. J''ai cherché à retrouver la rationalité des modalités de transmission en essayant d''articuler la réflexion à partir des objets qui devaient, et pouvaient être transmis et à partir des relations qui pouvaient être mobilisées pour le faire. Pour faire son testament il faut avoir quelque chose et avoir quelqu''un à qui la laisser. Je me suis efforcée de prendre en compte la complexité de l''échantillon à ma disposition et de prendre au sérieux les déclarations des testateurs : ce n''est pas parce qu''on est un salarié ou un marin qu''on ne peut pas éprouver le besoin d''imaginer et d''influencer le futur des membres de sa famille au-delà de sa propre existence.

Chapitre VI. Artisans et gens du «peuple»

I - les testaments des hommes : la succession des « homines mechanici ».

Dans ce premier groupe de 200 testaments, il y a tous ceux qui se définissent par l''exercice d''un métier artisanal, ou un petit commerce et les domestiques. Ce sont des maîtres artisans, ou des simples ouvriers, rarement propriétaires de leurs boutiques ou ateliers. Il s''agit certainement du groupe le plus hétérogène, dans lequel nous pouvons trouver des niveaux de richesse très différents

1. Dans une masse de testaments brefs, où les legs pieux sont peu nombreux, on trouve aussi des artisans fortunés, propriétaires d''immeubles, tel ce tonnelier qui laisse à son épouse l''usufruit de ses «immeubles, maisons et boutiques à San Cassan » 2, ou ce porteur à la Douane qui partage ses maisons entre ses filles3. La moitié (105) déclarent avoir des enfants et, parmi les autres, deux font des legs aux enfants de leurs épouses. Ils font presque tous testament étant malades, de «grand âge » 4, voire «grièvement blessés » 5 ou parce qu''ils sont sur le point de partir «chevaucher la mer » 6 et ne sachant donc pas «où, le cas échéant, mon esprit sera

110 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

séparé de mon corps, car je pars pour un long voyage » 7 . Vingt-sept d''entre eux, au moins, ne sont pas mariés, même s''il est difficile d''en être sûr, car les hommes ne se définissent jamais par rapport à leur état civil. Parfois, à la lecture d''un testament, apparaissent, dans les dernières lignes, des legs pour messes pour l''âme de la défunte épouse8, ou bien il est fait allusion à des petits-enfants, mais pas à la condition de veuf du testateur 9 .

1 - «Car je n''ai jamais eu de femmes, ni d''enfants»

Ainsi s''exprime un maçon, originaire de Bergame. Dans un autre cas, celui d''un charpentier de !'' Arsenal, la condition de célibataire est la prémisse à son choix, «inspiré par Dieu » , de se faire moine dans le monastère bénédictin de San Giorgio maggiore 11 .

Parmi les célibataires, il y a aussi trois domestiques, une condition qui, pour les hommes comme pour les femmes, peut rendre problématique une vie de famille. Un autre domestique, qui désigne son

«seigneur et patron » héritier de tous ses biens «car il m''a assisté dans maintes occasions de son argent » , a une femme et une fille dont il n''a pas eu de nouvelles depuis trente ans «et je ne sais pas si elles sont mortes ou vivantes » 12. Les membres de la famille et surtout les frères (7 cas) sont le plus souvent les héritiers de ces hommes célibataires (25 cas). Des legs spécifiques sont prévus pour les neveux et surtout pour le mariage des nièces: «puisqu''il est chargé de filles » , écrit un forgeron de l''Arsenal, au sujet d''un neveu, en lui laissant les biens qu''il a encore en indivision avec son frère resté au village, dans le duché de Milan 13. Santo di Trotti, maçon, lègue ses

ARTISANS ET GENS DU «PEUPLE » 111

biens aux fils de son frère, qui pourront les gérer seulement à partir de l''âge de trente ans 14.

«Je n''ai personne au monde, hormis Dieu et la Vierge Marie » , déclare un tisserand de gaze, dans son testament, en laissant ses biens à Greguol, un rameur, et à Diana, «en compagnie » . Rempli de legs pieux, ce testament est aussi l''occasion pour «absoudre et libérer » ses nombreux débiteurs, et ordonner que leurs gages leur soient rendus 15. Un autre, celui qui avait déclaré ne jamais avoir eu de femme, ni d''enfant, fait des legs aux filles de ses soeurs, mais choisit comme héritier l''enfant d''un jeune couple dont il héberge la femme, pendant que le mari est en voyage à Alexandrie. Avec ce dernier, le maçon de Bergame a des affaires en cours, puisqu''il lui réclame un payement de 1.400 ducats 16.

Des relations d''affaires, d''endettement, d''aide mutuelle, d''amitié peuplent ces testaments d''hommes «sans famille » ; sans doute des liens d''amour aussi. Qui peut dire quelles étaient les relations qu''entretenaient ce calfat de !'' Arsenal et ce tisserand de soie avec les femmes, ni épouses ni parentes, à qui ils laissèrent tous leurs biens 17 ? Il peut s''agir de legs pour marier les trois filles d''un collègue,

«pour qu''elles n''aillent pas à mal » , comme l''écrit un tailleur de pierre dans son testament, en confiant, par la même occasion, ses biens à leur mère «pour qu''ils n''aillent pas à mal » , non plus. Au notaire qui, selon la loi, lui demande s''il ne veut pas laisser quelque chose aux hôpitaux de la ville, il répond «qu''il n''y a pas de plus bel hôpital que ces filles, qui sont pauvres et misérables » 18. Il peut, au

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contraire, s''agir de signifier sa reconnaissance à l''égard des personnes qui sont venus en aide en des moments de difficulté ou de maladie. Entre 1555 et 1562, un tisserand de soie à la santé fragile fait quatre testaments, en changeant à chaque fois d''héritiers et de légataires, pour arriver, dans le dernier, à faire son neveu héritier de tous ses biens, à condition qu''il paie les honoraires de son médecin et les factures de son pharmacien. Logé pendant quelque temps par le patricien Gerolamo Querini et assisté par la magnifica madonna Isabetta Massolo, cet artisan les avait à un moment choisis comme héritiers 19 . Cette série de testaments laisse entrevoir une réalité quotidienne de relations entre élite et peuple, entre riches et pauvres, qui créent des dépendances et des obligations. C''est une image différente du palais patricien qui se dessine, à travers ces documents. Des palais qui se peuplent d''artisans en détresse, ou de veuves sans ressources, et qui, par leurs testaments, s''empressent de repayer l''attention qui leur fut, à un moment, offerte.

Héritiers de l''axe héréditaire d''hommes célibataires et sans enfants Héritiers de substitution

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2 - «Car elle a peiné avec moi, avec amour, pour acquérir ce que j''ai maintenant»

C''est ainsi que s''exprime un mesureur de la Commune sans enfants et qui dit «ne pas avoir de biens paternels ni maternels » ,

ARTISANS ET GENS DU «PEUPLE » 113

en léguant tout ce qu''il possède à son épouse. Si on était dans un autre régime successoral, on pourrait parler, pour ce testament, de la distinction entre «acquets et conquets » et apports des époux lors du mariage. Il y a une succession logique, dans les mots du testateur, qui laisse ses biens à la personne qui l''a aidé à les acquérir, en précisant que n''ayant pas reçu de biens de sa famille, il n''a pas d''obligation à son égard. Ce n''est pas seulement dans les testaments féminins que les prétentions de la famille d''origine et celles du conjoint peuvent entrer en concurrence et compétition. Un lainier sépare ainsi le sort de son residuum de celui de la maison qu''il a fait construire, sur des terres de sa famille d''origine, à qui elle reviendra 21 .

Certains testateurs partagent l''héritage entre leur famille et leur épouse, d''autres laissent tout à leur famille et seulement la dot à leur épouse. Dans d''autres cas, la femme a l''usufruit et, à sa mort, la famille d''origine hérite. Parmi les legs que les femmes reçoivent, en plus de leur dot, il y a souvent tous les meubles de la maison, et notamment le lit, signe que, contrairement à la coutume, dans les milieux populaires, les conjoints mettent en commun le peu qu''ils possèdent et le lit conjugal ne fait pas toujours partie de la dot. En absence d''enfants, la condition de veuvage est très rarement imposée par les maris: il n''y a que cinq testateurs qui subordonnent les legs à leur femme au fait qu''elle ne se remarie pas. La restitution de la dot, prévue par la loi, est toutefois rappelée par ceux, parmi les testateurs, qui ne lèguent pas la totalité de leurs biens à leur épouse: on peut y voir une forme de protection des intérêts de la veuve face à sa belle famille. Le fait que la dot promise n''ait pas été payée peut en fait avoir des conséquences fâcheuses pour la veuve. Le testament d''un capitaine de bateau tente d''y apporter une solution. Tout en se plaignant du fait que, à la place des 300 ducats promis pour la dot de sa femme, il n''a reçu que 300 livres (environ 50 ducats), il laisse à son frère la charge de sa future veuve. «S''il veut la garder à la maison et lui tenir compagnie, je serai content, mais, dans le cas contraire, qu''il lui donne, s''il le veut bien, 10 ducats par an pendant dix ans » 22 .

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114 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

Le destin de la veuve, surtout quand le couple n''a pas d''enfants, est un sujet de préoccupation dans ces testaments et le remariage peut être envisagé comme la meilleure solution. Le testament d''un maître charpentier est particulièrement explicite dans ce sens: en laissant à sa femme tous ses biens en territoire de Bergame, il l''autorise en même temps à les vendre pour «subvenir à ses besoins » , mais, en cas de remariage, il faudra qu''elle en garde la propriété pour les louer et ne retrouvera la possibilité de les revendre que si elle se trouve veuve à nouveau 23 . Très logiquement, ce testateur devait penser qu''une veuve remariée avait en partie résolu le problème de sa subsistance et encourageait à sa manière sa femme

à se remarier, pour que ses terres ne soient pas vendues. La plupart des testateurs désignent toutefois leur épouse héritière universelle, sans conditions. C''est alors la veuve qui reçoit, très souvent, la charge d''exécutrice testamentaire et «patronne absolue » 24 , incluant la tâche de distribuer les legs pieux ou les legs destinés à la famille du mari. Certains testateurs, enfin, n''ayant pas d''enfants propres, laissent leurs biens aux enfants d''un précédent mariage de leurs épouses.

Héritiers de l''axe héréditaire d''hommes mariés n''ayant pas d''enfants Héritiers de substitution

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ARTISANS ET GENS DU «PEUPLE » 115

Exécuteurs testamentaires d''hommes mariés n''ayant pas d''enfants

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L''épouse est généralement choisie comme exécutrice testamentaire, très rarement en association avec un homme de la famille du testateur, frère (3 cas), cousin (1 cas), ou une personne extérieure (3 cas). Parmi les personnes extérieures à la famille, il y a des collègues de travail (6 au moins), des religieux (2), voire des personnes d''un groupe social plus élevé ou fortuné (patriciens, avocats).

3 - «Du reste, s''il y en a, je laisse mon fils héritier et ma femme exécutrice»

Ainsi s''exprime un forgeron, préoccupé de savoir si, après le paiement de la dot à sa femme, il va rester quelque chose à son fils. Payer la dot à la veuve est une obligation, si elle le demande mais, si elle reste à la maison, le problème peut aussi ne pas se poser. «Si elle se remarie qu''elle n''ait que sa dot et qu''elle aille avec Dieu » , écrit un autre forgeron, qui laisse le gouvernement de la maison à sa femme et à sa belle fille, la veuve de son fils, léguant tous ses biens à ses trois autres fils et à leurs enfants 26 . La plupart des testateurs, ayant des enfants en bas âge, lèguent tous leurs biens à leur femme, en lui confiant la tutelle des enfants. L''âge des enfants est bien sûr déterminant et un batelier, malade, demande à sa femme de s''occuper de leur petite fille, âgée de cinq mois, si elle veut avoir son héritage: le bateau, avec ce qu''il y a dedans, et 20 ducats 27 . Un porteur du Fondaco des Allemands laisse toute liberté à sa femme de faire ce qu''elle voudra «pour le bien des filles » , «car elle a été bonne avec moi et elle s''est volontiers contentée » 28 , mais la plupart imposent à leur femme la condition de veuvage si elle veut l''héritage. Si la veuve se remarie, les legs vont aux enfants, mais il

116 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

est apparemment implicite que les enfants suivent la mère. Dans ces milieux, le rôle de la famille d''origine du testateur est limité au minimum et les allusions, relativement fréquentes, aux enfants de précédents mariages du testateur comme de son épouse, témoignent de la normalité de situations de remariages et de ce qu''on appellerait aujourd''hui des «familles recomposées » . Une fois qu''on a désigné l''épouse comme usufruitière et les enfants comme héritiers, le choix se déplace ensuite sur ces derniers: choix entre héritage et legs, choix entre enfants de différents mariages, voire entre enfants légitimes et illégitimes. Un tisserand originaire du Frioul ne laisse que dix ducats à l''un de ses fils, «car il ne m''a jamais obéi et il est toujours sorti de mes commandements » , et lègue tout à l''autre, à condition qu''il s''occupe bien de sa mère 29 •

Un lainier milanais choisit de punir son fils «peu aimable et peu obéissant » , ne lui laissant qu''une rente sur 50 ducats et léguant tous ses biens à sa fille. Ni le fils ni la fille n''ont d''enfants mais si la fille, désignée comme héritière, n''en avait pas, elle ne pourrait pas choisir, à son tour, ses héritiers, car l''héritage de son père irait aux soeurs de ce dernier 30 . Le privilège accordé à la fille en excluant le fils ne lui donne pas toutes les libertés en matière successorale. Certains testateurs partagent à égalité leur héritage entre l''épouse et les fils, après avoir doté les filles; d''autres laissent le

residuum aux fils et dotent les filles; d''autres, encore, le residuum

aux fils et la boutique à l''épouse. Un porteur de vin, très âgé, récompense, par son testament, le fils qui l''a assisté et nourri dans ses vieilles années, alors que l''autre ne lui a donné «que quelques fois à manger » 31 . Un batelier lègue tout à sa fille, veuve, qui vit avec lui «pour son gouvernement » 32.

Les testaments témoignent de mariages successifs et les choix successoraux en sont évidemment déterminés. Des veufs remariés ayant des enfants en bas âge les désignent comme héritiers

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de leurs biens, à égalité 33 . Souvent, ces testateurs parlent de leur «autre épouse » , ou de leur «présente épouse » , sans se définir comme veufs ou remariés. Un peintre, malade, prie son épouse de bien s''occuper des «enfants que nous avons ensemble, et de celui que j''ai eu avec mon autre femme, et aussi de celui qu''elle a eu avec son autre mari » 34 . Maître Christophoro, forgeron, déclare avoir vécu avec une certaine Cecilia, «qui était mon amie et puis ma femme, car je l''ai épousée » , mais ne pas se considérer comme le père du fils de cette femme, alors qu''il en a eu cinq avec une autre, qu''il a aussi épousée, après avoir vécu «dix ou douze ans en compagnie » 35 .

Pour les hommes, la condition de veuvage peut plus facilement donner lieu à une nouvelle relation amoureuse, et parentale, sans que mariage s''ensuive. Les pères en font état dans leurs testaments, et les enfants de ces unions sont désignés comme héritiers de la substance paternelle. Doter les filles et léguer ses biens aux fils: même dans les milieux artisanaux il s''agit du choix le plus fréquent, de la part de testateurs ayant des fils et des filles, qui peut même s''exprimer, chez les artisans les plus riches, par un fidéicommis. C''est le cas d''un lainier de Bergame, Maffia Morelli, qui laisse 300 ducats de dot à sa fille et réserve le reste de ses biens à sa descendance masculine «usque ad infinitum » 36 . Les pères artisans destinent leurs filles au mariage, très rarement au couvent et laissent généralement à leur épouse le choix du montant de la dot. Le maître barbier Nicola di Garosi ordonne qu''à sa mort ses biens soient «justement » partagés entre ses enfants, filles et garçons, en précisant que celles qui, à sa mort, auraient déjà reçu leur dot pour se marier ou entrer au couvent, «devraient considérer qu''elles avaient reçu leur part » 37 .

118 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

Un partage «juste » n''est pas forcément un partage égalitaire, mais un partage fait selon des critères considérés comme justes et acceptables: la société d''Ancien Régime a été définie une «société gouvernée par un système accepté de justice de l''inégalité » 38 . Dans deux testaments antérieurs 39 , ce barbier avait tout laissé à son fils mais, depuis le décès de son épouse, il s''était mis en ménage, sans l''épouser, avec une femme qui lui avait donné quatre enfants. Dans ce troisième testament, il demande à être enterré à côté de son épouse, mais veut que son fils partage «justement » ses biens avec les quatre autres, deux filles et deux garçons, et précise aussi que la mère des enfants doit recevoir son salaire. Le partage, équitable sinon égalitaire, est le résultat de la situation particulière, même si on ne peut pas la qualifier d''exceptionnelle, d''un veuf qui s''est consolé avec son employée. Ce qui fait la différence avec d''autres milieux c''est que les filles, comme les mères, travaillent et participent du travail commun de la boutique. L''obligation paternelle de doter la fille ne peut alors qu''avoir un sens différent. Le testament d''un maître tisserand est, de ce point de vue, très significatif. Il a trois enfants, deux filles et un fils, de sa première épouse: la première fille est déjà mariée, avec vingt ducats de la dot de sa mère et «tout ce que j''ai pu donner du mien, car je l''ai installée dans sa maison le mieux que je l''ai pu » , écrit son père. À la deuxième fille, il laisse quarante ducats, outre les vingt ducats qui lui reviennent de la dot maternelle. À sa deuxième épouse, il laisse sa dot, de trente ducats, et vingt ducats de contredot. Tout le reste est pour son fils, à condition qu''il exécute les legs destinés à sa soeur et belle-mère mais, précise ce maître artisan, que «les femmes puissent travailler et faire travailler de leur métier, et que jamais les biens ne leur soient enlevés des mains, jusqu''à entière satisfaction de ce que je leur lègue » 40 . La fille et

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l''épouse ont donc le droit de continuer à tirer de quoi vivre de leur travail dans la boutique familiale, aussi longtemps que l''héritier masculin ne sera pas en mesure de leur payer les legs du père qui leur permettront alors de se marier, pour l''une et, vraisemblablement, de vivre ailleurs, voire, même, de se remarier, pour l''autre. Le testament du père peut également témoigner d''une attention particulière à l''égard d''une fille, tel celui d''un matelot, qui ne laisse rien de sa «petite pauvreté » à ses fils et tous ses biens meubles «n''ayant pas d''immeubles » , «à ma fille Marietta, pour qu''elle puisse s''accompagner le mieux qu''à Dieu plaira » 41 .

La distinction entre enfants légitimes et naturels apparaît aussi dans les testaments. D''autres recherches sur les testaments au XVIe siècle ont montré une augmentation significative des legs aux enfants illégitimes, par rapport aux siècles précédents et suivants 42 .

Nous avons vu que les légistes vénitiens du XVIIIe siècle regardaient le XVI" comme un siècle de plus grande tolérance à l''égard des illégitimes.

Les testaments vénitiens de l''époque font en fait assez souvent allusion à des enfants «naturels » , dans tous les groupes sociaux que j''ai étudiés. Il peut s''agir du matelot qui, avant de partir à la guerre, désigne son «héritière universelle » la fille qu''il a eue avec Paulina une grecque de Candie, «qu''elle soit ou qu''elle ne soit pas ma fille » 43 ou alors du teinturier qui se préoccupe de l''éducation de la fille de sa domestique, «qu''elle soit ou pas ma fille » , ainsi que du mariage de la mère «pour qu''elle ne se casse pas le cou » (qu''elle ne finisse pas prostituée) 44 . Stephano di Vidali, un barbier, tout en laissant à son épouse de quoi vivre avec une domestique, «comme elle le mérite » , confie à une autre femme celui qu''il «tient pour très cher fils » en précisant que s''il avait des enfants légitimes ils devraient être traités de la même manière, garçons et filles45 .

groupe voyage quebec angleterre

120 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

Par testament, enfin, on peut appeler à la succession des enfants qui ne font pas partie de la famille et l''expression «fia de anema » revient souvent dans les testaments populaires. Dans les testaments d''un couple, Pelegrin e Viena Parma, Zanetto est appelé

«arlievo » , dans le testament du mari, et «mon fils, qu''il soit ou pas mon fils » , dans celui de la femme 46 . I.: expression «allievi »

indique en même temps des enfants que l''on a élevés et des élèves. Samuel Cohn a remarqué «a sharp rise and decline » dans les legs testamentaires aux enfants adoptés, à Sienne, au XVIe siècle. Il l''explique comme une conséquence des guerres contre Florence, avec leur cortèges de morts et de déplacements 47 . Dans le cas vénitien, aussi, on peut parler d''une conjoncture particulière au XVF siècle, qui a vu les armées impériales et la famine ravager la Terre ferme au début du siècle, les guerres contre l''Empire Ottoman et la peste dans la deuxième moitié du siècle. Toutefois, ces genres de conjonctures sont assez fréquents et le XVIIe ne fut pas moins belliqueux ni moins pestilentiel que le XVIe. Dans l''attente d''une recherche quantitative sur l''adoption à Venise, je ne peux que remarquer que l''adoption, ou toute autre forme d''accueil d''enfants sans famille ne peut qu''être une structure portante de la société < l''Ancien Régime, en dépit du fait que, théoriquement, elle ne devrait plus exister dans l''Europe chrétienne.

Testament paternel: héritiers de l''axe héréditaire Testament paternel: exécuteurs testamentaires

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Les épouses sont généralement choisies comme exécutrices testamentaires, très souvent seules et, surtout quand les enfants

ARTISANS ET GENS DU «PEUPLE » 121

sont mineurs, elles ont également l''usufruit; toutefois, dans dixhuit testaments, elles sont désignées comme héritières, même en présence d''enfants. Ce sont les testaments de parents d''enfants en très bas âge, dont la mère est désignée comme tutrice, ou alors les testaments d''hommes remariés, ayant des enfants désormais adultes et qui laissent tous leurs biens à la nouvelle épouse. La forte présence de personnes ne faisant pas partie de la famille parmi les exécuteurs testamentaires est caractéristique de ce groupe de testaments: il s''agit surtout de collègues de travail, voire d''associés de la boutique 48 .

La notion d''héritier de substitution n''apparaît pratiquement jamais: en présence d''enfants, les pères des milieux populaires ne ressentent pas le besoin d''imaginer la succession au-delà de ceux qu''ils ont destinés à leur succéder. Remarquons encore que la quasi-totalité de ces testaments ont été faits en situation d''urgence, lors d''une maladie, ou au moment de partir pour un voyage. Le principal souci est d''assurer à la veuve de quoi vivre: les legs en plus de la dot sont certes soumis à la condition de veuvage, en faisant fonction de douaire ou de contredot, mais dans aucun cas le mari ne fait intervenir des membres de sa famille pour s''occuper de ses enfants si sa veuve voulait se remarier. En cas de remariage, les enfants suivent la mère et les legs, alors, passés de la mère aux enfants, serviront à les faire accepter plus facilement par un beaupère éventuel.

4 - L'atelier et le métier

Le sort de l''atelier, ou de la boutique, est rarement précisé dans les testaments. Ce sont les testaments d''artisans sans enfants qui ont le plus de chances de nous éclaircir sur sa destination. Ainsi, un maître barbier partage sa boutique, avec tous les outils, entre son épouse et le neveu de cette dernière 49 ; un pâtissier laisse les fonds de commerce de ses deux échoppes à sa mère, en précisant que personne ne devra lui demander des comptes, ni, dit-il, lui «casser

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la tête » 50 ; ou, encore un tisserand de soie ayant laissé ses biens aux trois fils d''une de ses soeurs, lègue tous ses métiers à tisser à la fille d''une autre soeur 51 .

Quand le sujet n''est pas touché par le testateur, on se demande si la question avait été réglée ailleurs, ou si le «reste » comprenant la totalité des meubles et des immeubles, il faut en déduire que, le cas échéant, la boutique aussi en faisait partie. Les hiérarchies économiques dans le monde des métiers sont telles que toute généralisation, même à l''intérieur d''un même métier, serait évidemment trompeuse, surtout à une époque de forte mobilité sociale. Je crois, toutefois, qu''il faut essayer de comprendre quels sont les enjeux et les conséquences des processus de transmission dans les différentes réalités et situations. Le testament ne nous donne qu''une petite partie des informations sur la composition de la famille et sur la reproduction sociale, son but étant essentiellement d''organiser la succession des biens matériels. Quand les enfants ont déjà trouvé leur chemin dans l''existence, le testament paternel ne nous dira rien sur leur formation, ni sur le rôle joué par la famille dans leur établissement. Dans le monde des métiers, la transmission passe par l''apprentissage, expérience qui n''est pas la même pour filles et garçons, et qui se traduit par un éloignement des enfants de la famille d''origine. Maître Santo, tisserand de futaines, évoque son «fils Piero, qui est un jeune de vingt-quatre ans qui va par le monde, en travaillant » , et laisse tous ses biens à sa femme 52 . Un «jeune » est aussi un apprenti et je crois que c''est dans ce sens-là qu''il faut l''entendre, alors que le verbe utilisé, «travaiando » , renvoie, en dialecte vénitien, surtout à la signification de travail pénible, de labeur. Le métier ne lui est pas transmis par le père, mais, éventuellement, par la mère, plus tard. La transmission d''un métier du père au fils n''a en fait rien de nécessaire et si certains artisans insistent sur la continuité, d''autres, au contraire choisissent de la casser. Un peigneur

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de lin, originaire du territoire de Bergame, ordonne de vendre tous ses lins et de partager le fruit de la vente entre son épouse, son fils et sa fille, à condition qu''elle soit sage 53 . Nous n''avons aucun autre élément pour comprendre les raisons de ce choix: dans une autre partie de son testament, cet artisan précisait que si on n''arrivait pas à les vendre, il fallait en donner à une vieille servante. Il est clair, toutefois, que la transmission se fait aussi bien par voie féminine que par voie masculine. Notamment, la collaboration entre mari et femme est une réalité explicite dans plusieurs testaments, tel celui, déjà évoqué, du tisserand qui recommande à son fils de permettre à sa femme de continuer à travailler dans la boutique. Mais, dans d''autres cas, la boutique est transmise à la femme et le reste aux fils54. L'' orfèvre Bernardino Gandini, laisse une échoppe fournie de tous les outils du métier à sa femme et à ses deux filles, en ajoutant que même s''il y avait des fils, tout serait à partager à égalité 55 . Le maître tisserand Paulo da Legnago laisse ses métiers à tisser aux enfants de sa fille, un garçon et deux fillettes 56 .

Si les testaments font rarement allusion à la boutique c''est aussi parce que la plupart des artisans vénitiens n''en sont pas propriétaires: ils possèdent éventuellement les outils de travail et les transmettre suffit à assurer la reprise du métier 57 . Certains font d''ailleurs allusion à la transmission non pas d''un lieu, ou d''une propriété, mais d''un «fonds de commerce » («inviamento » ). Les propriétaires d''ateliers représentent un groupe social intermédiaire qui, en tant que chefs d''entreprise, peuvent être rapprochés des marchands. Certains d''entre eux, des tisserands ou des teinturiers de soie, peuvent même envisager de marier leurs filles à des patriciens, comme on le verra dans le prochain chapitre.

124 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

II - Travail, famille, cycle de vie : les testaments des femmes

1 - Margarita «tisserande», Caterina «servante», Isabetta «nourrice» et les autres...

Dans leurs testaments, les femmes se définissent dans la quasi-totalité des cas par leur situation familiale. Celles qui déclarent exercer un métier sont une toute petite minorité (30) et, pour la quasi-totalité (24), il s''agit de domestiques ou de nourrices 58 .

Pourtant, par une lecture attentive, certains testaments nous renseignent aussi sur une réalité, nécessaire mais pas toujours évidente à démontrer, celle du travail des femmes 59 . Le testament de Gratiosa, épouse de Philippo, charpentier à l''Arsenal, est significatif, car la réalité de ses activités professionnelles en tant que tisserande de soie apparaît presque par hasard. Elle veut que son mari

«trouve les sept ducats de soie qu''il m''a pris de la maison pour les vendre et moi j''ai été obligé de rembourser les marchands pour qui je travaillais » 60 . De la même manière, le testament de l''épouse d''un tonnelier destine 50 ducats, «le fruit de mon industrie » (mais laquelle?) à payer ses obsèques 61 .

Le fait d''appartenir, selon la terminologie classique, à la famille de son maître, informe les testaments des servantes, qui désignent souvent leurs patrons comme exécuteurs, voire comme héritiers 62 .

ARTISANS ET GENS DU «PEUPLE » 125

Margarita da Sibenicho, servante chez le magnifique messer Piero Trevisan, le désigne comme exécuteur testamentaire et héritier de tous ses biens, «qu''il fasse le haut et le bas, comme il voudra » , et, écrit-elle, «même si j''avais de grandes richesses, tout soit dudit patron » 63 . Même après avoir quitté la maison de ses patrons, les liens de fidélité ou de dépendance peuvent continuer d''exister: Isabetta Bachigian, de Vicence, laisse sa dot à son patron, un Priuli, qui la lui a donnée 64 . Violante Baldissera, une ancienne nourrice, qui fait son testament avant de partir pour son village, au Frioul, et qui désigne son mari comme usufruitier, ne choisit pas comme héritière sa fille biologique mais sa fille de lait. Il n''est fait aucune allusion, dans ce testament, à l''existence de dettes précédentes, d''avances de salaires, ou d''autres obligations qu''il faudrait rembourser, mais il est tout simplement question de l'' «amour » que la magnifique Fiammetta Barbara a démontré à l''égard de son ancienne nourrice

65 . La situation est apparemment un peu différente dans le cas de Magdalena de Crémone, veuve d''un fabricant de peignes pour métiers à tisser, originaire de Padoue, qui désigne comme héritière sa fille de lait, la magnifique Andriana Barbara, mais qui déclare avoir prêté 200 ducats au frère et 150 ducats au mari de cette dernière

66 . Il pourrait aussi s''agir de salaires non payés, décomptés des frais d''entretien d''une vieille nourrice «retraitée » , puisque Magdalena vit à ca'' Barbaro 67 . Il est certain qu''entre servantes et patrons s''instaurent des relations compliquées d''échanges réciproques de services, mais tous les testaments de servantes ne sont pas si dépendants de leurs patrons, et d''autres laissent tous leurs avoirs à leurs enfants, ou à d''autres membres de la famille. Souvent, toutefois, ces servantes n''ont pas d''enfants. Il s''agit de femmes, toujours immigrées de la Terre ferme ou de la Dalmatie, qui ont passé leur vie au service d''une autre famille et qui n''ont

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pas pu en construire une, ce qui explique, évidemment, l''attachement aux patrons, chez qui elle vivent leurs derniers instants. Ne pas avoir eu d''enfants n''empêche pas, toutefois, des formes de parrainage sinon d''adoption dont peuvent bénéficier des orphelins de leur entourage. Vicenza, originaire de la région de Vicence, veuve et domestique chez le clarissimo messer Bernardo Verrier, laisse tout ce qu''elle a à «Marieta, la fille d''Iseppo dal oglio, qui vend aux

Carmini, que j''ai et je tiens pour ma fille, sans péché » . Par cette expression, elle veut souligner qu''il ne s''agit pas d''une fille illégitime et, d''ailleurs, quelques lignes plus bas, elle fait aussi des legs à la mère de Marieta 68 . Les liens avec les autres domestiques de la maison sont un autre élément qui caractérise ces testaments. Antonia Feltrina, probablement une nourrice de ca'' Pisani, laisse tout ce qui restera après son enterrement «à ceux qui en auront le plus besoin, ici, dans la maison » 69 .

Seulement trois testaments font mention del'' existence d''enfants et, dans les trois cas, il s''agit d''une fille unique. Les cas de nourrices sans enfants nous renvoient probablement au sort pénible de ces femmes, dont les enfants sont morts et qui ont allaité des enfants qui n''étaient pas les leurs. C''est apparemment le cas de Magdalena, épouse de Zuane di Donado, tisserand, qui laisse sa dot, de 150 ducats, à son fils de lait et, après sa mort, aux fils de son mari7°. Savoir en quoi consistent les richesses de ces femmes est plus difficile: des propriétés à la campagne apparaissent parfois 7 1, des habits, des tissus et des robes qui, par leur importance, font penser qu''il s''agit de cadeaux de leur maîtresse 72 . Une seule, veuve d''un teinturier, faisant son testament étant «saine de corps et d''esprit » , fait état d''un capital de 100 ducats, dont la moitié sont des salaires que son maître ne lui a pas encore payés, et le reste ce sont des créances qui lui viennent d''une activité de prêts sur gages, au profit de gens du voisinage 73 . D''autres testaments de servantes, comme

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Marietta, veuve d''un matelot, ou Margarita Schiavona, décrivent des circuits de crédit et de prêts sur gages, et, parmi les créanciers, on trouve, à côté des gens du quartier, aussi des «docteurs » 74 .

Parmi les témoins au testament de Marietta, il y avait Malgarita, tisserande de soie, qui, ayant fait le sien quelques années auparavant, y rajouta un codicille pour préciser que son métier à tisser était destiné à sa nièce. Malgarita, qui n''avait pas d''enfants, était l''épouse d''un Français, désigné comme exécuteur testamentaire et héritier de tous ses biens, à l''exception de son métier à tisser et d''une vigne, en Dalmatie, que Malgarita destinait à son neveu 75 .

Une autre Marietta, veuve d''un tisserand de soie, ne déclare pas exercer un métier, mais partage ses métiers à tisser entre ses filles, qui en reçoivent la plupart, et son fils, qui en reçoit un «vieux » , car, pupille vivant chez son oncle, il est censé ne pas en avoir besoin. Il est évident que cette veuve avait continué, avec ses filles, l''activité qu''elle avait exercée avec son mari 76 .

Les sages-femmes Cecilia Raspi, veuve d''un savonnier 77, et Ludovica Castellana, veuve, en deuxième mariage, d''un charpentier de l''Arsenal 78 , font des legs différents à chacun de leurs enfants, ou petits-enfants, arrivant, c''est le cas de Ludovica Castellana, à laisser cent ducats chacune à ses petites-filles pour leur mariage ou entrée au couvent. Menega, blanchisseuse allemande 79, et la teinturière Pasqualina 80, qui n''ont pas d''enfants, laissent leurs biens à des personnes qui ne font pas partie de leur famille, mais qui vivent chez elles et avec qui elles ont partagé les dernières années de leur vie.

2 - «N'ayant ni fils, ni fille»

Parmi les femmes dont le mari, vivant, ou le père est un artisan, au moins 103 n''ont pas d''enfants et n''en attendent pas, ce qui est une proportion considérable, sur la totalité, de 255 testaments à notre disposition. Parmi les femmes sans enfants, celles qui ne sont pas mariées sont une toute petite minorité (9). Nous pouvons en tirer une première conséquence: les femmes célibataires ont moins

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de raisons que les femmes mariées de faire testament. Quand elles en font un, c''est pour en faire profiter d''autres femmes, de la famille ou du voisinage. Tout en recoupant largement le réseau familial et le voisinage, ces réseaux féminins s''ouvrent aussi aux relations d''amitié et de travail. Le fait que, comme l''on vient de le voir, le nombre de servantes célibataires qui font un testament soit relativement important, confirme que la famille des maîtres a remplacé, tant bien que mal, la famille restée au village, qui a laissé partir une jeune fille inexpérimentée pour aller servir des étrangers dans la capitale. Elle l''a remplacée aussi dans son rôle d''héritière, d''un bien maigre pécule, mais qui peut représenter le fruit d''une vie de travail. En même temps, le testament devient, dans ces cas, l''acte symbolique de rupture avec la famille d''origine, car il sert à en écarter les prétentions éventuelles à l''héritage. Le nombre de femmes mariées n''ayant pas d''enfants qui font un testament est, par contre, très important (94). Dans quelques cas, il y a des allusions à des enfants du couple décédés auparavant

82 , il s''agit donc de mariages qui ne furent pas stériles, mais de couples qui se retrouvent sans descendants directs. Il est extrêmement rare que ces femmes donnent quelques informations sur leur âge 83 . Nous n''avons donc aucun élément, au-delà de quelques remarques qui pourraient être interprétées de beaucoup de manières différentes, pour le déterminer. Le seul critère pertinent, mais encore vague, est, probablement, l''allusion aux enfants qu''elles pourraient encore avoir, aussi car, si leur situation familiale évoluait, leurs choix successoraux en seraient nécessairement modifiés. De toute façon, il s''agit de considérer les choix individuels et les intentions, plus que leur traduction dans la réalité. Ce qui m''intéresse ici est la capacité à se projeter dans le futur, au-delà de sa propre existence, pour décider du destin de ses propres biens. Les normes sur la succession ab intestat, on l''a dit, sont faites pour simplifier et favoriser la transmission entre parents et enfants, mais elles traitent de manière complètement différente la succession des pères et des mères. La succession des pères privilégie les fils au point que, contrairement à toute logique et à sa traduction juridique romaine, un homme n''a pas besoin de prouver qu''il est bien le fils de son père pour en hériter. La succession des fils et des

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filles à leurs mères, est égalitaire, dans la mesure où les filles aussi héritent des biens immeubles, mais, dans la transmission des biens des femmes sans enfants, on suit le même ordre hiérarchique que dans la transmission des biens des hommes, c''est-à-dire que les mâles sont privilégiés. Il serait donc faux de parler d''une transmission par voie féminine qui serait égalitaire entre héritiers, hommes et femmes, car le principe égalitaire est limité à la distinction entre meubles et immeubles. Si une femme sans enfants ne fait pas de testament, ce sont, donc, ses ascendants masculins qui héritent en premier. Étant donné le contexte normatif que l''on vient d''évoquer, le choix de tester, pour une femme sans enfants, exprime la volonté de déroger à cet ensemble de règles. Enfin, le testament peut avoir la fonction, comme on l''a vu pour les maîtres artisans, d''assurer la transmission de la boutique non pas à un enfant biologique, mais à un enfant adopté. Des «allievi

» , pris à !'' Hôpital de la Pietà 84 , des «enfants d''âme » 85 . Dans le testament de Paula, épouse d''un tondeur de draps, on devine que le tondeur de draps Domenego, «mon fils, qu''il soit ou qu''il ne soit pas mon fils » , participe au travail de la boutique et sa «mère » , qui le désigne comme héritier, après son mari, lui recommande de rester travailler à Venise 86 .

La plupart des femmes mariées sans enfants font leur testament au cours d''une maladie (60), mais au moins 34 le font en étant «saines d''esprit et de corps » . Quels soucis sont alors à l''origine du choix de tester dans ces derniers cas? Dans les deux tiers des testaments de ce groupe (22 sur 34), l''héritier choisi est le mari. Dans les autres cas, le mari a très souvent l''usufruit pendant sa vie. Ces testaments «préventifs » , non pas rédigés dans l''urgence de la maladie et de l''endettement à l''égard des proches qui peut en être la conséquence, témoignent souvent de la «bonne compagnie reçue » par un «bon mari >, 87. Il s''agit à l''évidence de testaments de femmes qui ont partagé non seulement la vie de tous les jours, mais la boutique et le travail avec leur mari: les legs à «nos garçons de la

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boutique » , compris dans le testament de l''épouse d''un barbier, en sont un témoignage éloquent 88•

Parmi les testaments rédigés lors d''une maladie, un peu plus de la moitié (32 sur 60) désignent également le mari comme héritier, sans poser de conditions sur le destin futur des biens. «Qu''il n''oublie pas de faire du bien pour mon âme, car j''ai été sa fidèle servante » écrit l''épouse d''un tisserand de soie 89 , alors que l''épouse d''un peigneur de laine 90 justifie son choix «car le pauvre homme a dépensé et s''est consommé à cause de ma longue maladie » , mais, écrit encore l''épouse d''un pareur de draps 91 , «que mon mari n''embête pas ma soeur et mes frères pour l''argent que je lui dois » . Des dettes non honorées, des tensions entre les familles, des soupçons, des recommandations, de la reconnaissance: ces testaments rédigés en danger de vie nous disent souvent beaucoup de choses sur les relations familiales. Mais, que la testatrice soit ou non en bonne santé, son principal souci est de faire en sorte que sa famille d''origine n''empêche pas le mari d''hériter, tout en s''assurant parfois que

«s''il en reste quelque chose, après sa mort, mon père et ma mère en héritent » 92 • Au mari peuvent être associés d''autres membres de sa famille, par exemple le frère qui est en «frérèche » avec lui, «et qui a été un père pour moi » , comme l''écrit la fille d''un orfèvre. Elle désigne son mari, dont elle ne déclare pas le métier, héritier «de ma dot et en plus de l''héritage que mes vieux m''ont laissé » , mais ajoute que «si cela ne pouvait se faire par testament, que ce soit une donation, pour l''amour de Dieu » 93.

Le «residuum » pour ces femmes est d''abord constitué par la dot, dont le montant est déclaré dans seize testaments rédigés en

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bonne santé et seulement dans six testaments rédigés lors d''une maladie. Cette différence est significative, car on peut même voir dans cette déclaration, noir sur blanc, du montant de la dot, une raison suffisante pour dicter son testament. Quand il n''y a pas de contrat de mariage l''existence d''une preuve écrite du montant de la dot peut être bien utile à la veuve pour en demander la restitution, mais, également, au mari qui n''aurait pas reçu la totalité de la dot pendant le mariage et qui, s''il a été choisi comme héritier par son épouse, peut ainsi en demander le paiement 94 . En déclarant le montant de sa dot, une femme affirme, par ailleurs, son statut de propriétaire d''un bien qu''elle n''a pas le droit d''utiliser pendant la durée de son mariage, mais qu''elle a le droit de léguer 95 .

On comprend alors que, d''un point de vue strictement symbolique, le moment du testament est l''occasion pour affirmer un droit de propriété et de choix sur un bien, mais, paradoxalement, dans un texte qui sert à en régler les modalités de dévolution. La dot est une propriété qui ne devient effective qu''au moment de s''en séparer. Connaître le montant des dots permet aussi de vérifier combien il en restera effectivement au mari une fois que les legs auront été payés et donc d''évaluer le transfert de biens entre les familles. Certaines femmes peuvent renoncer à demander la restitution de l''argent donné en dot et choisir par contre le destin du trousseau, ou de ce qui en reste. C''est le cas de Magdalena Vesentina, épouse d''un porteur, qui distingue, dans ses legs, le trousseau qu''elle laisse à ses soeurs et l''argent comptant que le mari a reçu en dot et qu''il peut garder 96 . La conclusion que l''on peut en tirer est que le transfert est bien réel, même si le montant des legs peut arriver à représenter entre 4 et 40 % de la dot. C''est en fait la réalité même de l''un des fondements du régime dotal, c''est-à-dire la séparation des biens entre conjoints qui est remise ici en question. Le testament de Paula de Curzola, épouse d''un meunier vénitien originaire de Bergame, nous en rappelle l''importance, du moins en ligne de principe. Elle laisse sa dot à sa mère et à son mari la contredot, de 53 ducats, qu''il lui a «faite » , mais, elle écrit, «si je devais rester malade longtemps et qu''il avait à dépenser de son argent pour moi » , il devra en être remboursé 97 .

132 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

Nous avons, jusqu''à présent, pris en considération les testaments qui, désignant les maris comme héritiers, ne leur imposent pas de conditions concernant la destination future des biens hérités. À ceux-là, il faut ajouter les quinze testaments de femmes qui, tout en laissant leurs biens à leurs maris, en précisent aussi l''ordre de succession au-delà de la vie de ces derniers. Dans les testaments du milieu artisanal, il ne s''agit pas de «fidéicommis » , car la désignation des héritiers s''arrête à la succession des maris. Les conditions imposées par les femmes se limitent à la désignation des héritiers, mais ne précisent que très rarement le montant ou la qualité des biens qui doivent être transmis. Une exception significative est celle de Barbara, épouse d''un boulanger, qui laisse à son mari la boulangerie dont elle a hérité, à la condition qu''il la lègue à ses frères

98 . Le mari a donc, dans tous les autres cas, entière liberté dans la gestion des legs reçus par sa femme. Après sa mort, les biens sont censés revenir à la famille d''origine, d''où ils proviennent, et les héritiers désignés sont le plus souvent les frères et soeurs et leurs enfants, notamment les nièces à marier. La circulation des biens s''arrête ainsi pour un moment, pour reprendre ensuite, quand les nièces se marieront. Enfin, une femme peut aussi choisir de faire profiter d''une partie de sa dot la future épouse de son mari, mais seulement si elle lui faisait «bonne compagnie » , comme l''écrit Cristina, l''épouse d''un tailleur originaire de Chypre 99 , ou, parfois, même les enfants qu''il pourrait avoir avec une autre femme 10°.

La quasi-totalité des femmes mariées qui n''ont pas d''enfants laissent donc leurs biens à leurs maris et en privent ainsi leur famille d''origine, qui aurait hérité si elles n''avaient pas fait testament. Leurs testaments servent surtout à faire rentrer dans la succession celui qui, en droit vénitien, en est exclu. Parfois, les femmes qui choisissent de ne pas désigner leurs maris comme héritiers (treize en tout) veulent les punir de quelque chose. Anzelica, qui accuse d''ingratitude son mari, batelier dans la paroisse de S. Antonin, ne lui laisse que 6 ducats et désigne comme héritière de tous ses biens la femme qui s''est occupée d''elle pendant sa «longue maladie » 101 . Si elle est la seule à s''exprimer ainsi,

ARTISANS ET GENS DU «PEUPLE » 133

d''autres raisons de se plaindre des maris apparaissent parfois dans ces testaments et se traduisent par leur exclusion de l''héritage. C''est le cas de Gratiosa, tisserande de soie, dont le testament est une longue liste des dettes, que le mari a contractées à son égard et à l''égard de sa famille 102 ou, encore, celui de Marina qui, à son deuxième mariage, laisse à son mari 110 ducats mais à condition «qu''il quitte la putain Lutieta, qu''il entretient dans la contrada dei Biri » et partage ses biens entre les héritiers de son premier mari et sa mère 103 . La famille d''origine, et surtout la mère, est le plus souvent la destinataire des biens, et des legs pour les maris sont généralement compris dans ces testaments. Une préoccupation qui revient dans les testaments féminins dans les milieux artisanaux concerne l''assistance reçue ou dont on imagine avoir besoin lors d''une maladie ou dans les dernières années de sa vie. Les legs que les femmes de milieux plus aisés faisaient à leurs servantes, qui les avaient assistées dans pareilles occasions, sont, dans les testaments de cet autre groupe, remplacés par des legs à des parentes ou voisines. Par exemple, Caterina, épouse d''un fourreur, désigne comme exécuteurs testamentaires son mari et son frère, mais tous ses biens sont destinés aux enfants de ce dernier, en signe de reconnaissance à l''égard de sa belle-soeur et de sa nièce, qui l''assistent «depuis six mois » 104 . On voit là se dessiner des relations d''échange de services, encore plus nécessaires pour les femmes qui peuvent, moins que les hommes, s''appuyer sur l''assistance des confréries et des corps de métier.

3 - Le choix des mères

Les femmes de ce groupe qui font leur testament lors de leur première grossesse (21) sont toutes des épouses de maîtres artisans. Il s''agit donc de l''élite, dans ce milieu, ce qui peut expliquer l''existence d''un conflit potentiel entre famille d''origine (désignée comme héritière dans 7 testaments) et mari autour de la dot. La moitié (12) choisissent de léguer la dot aux maris, en cas de décès des enfants, mais deux imposent des conditions aux maris qui se remarieraient. Dans ce cas, les enfants ou la famille d''origine récupèrent la dot de la mère 105.

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134 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

Les testaments de femmes mariées qui ont des enfants sont moins nombreux (43) que ceux des femmes mariées sans enfants et les proportions de celles qui font testament étant malades (35), ou en bonne santé (8), sont inversées. Quand il y a eu des enfants, et qu''ils sont vivants, le risque que la dot, et les autres biens, si biens il y a, de la femme reviennent à l''origine, c''est-à-dire à son père ou à ses frères, est de toute façon écarté. Le testament de la mère n''est plus un testament «préventif » , mais un testament dicté dans l''urgence et, de toute façon, un acte qui implique un choix, non seulement entre famille d''origine et mari, mais également parmi ses propres enfants. Quand on a la chance de disposer de plusieurs testaments successifs d''une mère, on voit évoluer son choix, au fur et à mesure que les enfants grandissent ou que d''autres viennent au monde. C''est bien cette possibilité de choisir, de privilégier l''un ou l''autre, d''adapter ses propres choix aux départs des enfants qui fondent leur propre famille, qui explique qu''une mère dicte son testament à un notaire. Un choix qui est parfois bien délicat, surtout quand les enfants sont issus de mariages différents. Délicat au point qu''il faut parfois quitter temporairement le toit conjugal et agir en cachette de son nouveau mari. C''est le cas de la veuve d''un fourreur, remariée au chancelier d''un village de la région de Padoue qui, sous prétexte de rendre visite à son frère, resté à Venise, fait un petit détour chez le notaire, pour pouvoir léguer à son unique fils, issu du précédent mariage, 300 ducats. Le reste de sa dot doit être partagé, à égalité, parmi les enfants qu''elle pourrait avoir de son deuxième mariage. À la fin du testament, elle fait écrire: «Et s''il arrivait que je sois obligée, par mon mari, ou par d''autres, à faire un autre testament, il ne sera valable que si j''écris trois fois Jesus Maria, Jesus Maria, Jesus Maria » 106 .

Testament maternel Héritiers de l''axe héréditaire (Residuum): premier héritier

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Testament maternel Axe héréditaire (Residuum) : successeur de l''héritier ou héritier de substitution Legs à la famille

Le choix des testatrices tombe, en premier lieu, sur le mari, désigné comme héritier de la totalité ou de la plupart, de la dot. Dans un tiers des cas, les testatrices choisissent aussi la personne qui héritera après lui: le fils, dans six cas, la fille dans quatre autres et des institutions religieuses en deux autres cas. Lhéritier de substitution, devant intervenir si l''héritier désigné n''avait pas d''enfants, n''est pas une préoccupation majeure dans ce milieu: seulement quatre femmes évoquent dans leur testament la possibilité que leurs propres enfants n''aient pas de descendance et désignent alors leur famille d''origine comme héritière. Les legs viennent compenser les exclus de l''héritage: les fils du premier lit (mais pas les filles qui ne sont jamais mentionnées) et les filles du dernier en reçoivent plus que les fils du dernier mariage, à qui, par contre, est plus souvent destiné le «reste » . Cela dit, «héritier de substitution » , ou «residuum » sont des mots bien ronflants du jargon juridique qui désignent une réalité faite d''objets de la vie quotidienne, ou d''instruments de travail, mais fort importants. Le bateau, par exemple, que Lucia, veuve d''un charpentier et épouse d''un batelier, lui laisse «avec toutes ses voiles, telle qu''il est » 107 . Si une nièce reçoit un lit, et une fille un matelas, c''est déjà beaucoup, car un «lit garni » c''est le premier noyau d''une dot 108 . En tant que tel, il est propriété de la femme, qui pense éventuellement à le léguer à son mari, comme dans le cas de Caterina, qui laisse «un lit garni »

136 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

à son mari, lui aussi batelier de son état, en précisant qu''il «ne faut rien lui demander de ma dot, car, si bien il a eu quelque chose, depuis vingt années qu''on est ensemble, il a tout dépensé » 109 .

D''un premier à un deuxième testament, bien des choses ont pu changer. Malade, Perina, épouse d''un cotonnier, avait dicté son premier testament, le 9 septembre 1548, pour pouvoir partager entre ses deux filles sa dot: deux cent ducats chacune, mais seulement cent à celle qui choisirait de se faire nonne, en faisant ainsi profiter l''autre d''un legs supplémentaire de cent ducats. Surtout, elle avait précisé que tout legs serait annulé si le mari avait décidé de les marier à Brescia, ou dans son territoire 110 . Une dot tout à fait respectable, celle de Perina, qui la place dans un milieu assez différent de ceux qu''on vient d''évoquer. Son époux Andrea, cotonnier

«alla nave » , artisan du textile immigré des territoires lombards de la République, aurait probablement pu, en attendant quelques années, obtenir le privilège de citoyenneté vénitienne, grâce aussi à son mariage avec une autochtone. Peut-être que l''intégration n''était pas encore faite, ou du moins c''est ce que craignait son épouse. Dans son deuxième testament, de 1555, il ne reste plus qu''une fille à marier, mais ni le legs qui lui est destiné, ni la condition de résidence n''ont changé. Le mari est passé du rôle d''exécuteur testamentaire à celui d''héritier du reste de la dot de son épouse, ayant pourvu par ses propres moyens, comme il était tenu de faire, à doter sa première fille, en la mariant à un vénitien 111 .

Testament maternel: Exécuteurs testamentaires

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Le mari est le plus souvent choisi comme exécuteur testamentaire, parfois en association avec d''autres, frères, amis, mais le plus souvent seul. Dans certains cas, toutefois, il est écarté, et des membres de la famille d''origine (frères, surtout) sont choisis. L''exclusion du mari, rare, se fait au profit des membres masculins de la famille et il n''y a que deux cas de femmes qui confient l''exécution de leurs dernières volontés à une soeur ou à une fille, sans y associer des hommes de la famille.

ARTISANS ET GENS DU «PEUPLE » 137

En désignant leurs «commissarii » , ces mères désignent en même temps les tuteurs de leurs enfants. Elena, épouse d''un faïencier, en rajoutant un codicille à son testament, confie à son père et à son oncle la fille, qu''elle avait peut-être eue d''un précédent mariage. Toutefois, dans son premier testament, Elena «dalle maioliche »

avait impliqué directement son mari dans le futur de la fille, qui avait alors cinq ans, en lui donnant des dispositions précises pour qu''il investisse sa dot en vue de son mariage 112 .

4 - Maternités «illégitime»

Les femmes font-elles état, dans leurs testaments, de l''existence d''enfants illégitimes 113 ? La fille du peintre Paris Bordon semble se trouver dans cette situation, qui appelle chez elle un notaire pour lui remettre un testament olographe, à l''écriture très incertaine, et non daté, dans lequel elle confie la «créature qui naîtra de moi » à sa mère 114 . Dans un autre cas, celui d''Isabetta, «appelée la Ragusea » , on peut penser qu''il s''agit d''une courtisane. Elle a un fils de huit ans, qui vit avec son père, un comte de Rimini, mais ses biens ne lui sont pas destinés, car «il n''en a pas besoin » . Ses biens, dont elle donne un inventaire magnifique et détaillé, doivent être vendus au profit du monastère des Convertide, qui vient d''être fondée, pour accueillir les femmes de mauvaise vie, mais repenties et malades de la syphilis 115 .

138 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

La question est bien délicate, mais la société vénitienne du premier XVI° siècle semble confirmer son ouverture, à en juger, aussi, par le testament de Valentina Franchi, épouse du maître tailleur Domenego. «Je me retrouve enceinte, selon mon avis et celui de mon ami Francesco, teinturier » , fait-elle écrire au notaire qu''elle a appelé chez elle, le 18 novembre 1546. Dans ce testament, aucune allusion n''est faite au mari. L''enfant qu''elle attend est confié à Francesco: «qu''il gouverne la créature, car elle sera la sienne » , elle ressent, quand même, le besoin de préciser. Sa mère est choisie comme exécutrice testamentaire et sa dot, «dont je ne connais pas bien le montant, mais, entre nous, il y a bien eu un contrat » , est également destinée à son «ami » . Le testament de cette femme est unique: une femme mariée qui, non seulement déclare être enceinte d''un «ami » , qui d''ailleurs est mis en cause même dans le diagnostic de la grossesse, mais qui considère tout à fait normal que son mari rende la dot qu''il a reçue pour la donner à son amant et à l''enfant qu''elle attend de celui-ci 116 . Ce testament, comme d''autres dont on va parler, est l''occasion pour cette femme, de révéler un pan caché de son existence et d''affirmer des droits qu''elle considère avoir par rapport aux hommes de sa vie117 .

Mais d''autres testaments peuvent révéler des cas compliqués, même si pères et mères sont vivants et même si un mariage «réparateur » est venu sauver une situation quelque peu embrouillée. Santa Santo, épouse de Bartolomeo Carrara, maître fournier, laisse tous ses biens à Barbara, «qu''elle soit ou pas ma fille » , et aux enfants de cette dernière. Elle institue, de fait, un fidéicommis sur ses biens, car elle en interdit toute aliénation, mais, et c''est peut-être significatif, si elle précise que son héritage est destiné aux fils et aux filles de Barbara, elle n''ajoute pas l''adjectif «légitimes » . Santa choisit comme exécuteurs de son testament son mari, l''abbesse de

San Matio de Murano et un patricien, messer Polo da Mula, mais

ARTISANS ET GENS DU «PEUPLE » 139

laisse à ce dernier la possibilité de se faire remplacer par quelqu''un «de bien, qui ne refuse pas cette bonne oeuvre » . Barbara devra être mariée à l''âge de seize ou dix-sept ans et recevoir à ce moment-là l''héritage. Le choix des exécuteurs testamentaires est intéressant. On comprend que le mari à lui seul ne suffit pas, il faut d''autres garanties: une religieuse et, surtout, quelqu''un qui ne fait pas partie de son milieu 118 . Il est tentant d''imaginer, derrière ce testament, l''histoire d''une relation inégale entre un patricien et une femme du peuple qui, se retrouvant enceinte, a été mariée, avec la complicité bienveillante d''une religieuse, à quelqu''un de son milieu social. Une histoire, en somme, peut-être banale au XVIe siècle. C''est, de toute façon, l''histoire de Chiaretta Bonassi, épouse en deuxième mariage d''un orfèvre, qui a déjà eu deux enfants avec un patricien, Francesco Querini, et qui lui confie celui qu''elle attend 119 .

Et c''est encore l''histoire de Hieronima, épouse d''un boucher, qui confie ses filles, et héritières, au couvent des Zitelle, mais si elles n''avaient pas d''enfants, tout irait au fils qu''elle a eu avec le magnifique messer Polo Zane, désigné comme exécuteur testamentaire 120 .

Les Zitelle, comme les Convertide, sont une institution de fondation récente, dont le but était de protéger et de doter les filles pauvres «gentildonne, citadine et artesane » 121 .

Une histoire qui aurait pu être celle qui est racontée par le testament de Stella Negro, la fille d''un maître tailleur de chausses qui, enceinte et proche de l''accouchement, confie sa «créature » à son père biologique, le magnifique Piero Gritti, «car c''est la sienne, et

140 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

s''il ne voulait pas l''élever, qu''il n''ait rien de mes biens et que cette créature soit élevée par ma mère et mes frères » . Toutefois, il n''y a pas de «mariage réparateur » , dans cette histoire et Stella n''est pas une femme pauvre, à en juger par l''inventaire de draps et de bijoux dont elle fait état dans ce testament 122 .

Le testament laisse pour toujours la preuve de ces amours clandestins et de ces naissances, que l''on a occultés en confiant la mère et l''enfant à un «client » quelconque, à un obligé prêt à sauver les apparences. Les équilibres et les stratégies des lignages patriciens nécessitent aussi de ces échappatoires, compensation nécessaire à la limitation des mariages et au confinement d''une bonne partie des jeunes mâles patriciens dans une situation de célibat laïc à vie 123 .

Dans notre échantillon, sur 79 testaments de veuves d''artisans 48 ont des enfants et 31 n''en ont pas. La quasi-totalité font testament étant malades, certaines ont eu plusieurs maris, et certaines désignent comme héritiers leurs petits-enfants, mais déterminer leur âge reste impossible, sauf dans les rares cas où elles mêmes se déclarent «infirme à cause du grand âge » 124 ou encore «en bonne santé, mais très âgée » 125 , ce qui reste, tout de même, très imprécis. Une veuve peut se retrouver à la tête d''une boutique, ce qui est le cas de seulement deux des testaments de notre groupe. Nicolosa, veuve d''un tisserand, et Romana, veuve d''un boulanger, n''ont pas d''enfants et choisissent comme héritiers de la boutique des artisans qui ne font pas partie de la famille 126 .

ARTISANS ET GENS DU «PEUPLE » 141

Si la condition de veuve est celle d''une relative autonomie et liberté dans tous les milieux, elle peut aussi se révéler une condition d''extrême fragilité dans les milieux modestes. Parmi les veuves qui n''ont pas d''enfants, la plupart (19) lèguent leurs biens à des personnes qui ne font pas partie de la famille. Il s''agit de la servante ou de la voisine qui les a soignées 127 ou du fils de l''amie qui a été «comme soeur » 128 ou bien de la personne «qui a payé mes dettes » 129 ou, encore, de la personne qui l''a logée dans les dernières années de sa vie. Ces testaments décrivent des relations de dépendance et d''endettement dont les origines sont difficiles à cerner. Des motivations religieuses expliquent peut-être pourquoi un curé soigne chez lui la veuve d''un matelot 130 , mais pourquoi un marchand épicier accueillerait-il la veuve d''un calfat 131 ou, encore, un patricien la veuve d''un batelier? «Messer Piero Muazzo par sa grâce m''a accueillie dans sa maison et non pas pour mes biens, qui sont très peu de choses » , explique cette dernière au notaire venu rédiger son testament à son chevet, à «cha'' Muazzo » 132 . Il est certain, toutefois, que si ces

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femmes ont appelé un notaire pour lui dicter un testament c''est que d''autres auraient pu prétendre à leur héritage et, d''ailleurs, la veuve d''un tailleur précise que «ceux qui voudront s''opposer à mon testament auront à payer 200 ducats » 133 . Quand la famille hérite nièces (4) et surtout soeurs (8) sont privilégiées. Le testament d''une veuve qui a des enfants vivants pose, à nouveau, le problème du choix. Par rapport aux testaments d''épouses, ceux des veuves sont plus généreux à l''égard des filles, désignées comme héritières même au détriment des garçons (colonne 3). Quand la fratrie est exclusivement féminine, les veuves choisissent parfois de privilégier une seule des filles. L''explication, dans les deux cas, est double: il s''agit soit de la fille qui les a accueillies dans sa maison, soit de la fille, ou des filles, qui sont encore à marier 134 .

Le père étant mort, c''est à la mère que revient la tâche de les caser. La veuve d''un charpentier est explicite à cet égard: «Je laisse tout à ma fille pour qu''elle puisse se marier, alors que ses frères n''en ont pas besoin, car ce sont des hommes » 135 . Quand les filles sont mariées, le, ou les fils, reprennent leurs droits en tant qu''héritiers.

Héritiers du residuum de veuves ayant des enfants

Chapitre VII. Le monde du commerce

I - perpétuer la compagnie marchande : les testaments des hommes.

1 - Le moment de tester

«Chi è nato convien morir » 1. Ce n''est pas tant le réalisme déroutant de cette expression qui a retenu mon attention, mais plutôt son extrême concision. La plupart des testaments, dès les premières lignes, évoquent l''inéluctabilité de la mort, mais la rapidité de la phrase, ainsi que l''utilisation d''un verbe qui implique, dans l''italien d''aujourd''hui, l''idée de rentabilité économique (idée tout à fait déplacée dans pareil contexte ... ), nous plongent immédiatement dans l''univers comptable des marchands 2 .

Dans ce milieu, l''appartenance à la confrérie est souvent évoquée par les testateurs: «Que la cape de ma confrérie soit cousue autour de mon corps nu » , demande Fantin Benzon 3 dans son testament autographe et ils sont nombreux à souhaiter être accompagnés à leur dernière demeure par leurs confrères 4 . Crisostomo de Pattis, marchand de malvoisie, prie ses exécuteurs de réunir les membres de «toutes les confréries dont [ il fait] partie, qui sont environ vingt-quatre » 5. Le marchand et banquier Francesco Corboli, en revanche, «ne se soucie pas » d''être accompagné par sa confrérie, la Scuola Grande de San Rocco, pour la bonne raison qu''il se préoccupe de réduire au minimum les frais d''enterrement, non pas par souci d''humilité ou de charité, mais pour que ses créanciers soient plus vite remboursés 6 .

144 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

Il est en revanche plus rare que le siège de la confrérie soit également choisi comme dernière demeure, ou alors c''est en deuxième recours Giacomo di Benedetti demande de l''hospitalité dans la tombe de Filippo, maître tonnelier, mais si les frères de ce dernier n''étaient pas d''accord, il se ferait enterrer dans le siège de sa confrérie, la Scuola Grande de San Teodoro7 . Ce marchand n''avait pas encore construit sa tombe de famille, un choix assez fréquent dans ce milieu et auquel font allusion plusieurs testaments 8. Le XVIe siècle, époque de grand renouvellement urbain, facilite aussi ces réalisations et, par exemple, la reconstruction de l''église de San Salvador, dans les Mercerie, est l''occasion, pour Angelo dalla Seta,

d''ordonner la reconstruction du tombeau de famille en y ajoutant une chapelle9. Les marchands font des legs pour la célébration de messes et pour envoyer des «bonnes personnes » enpèlerinage 10 . I.: âge et l''état de santé du testateur influencent certainement les préoccupations religieuses et l''attitude à l''égard de la mort, mais si certains testaments sont l''occasion de véritables examens de conscience, d''autres ressemblent plutôt à des bilans de société, avec une liste détaillée des débiteurs et des créanciers de la compagnie marchande. Quand il dicte son testament, Francesco Corboli est malade, mais il ne déclare pas son âge 11. Ancien associé de la filiale vénitienne de la compagnie Strozzi de Florence, ce marchand ne fait aucun legs pieux ou charitable, mais il consacre la totalité de son testament à un récit détaillé de ses activités marchandes et de change, entre Venise, Florence, Lyon et Paris. Ses clients et correspondants sont des marchands et banquiers florentins, tels que les Bardi, les Panciatichi ou les Attavanti et il commerce en draps, pierres précieuses et bétail. Le bilan étant déficitaire, il laisse à ses associés et exécuteurs testamentaires la tâche de le redresser. Bien qu''on doive être «toujours prêt » , comme le disent ces testateurs qui choisissent de faire un testament étant sains «d''esprit,

LE MONDE DU COMMERCE 145

d''intelligence, mais aussi de corps » , certaines circonstances, telles que la maladie ou le grand âge sont plus propices à la rédaction de ses dernières volontés. Les premiers sont des testaments «prévisionnels » , les autres sont écrits dans l''urgence, mais ils peuvent être aussi détaillés et prolixes sinon plus, les testateurs étant souvent plus âgés et surtout persuadés qu''il s''agit de la dernière occasion pour eux de régler leurs affaires, de foi, de travail, de famille. Dans ce monde de marchands, le départ pour un voyage d''affaires, surtout si on doit «traverser la mer » 12, peut être une bonne raison de prendre des dispositions concernant sa succession. En 1564, Lunardo Foresta écrit son testament sur une galère dans le port d''Alexandrie, car il y a «suspicion de peste » 13. Quelques semaines auparavant, Francesco Serena, de Murano, avant de partir pour Messine sur la galée Barbariga , s''était rendu chez le notaire pour lui dicter son testament. Ne possédant que sa part de la dot de sa mère, il en avait réglé en quelques lignes la succession. Dix ans après, malade, il fit appeler le même notaire à son chevet pour lui dicter un nouveau testament, bien plus long et détaillé, dans lequel il essayait de régler tous les problèmes concernant sa compagnie marchande. N''ayant pas d''enfants ni d''épouse, bien que mentionnant un cadeau reçu «lors de mon mariage » , Francesco Serena laissait à une femme un matelas «en signe d''amour » et vingt ducats à une de ses servantes, pour qu''elle puisse se marier «qu''elle ait été ou pas pucelle, pour décharge de mon âme » . À l''instar de la quasi-totalité des testateurs, ce marchand de toiles ne déclare pas son âge et désigne comme héritiers un oncle et ses frères et soeur «du côté maternel » 14.

Le bateau qui conduit au lazaret peut être un lieu propice à la rédaction de ses dernières volontés, pour des malades de peste ayant peu d''espoir de parcourir un jour le chemin inverse et retourner à la vie15 . Le 12 août 1576, alors que l''épidémie fait rage, c''est sur ce bateau que le marchand de laine Vincenzo Zaguri écrit un testament de treize pages, suivi d''une lettre de dix pages à l''un de

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ses frères, qu''il fallut faire authentifier par témoins et faire publier avec l''autorisation du Doge, car aucun notaire n''avait été présent à sa rédaction 16 . En dépit des circonstances et de l''époque, les questions religieuses sont vite réglées, par quelques legs à des monastères, et seule une brève incitation à la fréquente confession adressée à ses frères nous rappelle que nous nous trouvons en pleine «Contre-réforme » . Le testament de Zaguri témoigne surtout des soucis d''un jeune chef de famille, dont les parents sont morts et qui doit s''occuper de ses frères encore mineurs. Zaguri institue un fidéicommis, en désignant comme héritiers les descendants masculins d''un de ses frères ou, à défaut, de l''autre ou, à défaut de descendance masculine, les fils de la seule soeur destinée au mariage, avec l''obligation de prendre le nom de Zaguri ou, si elle n''avait pas de fils, aux descendants masculins de son oncle maternel, qu''il désigne aussi comme exécuteur testamentaire. l''. éventualité de la division des biens de la «frérèche » est envisagée par Vincenzo qui prend le temps de donner à ses frères le conseil de ne pas quitter l''activité marchande, car «ceux qui vivent seulement de leurs rentes, pour opulentes qu''elles soient, tomberont toujours » 17 . Ce long testament est une sorte de chronique familiale, qui nous renseigne sur les difficultés et sur les talents de chacun des frères: l''un qui suit un peu trop des mauvaises compagnies, l''autre qui hésite pour ses études. La famille qu''il décrit est organisée en «frérèche » , où un seul des fils aura la responsabilité et la «charge » de se marier et de devenir le chef de toute la famille, les filles étant destinées à quitter la maison paternelle. La lettre adressée au frère destiné à prendre sa place dresse un inventaire détaillé de toutes les pièces de la maison et de la boutique et de leur contenu, afin de préciser quels sont les objets, les meubles, les lits, mais aussi les marchandises, les livres de compte, les papiers, que Vincenzo a touchés, depuis le début de

LE MONDE DU COMMERCE 147

sa maladie et qu''il faudra donc «purifier » 18. On a l''impression d''un compte à rebours: deux domestiques sont déjà morts et leurs affaires doivent être brûlées ou données aux fossoyeurs. En décembre, trois témoins sont appelés pour identifier l''écriture de Vincenzo, récemment décédé. Il n''y eut pas un autre testament de ce marchand, et nous ne savons pas s''il en avait écrit auparavant, alors que d''autres, ayant survécu à la peste, refont leur testament, tout en commençant par remercier Dieu de les avoir épargnés 19.

Le «grand âge » est évidemment toujours une bonne raison pour faire son testament, tout en étant, par ailleurs, un concept assez relatif. À soixante-sept ans, le marchand drapier Francesco Zanoli considère son âge «sénile » et attend «la fin de cette misérable vie » 20• En revanche, entre soixante dix-neuf et quatre-vingt-quatre ans, le savonnier Francesco Coron dalla Serena trouve l''énergie pour écrire cinq testaments ou codicilles, dont un qui l''occupe pendant sept mois 21 . Cinq ans durant, au moins, il tente de résoudre le problème de sa succession en se battant contre un fils «sans raison » , qui l''obligeait à perdre son temps en «écritures » et à qui il demandait de «bien considérer les offenses faites au père éternel et au père de ce monde » . Antonio et ses «mauvaises compagnies » ne sont pas son seul souci: un de ses gendres occupe une de ses maisons sans lui payer de loyer mais, surtout, il est en procès contre une veuve, qui l''accuse d''être le père de ses trois enfants. Trois pages de son testament olographe de 1560 sont consacrées au récit de ses relations avec cette veuve, qu''il avait fréquentée -dit-il -après la mort de sa femme. Il affirme que, quand il était «entré » dans sa maison, elle était déjà enceinte d''un mercier et elle avait accouché d''une fille, que le père avait pris chez lui. Selon Francesco Coron, la maison de la Scuola Grande de la Misericordia habitée par cette femme nécessitant un entretien constant, les confrères, sous prétexte d''y faire les réparations nécessaires, avaient l''habitude de la «fréquenter » : une allusion à peine voilée à une activité de prostitution. Alors qu''il n''avait pas été consulté pour le mariage d''une des filles de cette veuve, il devait encore subir les harcèlements du mari, un teinturier, qui lui demandait de l''argent. Lorsque Francesco dicte un nouveau testament, il omet le récit de toutes ces vissicitudes car la justice vénitienne a décidé qu''il était bel et bien le père des trois

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enfants de cette femme et qu''il devait donc leur payer les aliments. Au fil des ans, le vieux marchand cherche à se réconcilier avec sa famille et, dans le dernier codicille, daté de 1563, il désigne comme exécuteurs testamentaires ses fils et ses gendres, en leur demandant de vivre en paix entre eux; il exhorte aussi une de ses filles, si elle n''avait pas «d''enfants de [ son] propre corps » à se souvenir de «[ ses] neveux, enfants de [ ses] soeurs, surtout ceux qui se trouvent dans le besoin, quand je ne serai plus de ce monde, car -conclut-il -il y en a qui tombent et il y en a qui restent debout et le monde n''est pas stable » .

2 - Enfants naturels

Une remarque préliminaire concerne la notion de légitimité. Le mot revient constamment dans les testaments des pères: l''héritage est destiné aux enfants légitimes et aux enfants légitimes de ces derniers. L''adjectif «légitime » est parfois accompagné de celui de «naturel » , ce qui implique l''exclusion des enfants adoptés. Ces précisions semblent nécessaires justement car nous sommes dans une société où les enfants naissent aussi en dehors du mariage et sont éventuellement abandonnés dans le très actif Hôpital de la Pietà 22 • Par conséquent, il est relativement fréquent qu''une famille ait à affronter le problème causé par la présence d''un enfant illégitime, ou choisisse d''accueillir un orphelin à qui on confie des tâches ménagères ou qu''on implique dans l''activité de la boutique. Les règles d''exclusion des illégitimes énoncées pour les générations à venir peuvent être suspendues quand il s''agit des siens ou des enfants de ses propres enfants. On parle alors plus volontiers d''enfants «naturels » et on s''en occupe, en leur destinant des legs, voire, en absence de légitimes, en les désignant comme héritiers. Giacomo dalla Valle a deux filles, déjà mariées, et un fils naturel. C''est lui qui est destiné à continuer l''activité marchande en remplaçant son père dans la société qu''il forme avec son frère, mais pour cela il faut que son frère et ses neveux acceptent de lui donner une formation dans «les lettres marchandes » , et de le laisser «naviguer » . L''héritage, toutefois, sera géré par le frère et les neveux du testateur. Il est à remarquer que ce marchand précise la date de naissance et de baptême de ce fils, craignant qu'' «on ne le laisse pas naviguer » , le but de cette déclaration n''étant pas d''effacer la tache

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de ses origines illégitimes, mais de prouver qu''étant né à Venise il pouvait prétendre aux privilèges marchands reconnus aux citoyens originaires 23 .

L''équilibre est apparemment difficile à trouver et un fils illégitime peut rarement hériter en présence de frères ou même d''associés de la compagnie marchande. C''est la seule explication que l''on puisse donner au comportement d''un joaillier originaire de Milan qui, ayant eu, de deux femmes, deux filles et un fils, désigne ce dernier comme usufruitier, mais laisse son héritage à ses associés et exécuteurs testamentaires 24 . On trouve, tant bien que mal, des solutions pour les enfants, mais le destin de leurs mères est rarement évoqué. Dans ce dernier cas, le testateur s''est préoccupé de marier celle qui, dans un premier testament, était appelée «ma jeune » , et qui lui avait donné deux filles, à un mercier qui lui devait de l''argent. Par contre, la deuxième femme, dont le sort n''est pas connu, est menacée de perdre le droit à tout legs si elle essayait de faire valoir ses droits sur l''héritage «au nom de notre fils » 25 .

La période historique est aussi, en partie, responsable de certaines confusions, à en croire un marchand de bois, Zuan Antonio Bianchini qui, en 1568, quatre ans après le décret Tametsi, écrit, en ouverture de son testament: «Je déclare que Santa, qui est dans ma maison, est ma vraie épouse, prise à la louange de Dieu. Je veux qu''elle soit tenue et considérée comme ma femme, par chacun, car je l''ai prise et épousée dans la foi devant la Très Sainte Trinité, bien avant le Concile de Trente » 26 . Cette affirmation est un exemple très intéressant de la rapidité de la réception et de l''assimilation des dé-

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crets tridentins et de leurs effets bouleversants sur la vie des fidèles 27 .

Pour ce marchand, aussi, le problème est d''assurer la continuité de la frérèche, en fournissant un héritier, qui puisse prendre sa place, aux côtés de son frère. Bianchini prend des précautions spéciales, en interdisant par exemple à ce fils, âgé de vingt-deux ans, de se marier avant l''âge de quarante ans. En l''obligeant ainsi à rester sous le contrôle de son frère jusqu''à un âge élevé, et assez inhabituel2 8 , il semble en prendre en compte l''irrégularité des origines. Il faut toutefois souligner, me semble-t-il, l''attitude volontariste qu''on devine derrière certaines expressions utilisées dans les testaments. Comme d''autres testateurs, Zuan Antonio Bianchini, écrit

«mon fils naturel, qu''il soit ou ne soit pas mon fils » . S''agit-il de prévenir de futures contestations, selon une formule stéréotypée? Ou bien s''agit-il d''écarter tous les doutes que n''importe quel homme pourrait avoir à propos de sa paternité? Par une telle formule, ces pères transforment la paternité en un acte de volonté. Une filiation «naturelle » , par définition, devient une filiation choisie et presque une affirmation de liberté, à l''époque de «l''âge d''or des pères » 29 .

3 - Frères en affaires

Les testaments présentés jusqu''ici mettent clairement en évidence que, dans le milieu marchand vénitien du XVIe siècle, les règles de la compagnie marchande à base familiale sont encore valables. Cela implique, notamment, que les pères choisissent rarement un seul fils comme héritier, mais désignent plutôt toute la fratrie, qui est destinée à poursuivre, conjointement, l''activité paternelle. L''exclusion d''un, ou de plusieurs, des fils, de l''héritage est alors le résultat d''une rupture qui s''est consommée auparavant, et que même le moment solennel du testament ne peut pas réparer. Gerolamo de Piero dalla seda, marchand soyeux, explicite cette situation dans son testament. Il explique que «puisque certains de mes fils ont eu et gouverné mes biens à leur manière, comme il apparaît dans mes livres, à la rubrique des débiteurs, personne ne sera étonnée d''apprendre que je ne partagerai pas à égalité mes

D. Europa, D. du Histoire

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biens dans ce testament » 30 . Cette explication préalable est suivie par la désignation de son fils Sebastiano comme héritier universel alors que les autres fils reçoivent des legs, importants parfois, mais ponctuels. Exclus de l''héritage, les fils sont évidemment aussi exclus de la gestion des legs testamentaires du père qui en confie l''exécution à Sebastiano et à ses deux gendres, qui deviennent presque des fils de substitution. Francesco Mutti, marchand drapier et soyeux, exclut un seul de ses fils de l''héritage en lui léguant pour sa «legittima » une rente de cent ducats par an, et désigne ses autres fils comme héritiers, destinés à poursuivre son travail, dans la soie et dans la laine, et ses commerces, qui l''amènent de Venise à Anvers, à Alexandrie et à Alep31 .

Dans la plupart des testaments de marchands, toutefois, les pères dotent les filles et laissent tout le «reste » aux fils, pour qu''ils continuent l''activité paternelle. Ces marchands entrepreneurs organisent la future gestion de la boutique, tel le marchand drapier Francesco Zanoli qui, dans son testament, écrit: «il ne faut pas arrêter de faire l''art de la laine en faisant travailler, comme je le faisais, et tenir ainsi la boutique de draperie » 32 , mais supplient aussi leurs fils de continuer à vivre et travailler ensemble. Ayant le plus souvent fait la même expérience dans leur jeunesse, ces pères en connaissent aussi les difficultés et prévoient, dans leurs testaments, l''éventualité d''une séparation. Le mercier et drapier Agostino Prezato écrit son testament après la mort de son frère: «mon intention serait, écrit-il, que puisque, jusqu''à présent, tous mes biens et tous les biens de mes neveux sont restés unis en frérèche, l''on puisse continuer de la même manière, s''il plaisait ainsi à mes fils et neveux quand ils seront majeurs » 33 . Toutefois, il donne toutes les instructions pour partager les biens et les marchandises, au cas où les jeunes voudraient se séparer 34 .

152 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

La condition de minorité des fils héritiers oblige évidemment les pères à désigner des tuteurs. Les membres de la «commissaria » sont aussi, par définition, les tuteurs d''enfants en bas âge, mais les testateurs confient surtout leurs enfants à leur épouse. Ils précisent alors que les enfants doivent obéir à leur mère et ajoutent généralement qu''ils «croient » , «pensent » , «espèrent » qu''elle voudra rester avec eux pour les «gouverner » , «comme une bonne mère » , ce qui implique, bien évidemment, qu''elle ne se remariera pas. Il reste à préciser l''âge de sortie de tutelle, pour la bonne et suffisante raison que, dans le droit vénitien, cet âge est très bas, encore au XVIe siècle. On en a une confirmation, singulière, dans le testament d''un garçon de quinze ans, en bonne santé de corps et d''esprit, fils orphelin d''un marchand de laine, qui déclare vouloir tout laisser à sa grand-mère maternelle. En 1570, il pouvait encore dicter ses dernières volontés, dès l''âge de quatorze ans révolus 35 .

Ces limites d''âge avaient, dans l''esprit de la loi, surtout la fonction de prévenir «erreurs et malversations » en matière d''héritage. En réalité, les testateurs semblent, dans l''ensemble, juger qu''il s''agit d''un trop jeune âge pour gérer un héritage, ou pour reprendre en main les affaires de la famille. Tous, sans exceptions, fixent des limites d''âge plus élevées, qui vont de dix-huit à quarante ans, pour la sortie de tutelle de leurs fils mineurs. Au coeur du problème il y a, à nouveau, la liberté de choisir son propre chemin, en quittant le toit paternel et la société avec ses frères. Ces jeunes fils de marchands sont liés par la structure de la frérèche et si l''un d''entre eux décide de s''en aller les autres sont en principe obligés de partager le capital de la compagnie pour lui donner sa part. Le choix individuel a donc des conséquences économiques qui peuvent être importantes et parfois compliquées à gérer. C''est l''une des raisons qui expliquent la nécessité du testament paternel et la précision de toutes les dispositions concernant la frérèche. C''est aussi l''une des raisons qui motivent ses appels à l''unité familiale, nécessité économique autant, voire encore plus, que fondement identitaire 36 .

Cette collaboration imposée et cette cohabitation forcée ne peuvent pas s''interrompre tant que tous les frères n''ont atteint l''âge

LE MONDE DU COMMERCE 153

«majeure » fixé par le testament paternel. Marc''Antonio Prezato, père d''Agostino, écrit ainsi que «si jamais on arrive au partage, je veux qu''on y arrive quand Vincenzo, dernier fils de Gratioso, aura fini ses vingt ans » 37 . Francesco Mutti décrète que ses fils ne pourront demander le partage de son héritage avant l''âge de trente ans. Je crois qu''il faut bien comprendre qu''il ne s''agit pas là de simplement s''assurer que les enfants sont arrivés à l''âge «de raison » , mais que ce qui est en jeu c''est le destin de la société marchande. Deux des trois fils de Marc''Antonio Prezato étaient marchands, comme lui, le troisième était docteur à Rome, où son père lui avait acheté deux offices. La frérèche avait donc perdu un de ses membres. Le testament paternel lui destinait, alors, surtout des biens meubles et des rentes, «non pas parce qu''il ne me soit pas aussi cher que les autres » , mais «parce qu''il est seul et il a toujours vécu hors de la maison, avec de grands frais et fatigues » . Le «reste » est destiné aux deux autres fils, «qui se sont fatigués avec moi pour acquérir tous les biens que, par la grâce de Dieu, je possède » . Leurs testaments perpétuent, à la génération suivante, la même structure en frérèche 38 • Ce frère qui a quitté, pour de bonnes et honorables raisons, le toit paternel, n''est pas traité à l''égal des autres et son héritage ressemble aux héritages reçus par les filles: des legs ponctuels et essentiellement composés de biens meubles.

4 - Accidents de transmission

La structure de la frérèche caractérise donc l''espace économique et la vie familiale des marchands vénitiens. En absence d''enfants, légitimes, ou même, comme on l''a vu, illégitimes, l''héritage est le plus souvent destiné aux frères du testateur et à leurs fils. Vingt-deux testaments de ce groupe destinent le «residuum » aux frères. Il est difficile, en se fondant sur un seul testament d''une famille, de comprendre si le manque de descendance directe est le fruit du hasard, de l''âge du testateur, ou s''il faut le replacer dans une stratégie familiale à plus long terme. Selon un partage des tâches entre frères que l''on identifie parfois très clairement, une partie des frères voyagent et d''autres se marient, mais, si la succession n''est pas assurée, on peut toujours revenir sur ses choix et revoir le rôle de chacun 39 .

154 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

Il est plus difficile que des marchands laissent leurs avoirs à leurs filles, même quand ils n''ont que des filles. Le marchand de malvoisie Crisostomo de Pattis 40 , veuf et malade, laisse tout son

residuum à son frère en lui confiant la tâche, ingrate, de marier ses quatre filles, dont une, l''aînée, est «malcondicionada » et de s''occuper de leurs soeurs et nièces. Il faut noter que le frère n''a pas seulement la tutelle des enfants et l''usufruit des biens, mais qu''il est l''héritier de la totalité du capital et des marchandises qui, tout simplement, doivent rester in fratema comme ils l''ont toujours été. Ce marchand n''avait pas de fils pour le remplacer dans la frérèche et il n''était pas question d''y faire rentrer ses filles. En revanche, des marchands de plus petite envergure, titulaires de boutiques, plus que de compagnies de commerce international, peuvent faire rentrer dans la succession de l''entreprise familiale les soeurs et leurs enfants, garçons, mais aussi filles. Ce choix peut impliquer la mise à l''écart des enfants illégitimes, ou adoptés 41 . On trouve ces comportements chez les joailliers, ou encore les merciers, qui n''ont à transmettre que des boutiques, ce qui rapproche, bien évidemment, ces cas des cas de transmission des ateliers artisanaux aux filles, analysés dans le chapitre précédent. Les soeurs et leurs enfants, mais aussi les filles d''un fils décédé, peuvent recevoir en héritage des boutiques, et être préférées aux filles du testateur, qui peuvent éventuellement rentrer dans la succession en cas d''extinction de la descendance, féminine ou masculine, issue du fils42 . Ces testateurs, confrontés à un problème immédiat dans la transmission de leur entreprise, instituent alors des fidéicommis, en précisant l''ordre de succession «us que ad infinitum » .

En fait, les fidéicommis, encore rares dans ces milieux, sont surtout choisis en cas d''accidents de la transmission. Ces «accidents » peuvent se produire même en présence d''héritiers de sexe masculin. Le marchand libraire Zuane di Zuliani, qui exerce son activité dans les Mercerie, la principale rue marchande de Venise, entre la place St. Marc et le Rialto, ne se limite pas à désigner des exécuteurs testamentaires et tuteurs pour ses fils, mais organise aussi la gestion de son entreprise pendant leur minorité. Il fait son testament en 1570, malade et probablement veuf, car il ne mention-

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ne jamais son épouse. Puisque ses fils ne sont pas encore en mesure de le remplacer dans son activité, il confie pendant neuf ans sa boutique, ainsi que cent ducats de capital à son «jeune » , l''apprenti qui devient, par la force des choses, l''associé chargé d''assurer la transition d''une génération à l''autre. De fait, il place ses fils en apprentissage chez son apprenti. À la fin de la période, le «jeune » Andrea devra rendre compte de sa gestion du «capital, des bénéfices et de la boutique » et les deux fils devront en prendre la place. Zuliani institue un fidéicommis sur sa boutique, qui privilégie sa descendance masculine ou, à défaut de celle-ci, la ligne féminine ou, encore, les descendants de son frère. Seul le dernier descendant mâle de son frère aura le droit de choisir ses héritiers 43 .

Les plus strictes règles du fidéicommis sont appliquées par ce testateur qui se trouve dans la pénible condition de celui qui a créé sa propre entreprise sans avoir encore eu le temps de former ses héritiers à lui succéder dans sa gestion. La transmission passe alors par une personne extérieure, cet apprenti qui, grâce aux compétences acquises, est transformé en associé, alors qu''aucun autre membre de la famille n''est appelé au secours, ni les frères, ni les soeurs. La formation et les compétences professionnelles déterminent les choix testamentaires de ce libraire et, seulement en dernier recours, il choisit de passer à un mode de transmission que l''on peut définir «familial-patrimonial » . La boutique devient alors un bien comme un autre, à transmettre à la ligne cadette. Une autre situation dans laquelle le fidéicommis semble être la réponse la plus adaptée à un risque qui pourrait mettre en danger la transmission est l''existence d''un conflit entre le père et ses fils, sur la gestion de l''entreprise 44 , voire sur le choix des épouses. Un mariage avec une femme «infâme » , ou d''une condition inférieure peut coûter l''héritage à un jeune marchand 45 . Nous sommes vraisemblablement là dans des situations de mobilité sociale ascendante en cours, où un choix mal calculé pourrait rendre vains les efforts accomplis par la génération précédente. L''existence de ces projets de mobilité est confirmée, entre autres, par les testaments de ce même milieu, où le père exhorte ses exécuteurs testamentaires à marier ses filles «à de bons partis et, si possible, à des gentilshommes vénitiens » 46 . Un bel exemple des possibilités «imagina-

156 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

bles » , sinon réelles, d''ascension sociale, par le biais des mariages des filles, à cette époque. Enfin, un cas particulier est celui des testateurs qui choisissent de transformer leur héritage en une fondation pieuse, gérée par leur confrérie, car c''est la seule occasion où ils déclarent dans leur testament le montant de leurs capitaux 47 .

5 - Circuits dotaux

«Ce n''est pas une bonne chose de faire faire aux filles ce qu''elles n''ont pas envie de faire » 48 , écrit un marchand, à la veille de son départ pour Florence. Il s''agissait de marier ou de mettre dans un couvent ses deux filles mais, en réalité, le choix ultime était laissé à l''un de ses fils. Si ce qu''on laisse aux fils s''appelle «residuum » , c''est aussi parce qu''il s''agit de ce qui «reste » après avoir payé les legs et, surtout, les dots des filles. Le père est dans l''obligation de doter ses filles et tous les testaments prévoient des dots pour leur mariage, ou pour leur entrée au couvent. La situation familiale et l''âge du testateur influencent évidemment de manière considérable ses dispositions concernant ses filles. Un jeune père prévoit généralement de les marier, mais, à la fin de sa vie, on peut se rendre compte qu''il n''a pas réussi à le faire. C''est pour cette raison qu''il faut prêter attention aux formules utilisées dans les testaments des pères au sujet du «choix » des filles, car ce «choix » peut être soumis à un certain nombre de contraintes. Le montant du patrimoine et le succès des affaires de famille ou la naissance de nouveaux enfants peuvent pousser les pères à revenir sur leurs projets. Bernardin Giova, par exemple, a six filles et trois fils quand il fait son testament, en 1528. Deux des filles sont nonnes au couvent du Saint Esprit et reçoivent des legs ponctuels, les autres sont mariées, ou sur le point de se marier. Le fait qu''au moins deux des gendres, Nicola Tiepolo et Pietro Pasqualigo, appartiennent à de grandes famille patriciennes nous autorise à nous demander si les belles dots qu''il a certainement dû payer pour ces mariages hypergamiques ne l''ont pas empêché de marier les deux autres 49 .

Il est tout à fait impossible d''évaluer quelle proportion de l''héritage paternel est représentée par les dots des filles, car les testaments précisent le montant des dots mais jamais celui du «reste » .

LE MONDE DU COMMERCE 157

De manière générale, les filles reçoivent toutes la même dot et le testament paternel peut être l''occasion d''augmenter la dot de l''une des filles pour la rendre équivalente à celle des autres. Certains testateurs précisent également que si l''une des filles venait à mourir avant son mariage, sa dot reviendrait dans le residuum destiné à ses frères, d''autres, au contraire, précisent que la dot des filles serait augmentée si les fils mouraient. Les dots au mariage de ces filles de marchands ont des montants très variables, allant, dans les dernières décennies du XVIe siècle, de 1000 à 4000 ducats. Marier les filles est d''ailleurs une affaire de famille et les frères sont priés d''y veiller. Francesco Zanoli, marchand drapier, précise dans son testament que ses fils doivent rester unis tant que leurs soeurs ne seront pas mariées. Lucrezia aura bientôt seize ans et Giulia n''en a que quatorze. Il ordonne à ses fils de les marier vers dix-sept ou dix-huit ans, avec des dots de 3000 ducats, mais si, à l''âge de dix-huit ans, elles n''étaient pas mariées, leurs dots devraient être augmentées de cent ducats d''année en année. Le mariage des filles est une priorité pour ce marchand qui leur interdit de se marier sans l''autorisation de ses exécuteurs testamentaires. Au cas où elles «feraient honte à la maison » elles n''auraient que 500 ducats de dot chacune. L''attitude de ce testateur n''a rien d''exceptionnel, mais il s''agit du seul cas de

«monétisation de la honte » qu''il me soit arrivé de trouver 50 .

Une dot au mariage est au moins trois ou quatre fois plus importante qu''une dot de nonne. En 1590, Agostino Prezato prévoit de donner 4000 ducats à chacune de ses deux filles et seulement 1000 si elles entraient au couvent. Les 1000 ducats que Francesco Zanoli avait également destinés à ses filles, au cas où elles choisiraient d''entrer au couvent étaient à partager entre le couvent, qui recevrait 600 ducats et les filles, qui pourraient compter sur une rente mensuelle au 5 % sur les 400 ducats restants 51 .

158 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

Il est certain qu''il s''agit d''un choix bien meilleur marché, mais qui referme l''horizon familial au lieu de l''ouvrir en accueillant des gendres, alliés souvent précieux des frères et des pères marchands. Les relations d''affaires entre beaux-pères et gendres émergent assez fréquemment des testaments. Elles peuvent aussi influencer les legs destinés à augmenter la dot d''une fille déjà mariée, en contrevenant ainsi au principe d''égalité entre les filles, déjà énoncé, et qui est d''ailleurs fondée sur la norme statutaire. Par exemple, Zuan Piero Mazoleni 52 augmente les dots de ses deux filles, déjà mariées, en arrivant pour l''une à 3000 ducats et pour l''autre à 3200, car il est en affaires avec le mari de cette dernière, qu''il désigne d''ailleurs parmi ses exécuteurs testamentaires. Il est à noter que l''augmentum dotis est directement destiné au gendre, sans passer par l''intermédiaire de la fille: «qu''il soit donné à mon gendre Anzolo, pour la dot de la dite Anzola, ma fille et son épouse, jusqu''à 2800 ducats en plus des 400 qu''il a déjà eus » . Enfin, choix beaucoup plus rare, les filles sont autorisées à rester célibataires, auprès de leur mère, à la condition, bien évidemment, qu''elle ne se remarie pas 53 .

6 - L'épouse dans la boutique

L''usufruit du «residuum » est généralement laissé aux veuves, qui reçoivent la tutelle des enfants et des legs ponctuels, à la condition de ne pas se remarier. Si elle assume toute son importance quand il y a des enfants, la clause de non remariage est généralement absente des testaments de marchands n''ayant pas de descendants

54 . Un mercier, Galeazzo Corniani, va plus loin, car il privilégie son épouse par rapport à son frère, avec qui il a été en frérèche. Il laisse à sa femme l''entière gestion de la boutique et des affaires et l''autorise à se remarier «avec l''autorisation de ses parents, ou de sa famille » 55 .

LE MONDE DU COMMERCE 159

La structure exclusivement masculine de la frérèche marchande exclut une participation directe des femmes, épouses, soeurs, ou mères. Il s''agit toutefois d''un idéal, qui ne peut pas toujours se réaliser. Non seulement car tous les marchands ne disposent pas de frères ou de neveux, mais aussi car les imprévus de l''existence peuvent les obliger à confier la gestion de l''entreprise à leurs épouses. Les hiérarchies économiques, on l''a dit, sont à l''origine de choix différents. Une veuve vénitienne peut difficilement se trouver à la tête d''un réseau d''affaires entre Alep et Londres, mais elle peut se retrouver à la tête d''une entreprise textile, ayant des trafics d''une certaine importance, et avoir à s''occuper de la formation de ses fils destinés à reprendre la société paternelle. C''est le cas du marchand joaillier et drapier Bartolomeo Baccuzi qui, grièvement blessé, laisse la gestion de la boutique d''art de la laine, dont le capital se monte à 5000 ducats, à sa femme et à son neveu 56 . Leur fils doit être confié, dès l''âge de sept-huit ans, à un prêtre ou autre «personne capable » , pour qu''il apprenne «à tenir les livres, et l''abaque et un peu de grammaire » . Ce testament nous fait part du problème de l''apprentissage du jeune marchand, en cas de décès du père. On comprend que, seulement dans ce cas, le fils doit aller chercher à l''extérieur de la famille la formation que le père lui aurait donnée à la maison. Les testaments des pères qui interdisent aux fils de quitter la maison familiale jusqu''à vingt-cinq, trente ou même quarante ans, sont aussi à lire dans un contexte où l''apprentissage du métier de marchand se fait surtout par la pratique, en aidant, en observant, à défaut du père, l''activité des frères ou des oncles. Si elle ne peut pas dispenser ce même enseignement, l''épouse est toutefois directement impliquée dans la gestion del'' entreprise, avec les associés du mari 57 .

I..: épicier Bartolomeo de Noris non seulement laisse son épouse héritière universelle, mais écrit: «Je la prie de ne prendre dans la boutique que mes frères, aux conditions qu''elle voudra » . Dans un précédent testament, il avait organisé le mariage entre l''un de ses frères et une nièce de son épouse 58 .

Zuanne Rimondi dalla seda ne vécut que quatre ans après avoir rédigé, étant sain de corps et d''esprit, son testament. C''est

160 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

son épouse Angela qui présente ce testament au notaire, pour que les dernières volontés de son mari soient exécutées 59 . Ce n''est donc pas dans une situation de danger de vie et d''urgence que ce marchand soyeux décide de nommer son épouse seule héritière et exécutrice de ses volontés, à la condition de ne pas se remarier. «Et mes enfants ne puissent jamais lui demander des comptes de son administration, car elle a une très bonne intelligence » , écrit-il. À la tête d''un atelier d''art de la soie, Zuanne Rimondi a des apprentis, des salariés, un facteur, un esclave ainsi que des fils et des filles, qui tous doivent obéir à sa femme. Elle pourra choisir comment les former pour qu''ils entrent dans l''entreprise. Le testateur se limite à donner des conseils et des recommandations, écrivant qu''il voudrait que l''un des fils parte en Allemagne, pour apprendre «avec messieurs les marchands » , et qu''un autre prenne sa succession dans la boutique, mais seulement quand il aura vingt-huit ans. Il recommande également de commencer par fabriquer des armoisins, car c''est par là qu''il a commencé, et aussi de marier ses filles à des gentilshommes vénitiens. À la lecture de ce testament, et d''autres, moins bavards, mais qui reconnaissent aux épouses un rôle décisif dans l''éducation des enfants et dans la gestion des affaires, l''on voit se dessiner une image de la famille marchande bien plus proche de celle qu''on connaît pour l''Europe du Nord, immortalisée par quelques tableaux célèbres de la Renaissance flamande.

groupe voyage quebec angleterre

Héritiers de l''axe héréditaire (Residuum)

Famille d''origine Épouse et descendants

groupe voyage quebec angleterre

LE MONDE DU COMMERCE

Héritiers extérieurs à la famille Exécuteurs testamentaires 161

Exécuteurs extérieurs à la famille Legs

II - Les voix, et les voeux, des femmes entre couple et frérèchemarchande

1 - «Pour l'affection et la charité qu'il m'a démontrées»

Peu de femmes célibataires, dans les milieux marchands, font testament. Dans cet échantillon, il n''y en a que cinq: trois laissent

162 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

tous leurs biens à leurs soeurs, et deux autres à des hommes qui ne font pas partie de la famille. «Pour l''affection et la charité qu''il m''a démontrées » , dit la fille d''un marchand et «pour tout ce qu''il a dépensé et fait pour moi, depuis le temps que je suis malade chez lui » , dit la fille d''un épicier6 1.

Deux autres femmes ont été mariées mais se sont séparées de leurs maris: «Je veux que Giulio Moro, mon mari, n''ait rien du mien, car j''ai été assassinée quand je l''ai épousé et au bout de vingt jours j''ai été obligée de partir de chez lui » , fait écrire Ancilla 62 .

Antonia raconte l''histoire de son mariage avec un bergamasque,

«qui m''a quittée et qui est resté presque quatre ans loin de moi, sans justification aucune » . Elle avait eu un fils, mort à l''âge de trois ans et, comme on disait du mari qu''il avait été fait prisonnier par les Turcs, elle avait obtenu des Juges du Procurator une sentence d''assurance dotale qui lui avait permis de récupérer sa dot et de se remarier. Quinze jours après le mariage, le mari était réapparu et avait fait interdire les noces. «Encore rien n''a été réglé » , conclut Antonia qui, par son testament, laisse à son premier mari la contredot qu''il lui avait promise, ainsi que tous ses effets personnels et les meubles qu''il avait laissés au moment de son départ 63 . Les

LE MONDE DU COMMERCE 163

deux femmes destinent tous leurs biens à la famille d''origine et Ancilla confie à son frère, qui est prêtre, Chiaretta, «une petite pauvre de cinq ou six ans, que j''ai prise avec moi, pour mon âme » 64 .

I.: expression utilisée dans ce testament fait bien comprendre que les «enfants d''âme » , comme on les désignait à Venise, pouvaient être une oeuvre de charité, en vue du salut. Les femmes mariées, n''ayant pas d''enfants, désignent pratiquement à égalité leur mari et leur famille d''origine comme héritiers. Dans certains cas, l''on devine une urgence matérielle, comme dans le testament de Zuanna Serian, épouse de Domenego, maître diamantaire, qui raconte que sa «belle dot » , de 2.000 ducats, a été

«consommée, je ne sais pas comment » par son mari mais, comme elle ne veut pas que «n''ayant pas les moyens de la rendre il soit emprisonné » , elle la lui lègue en entier 65 . La sincérité apparente de ce testament, cache, peut-être, des pressions de la part du mari pour être désigné comme héritier. Dans la famille d''origine, les soeurs sont privilégiées, ce qui explique la raison du testament, car, en son absence, les biens iraient aux mâles. I.: épouse d''un marchand de blé lègue ses biens à sa famille, en laissant l''usufruit à son mari, qu''elle «prie de se remarier vite, après ma mort, car les hommes sans épouses ne peuvent que faire le mal » 66 . I.: épouse d''un marchand de vin, léguant ses biens à son mari «bien aimé » , se préoccupe de la future descendance de ce dernier, qu''elle désigne comme héritière après la mort du mari 67 .

Si, dans un testament, on peut se préoccuper du futur remariage et des futurs enfants de son mari, on peut aussi penser à ses beaux-enfants. Une autre épouse d''un marchand de vin se préoccupe du mariage de la fille naturelle de son premier mari, qu''elle destine à l''hôpital pour jeunes filles en danger des Zitelle 68 . I.: épouse

164 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

d''un joaillier partage son héritage entre sa soeur et la fille d''un précédent mariage de son mari, qu''elle désigne également comme exécutrice testamentaire 69 .

Toutes font des legs, pour messes, des legs de charité, et la plupart laissent des objets et des habits à des domestiques. Des legs plus importants, de plusieurs centaines de ducats, sont prévus pour les dots des nièces. Chiara, épouse d''un épicier, organise, par son testament, le mariage de sa nièce avec son beau-frère en laissant ses biens à leurs fils ou, à défaut d''héritiers mâles, à leurs filles 7°. La plupart, toutefois, ne prévoient pas d''héritiers de substitution. Les biens de ces femmes sont presque exclusivement des biens meubles, surtout de l''argent comptant, ou investi en titres d''État, qui leur vient de leur dot ou d''héritages reçus. Celles qui déclarent laisser le «reste » de leurs biens à leur famille d''origine laissent souvent la dot au mari. Dans un milieu plus aisé, mais composé en partie de commerçants, épiciers, joailliers, et pas exclusivement de marchands internationaux, l''on retrouve parfois les mêmes comportements que chez les artisans: si la dot a été investie dans la boutique, il est difficile de la rendre, qu''il s''agisse d''une boutique de pâtes ou de bijoux. Un exemple particulièrement évident est celui des frérèches marchandes, où les dots des épouses rentrent dans le capital commun. On en retrouve la trace dans les testaments masculins, mais parfois aussi dans les testaments des femmes. Dans son premier testament, Elisabetta Gritti, épouse d''un verrier de Murano, n''ayant pas d''enfants léguait tout au mari mais, dans le deuxième, rédigé après la mort de ce dernier, elle léguait ses biens à ses beaux-frères, membres de la frérèche, dans laquelle sa dot avait été investie

71 . Pour avoir une idée de ce qu''une dot pouvait représenter dans

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le capital d''une frérèche, on peut citer le testament de Gerolamo Grifalconi qui, en 1512, déclare que le capital de la frérèche se montait à 44.947 ducats, comprenant les boutiques de draperie et d''épicerie ainsi que la dot de son épouse, de 3.000 ducats 72 .

Les veuves sans enfants choisissent leurs soeurs et les enfants de ces dernières ou alors des personnes extérieures à la famille, surtout des jeunes femmes.

Héritiers de l''axe héréditaire de femmes sans enfants (5 célibataires, 15 veuves, 35 mariées)

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Exécuteurs testamentaires de femmes sans enfants

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2 - Un partage «virtuellement» égalitaire

Un quart des testaments d''épouses de marchands est constitué par des testaments de femmes enceintes. C''est un pourcentage significatif et supérieur à celui que nous avions trouvé dans le groupe des testaments des milieux artisans. Quiconque s''aventure dans les archives des notaires vénitiens à la recherche de testaments est immédiatement surpris par la récurrence de testaments de femmes enceintes. La grossesse était vécue comme une condition dangereuse et elle l''était, de fait, ce qui ne signifiait pas nécessairement qu''à chaque grossesse une femme refasse son testament. Les choix importants, notamment concernant les rôles respectifs, en tant qu''héritiers, du mari, des enfants et de la famille d''origine, étaient le plus souvent faits une fois pour toutes à la condition, bien évidemment, qu''au moins l''un des enfants soit encore en vie au moment du testament de sa mère. De fait, si le testament maternel est égalitaire à l''égard des enfants, ceux qui naissent par la suite entrent dans la succession au même titre et avec les mêmes droits que les autres.

166 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

Plus qu''une nouvelle grossesse, c''est alors l''évolution du cycle familial qui détermine la nécessité d''un nouveau testament maternel. Les mariages des filles, le décès du mari, ou d''autres membres de la famille, voire, aussi, des modifications des relations familiales (conflits, séparations, etc.) sont à l''origine de nouveaux testaments. Par exemple Innocentia, fille d''un mercier, veuve en premier mariage d''un mercier et épouse d''un avocat, fait testament peu avant d''accoucher. Elle ajoute le mari et les enfants à naître en tant qu''héritiers, à égalité avec les trois enfants du premier mariage et désigne le mari comme héritier de substitution en cas de décès prématuré des enfants 73 . Puisque les enfants posthumes d''une femme héritaient à égalité avec les autres, le testament d''Innocentia Broccardo servait à introduire le deuxième mari comme héritier avec les enfants du premier mariage et, en même temps, à les lui confier. Les femmes des marchands font plus souvent leur testament étant enceintes, alors qu''on a vu que le testament de la femme mariée sans enfants, qui désigne le mari comme héritier, est plus fréquent dans les milieux populaires et artisans. En fait, dans ces derniers, il vient compléter les clauses du contrat dotal qui prévoyaient le plus souvent une contredot payée par le mari en cas de veuvage de la femme, en plus de la restitution de la dot, prévue par les Statuts. Rédigé peu de temps après le mariage, le testament de l''épouse évitait ainsi au mari d''avoir à rendre sa dot, lui garantissant un capital pour ses vieux jours. La dot que la femme laissait au mari avait en somme la même fonction que la contredot que le mari laissait à sa femme. Le testament de la femme enceinte, plus fréquent dans les milieux marchands et plus aisés, intervient à une étape postérieure du cycle familial, à un moment où les rôles respectifs des protagonistes ont évolué. Ce n''est pas pour désigner ses enfants à naître comme héritiers qu''une femme fait son testament, mais pour préciser les rôles respectifs de son mari et de sa famille d''origine au cas où ses enfants ne lui survivraient pas. Si le testament n''a pas été fait auparavant c''est que, en absence d''enfants, la femme acceptait que sa dot revienne à sa famille. Les femmes enceintes lèguent leurs biens aux enfants, mais le partage n''est pas toujours égalitaire et les filles peuvent être privilégiées. Parfois, le mari est le premier héritier et les enfants reçoivent

LE MONDE DU COMMERCE 167

l''héritage maternel par le père. Dans tous les autres cas, les testaments contemplent l''éventualité du décès prématuré des enfants et désignent leurs successeurs: il s''agit des héritiers de substitution d''héritiers virtuels. Dans l''ensemble, la famille d''origine et le mari sont choisis à égalité. En désignant les membres de leur commissaria, les femmes désignent en même temps les tuteurs de leurs enfants. Le choix des tuteurs n''est pas, en principe, de compétence des mères, qui, par définition, n''ont pas la patria potestas 74 . Toutefois, le droit vénitien fait une différence entre les tuteurs désignés par les pères, qui n''ont besoin d''aucune confirmation et les tuteurs désignés par les mères, grand-mères, ou, dit la loi, «toute autre étranger » , qui doivent être confirmés par un jugement de la magistrature des Giudici del Mobile.

En indiquant les tuteurs de leurs enfants les mères précisent aussi l''âge auquel ils peuvent hériter. Quand il s''agit de l''âge «ottima

» 75, nous pouvons présumer qu''il s''agit de l''âge fixé par les lois, c''est-à-dire, jusqu''en 1582, douze ans pour les filles et quatorze pour les garçons et, par la suite, quatorze et seize ans. L''épouse d''un marchand libraire indique, en 1561, seize ans pour les filles et vingt ans pour les garçons 76 . L''épouse d''un marchand de toiles indique vint-cinq ans, pour les garçons et pour les filles mais, dans son deuxième testament, elle ajoute que ses deux garçons ne pourront hériter qu''à trente ans 77.

Paola Rota, en 1550, se définit «épouse du marchand Antonio Butigela » mais, à la lecture de son testament, nous découvrons qu''elle a déjà trois fils d''un premier mariage. Ils sont confiés à son frère et au mari de sa soeur, qui sont censés investir ses biens, dotaux et extradotaux, pour leur payer des études. Elle souhaite qu''ils aillent «à l''école et à l''Université de Padoue, ou dans d''autres lieux, pour qu''ils deviennent docteurs ou notaires ou s''instruisent dans un art noble et libéral, tel qu''avec leur industrie ils puissent vivre honorablement » . Cette femme ajoute: «je veux que ceux qui ne voudraient pas calmer leur âme et se discipliner, comme je le désire, et comme je l''ai dit ci-dessus, soient envoyés auprès de leurs oncles. Je veux que les autres soient élevés comme je le désire et

168 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

comme je l''ai dit ci-dessus, jusqu''à ce que le dernier ait atteint l''âge de vingt ans » 78 . Les trois fils et l''enfant à naître devront se partager les biens maternels, quand le dernier aura vingt ans. Dans le cas de Paula Rota, qui ne fait jamais allusion au mari, ce qui compte est la redéfinition des rôles respectifs des enfants du premier et du deuxième lit, nés ou à naître. Dans un testament de treize ans postérieur, Paula Rota se définit la «fille du feu Zuane, docteur en médecine, et veuve, en dernier mariage, du feu Antonio Butichiella » 79 . En dépit de la différente graphie du nom du mari, il est évident qu''il s''agit de la même personne, qui choisit, à différents moments de sa vie, deux définitions différentes de son identité personnelle. Puisque le notaire est toujours le même, il s''agit vraisemblablement de sa façon personnelle de décliner sa propre identité, et non pas de choix différents du rédacteur de l''acte. Elle est fille d''un médecin et épouse d''un marchand: c''est un exemple de laperméabilité des différentes conditions «citoyennes » , de la même manière que, en parlant de testaments masculins, il nous est arrivé de rencontrer des fratries où l''un des frères est marchand, l''autre suit des études à Padoue et un autre tente la carrière de fonctionnaire. Paola Rota Butichiella souhaite qu''on l''enterre dans la tombe de son père, où son mari est également enseveli. Aux trois enfants du premier mariage ne sont destinés que cent ducats chacun «car, depuis treize ans, ils vivent avec moi, et à mes frais » . Par contre, Cristina, fille du deuxième mari, est l''héritière du «reste » de la dot de sa mère et exécutrice testamentaire. En réalité, quelques lignes après, la testatrice semble se corriger, car elle déclare que la moitié de son «reste » est destinée à ses fils. Le précédent testament est annulé et nous ne savons pas si les projets qu''il contenait concernant le destin de ses fils se sont réalisés. Il est certain que cette veuve

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s''est occupée personnellement de ses fils qu''elle avait prévu de confier, le cas échéant, non pas à la famille de leur père, mais à sa famille d''origine. Qui et quoi détermine les opportunités, les choix professionnels et de vie d''un jeune? Ne connaissant pas l''identité professionnelle du premier mari, et père des trois jeunes, nous ne pouvons faire aucune hypothèse, mais il est certain que le choix de les faire étudier est, au moins, cohérent avec les origines de la mère, fille d''un médecin.

Héritiers de substitution de femmes enceintes (en cas de décès des enfants intestat)

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Exécuteurs testamentaires

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3 - «Elles feront ce qu'elles voudront»

Le testament est un projet, une projection dans le futur de ses propres descendants. Le testament d''une femme à sa première grossesse exprime une inquiétude spéciale, et se résout entièrement dans le projet futur. Le testament du parent, mère ou père, doit tenir compte en même temps de l''évolution de sa vie personnelle ainsi que de celle de ses enfants vivants, à des étapes différentes. Lâge, l''état civil, les conditions de vie, les réussites ou les échecs des descendants influencent, et parfois déterminent, les choix des parents. Le testament maternel ne fait généralement pas de différence entre les enfants vivants, les désignant comme héritiers à égalité, filles et garçons, mais certains testaments prévoient aussi les héritiers de substitution dans toutes les générations futures «jusqu''à ce

170 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

qu''il y en ait de légitimes » , comme l''écrit Anzola dal Olmo, veuve d''un épicier et épouse d''un marchand originaire de Florence. Son fidéicommis est égalitaire et comprend, en plus de ses deux fils vivants, tous les fils et filles qu''elle pourrait avoir et tous leurs descendants légitimes. S''il n''y en avait pas de légitimes, les naturels pourraient hériter, mais pas faire testament. S''il n''y avait pas d''enfants, sa dot, de 300 ducats, serait à partager entre sa soeur et son frère. Toutefois, écrit-elle, si ce dernier voulait s''opposer à son testament, le legs irait «aux plus pauvres de mon sang » , et notamment à des jeunes filles à marier 81 .

Comme dans les testaments masculins de ce même groupe le fidéicommis intervient surtout dans des situations de conflit potentiel entre les héritiers. Le frère avait en fait un droit prioritaire sur la soeur à l''héritage. Remarquons également que si les enfants et la famille d''origine se partagent les biens de cette veuve, rien n''est prévu pour son deuxième mari. Les choix de Paola Orio, épouse d''un marchand de bois et charbon, sont encore plus radicaux, qui interdit à ses enfants, au cas où ils n''avaient pas de descendants, de faire testament en faveur de leur père, «ni de ses enfants bâtards ou enfants nés d''une autre femme » , car c''est «ma ferme intention que ni mon mari, ni les enfants bâtards ou même ceux qu''il pourrait avoir avec une autre épouse » n''héritent rien de mes biens » 82 . Les filles sont libres. Si elles «ne voulaient pas aller au couvent, qu''elles ne soient à aucun prix mises au couvent, mais qu''elles fassent ce qu''elle voudront, c''est-à-dire qu''elles soient mariées selon leur rang et condition » 83 . Elle ne choisit pas son mari comme exécuteur testamentaire, lui imposant, s''il voulait garder les enfants près de lui, de «ne rien demander, ni en rien embêter les exécuteurs de mon testament » , un cousin et trois personnes n''ayant apparemment pas de liens de parenté avec la testatrice

84 . À la différence de Anzola Dal Olmo, Paula Orio ne choisit pas les héritiers de substitution de ses enfants, mais se limite à

LE MONDE DU COMMERCE 171

régler des comptes avec son mari, qui ne reçoit rien de ses biens. Toutefois, elle n''a pas le pouvoir d''exclure le mari de la tutelle des enfants, mais ne pense pas que celle-ci lui sera automatiquement confiée et elle n''est même pas certaine qu''il souhaite l''avoir. Daria, épouse du marchand de soie Zuanne Piasentin, veut garantir la liberté de sa fille de se marier ou d''aller au couvent. Elle choisit son père comme exécuteur de son testament, en lui donnant la faculté, «sima fille n''était pas bien gouvernée par son père ou par sa marâtre, de récupérer la dot des mains de mon mari et de l''investir comme mieux lui semblera » 85 . Faisant son testament, «étant très malade » , Daria Piasentin, qui n''avait qu''une fille, avait laissé ses biens à tous les enfants, filles ou garçons, qu''elle pourrait encore avoir. La préoccupation principale, l''argument d''un conflit éventuel, dans les testaments de ce groupe, est le sort des filles qui, si elles sont envoyées au couvent après le décès de leur mère pour y être éduquées, risquent d''y être confinées pour le restant de leurs jours 86 .

Dans son testament, Emerentiana Vivian, la veuve d''un mercier, affirme que les testaments maternels sont toujours favorables aux filles. «Et mes fils seront contents de mon testament, car ils savent que les filles sont toujours avantagées » , écrit-elle, après avoir laissé à ses fils son «residuum » et à sa fille seulement 600 ducats ainsi que «deux caisses avec toutes mes affaires, que personne ne puisse les ouvrir, ni savoir ce qu''elles contiennent, car quiconque le fera sera privé de mes legs » 87 . Ces caisses contenaient peut-être un trésor ... Nous sommes dans un groupe intermédiaire, où les femmes sont déjà un objet d''échange, élément d''équilibre ou de déséqui-

172 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

libre des alliances et des bilans des familles. Les garçons doivent reprendre l''activité paternelle ou, comme le démontre l''exemple de Paula Rota, s''instruire dans «un art libéral » . Les filles sont dotées

«selon leur rang et condition » , comme s''empresse d''ajouter Paola Orio, en limitant immédiatement le sens de l''expression «elles feront ce qu''elles voudront » . Elles peuvent aussi être envoyées au couvent au nom de la «raison d''État familiale » . Nous retrouvons les filles nonnes dans les testaments des veuves, comme dans le cas de Margherita, veuve du marchand Gerolamo dai Tre San Marchi. Elle laisse son «residuum » au fils, faisant un legs de cinquante ducats à la fille naturelle de ce dernier, et dix ducats chacune à ses deux filles, dont l''une est mariée et l''autre est nonne 88 . Il s''est peutêtre agi d''un libre choix de la jeune fille, mais il faut aussi prendre en compte le jeu, parfois cruel, des alternances, que certains testaments paternels pratiquent selon un rythme inexorable: une fille mariée, une au couvent, et ainsi de suite ... Les testaments de femmes encore jeunes envisagent souvent la possibilité d''avoir d''autres enfants et de les inclure dans leur succession. Dans les testaments des veuves, on perçoit surtout la nécessité de faire un bilan sans mécontenter personne, en garantissant, en même temps, la poursuite des activités de la famille et la transmission des capitaux. Les filles déjà mariées reçoivent des legs ponctuels, alors que les «residuum » est destiné aux fils. Si les filles sont encore à la maison, la veuve doit penser à les doter: Caterina Lietestegher, veuve d''un marchand allemand, en plus de plusieurs legs aux nourrices et servantes, confie à son fils la tâche de donner à sa soeur une dot de 1.200 ducats. Le fils est son héritier universel mais il ne peut «rien vendre, ni engager et il ne peut léguer l''héritage qu''à ceux de son sang » 89 .

La transmission de l''activité familiale a pu se faire progressivement, en associant les fils aux activités du père, ou, en absence de fils, les filles et les gendres. Le testament de Franceschina Basalei, veuve d''un marchand verrier, est un des rares testaments qui prévoient la transmission de la boutique à une fille et à son mari, une fois qu''on aura terminé de payer les dots des autres sept filles, qu''on aura récupéré les créances d''un gendre, et associé, et obtenu d''une autre fille le remboursement des frais d''éducation d''un petit-fils 90 .

Pase, la fille du marchand savonnier Marco di Gratioso, avait reçu de son père l''atelier, qu''elle transmet à sa soeur, alors qu''elle lègue

LE MONDE DU COMMERCE 173

le reste de ses biens à son beau-fils 91 . En 1579, ce dernier obtint des

Giudici del Proprio une sentence dejudicatum pour restitution de la dot et héritage de sa belle-mère, qui se montait à 8000 ducats, comprenant des boutiques, et des ateliers de draperie et verrerie, ainsi que des terres 92 .

Héritiers de l''axe héréditaire de femmes ayant des enfants (15 mariées, 20 veuves)

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Héritiers de substitution

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Chapitre VIII. Docteurs, notaires, secrétaires de la république

I - transmettre des livres, payer des études : les testaments des hommes.

1 - «Pour la consolation de mon âme»

Les dispositions concernant la sépulture ne sont pas le premier souci du testateur qui commence généralement par désigner ses exécuteurs testamentaires, et enchaîne souvent tout de suite avec la désignation des héritiers, première véritable raison de tout testament. Quand ils envisagent leurs propres funérailles, les testateurs ne s''attardent pas sur le traitement à réserver à leur propre cadavre, sauf quelques médecins, tel Nicola Massa, qui recommande à ses exécuteurs testamentaires de «se souvenir de mes vertiges, quand ils me croiront mort, et de me laisser deux jours sur la terre, pour éviter toute erreur » 1. Quand on passe à l''organisation matérielle des obsèques, les déclarations d''humilité sont presque obligées et la formule «avec le moins de pompe possible » 2 revient dans plusieurs testaments. En réalité, il s''agit souvent de déclarations de principe qui n''ont pas grand chose à voir avec la réalité. Par exemple, le secrétaire ducal Lorenzo Trevisan 3 demande la présence de «seulement » vingt prêtres du chapitre de sa paroisse, huit chandelles, huit frères du couvent des Gesuati. Un autre secrétaire ducal, Gerolamo Zuccato4, veut les prêtres de San Martino et de la

Trinità, l''étendard de la croix, ainsi qu''une intéressante, et assez singulière, représentation des âges de la vie: les enfants de San

176 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

Giovanni e Paolo, des tertiaires franciscains et des vieux hommes de sa paroisse. Nicolà Rompiasi est plus modeste, qui ne veut pas être accompagné par sa confrérie, la Scuola Grande de la Carità, car c''est «de la vanité, une dépense superflue et un dérangement pour ces pauvres hommes » 5.

Il faut dire que, dans ce milieu, la plupart des testateurs disposent d''une tombe de famille ou alors demandent à leurs exécuteurs de la construire. Le docteur Paolo Lombardini demande qu''on ajoute l''inscription suivante à la tombe de sa mère, qu''il vient de faire construire: Paulus Lombardinus iuriconsultus atque orator monumentum hac vivens statuerat Laurae parenti optimae raraeque ac praeclarae vertutis foeminae 6 . Dans la tombe de famille, parfois

antiquissima 7 , il peut y avoir les «ancêtres » , sans précision ultérieure mais, plus souvent, c''est à leurs pères et mères, aux frères ou, encore, à leur femme et à leurs enfants que les testateurs imaginent de se réunir en se faisant enterrer à côté d''eux. Le notaire Gerolamo Bossis a fait son choix: il veut être enterré à la Madonna dell''Orto où est sa deuxième épouse Virginia 8. Le choix de construire une nouvelle tombe pour ses descendants, alors qu''une tombe de famille existait déjà, peut indiquer le détachement d''une nouvelle lignée voire des problèmes tout à fait banals d''espace qui trouvent facilement une solution dans cette ville, en pleine frénésie édilitaire au XVIe siècle. Alvise Baffo ordonne la construction d''une sépulture dans la terre d''un des cloîtres de San Francesco de la Vigna, avec une pierre décorée des armes de sa famille et autorise sa femme et son fils à s''y faire enterrer aussi, s''ils le désirent 9 . Dans cette même église, Zuan Francesco Trevisan fait construire une sépulture, en précisant qu''il faut choisir un «lieu sec » 10•

Les legs pour la célébration de messes pour le salut de l''âme sont une autre constante des testaments de citoyens honorables et pourvus de moyens financiers : jusqu''à cent messes dans la paroisse mais aussi dans plusieurs autres lieux, couvents, ou églises. Zuanne Salon 11 désigne les monastères de San Domenico, dans le sestier de

Castello, dans lequel il vit, mais aussi celui de San Gregorio, dans le sestier de Dorsoduro, et laisse à ses exécuteurs la liberté de décider combien de messes ils voudront faire célébrer car, écrit-il, «mon

DOCTEURS, NOTAIRES, SECRÉTAIRES DE LA RÉPUBLIQUE 177

intention est de faire du bien pour mon âme et pas d''engraisser les prêtres » . La même préoccupation n''est certainement pas partagée par le secrétaire ducal Zuane Taiapiera qui ordonne la célébration de messes quotidiennes dans l''église du village où se trouvent ses propriétés foncières 12.

Des affirmations de liberté religieuse ou une attitude polémique à l''égard du clergé sont extrêmement rares dans les testaments, lieu privilégié, au contraire, pour une recherche, plus ou moins sincère, de pardon et réparation à des errements ou erreurs de jeunesse. On n''essayera pas de tester la profondeur de la foi ou de la repentance dans les mots des testateurs, on se contentera de remarquer que la crainte de la mort peut être une puissante source de conformisme en matière religieuse. Antonio Brocardo 13, notaire à la Curia Forinsecorum, écrit son testament en 1527 lors d''une maladie et, après l''avoir «cacheté avec son sceau » , il le remet entre les mains du notaire qu''il a appelé à son chevet. Ce testament d''un notaire d''une magistrature judiciaire de la République de Venise n''est ouvert qu''en 1538. On comprend toutefois pourquoi il l''avait scellé avant de le donner au notaire car, après une liste très longue de legs pieux et pour le salut de son âme, Antonio Brocarda confesse une série de petits vols qui ressemblent à des manifestations de cleptomanie plutôt que de malhonnêteté, et termine en ordonnant à ses héritiers de chercher dans sa bibliothèque les oeuvres et le portrait de Luther et de les brûler. En 1527, posséder non seulement les oeuvres, mais aussi le portrait du moine de Wittenberg est la preuve d''un intérêt très précoce pour la réforme. La présence d''oeuvres de Luther à Venise est documentée dès 1520, mais il se peut aussi que sa fonction de notaire au tribunal des étrangers ait mis Brocarda en contact avec des marchands allemands convertis à la réforme 14. Ce testament est imprégné de sentiment de culpabilité et de la recherche de pardon et d''expiation. Nous sommes à une époque de grands troubles religieux, mais si le personnage a été fasciné par Luther, c''est aussi sa conduite personnelle à l''égard de ses proches qui paraît l''angoisser en vue de l''au-delà. Antonio avoue avoir pris des livres à son bureau, «par curiosité » et souhaite

178 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

les rendre, demande pardon pour avoir pris à un de ses camarades d''école un manuscrit en parchemin d''un Virgile, transcrit par le père de ce dernier et avoue avoir volé des bijoux et des fourchettes. Il destine 220 ducats, qui sont à peu près la totalité d''une année de son salaire, à des legs pieux: des pèlerinages jusqu''à St. Jacques de Compostelle, la charité à des pauvres de sa paroisse et surtout des messes dans neuf monastères et deux hôpitaux, pour la «consolation » de son âme 15.

Des legs de charité apparaissent dans la quasi-totalité des testaments, de ce groupe. À Venise, tout notaire présent à la rédaction d''un testament était dans l''obligation de demander au testateur s''il ne désirait pas faire des legs aux grands hôpitaux d''État. La République de Venise intervenait ainsi dans le système, mis en place par l''Eglise, de don et contre-don qui structurait le phénomène, tant controversé, des indulgences. Ne pouvant pas offrir les mêmes assurances que l''Église sur le destin de l''âme, l''État faisait toutefois appel au sens de responsabilité des citoyens en sollicitant leurs bonnes oeuvres. En réalité, les legs suivent des habitudes et des fidélités dévotionnelles qui n''ont rien à voir avec la politique d''assistance laïque. Les grands hôpitaux de l''État sont souvent négligés par les testateurs qui privilégient la paroisse, la confrérie ou les monastères où se trouvent des membres de leur famille. Les hommes écrivaient leur testament pendant leur jeunesse voyageuse, ils en écrivaient après la naissance de leurs enfants, ils ajoutaient des codicilles pour exclure un fils rebelle ou un associé peu fiable ou pour se faire pardonner un enfant illégitime et, finalement, ils les annulaient tous sur leur lit de mort. Une maladie peut faire craindre le pire et pousser le malade à écrire son testament, comme dans le cas de Zuan Antonio Secco, médecin à Venise depuis quarante-cinq ans, et affligé par une «toux perpétuelle et irrémédiable » qui lui avait déjà fait «cracher plus de deux livres

DOCTEURS, NOTAIRES, SECRÉTAIRES DE LA RÉPUBLIQUE 179

de sang » 16. Même en absence de maladies, toutefois, les hommes avaient, comme les femmes, l''habitude d''écrire plusieurs testaments au cours de leur vie. Les testaments des femmes sont souvent liés à leurs grossesses, mais on peut également trouver dans des testaments masculins l''allusion à l''état de grossesse de leur femme, tel celui du secrétaire ducal Gerolamo Albin. «Je ne sais pas si je peux faire mon testament, écrit-il, car Lugretia mon épouse est enceinte et si elle faisait un garçon, tous mes biens lui seraient destinés, car telle était la volonté de mon grand-père Jacomo, mais comme elle pourrait aussi faire une fille ... » 17. La succession par voie féminine n''ayant pas été prévue par le testament du grand-père, Gerolamo se sent obligé d''y penser, au cas où ... Ce réexamen constant de sa propre existence est aussi une progression vers une plus grande liberté d''action et de choix, comme il l''écrit, en 1578, un secrétaire ducal, Antonio Vecchi, en annulant un testament écrit seize ans auparavant, car, «étant jeune, j''avais contenté les autres » 18.

Le fait que les testaments scandent le rythme de l''existence témoigne d''une familiarité avec la mort qui nous est totalement étrangère, «rien n''étant plus certain que la mort ni plus incertain que l''heure d''icelle » , comme l''écrivent ceux qui font testament tout en étant en bonne santé. La maladie, toutefois, rend non seulement la mort une éventualité plus réelle et menaçante, mais modifie les relations familiales et la perception que les testateurs en ont. Dans son testament olographe de 1562, Augustinus Brenzonus 19, docteur en droit originaire de Vérone, et exerçant la profession d''avocat à Venise, s''était exprimé en latin. Imbu de culture classique, ce Véronais avait désigné comme héritiers ses fils qui portaient les prénoms de César, Hannibal, Alexander et Carolus, tout en reprochant à sa femme d''être, «ut vulgariter dicitur » , «partisane » de ses enfants. Trois ans plus tard, il ajoute un codicille, en langue vulgaire, pour augmenter les legs pour sa femme, sa fille et son gendre qui l''ont aidé et servi pendant ses maladies. Le ton du codicille est beaucoup moins rhétorique et l''utilisation de la langue vulgaire, dans un texte qui reconnaît la dévotion et l''affection que les femmes de la famille lui ont témoignées, n''est certainement pas due au hasard.

180 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

2 - Au-delà de la frérèche

Le testament du médecin Francesco Longo est rempli d'' exhortations à ses fils à vivre unis car, «comme le dit, sur son lit de mort, Artaserse à ses enfants, il est impossible de briser une botte de flèches, alors qu''il est si facile de les briser une à une » 20 . Lhéritage paternel est, certes, destiné aux fils, et peut rester indivis, mais cela n''a pas les mêmes conséquences dans une frérèche marchande où les capitaux, les marchandises et même les dots des épouses sont mis en commun. La possibilité de choisir sa voie est d''ailleurs beaucoup plus présente dans les testaments paternels de groupes dont nous nous occupons maintenant. Paolo Lombardini, docteur en droit, tout en «exhortant et encourageant » son fils à suivre des études, lui donne la possibilité de vendre une partie de ses biens (ces biens qui auraient dû lui permettre de «bien vivre à Padoue ou dans une autre université et de s''acheter des livres » ) pour «se faire marchand » . S''il voulait être marchand, il pourrait vendre jusqu''à mille ducats de ses biens dès l''âge de dix-huit ans et la moitié de toutes les propriétés à vingtdeux ans 21 . De la même manière, Nicola Rompiasi avait décidé de faire étudier l''un de ses fils, alors que l''autre lui semble «plus fort et plus apte aux activités marchandes » 22 •

Pour être marchand il suffit d''avoir des capitaux et du talent, pour devenir docteur il faut suivre des études longues, pour entrer dans la bureaucratie il faut surtout être bien intégré dans la ville, et pouvoir prouver sa citoyenneté «originaire » . Le passage de la marchandise aux offices est fréquent, à cette époque, pour les familles d''origine vénitienne, alors que la possession d''un doctorat ouvre même à des sujets non vénitiens la possibilité de se construire une réputation et un capital relationnel en ville qui leur permettent, éventuellement, aussi de se lancer dans les affaires. De toute façon, les domaines de la marchandise, des professions et de la bureaucratie sont étroitement liés à cette époque et il est souvent impossi-

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ble de définir par une activité une famille dans laquelle coexistent activités marchandes, professions et offices 23.

Les objets de la transmission des pères aux fils varient, évidemment, et si les biens matériels, mobiliers ou immobiliers, sont toujours présents, le projet de vie et les relations familiales qui l'' encadrent ne sont pas les mêmes. Il faut alors se demander ce qu''il y a au-delà du modèle de la frérèche marchande, dont la plupart des pères de famille de ces groupes sociaux proviennent, car la mobilité, à cette époque, et dans ces milieux, se fait essentiellement à partir de la marchandise vers les offices et les professions. D''autres relations peuvent alors devenir plus importantes et il faut se demander lesquelles. Une première réaction, face à la «mutabilité » de toutes choses peut être alors celle du secrétaire ducal Gerolamo Zuccato qui, dans son testament de 1562 autorise son fils, quand il aura vingt ans, à «muter, renouveler ce testament, comme s''il n''avait jamais été fait et en faire un autre, à sa façon, mais sans intervenir dans les dispositions qui concernent sa mère » . Et, il ajoute, «je dis cela, à cause de la grande mutation que le monde fait de jour en jour » 24 .

Francesco Longo, qui avait insisté pour que ses trois fils restent unis, les confie à la tutelle de sa femme, de son frère et de son cousin, à égalité, en les autorisant à rentrer en possession de son héritage à l''âge de dix-huit ans. Il est à remarquer que ce médecin, qui demande à sa femme de ne pas exiger la restitution de sa dot, car il a «charge d''enfants » , demande aussi à ses fils «de faire comme s''ils n''avaient pas d''héritage pour qu''ils s''illustrent dans une activité, pour gagner leur pain et pour essayer de vivre de leur travail et vertu » 25 . Le choix, pour ce médecin, est entre les vertus du travail et les dangers de la rente, et il le laisse entièrement à ses fils.

182 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION «Honnêteté, vertus, études » , ce sont les mots qui reviennent constamment dans ces testaments et ce sont les valeurs que les pères voudraient transmettre aux fils. «Tous mes livres de la Chancellerie à mon fils Alvise, qui est entré à la Chancellerie » , écrit Bartolomeo Zamberti, notaire des Consuls des marchands, mais les autres livres, en latin, grec et hébreu sont destinés à tous ses fils, sous la responsabilité de l''aîné » 26 . Le secrétaire du Conseil des Dix Francesco Vedova laisse tout à son fils, qui devra hériter à l''âge de vingt-cinq ans une fois qu''il aura fini ses études et qu''il sera

«parfait de doctrine et bonnes moeurs » 27 . Nicola Carlo, notaire à la

Procuratia, laisse à son fils Alvise son office, qui assure une rente de 160 ducats par an, avec l''obligation de donner à l''autre fils, Carlo, quatre ducats par an «au cas où le dit Carlo n''aurait aucun office ou industrie pour vivre, mais, s''il l''avait, Alvise soit libéré » 28 .

Office ou industrie: voilà un choix qui reste ouvert et qui implique des destins différents et séparés pour les fils. Ces fils qui, écrit encore ce notaire, «doivent se protéger des mauvaises compagnies et de la jeunesse moderne, et vivre sobrement et sagement » . Une formation marchande, comme on l''a vu, se fait surtout en famille, alors que pour obtenir un doctorat il faut non seulement sortir de la maison parentale, mais s''installer à Padoue et, pour suivre une carrière dans la Chancellerie, il faut étudier à la Scuola di San Marco. Pour ouvrir aux fils une carrière il faut pouvoir mobiliser des capitaux et s''assurer des rentes. Rentes d''offices et de terres: les testaments de ce groupe font état de richesses immobilières plus importantes que ceux des marchands. Terres achetées à l'' époque de l''essor de la «pénétration foncière » des Vénitiens en Terre ferme et, surtout pour des médecins ou des avocats immigrés de la Terre ferme ou d''autres États de la péninsule, immeubles venant de l''héritage familial (par exemple: «la maison da stazio à Padoue, sur la place » ) 29. Mais certains choisissent d''investir aussi dans les commerces, qui représentent encore, dans le XVI" siècle vénitien, le moyen le plus sûr de rentabiliser ses capitaux 30 .

La dot de l''épouse peut toutefois aussi jouer un rôle fondamental, comme il apparaît à la lecture de certains testaments, tel celui

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d''un notaire, qui laisse tout à sa femme «car elle a apporté à la maison sa dot qu''elle avait gagnée contre messer Piero Michiel » 31 .

À leur «épouse très chère et bien aimée » , ces testateurs laissent, en absence d''enfants, leur «residuum » 32 , «car j''ai été bien content de sa compagnie » , comme l''écrit un médecin 33 , ou, encore «pour qu''elle puisse vivre en paix le reste de sa vieillesse » , comme l''écrit un autre médecin 34 . Mais, même s''il y a des enfants, l''on peut accorder à l''épouse la liberté de partager comme elle le voudra l''héritage paternel3 5 ou, en cas de décès des enfants, de choisir à qui le léguer

36 et, de toute façon, les fils sont obligés d''obéir à la mère, «qui donnera les ordres concernant leurs études » 37 et, bien sûr, veillera aux choix des belles-filles. Le revers de la médaille est que, pour la restitution de la dot à la veuve, il est parfois nécessaire de vendre les immeubles 38 . L''horizon s''est refermé sur la famille nucléaire et le fidéicommis apparaît, non plus comme la réponse à une difficulté contingente, mais comme un comportement répandu, visant à sauvegarder les biens immobiliers et contribuant ainsi à enraciner une famille dans la durée 39 , sous la menace «que ceux qui manquent à l''honneur et à la civilité de la maison ou qui se marient sans l''autorisation de leurs aînés, perdront leur part d''héritage » 40 .

3 - Le destin des filles

Faire étudier les fils est un choix coûteux et les filles risquent d''en faire les frais : «inspirée par Dieu » , la seule fille de Francesco

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Longo a «choisi » de devenir nonne et son père lui laisse une dot de 250 à 300 ducats 41 . Le choix entre études des fils et mariages des filles est résumé de manière très efficace, et assez paradoxale, par le testament de Bartolomeo Zamberti. Pour donner à son gendre les 420 ducats de la dot de sa fille qui restent à payer, il ordonne à ses fils de vendre ses livres et notamment les livres de logique et mathématiques qu''il avait lui-même traduits du grec au latin «et qui sont très utiles aux étudiants et encore nécessaires » , les recueils de cas judiciaires, un recueil des lois vénitiennes et toutes les oeuvres qui se trouvent dans une caisse dans [ sa] chambre » 42 . Benedetto Arborsani, en revanche, décide de «sauver » les livres de droit pour ses petits-fils qui feront des études et de vendre pour les dots des petites-filles tous les livres de littérature et en langue vulgaire 43 .

Il faut bien comprendre que nous ne nous trouvons plus dans un milieu où les apports des deux époux peuvent contribuer à la formation d''un capital marchand ou à l''aménagement d''une boutique artisanale, mais servent à augmenter le capital social et symbolique de la famille. Le choix du gendre doit répondre à certains critères de statut et d''honneur et, comme l''écrit Nicola Carlo à propos de sa fille, «avec 1500 ducats je n''ai pas réussi à la marier » , qui ajoute les 500 ducats, qu''il a eus comme grâce spéciale de la Procuratia pour trente-six ans de bons et loyaux services, à sa dot 44 .

Marco Pomaro est fils d''un médecin. Il a plusieurs filles et il ne leur laisse aucun choix, car il organise leurs vies selon une sorte de jeu cruel d''alternance. L''aînée, vingt ans, la seule à qui le père donne véritablement le choix, est probablement celle qui en a le moins, car elle est estropiée suite à une chute de cheval. La deuxième est destinée au mariage avec la dot, tout à fait respectable, de 3000 ducats. La troisième, qui a treize ans, est destinée au couvent, avec une dot de 600 ducats. La quatrième, qui n''a que deux ans, est destinée au mariage, avec une dot de 2000 ducats, que son frère a la possibilité d''augmenter à son gré. La cinquième, âgée d''un an, dès qu''elle sera sevrée, sera envoyée dans un couvent 45 .

Son destin n''est pas décidé, mais les mots d'' Arcangela Tarabotti viennent à l''esprit, qui écrivait, quelques années plus

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tard: «Certaines, avant même d''être conçues, Ô exécrable cruauté paternelle, sont destinées à vivre au couvent, et dès qu''elle viennent au monde elles s''entendent appeler nonne, un mot qu''elles apprennent avant même de savoir le prononcer. Invention diabolique, habile trahison et ruse perfide que d''enseigner ainsi aux jeunes filles à prononcer un mot dont, un jour, elles auront horreur! [ ... ] Elles en arrivent ainsi à croire que Dieu les veut telles et ne s''aperçoivent pas qu''elles n''ont pas été mises au monde différentes des filles à marier, mais qu''il s''agit d''astuces inventées pour les tromper [ ... ]. D''autres, abandonnées aux bons soins de leurs frères, par dégoût de leur oppression et pour échapper à la charge épuisante d''être leur esclave, prononcent un '' oui'' contraint et prennent volontairement l''exil » 46 •

Mais Arcangela Tarabotti avait aussi dénoncé les mariages arrangés. Dans tous les cas, il est difficile qu''une fille puisse simplement vivre à son compte, une situation impliquant des dangers de toutes sortes. Il n''est peut-être pas complètement anachronique de lire, entre les mots du secrétaire ducal Lorenzo Trevisan, un soupçon d''homosexualité concernant sa soeur qui «à cause de l''affection qu''elle porte à Elena Mariano, voudra aller vivre avec elle, ce qui la priverait de tous mes legs » 47 .

Une fille mariée, une fille nonne, et ainsi de suite, voilà ce que prévoit Marco Pomaro, très préoccupé de garantir un futur à son fils. Un fils dont les origines ne sont peut-être pas complètement avouables, puisqu''il écrit: «je le tiens pour mon fils certain, car je sais qu''il est chair de ma chair et os de mes os, et je ne veux qu''aucune loi puisse lui être opposée, pour l''empêcher de devenir mon héritier » 48 • Un fils qui, pour cette raison, pourrait entrer en concurrence avec le fils illégitime de son frère, qui «ne doit pas mélanger ses biens avec les nôtres » , c''est-à-dire le peu des biens qui lui sont destinés, et dont on prévoit surtout la «succession » , au cas où «ce bâtard mourrait avant l''âge de vingt ans » 49 .

En même temps que des biens, des terres ou des maisons, les testateurs de ces milieux tendent surtout à transmettre un héritage immatériel, fait de culture, de comportements, de relations. Un héritage qui passe aussi par la transmission de ces objets particuliers que sont les livres et qui peuvent aussi parvenir aux filles. Nicola

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Massa, médecin de renom, laisse à sa fille, principale héritière et exécutrice de son testament, la liberté de prendre ses livres en latin et en vulgaire 50 .

Le tableau est encore différent pour les citoyens vénitiens détenteurs de rentes d''offices, qui peuvent être transmises aux filles et rentrer dans la composition d''une dot. Le veuf Andrea Frizier, Grand Chancelier, partage à égalité ses biens, immeubles et offices entre son fils et sa fille, mais Carlo reçoit «tous les livres imprimés et les tableaux » et Camilla «les livres manuscrits et les papiers » .

«Je les ai élevés ensemble » , écrit le père, qui souhaite qu''ils restent vivre ensemble jusqu''au mariage de Camilla, même si ce qui compte le plus pour ce Grand Chancelier de la Sérénissime c''est que son fils se marie à dix-huit ans avec «une personne de bonne condition et qualité, car je désire que toujours il y ait des enfants portant mon nom et de mes ancêtres de ca'' Frizier » 51 .

Dans les milieux des fonctionnaires de la Chancellerie ducale, le nom et la généalogie comptent presque autant que dans la noblesse et certains, tel Gerolamo Albin, se préoccupent de sauvegarder ce capital symbolique par un «mariage en gendre » . Ce secrétaire ducal ordonne aux exécuteurs de son testament de «choisir un citoyen originaire, je dis originaire et rien d''autre, pour marier celle de mes filles qui sera vivante à la condition que lui, et ses successeurs, prennent le nom de ca'' Albin » 52 .

D''autres pères, sans fils, désignent leurs filles comme héritières universelles 53 et Gerolamo Zuccato, qui partage ses biens à égalité entre son fils et sa fille, ajoute un legs à la fille qu''il a eue en Angleterre, «car elle est et je veux qu''elle soit ma fille » 54 . La paternité choisie, chez les marchands, servait à assurer un héritier, rigoureusement mâle, à la compagnie marchande, est-ce qu''on irait trop loin en voyant dans les mots de ce secrétaire ducal une déclaration de responsabilité et, peut-être, une expression d''affection 55 ?

groupe voyage quebec angleterre

DOCTEURS, NOTAIRES, SECRÉTAIRES DE LA RÉPUBLIQUE 187 Héritiers du Residuum Legs

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Par rapport aux testaments marchands, les pères laissent plus de liberté aux fils, dans les choix des professions et des carrières et peut-être aussi dans le choix des épouses 56 . Dans son testament de 1545, Gerolamo Zon avait écrit: «Si mon fils se mariait par amour, sans le conseil de mes parents et ne prenait pas une personne de bonne condition et sang, qu''il soit privé de mes legs » 57 , mais, en 1576, le médecin Z. Antonio Secco écrit, en 1576: «Et en dépit du fait que mon fils ait épousé une femme, à mon insu, suivant plus le sens que la raison, en tant que père, je lui donne ma bénédiction

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La liberté des frères peut se construire aux frais des dots des soeurs, mais peut aussi, dans certaines circonstances, entraîner une plus grande liberté même de ces dernières. Arcangela Tarabotti qui, dans une série de pamphlets uniques dans leur genre, s''insurge contre les pères qui enferment leurs filles dans un couvent, sans tenir compte de leurs volontés, est un résultat tout à fait exceptionnel de ce même milieu. Mais Moderata Fonte et Lugrezia Marinella, qui publient des oeuvres sur l''excellence du sexe féminin 59 , et même Veronica Franco, courtisane et poétesse, viennent de ce même milieu et en expriment d''autres facettes. Ce qui compte c''est qu''elles aient reçu la formation qui leur a permis de trouver le courage et les mots pour s''exprimer.

II - Partage égalitaire et carrières des enfants dans les testaments des femmes : un équilibre à trouver

1 - «Au nom de l'amour qu''il y a eu entre nous»

Les épouses de docteurs et fonctionnaires qui font testament à la première grossesse désignent comme héritier l''enfant à naître, mais, le cas échéant, elles ne lèguent pas leurs biens au mari, mais à leur famille d''origine. Dans les milieux dont nous nous occupons actuellement la solidarité économique entre mari et femme est nettement inférieure à celle que nous avons identifiée dans les milieux artisanaux et même marchands et il est intéressant, pour la famille d''origine, de pouvoir récupérer une dot de quelques milliers de ducats. Nous savons qu''en absence de testament les biens d''une mère vont à ses enfants mais, si ces derniers meurent avant la majorité ou sans avoir fait un testament, leurs ascendants en ligne masculine héritent en premier. Il s''agit donc du père et de ses frères et jamais de la famille maternelle, qui n''a plus aucun droit à faire valoir sur la dot payée. Ces testaments réaffirment donc la séparation des biens entre conjoints et les droits de la famille maternelle. Au contraire, les testaments de femmes de milieux populaires et

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artisanaux étaient faits dans l''intention d''exclure le père et les frères de l''épouse, qui auraient pu récupérer les biens non pas par les enfants, mais en tant qu''ascendants masculins de la mère. Bettina, fille du secrétaire ducal Gerolamo Albin, désigne son mari comme héritier, avant ses enfants, mais à la condition qu''il ne se remarie pas 61 . S''il le faisait, l''héritage Albin, comprenant des immeubles à Venise, irait directement aux enfants et le mari n''aurait qu''une rente de 150 ducats l''an, pour leur entretien. Un mariage hypergamique pour cette femme, car le mari, Lunardo Malipiero, est un patricien, où la promesse d''un héritage avait dû contrebalancer le déséquilibre social et où, toutefois, c''est la femme qui reprend le contrôle de la situation, en imposant au mari la condition, rarissime dans un testament féminin, de non remariage. Dans un testament postérieur de quatre ans, Bettina Albin change le lieu de sa sépulture: ce n''est plus, comme dans le premier testament, la tombe de ca'' Malipiero, mais la tombe de ca''

Albin, «avec les dépenses qui conviennent à ma condition » . Tout l''héritage est destiné à la fille Lucrezia, mais doit être géré par la mère de la testatrice et le mari ne reçoit qu''une rente viagère de 100 ducats par an 62 . Le contrôle de la testatrice et de sa famille sur les biens reste total, et les rôles se sont inversés, étant donné que, dans le premier testament, il était prévu que, si Bettina avait eu une fille, le mari aurait reçu l''usufruit des biens de sa femme jusqu''aux quinze ans de la jeune fille. Des dispositions différentes pour les fils et pour les filles, à naître, apparaissent également dans le testament de Benedetta di Maistri, épouse du docteur en droit Zuanne Gigante qui, à l''instar de Bettina Albin, laisse tous ses biens en usufruit au mari et en héritage à l''enfant, si c''est un garçon, mais, si c''était une fille, l''héritage lui arriverait au moment du mariage ou de son entrée au couvent. Dans ce testament, Benedetta di Maistri demande au mari, au cas où il se remariait, de faire «bonne compagnie » à leurs enfants, «au nom de l''amour qu''il y a eu entre nous » 63 . Dans un autre testament, rédigé six ans après le premier, son discours s''est modifié

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et apparaissent, comme dans celui de Bettina Albin, des sanctions à l''égard du mari, s''il se remariait. «Proche de l''accouchement » , et sans préciser combien d''enfants elle a eu, Benedetta déclare que, si le mari se remarie, les enfants seront «maîtres de tout mon bien » . Elle le prie, «au nom de l''amour qu''il y a eu entre nous, de bien gouverner nos enfants et, si par hasard, il voulait se remarier, je le prie de ne pas laisser nos enfants dissiper mon bien et d''en prendre soin, comme il prendrait soin d''autres enfants qu''il pourrait avoir avec une autre épouse, ce dont je suis sûre, pour le grand amour qu''il leur témoigne à présent, mais je veux le dire, pour mon entière satisfaction » 64 .

La clause de non remariage est extrêmement rare dans les testaments féminins, mais des manifestations d''amour conjugal de ce type ne sont pas plus fréquentes. Une femme qui demande à son mari de s''occuper de leurs enfants au nom de «l''amour qu''il y a eu entre nous » est, de fait, en train de parler de sexualité conjugale, d''un ton bien plus explicite que celles qui se limitent à remercier le mari «pour sa bonne compagnie » 65 .

Il est naturellement difficile, et peut-être aussi inutile, de connaître le degré de sincérité de ces expressions, que la testatrice utilise dans un discours construit ad hoc, pour susciter le sens de responsabilité de son mari à l''égard de leurs enfants: «pour mon entière satisfaction » , dit-elle en effet. S''il peut être défini un «egodocument » , dans la mesure où les testateurs peuvent y faire le bilan de leur vie, révéler des secrets ou déclarer des sentiments, le testament est, par définition, un document destiné à être rendu public 66 . Qu''il s''agisse ou non d''un grand amour, le fait est qu''il ne se concrétise pas en un abandon complet et en une totale confiance dans les choix du mari, car la testatrice semble craindre que ce der-

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nier dilapide son patrimoine ou laisse aux enfants trop de liberté dans sa gestion. À la fin de leur existence, si elle n''ont pas eu d''enfants, les épouses de notaires, médecins, avocats, ou fonctionnaires, laissent la dot à leur mari, du moins pour la partie qui leur a été payée, comme il apparaît dans le testament de Giulia, épouse du notaire Baldissera Fiume 67 , et précisent souvent que «personne ne peut demander quoi que ce soit ni embêter mon mari pour la dot qu''il a eue » 68 . En deuxième lieu, après son décès, la famille d''origine rentre en jeu.

2 - Enfants de familles recomposées

La formule «qu''il soit ou qu''il ne soit pas mon fils » , typique des testaments masculins, revient même dans les testaments des femmes, là où, en principe, le doute n''aurait aucune raison logique d''exister. Même la fille d''un docteur, de Brescia, fait état, dans son testament, de l''existence d''un fils d''un patricien vénitien, qui n''est pas son mari, puisqu''elle est l''épouse du chancelier du capitaine de la ville de Famagosta capitale de l''île de Chypre. Baptisé Salomon, mais appelé Augustin, le garçon est désigné héritier des biens de sa mère qui, à l''instar des testateurs pères d''enfants illégitimes, se préoccupe d''en défendre les intérêts face aux prétentions de sa famille d''origine: «je souhaite que si ma soeur et ses enfants voulaient s'' opposer à mon fils, ils soient privés de tout legs de ma part » 69 . Cette même expression est utilisée pour parler des enfants illégitimes d''autrui, comme dans le cas de cette épouse d''un notaire, qui, dans son premier testament évoque «Lucietta, la fille de mon mari » et, dans le deuxième, «Lucietta, qu''elle soit ou pas ma fille » 70 .

Les mères désignent toujours leurs enfants comme héritiers mais, s''ils sont en bas âge, le mari a l''usufruit, parfois avec la liberté totale de «faire et défaire comme il voudra, en vie et en mort » , selon la formule, très puissante, de Marietta Premarin, épouse d''un médecin 71. Les choses se compliquent quand il y a plusieurs maria-

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ges successifs, même s''il n''en est pas toujours fait mention dans le testament. Par exemple, les deux testaments rédigés par le même notaire de deux épouses successives du secrétaire du Conseil des Dix Andrea Surian nous font comprendre que le fils Zuanne dont parle la deuxième, Bianca Basalù 72 , est en réalité ce Zanetto choisi, vingt cinq ans auparavant, comme héritier universel par sa mère, Cecilia Corso, épouse Surian 73 .

Comme c''est souvent le cas, nous nous trouvons face à une double recomposition familiale: Cecilia Corso avait en fait déjà eu au moins une fille d''un précédent mariage, qui recevait 300 ducats, ayant déjà reçu l''héritage paternel, tandis qu''elle en laissait 500 chacune aux quatre filles qu''elle avait eues avec Andrea Surian. Bianca Basalù fait des legs à «ses filles » (elles aussi en réalité filles de Cecilia Corso? Ou peut-être filles d''un précédent mariage de Bianca Basalù ?), dont deux sont mariées et deux sont nonnes, et destine tous ses biens à Zuanne Surian, qui est déjà père de quatre fils. De trois, et peut-être quatre, mariages sont nés au moins quatre (ou peut-être huit?) filles et un seul garçon, héritier des biens de sa mère et de sa belle-mère. De fait, comme on l''a déjà vu dans les autres groupes, les «familles recomposées » sont nécessairement la norme, dans cette société. Le testament olographe de Zuana 74, épouse d''un médecin originaire de Pirano, en Istrie, fait état des difficultés et des dépenses " notoires" que ces situations peuvent engendrer. «Et pour les dépenses faites par mon mari à mon égard pour entretenir don Basilio, mon fils, et pour marier mes deux filles deux fois et élever ses enfants les gardant avec elles, dans la même maison, avec beaucoup de frais, comme il est de notoriété publique -écrit-elle -je lui laisse dix champs » . Tout le reste, toutefois, est destiné à ses enfants. Le destin des enfants du premier lit, en cas de remariage, fait toujours l''objet de négociations et si cette testatrice ne laisse qu''une partie de ses biens au mari, en dépit des frais soutenus, c''est probablement parce qu''il a déjà tiré d''autres avantages économiques et, s''agissant d''un immigré, comme c''était souvent le cas pour les médecins, le mariage avec une Vénitienne lui a probablement permis de s''insérer dans la ville 75 .

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Marina, épouse de Lorenzo Contarini, notaire à l''Avogaria di Comun, ne veut pas que son mari «puisse demander le remboursement des frais de bouche, ni d''aucune autre dépense faite pour les enfants » . Il s''agit des enfants d''un précédent mariage, qu''elle préfère soustraire au contrôle du beau-père: la fille se trouve déjà au couvent et doit y rester jusqu''au mariage, le fils est confié à un cousin du père. Le souci principal de la testatrice est d''assurer à ses enfants les «rentes des offices de Fontego pour vivre » et de partager à égalité sa dot, de 3000 ducats «et tout ce que messer

Lorenzo dira, en conscience, avoir reçu des 300 ducats promis en biens meubles, bijoux et objets précieux » . Le «coffret avec toutes les médailles, papiers et affaires de son père » , ainsi que les immeubles «majeurs » sont destinés au fils 76•

La série de quatre testaments et deux codicilles laissés par Caterina Dragan, épouse du médecin Bartolomio Abioso 77 , est un exemple de comment la distribution des biens s''adapte non seulement aux naissances et aux morts (un des enfants meurt entre deux testaments), mais au cycle de vie des enfants et aux interventions extérieures. De ses sept enfants, six garçons et une fille, un, au moins, était le fruit d''un précédent mariage et avait été adopté par un oncle. Il apparaît dans les testaments de la mère comme exécuteur, mais jamais comme héritier 78 . Un autre fils, peut-être lui aussi issu d''un précédent mariage, avait déjà reçu trois cent ducats de sa mère et les legs aux autres fils, égalitaires dans le premier testament, se différencient successivement au fur et à mesure que les ressources maternelles, et d''autres legs, sont distribuées pour leur ouvrir des carrières. La fille, dont le mari n''est pas vénitien, ne recevra les legs maternels que si elle reste vivre à Venise. De la même manière, la fille

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de cette dernière pourrait récupérer les legs destinés à sa mère seulement si elle se mariait à Venise. La possibilité même de recevoir le coffre, déposé au monastère de la Croix, contenant le trousseau de sa grand-mère, est conditionnée au fait de rester vivre à Venise. Dans son testament, rédigé peu de jours après celui de sa mère, Giustina ordonne qu''après sa mort «toutes mes robes, mes draps, et toutes mes affaires soient déposés au monastère de la Croix et conservés jusqu''au mariage de mes filles » 79 . De mère en fille, le monastère est choisi comme gardien des trousseaux et peut-être aussi d''autres biens encore plus précieux, cachés au regard masculin

80 . On peut penser que des générations de femmes de la famille se sont succédées dans ce couvent, pour y être éduquées pendant leur enfance ou pour y passer leur vie, comme nonnes. Les lieux de réclusion deviennent alors en même temps un refuge et une famille de substitution à qui confier ses richesses. Les familles recomposées ne sont pas nécessairement plus nombreuses dans ce groupe que dans tous les autres que nous avons étudiés jusqu''à présent, mais, dans ces familles, les testaments des mères semblent exprimer une inquiétude spéciale quant au destin de leurs enfants. La raison est peut-être à chercher dans le fait qu''ici l''héritage maternel joue un rôle important aussi bien dans le destin des filles que dans celui des fils. Les capitaux de ces familles sont autant d''ordre social et symbolique que matériel. Un salaire de fonctionnaire, des rentes d''office et des terres fournissent évidemment de quoi vivre aisément, mais permettent plus rarement d''atteindre les niveaux de richesse de certaines familles de marchands et négociants. Dans ce contexte, les dots des femmes, qui ne sont pas immobilisées dans la compagnie marchande, représentent un apport de numéraire immédiatement mobilisable et qui peut se révéler fondamental, d''autant plus que, à une époque d''inflation dotale, pour acquérir ou confirmer, par mariage, un capital social, il faut investir un capital monétaire conséquent. Des dots importantes qui, non seulement, comme on l''a vu, signifient aussi que toutes les

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filles ne pourront pas être mariées, mais qui donnent à la mère une responsabilité directe dans le destin des fils. C''est à partir de ces hypothèses que l''on peut expliquer certains testaments maternels qui, comme on va le voir, sont entièrement consacrés à faciliter les carrières des fils.

3 - «S'appliquer à quelque charge ou exercice»

Mères d''enfants n''ayant pas encore quitté le toit familial, les femmes partagent généralement à égalité leurs biens, avec quelques exceptions, non indifférentes, à la règle (la distinction entre immeubles «majeurs » et «mineurs » , par exemple). Le montant des dots est très variable dans ces milieux et celles des épouses de docteurs, notaires, avocats sont généralement inférieures à celles des secrétaires de la République. On passe des 3000 ducats de Marina Contarini aux 450 d''Hisabetta, épouse del'' avocat Francesco Rizzato 82•

Le testament ne nous donne pas systématiquement cette information, ce qui rend le plus souvent impossible de comparer les legs avec le capital dont il faudrait les tirer. Quand cette information est disponible il peut arriver des surprises. C''est justement le cas du testament d''Hisabetta Rizzato, qui laisse tout le «reste » de sa dot, après en avoir tiré les legs, à sa fille. Le problème c''est que les legs au mari (100 ducats), aux deux nièces (50 ducats chacune), à la mère (20 ducats), à ses deux soeurs et quatre frères (180 en tout) s''élèvent à 400 ducats. À la fin, la fille, héritière du «residuum » , qui devrait constituer l''axe héréditaire et donc la portion la plus importante de l''héritage, reçoit au mieux 50 ducats sur les 450 ducats versés initialement, tandis que la famille d''origine reçoit, dans l''ensemble, plus que le mari et la fille. Le choix maternel, question que nous avons déjà soulevée à plusieurs reprises, dépend de la situation familiale dans son ensemble. La liberté d''action est toujours très réduite et les ressources doivent permettre de maintenir un statut social et en même temps de refléter des idéaux d''égalité et équité. Andriana Uberti est fille d''un secrétaire ducal, Antonio, et épouse d''un autre secrétaire ducal Bonifacio Antelmi. Son «très cher et bien aimé conjoint » reçoit l''usufruit de ses biens, destinés à ses deux fils. Dans le cas où elle aurait une fille, les frères devront lui donner 2000 ducats de dot et, si elles sont deux, 1500 chacune

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et l 000 seulement s''il y en avait plus. Andriana Uberti établit un «fidéicommis très strict et indissoluble » sur les immeubles qui composent sa dot, destiné à la descendance masculine ou, le cas échéant, aux filles. La famille d''origine ne rentrera en jeu qu''en absence de tout descendant direct, masculin ou féminin. I.: équité maternelle de ce testament consiste dans le choix de doter convenablement les filles et réserver des rentes sûres, et inaliénables, aux garçons. Le choix d''établir un fidéicommis est parfaitement cohérent avec la recommandation, rare dans un testament maternel, de «s''appliquer à quelque charge ou exercice et ceux qui ne le feraient pas perdraient le droit à mon héritage » . Andriana Uberti n''entend pas offrir à ses fils des rentes faciles, mais elle veut en faciliter les débuts de carrière. I.: objet de la transmission, dans ce testament, est tant un bien, tangible, mais dont la valeur n''est pas précisée, qu''une morale du travail et du service à l''État: «Je veux que mes fils et descendants soient privés du bénéfice des rentes des dits biens, s''ils ne payent pas les impôts de la ville » , dit-elle 83 .

Dans le testament de Giulia Gusmazi, épouse du notaire Giulian Mondo, il est précisé que mari et enfants ne peuvent «vendre mes biens mais seulement s''en servir pour sortir de prison » : les biens maternels comme une garantie extrême en cas de difficulté grave 84 .

DOCTEURS, NOTAIRES, SECRÉTAIRES DE LA RÉPUBLIQUE 197

Dans quelques cas, l''objet de la transmission est constitué des rentes d''offices, mais l''apport maternel à la carrière des fils consiste surtout en biens meubles et immeubles et en la dot des filles, dont le noyau fondamental est représenté par la dot de la mère. Une dot est à peine suffisante à en fabriquer une autre, à cette époque d''inflation dotale, et le résultat est que, dans ces familles, l''on trouve souvent des filles nonnes. Seule la certitude que les fils vont recevoir un héritage paternel conséquent permet aux mères de ne pas les prendre en considération dans leurs testaments. Dans le testament de la veuve d''un avocat, c''est le fait que le père soit déjà mort qui explique l''étrange affirmation de la testatrice qui, en estimant que ces fils sont «plus aptes à récupérer les biens paternels » , laisse tout à ses filles85• Le principe du partage égalitaire des biens maternels est déterminant dans le testament d''Hisabetta, épouse du médecin Camillo Lion, qui demande à sa fille mariée et à sa fille veuve de «mettre en commun les terres qu''elles ont reçues en dot » 86 . On envisage une redistribution des immeubles, venant de la mère, selon des modalités semblables à celles que l''on retrouve, pour les biens paternels et maternels, dans d''autres régimes successoraux, comme la coutume parisienne, où garçons et filles sont dotés au mariage et, à la mort des parents, l''on procède à une redistribution générale des biens parmi tous les héritiers, dotés et non dotés. En principe, dans les régimes successoraux où il y a séparation des biens entre maris et femmes et «dévolution divergente » , mais non égalitaire, comme c''est le cas des régimes fondés sur les droit romain, les modalités de transmission suivent des temporalités différentes: dot au mariage, pour les filles, et héritage à la mort du père, pour les garçons. La temporalité différente se traduit en une destination différente, mais aussi, en partie, en une origine

198 PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION

différente des biens: la dot des filles est constituée, surtout, à partir des biens maternels, l''héritage des fils, surtout, à partir des biens paternels 87 .

Selon les normes sur la succession ab intestato des Statuts vénitiens, toutefois, comme on l''a vu auparavant, les biens des mères sont partagés à égalité entre les fils, et les filles, qu''elles soient célibataires, mariées ou veuves. Cette égalité successorale se retrouve dans les testaments des mères qui réservent des legs limités aux filles déjà dotées, et laissent leur «residuum » aux fils. Le choix d''Hisabetta Lion, qui demande, en quelque sorte, à ses filles, de «rendre » les biens immobiliers qu''elles ont reçus, pour les repartager avec leurs frères et soeurs, reflète ce même idéal d''égalité mais, tout en réaffirmant l''importance de l''apport maternel à la famille, risque de nuire aux filles déjà dotées.

Héritiers et usufruitiers de femmes ayant des enfants ou enceintes (sur 72 testaments)

groupe voyage quebec angleterre

DOCTEURS, NOTAIRES, SECRÉTAIRES DE LA RÉPUBLIQUE 199

Exécuteurs testamentaires de femmes ayant des enfants ou enceintes

groupe voyage quebec angleterre

Héritiers de femmes sans enfants -sur un total de 28 testaments

groupe voyage quebec angleterre

Héritiers de substitution de femmes sans enfants

groupe voyage quebec angleterre

En résumant les données de ces tableaux, on peut remarquer que les bonnes intentions égalitaires des futures mères ne sont que partiellement respectées après la naissance des enfants. D''autre part, le testament de la veuve a la fonction de compenser et rééquilibrer des injustices du passé, par exemple en réservant la dot maternelle aux filles et en excluant les fils. Le mari est usufruitier viager et exécuteur testamentaire mais rarement héritier, s''il y a des enfants. Il l''est par contre assez souvent en absence d''enfants, mais les legs à la famille d''origine sont toujours très importants en arrivant parfois à la totalité de la dot déclarée. La famille d''origine est toujours privilégiée par les femmes enceintes et rentre en jeu si les enfants n''ont pas de descendance.

Les lois organisent la transmission des biens, mais également des droits et des responsabilités, d''une génération à l''autre et entre hommes et femmes. Dans les États italiens < l''Ancien Régime, le cadre juridique hérité du droit romain est influencé par d''autres traditions juridiques et adapté aux différents contextes socio-économiques. Venise présente des éléments d''originalité que les historiens du droit ont mis en évidence depuis le XIXe siècle. On peut tenter, en suivant les recherches les plus récentes en histoire du droit vénitien, d''en trouver les explications dans la structure politique de la ville et de l''État. On peut aussi tenter de comprendre comment les individus utilisaient les lois que le système mettait à leur disposition et comment les juges appliquaient les normes. Suivant la voie ouverte par les recherches des médiévistes, je suis partie du constat que les villes italiennes étaient des microcosmes suffisamment denses et complexes pour pouvoir y détecter précocement les objectifs sociaux et politiques des normes sur la famille et la transmission des biens. Cette législation, qui trouve ses origines dans l''adaptation de la «loi des pères » du droit romain, peut en fait être lue comme l''un des piliers idéologiques et aussi concrets du mythe de l''égalité interne au patriciat vénitien et de l''équité de son gouvernement. Mais la loi existe, au-delà des exigences historiques de ses auteurs, et les normes des Statuts règlent les relations entre hommes et femmes, entre parents et enfants, entre membres des familles, dans tous les groupes sociaux. Par rapport à l''hypothèse de départ, celle du «gouvernement des pères » , modulée sur l''exemple de Rome classique et de Florence à la Renaissance, les premiers chapitres ont, me semblet-il compliqué et nuancé le tableau. Il faut dire aussi que, dans un système juridique organisé à partir de la relation père-fils et qui ne prévoit que des droits juridiques limités pour les femmes, on aboutit à une situation quelque peu paradoxale. En fait, c''est dans les moments de prise de responsabilité, d''accès à la propriété et à des rôles qui ne leur sont pas immédiatement (pour ne pas dire «naturellement » ) attribués, que les femmes laissent des traces dans la documentation.

202 CONCLUSION

Les recherches sur les tribunaux d'' Ancien Régime ont mis l''accent sur les possibilités de prise de parole et de responsabilité offertes à des gens du commun par les conflits légaux, notamment pendant le «litigieux » XVIe siècle. Les travaux sur l''histoire des femmes ont utilisé, à ce propos, la notion de «agency » . En étudiant les procès matrimoniaux des tribunaux ecclésiastiques et, plus rarement, des cours civiles, les chercheurs ont mis l''accent sur des situations exceptionnelles car «hors-normes » : les divorces, les mariages clandestins, les adultères, les concubinages. Ces travaux ont montré la richesse des sources italiennes et les possibilités qui s''offraient à la recherche historique, en comblant un retard accumulé surtout par rapport à l''abondance des travaux consacrées aux pays d''Europe du Nord 1.

Les sources émanant des cours civiles que j''ai utilisées se réfèrent par contre à des situations en quelque sorte exceptionnelles, mais aussi normales. Même si ce sont des moments de «stress familial » 2, le décès d''un parent, le veuvage, le problème d''assurer un tuteur à un enfant, sont des situations auxquelles tout un chacun peut être confronté. Le droit civil les prévoit et les réglemente. L''étude des sentences des magistrats chargés d''appliquer la loi, sur les héritages ab intestat, sur la restitution des dots et sur la tutelle des mineurs, a permis de vérifier l''usage que les individus faisaient des possibilités offertes par des lois anciennes sur des matières compliquées. Elle a également permis un regard de l''intérieur sur les rôles familiaux. Le pate1familias et le lien de transmission du père au fils sont le pivot autour duquel s''articulent les normes, au point que, dans la transmission ab intestato, le lien de filiation du fils par rapport au père n''a pas à être démontré. C''est justement quand ce lien se rompt et quand le père disparaît que la loi intervient. Elle intervient pour protéger les survivants, mais, en les protégeant, elle leur donne des droits et des responsabilités qui redistribuent les rôles dans la famille. L''intervention de la loi crée le document et nous permet de faire notre métier d''historien. À la mort du mari, les biens que la femme avait apportés au moment du mariage peuvent lui revenir, selon une procédure complexe, mais efficace. Les biens transférés au mari au moment du mariage et ceux qui reviennent à la veuve ne sont pas les mêmes et les biens immobiliers y jouent un rôle plus important. Le destin des enfants, à la mort des parents, est, en principe, décidé par le

CONCLUSION 203

testament de ces derniers. J''utilise le pluriel, car tout en étant dépourvues de la patria potestas, à Venise les mères peuvent désigner par testament les tuteurs de leurs enfants. Leur choix doit toutefois être confirmé par les Juges. En revanche, à la mort de la mère, si le père est en vie, les magistrats n''ont pas à intervenir et le père garde sa potestas sur ses enfants. Il doit toutefois passer par les magistrats pour demander à vendre une propriété que les enfants auraient héritée de leur mère. Si le père meurt intestat, ou sans désigner de tuteurs pour ses enfants, ce sont presque toujours les mères qui demandent, et obtiennent, la tutelle, comprenant le droit de gérer les biens des enfants. L''utilisation que les différents groupes sociaux font des lois n''est pas la même et, par exemple, dans les sentences pour restitution des dots, le patriciat est surreprésenté, par rapport à sa présence dans la population urbaine. Veuves et mères ne sont pas seulement protégées par les lois; elles en reçoivent des droits. Peut-on parler d''un «nouveau » contrat moral, stipulé entre elles et l''État? Ou ne s''agit-il pas plutôt du fonctionnement efficace d''une législation communale précoce? La continuité institutionnelle de l''État vénitien, fondement de son mythe politique à la Renaissance, permet, plus facilement que dans d''autres contextes, d''insister sur les permanences. Cette continuité au niveau des institutions ne met évidemment pas la société vénitienne à l''abri des conflits et des tensions qui, dans cette difficile fin de siècle, se jouent surtout sur deux fronts. Celui des équilibres entre la capitale et l''État et celui de la transformation de l'' économie vénitienne face aux nouveaux équilibres internationaux. Ces transformations économiques ont des conséquences sur la structure sociale de la ville et sur les comportements familiaux, comme j''ai essayé de le montrer dans la deuxième partie. La succession et la transmission de biens, de responsabilités et de rôles entre les générations et entre hommes et femmes résultent

à la fois des normes juridiques et des choix individuels. Les testaments paternels confirment le lien fondamental entre un père et ses fils, affirmé par les lois vénitiennes, de même que les choix successoraux différenciés concernant les filles et les garçons. En revanche, le principe de la succession égalitaire des enfants dans les biens de leurs mères, est corrigé et adapté aux circonstances par les testaments de ces dernières, hormis dans le cas des femmes enceintes. La loi n''accorde au conjoint aucun droit à l''héritage, sauf pour la restitution de la dot à la femme, qui toutefois ne peut pas être définie comme héritage, puisque l''épouse en est propriétaire. Faire son testament est donc une démarche indispensable si l''on veut laisser des biens à son conjoint, surtout de la part des femmes. La transmission de responsabilités, de rôles familiaux et l''organisation de l''éducation des enfants sont également parmi les

204 CONCLUSION

raisons qui motivent le choix de faire un testament. Hommes et femmes confient généralement ces tâches à leurs conjoints, mais le plus souvent on note une tendance, surtout de la part des pères,

à partager ces responsabilités entre plusieurs personnes, censées épauler la mère, alors qu''en l''absence de ces précisions, la tutelle des enfants, avec tout ce qu''elle comporte, est attribuée par les Juges à la mère seule. {; adaptation des normes aux différents contextes sociaux et économiques est à l''origine de structures familiales spécifiques, que les testaments évoquent aussi bien dans leur réalité, que sous la forme d''un projet, plus ou moins idéalisé, de continuité, de reproduction à l''identique, ou de promotion sociale 3. Différentes formes de transmission des biens sont la réponse à des formes familiales, mais en même temps les déterminent 4 . Le droit décrit et réglemente une situation de fait, tout en s''y adaptant progressivement, comme on peut le voir, par exemple, par les nouvelles normes sur le fidéicommis qui apparaissent dans les législations urbaines italiennes à l''époque moderne. Le testament témoigne des tentatives de continuité familiale et peut être une source pour étudier les modalités de la reproduction sociale. Le contrat de mariage représente l''échange entre deux familles et peut être une source pour étudier les tentatives ou les échecs de la mobilité sociale. Dans les systèmes de transmission organisés sur la complémentarité entre dot des filles au mariage et héritage des fils à la mort des parents, il s''agit des deux aspects d''un même processus. D''où le choix de travailler sur les testaments d''hommes et de femmes, en insistant sur leur situation par rapport au mariage et sur les modalités de l''échange matrimonial dans les différents groupes sociaux (origine de la dot, présence de la contredot).

CONCLUSION 205

En me proposant de travailler sur les testaments des marchands, des artisans, des fonctionnaires, des membres des professions, et de leurs femmes, je suis partie à la recherche de régularités et de constantes. Je me suis fiée à la définition que ces gens donnaient d''eux-mêmes, tout en étant consciente du fait qu''un «marchand de vin » peut simplement être quelqu''un qui vend du vin dans une des nombreuses boutiques (dont il n''était probablement même pas le propriétaire) de la «riva del vin » ou de la «calle dei botteri » , près du marché du Rialto, alors que «messer » Untel, «marchand » , a de fortes chances de posséder une galère qu''il envoie en Barbarie. La lecture attentive de leurs testaments a d''ailleurs, le plus souvent, montré qu''ils n''avaient pas les mêmes problèmes ni la même manière d''y faire face. Les hiérarchies socioéconomiques dans le monde marchand se traduisent aussi dans des comportements successoraux et dans des structures familiales différents. Linsistance sur le groupe des frères qui forment une compagnie marchande s''oppose à la communauté économique formée par les époux qui gèrent ensemble des boutiques de mercerie ou d''épicerie. Mais ces mondes ne sont pas clos et certains testaments montrent bien que la frérèche et le couple conjugal peuvent constituer deux sociétés de passions et d''intérêts qui rentrent en concurrence. Les livres de compte, les carnets d''adresses, les fonds de commerce, tout peut être transmis aux femmes et par les femmes aux fils et par les filles aux gendres. Choisies comme tutrices, les veuves, pourvues de moyens économiques, peuvent jouer un rôle très important dans une famille marchande, pour organiser la formation des fils et décider des destins des filles. Dans les familles marchandes, la frérèche reste le fondement économique et toutes les ressources humaines et matérielles y convergent. Les pères essayent, par leurs testaments, de garder cette unité et les mères de protéger les intérêts des filles, qui risquent de se voir nier l''accès au mariage si la dot de leur mère, qui devrait servir à leur fabriquer une dot, reste bloquée dans le capital de la frérèche. Ce même problème peut se poser à tous les niveaux, mais, dans le cas de la frérèche marchande, les pères insistent tout particulièrement sur la nécessité économique de protéger l''unité de la famille et de la reproduire à l''identique. Quand ces sociétés familiales se rompent, les choix des individus deviennent moins contrôlables. Ne pouvant plus affirmer l''évidence de l''intérêt économique de l''unité familiale, les pères tentent de s''appuyer sur les références classiques et les idéaux humanistes. Puisque, au XVIe siècle, la mobilité sociale des milieux marchands aux professions et au service à l''État est très importante, les testaments décrivent l''adaptation à de nouveaux équilibres économiques des idéaux de transmission d''un groupe. C''est dans les tes

206 CONCLUSION

taments de ce groupe que l''on peut voir une concentration sur la famille étroite et sur la continuité lignagère, plus que sur la société des frères. Dans une logique d''ascension plus que de reproduction sociale, les familles des fonctionnaires mobilisent des ressources importantes pour l''éducation des enfants, fils et filles, et pour les dots des filles et, dans cette évolution, les dots des mères sont appelées à contribuer aux carrières des fils, comme aux mariages des filles. Une dot est un capital meuble qui a des destinées différentes selon les activités et les intérêts économiques du chef de famille. Dans une famille de fonctionnaires ou de docteurs, mis à part les terres ou les immeubles hérités, la richesse est un capital culturel, relationnel, symbolique. La dot est le capital mobilisable aussi bien pour les dots des filles que pour les études des fils. Dans les milieux populaires, le testament peut être un luxe, plus qu''une nécessité, voire un espace de parole et de liberté. C''est un acte juridique qui permet à certaines femmes une liberté de parole qu''elles ont peut-être plus difficilement ailleurs. Par leur testament, elles font savoir que l''enfant qu''elles portent ou qu''elles ont eu n''est pas l''enfant du mari, mais d''un autre et, souvent, d''un membre de l''élite. Un enfant, voire plusieurs, que ces jeunes femmes ont mis au monde tout en vivant avec des maris qu''elles n''avaient peut-être pas choisis, car un patricien à qui la loi du lignage interdisait le mariage les avait choisies pour maîtresses. Certains de ces enfants, surtout des garçons, sont destinés à vivre au palais, avec leurs pères. Tous les hommes et les femmes du peuple vénitien ne font pas de testament. Il faut déjà aller voir un notaire, ou le faire venir chez soi, et il faut le payer. Il faut aussi, et surtout, avoir quelque chose à laisser à quelqu''un. Le testament, surtout féminin, peut être alors le fruit d''un choix, dont le degré de liberté reste impossible à déterminer. Des femmes mariées sans enfants font un testament pour, dans la majorité des cas, privilégier leur mari au détriment de leur famille d''origine. Qui pourrait dire si ce choix est entièrement libre? Il est certain que si la dot a été nécessaire à la constitution de la boutique artisanale, à laquelle mari et femme collaborent, il serait difficile de demander au mari de se défaire d''une partie de son atelier pour rembourser la dot de sa femme. La réalité de la collaboration économique entre mari et femme dans l''atelier artisanal peut expliquer les choix des épouses, au-delà de la contrainte exercée par le mari. Les contrats de mariage, dans ce milieu, ont des aspects de réciprocité souvent beaucoup plus accentués que dans les milieux plus aisés 5. À la dot correspond presque toujours une contredot et

CONCLUSION 207

les testaments des hommes sont particulièrement attentifs au destin de la veuve. Le couple est la première société économique, dans les milieux populaires, surtout quand il s''agit d''immigrés, ce qui était le cas d''une bonne partie des artisans de Venise, notamment à une époque où, pour repeupler la ville après la peste, on avait introduit des facilités à l''immigration des artisans. À Venise, comme ailleurs, la parenté est une richesse. Les comportements successoraux que j''ai analysés dans ce travail renvoient à des formes spécifiques de relations familiales qui prennent un sens particulier dans le contexte vénitien du XVIe siècle. D''un côté, apparaissent des familles d''artisans, très souvent immigrés, où la relation fondamentale est celle entre mari et femme 6

et où l''on voit apparaître des formes de solidarités entre collègues de travail et associés 7. De l''autre, on a des familles marchandes qui s''adaptent aux nouveaux équilibres économiques en différenciant leurs investissements et leurs activités entre le commerce, les professions et la bureaucratie et en adaptant à ces exigences les stratégies successorales concernant les fils et les filles. Si on peut voir également dans cette tension entre continuité et rupture les éléments d''une évolution des relations entre les individus, je n''irais pas jusqu''à parler de formes plus ou moins «modernes » de famille, alors que, dans les années 1970, les historiens avaient tour à tour cherché la genèse de la «famille moderne » , dans les classes laborieuses, dans la bourgeoisie, ou dans l''aristocratie8. La comparaison entre normes sur la transmission des biens et comportements successoraux, qui a guidé mon travail, part du présupposé que les normes étaient connues des acteurs, ce qui est, en soi, difficile à démontrer, les testaments ne contenant aucune information permettant de l''affirmer. C''est dans cette perspective que la comparaison entre les sources de la Justice civile et les testaments acquiert toute son importance. Elle nous montre comment se faisait la transmission des biens en l''absence d''un testament, non pas dans la théorie du texte législatif, mais dans la pratique des

208 CONCLUSION

cours de justice. Que ce soit pour recevoir un héritage, ou pour le léguer, pour assumer des responsabilités ou pour les déléguer, les sources choisies nous ont «montré » des gens de toutes conditions prendre la parole pour affirmer leurs droits. Ils les affirmaient car ils les connaissaient 9 . On revient ainsi aux considérations développées dans le premier chapitre de ce travail et à l''importance du droit dans la construction de l''État à l''époque médiévale et moderne

À l''échelle d''une ville, et dans le domaine du droit familial, même la possibilité, et la capacité, pour des hommes et des femmes, de régler les conflits, réels, ou potentiels, entre membres des familles peuvent être considérées comme autant de facteurs de stabilisation d''une société et peut-être aussi comme l''une des clés de son fonctionnement.

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Index des noms de personnes

A Plathea Lunga, Magdalena, p. 88 Abioso, Bartolomeo, p. 193 Abioso, Giustina, p. 194, 194n Abu-Ferreira, D., p. 77n Accati, L., p. 2n Agazini, Antonio, p. 159n Ago, R., p. 29n, 30n, 37n, 49n, 118n Agostini, Andrea, p. 183n Ajmar-Wollheim, M., p. 98n, 194n, 204n Albin, Bettina, p. 189, 189n, 190 Albin, Gerolamo, p. 179, 179n, 182n, 183n, 186, 189n Albizzi, famille, p. 18 Alessandri, D., p. 98n Alexandre-Bidon, D., p. 86n Ambrosini, F., p. 13 7n, 177n Amendolagine, F., p. 98n Amigoni, Zuanne, p. 150n Angiolini, F., p. 159n Antelmi, Bonifacio, p. 195, 196n Antelmi, Isabetta, p. 129n Apolonio, Antonio, p. 192n Arborsani, Benedetto, p. 184 Argelati, Filippo, p. 46n, 79n Ariès, P., p. 13n, 93, 93n, 204n Arnaldi, G., p. 16n, 20n, 103n Arnaldo, Zandomenego, p. 191n Arnoux, M., p. 7n, 109n Arru, A., p. 63n, 78n, 87n, 102n, 124n Arsac, P., p. 94n Ascheri, M., p. 25n Attavanti, famille, p. 144 Audisio, G., p. 94n Augustins, G., p. 55n, 56n, 57n, 6ln, 101n Aymard, M., p. Sn Baccuzzi, Bartolomeo, p. 159 Bachigian, Isabetta, p. 125 Badoer, Sebastian, p. 67 Baffa, Alvise, p. 176 Bailey, J., p. 30n Baldissera, Violante, p. 125 Baldo, V., p. 102n Ballotta, Nadalina, p. 141n Barbagli, M., p. 58n, 105n, 150n Barbara, Andriana, p. 125 Barbara, Fiammetta, p. 125 Barbara, Francesco, p. 19, 59 Barbato Hisabetta, p. 141n Barbuza, Antonio, p. 66 Bardet, J. P., p. 72n, 80n, 86n, 87n, 190n Bardi, famille, p. 144 Barela, Symon, p. 1 lln Barela, Zorzi, p. 11 On Barela, Zuane, p. 1 lün Barizza, S., p. 98n Barozzi, Marina, p. 82 Barozzi, Nicolo, p. 82 Barry, J., p. 105n, 107n Basalei, Franceschina, p. 172 Basalù, Bianca, p. 192 Bassi, E., p. 98n Bastan, Zuanne, p. 163n Bataia, Fior, p. 126n Beauvalet, S., p. 94n Belingardo, Valeria, p. 163n Belissa, M., p. 14n, Bellabarba, M., p. 27n, Bellavitis, A., 4n, 7n, 9n, 14n, 20n, 56n, 58n, 59n, 60n, 69n, 74n, 78n, 81n, 87n, 104n, 106n, 152n, 153n, 165n, 173n, 193n, 194n Bellavitis, G., p. 98n Bellini, Giovanni (Zan Bellin), p. 71 Bellomo, M., p. 63n Belloni, G., p. 188n Beltrami, D., p. Sn, 100n

232 INDEX DES NOMS DE PERSONNES

Bembo, Pietro, p. 177n Benadusi, G., p. 138n Benalio Nicolà, p. 85 Benalio, Giacomo, p. 85 Benalio, Lucrezia, p. 85 Benveniste, E., p. 14n Benzon, Pantin, p. 143 Benzoni, G., p. Sn Berella, Philippa, p. 162n, 163n Berengo, M., p. 25n, 99n, 109n, 143n Bernardo Contarini, Andriana, p. 139n Bertelli, S., p. 24n Betignioli, Jacoma, p. 126n Bianchini, Zuan Antonio, p. 149, 150 Bianco, Alvise, p. 186n Birocchi, I., p. 27n Bistort, G., p. 87n, 175n Blicl< le, P., p. 24n, 208n Blockmans, W., p. 17n Boatini, Andriana, p. 126n Boldrini, Andrea, p. 43n Boldrini, Maria, p. 43n Bon, Vettor, p. 167n Bonassi, Chiaretta, p. 139 Bonfield, L., p. 57n, 150n Bardon, Casandra, p. 137n Bardon, Paris, p. 137 Borelli, G., p. 97n Bortolussi, famille, p. 153n Bossis, Gerolamo, p. 176, 186n Bottin, J., p. 7n, 96n Bouchard, G., p. 101n Bougard, F., p. 14n, 56n, 61 n, 94n Bourdieu, P., p. 204n Boutier, J., p. 17n, 19n, 25n Bragadeno Gerolamo, p. 67 Bragadin, Pantin, p. 167n Bragadin, Marino, p. 65 Braudel, F., p. 4, 4n, 5 Braunstein, P., p. 26n, 96n, 99n Bravieri, Francesco, p. 145n Brenzonus, Augustinus, p. 179 Bressan, Pietro, p. 186n Brettell, C. R., p. 152n Brizzi, G. P., p. 159n Brocarda, Antonio, p. 177, 177n, 181n Brocarda, Jacopo, p. 177n Broccardo, Innocentia, p. 166, 166n Brooks, C., p. 104n, 105n, 107n Bulst, N., p. 9n, 17n Burani, Ancilla, p. 162, 162n Burguière, A., p. 58n Burlegni, Vicenzo, p. 109n Busetto, G., p. 98n, 99n Butichiela, Cecilia, p. 168 Butigela (Butichiela), Antonio, p. 167, 168 Calabi, D., p. 7n, 96n Calvi, G., p. ln, 25n, 28n, 31n, 63n, 76n, 79n, 85n, 102n, 106n, 124n Calvi, Gasparo, p. 183n Campanini, A., p. 9n Capella, Valentin, p. 149n Caputo, F., p. 144n Carignola, Soprana, p. 80 Carlo, Nicolà, p. 182, 184 Carrara, Bartolomeo, p. 138 Casella, L., p. 98n Casey, J., p. 58n Casini, M. p. 25n Castellana, Ludovica, p. 127 Casterio, Bartolomeo, p. 86 Cattaruzza, M., p. 2n Catterall, D., p. 49n Cavaciocchi, S., p. 124n Cavalli, Francesco, p. 183n, 186n Cavallo, S., p. 77n, 87n, 105n, l2ln, 204n, 207n Cavaneis, Alberto, p. 171n Cavaneis, Camilla, p. 69 Cavaneis, famille, p. 69n Cavaneis, Gherardo, p. 69 Cavaneis, Giulio, p. 69n Cavazza, Gabriel, p. 183n Cerutti, S., p. 2n, 104, 104n Cessi, R., p. 63n Chabot, 1., p. ln, 17, 17n, 18, 18n, 19n, 21n, 37n, 63n, 74n, 78n, 87n, 102n, 194n, 198n Chaoso, Chiara, p. 142n Chaunu, P. p. 93n Chauvard, J. F., p. 62, 62n, 72n Chieriaculi, Marina, p. 70 Chiffoleau, J., p. 93n, 94n Chittolini, G., p. 2n, 6n, 15n, 16n, 17n Chojnacka, M., p. 7n, 78n, 100, 100n Chojnacki, S., p. 2n, 18n, 19, 19n, 20, 20n, 26n, 39n, 59, 59n, 62, 62n, 64, 64n, 87n, 96n, 98,98n, 99, 100, 100n

INDEX DES NOMS DE PERSONNES 233 Ciriacono, S., p. Sn Cohn Jr., S. K., p. 35n, 93n, 120, 120n Collomp, A., p. 101 n, 152n, 204n Concina, E., p. Sn Contarini, Lorenzo, p. 193, 193n Contarini, Marina, p. 193, 193n, 195 Conte, E., p. 16n Contini, A., p. 25n Coquery, N., p. 108n Corbier, M., p. 42n, 43n Corboli, Francesco, p. 143, 144 Corley, C. R., p. 87n Comiani, Galeazzo, p. 158 Coron dalla Serena, Francesco, p. 147 Corso, Cecilia, p. 192 Cosandey, F., p. 106n, 107n Costantini, Angela, p. 64n Cottret, M., p. 14n Courtemanche, D., p. 94n Cozzi, G., p. 2n, 4n, Sn, 26n, 27n, 28n, 96n Cracco, G., p. 15n, 20n Crescenzi, V., p. 16n Crivelli, Francesco, p. 149n Croix, A., p. 148n Croq, L., p. 14n Crossick, G., p. 109n

Crouzet-Pava □ , E., p. 24n, 42n, 99n D''Amelia, M., p. 74n Da Balao, Marieta, p. 66 Da ca'' Bembo, Cecilia, p. 124n Da ca'' Migel, Bernardin, p. 137n Da Cologna, Cecilia, p. 167n Da Cremona, Magdalena, p. 125 Da Feltre, Benvegnuda, p. l4ln Da Lanzan, Polidoro, p. 117n Da Legnago, Paulo, p. 123, 123n Da Maso, Antonio, p. 116n Da Molin, Chiara, p. 164n Da Mula, Polo, p. 138 Da Padengo, Piero, p. 123n Da Piasenza, Jacomo, p. 110n, 123n Da Santa Maria, Jacomo, p. 197n Da Sibenicho, Margarita, p. 125 Da Spalato, Franceschina, p. 141n Da Vicenza, Antonia, p. 130n Dai Tre San Marchi, Gerolamo, p. 172 Dai Tre San Marchi, Margherita, p. 172 Dal Legname, Vido, p. 1 lln Dal Oglio, Marieta, p. 126, 126n Dai Olmo, Anzola, p. 170 Dai Olmo, Zanmaria, p. 171, 171n Dai Olmo-Piasentin, Daria, p. 171, 171n Dalla Seta, Angelo, p. 144 Dalla Valle, Antonio Bonadio Mathio, p. 149n Dalla Valle, Antonio, p. 149n Dalla Valle, Bernardin, p. 149n Dalla Valle, Giacomo, p. 148 Dalla Valle, Vincenzo, p. 149n Daumas, M., p. 36n, 187n, 190n Davis, J. C., p. 22, 22n, 98, 98n Davis, R. C., p. 7n, 8, Sn, De Alberi, Domenico, p. 65 De Alberi, Faustina, p. 65, 96 De Alvise, Gasparo, p. 163n De Antonio, Lorenzo, p. 122n De Arimino, Chiara, p. 191n De Barbarela, Zuanne, p. 123n De Benedictis, A., p. 17n De Biasio, Catherina, p. 141n De Bonifacio, Marcantonio, p. 131 n De Bono Antonia, p. 130n De Cargna, Zorzi, p. 118n De Curzola, Paola, p. 131 De Feo, R., p. 98n De Manzon, Mathio, p. 115n De Masoto, Zuane, p. 115n De Noris, Bartolomeo, p. 159, 164n De Noris, Piero, p. 164n De Pattis, Crisostomo, p. 143, 154 De Piera, Anzolo, p. 115n De Piero dalla seda, Gerolamo, p. 150, 155n De Piero dalla seda, Sebastiano, p. 151 De Révigny, Jacques, p. 76 De Richalbon, Manfredo, p. 109n De Rizzobello, Hieronimo, p. ll0n De Rossi, L., p. 98n De S. Gervaso, Raphael, p. 191n De Seravalle Zuan Maria, p. 114n De Varisco, Zanetta, p. 197n De Zacharia, Piero Antonio, p. 130n De Zuane Gasparo, p. 122n Defoe, Daniel, p. 106n Dekker, R., p. 190n Del Mugello, Dino, p. 41n

234 INDEX DES NOMS DE PERSONNES

Dela Bercha, Zuanne, p. 109n Delille, G., p. 20n, 26n, 42n, 43n, 58n, 100n, 107n Della Colletta, F., p. 27n Delphin, Marco, p. 162n Delumeau, J., p. 150n Demade, J., p. 20n, 58n Dennis, F., p. 98n, 194n Derosas, R., p. 62n, 73n, 98n, 99n, 202n Derouet, B., p. 37n, 57n, 101n Descimon, R., p. 16n Di Benedetti, Giacomo, p. 144 Di Bianchi, Helena, p. 163n Di Bravieri, Francesco, p. 11 On Di Donado, Magdalena, p. 126 Di Galli, Zanantonio, p. 170n Di Garosi, Nicolà, p. 117n Di Girardo, Jacomo, p. 159n Di Gratioso, Pase, p. 172 Di Maistri, Benedetta, p. 189, 190 Di Maiti, Zuanmaria, p. 110n Di Mazoleni, Christophoro, p. l l 7n Di Michele, L. p. 78n, 102n Di Mondini, Hisabetta, p. 142n Di Morelli Maffio, p. 117n Di Moreti, Bartholamio, p. 117n Di Olivi, Antonia, p. 162, 162n Di Paganutii, Giulio, p. 170n Di Raini, Jacomo, p. 70 Di Renzo Villata, G., p 73n, 74n, 75n, 77n Di Scudenori, Franceschina, p. 141n Di Stephani, Domenego, p. 111 n Di Trotti, Santo, p. 110 Di Vidali, Sebastiano, p. 119, 119n Di Zanatelli, Stella, p. 162n Di Zuliani, Zuane, p. 154 Dickinson, J. A., p. 101n Diefendorf, B., p. 80n Diliberto, O., p. 35n Dolan, C., p. 58n, 97n Donato, Fiorisenda, p. 45, 46 Doria, G., p. 159n Dragan, Caterina, p. 193 Dragon, Zorzi, p. 191n Drusi, R., p. 188n Dübeck, I., p. 74n Duby, G., p. 13n, 74n, 204n Duma, J., p. 14n Dumons, B., p. 9n Earle, P., p. 106n Ehrner, J., p. 59 Ellero, G., p. 137n Ellis, S., p. 208n Erickson, A. L., p. 36, 36n, 52n, 77n, 87n Eversley, D. E. C., p. 58n Farr, J ., p. 109n Fasano Guarini, E., p. 25n Fauve-Charnoux, A., p. 95n Fazio, 1., p. 121n, 142n Feci, S., p. 78n Felle1; L., p. 56n, 61 n Feltrina, Antonia, p. 126 Ferraro, J., p. 28n, 140n Ferro, M., p. 42n, 73n, 78n, 79n, 80, 80n, 95n Fine, A., p. 43n, 55n, 60n Finlay, R., p. 99n Firpo, L., p. 104n Fisher, C., p. 74n Fiume, Baldissera, p. 69, 191 Fiume, Giovanni, p. 69 Fiume, Giulia, p. 191 Flandrin, J.-L., p. 204n Fogel, M., p. 9n Foisil, M., p. 80n Fontaine, L., p. 204n Fontana, G. L., p. 188n Fontana, Gasparo, p. 191n Fontana, Piero, p. 154n Fonte, Moderata, p. 103, 188, 188n Foresto, Lunardo, p. 145 Fortini Brown, P., p. 98n, 204n Foyster, E. A., p. 30n, Franchi, Valentina, p. 138 Franco, Veronica, p. 188 Frizier, Andrea, p. 186 Frizier, Friziera, p. 103n Gabato, Pietro, p. 113n Gager, K., p. 43n, Galante, Gratiosa, p. 82n Galante, Marco, p. 112n Gambelli, Baiamonte, p. 144n Gambier, M., p. 98n, 99n Gandini, Bernardino, p. 123, 123n Garçon, A. -F., p. 107n Garden, M., p. 79n

INDEX DES NOMS DE PERSONNES 235 Garino, E., p. 96n Gaudemet, J., p. 14n Gemin, M., p. 98n Genet, J.-P., p. 9n, 17n Gianighian, G., p. 204n Gigante, Zuanne, p. 189 Giova, Bernardin, p. 156 Glass, D. V., p. 58n Godelier, M., p. 61 n Goldwaithe, R., p. Sn, 108n Gonella, Antonio, p. 183n Gonzàlez, F. G., p. 94n Goody, J., p. 43, 43n, 55, 55n, 101, 101n, 102n Goreto, Antonio, p. 81n Gourdon, V., p. 80n Gourevitch, A., p. 13n Gowing, L., p. 30n Goy, J., p. 101n Gradenigo, Regina, p. 65 Grandi, C., p. 41n Grando, Franceschina, p. 43n Grando, Michiel, p. 43n Grataruol, Piero, p. 103n Greca, Medea, p. 13 7n Grendi, E., p. 25n Grendler, P., p. 102, 102n, 103n Grifalconi, famille, p. 42n, 153n Grifalconi, Gerolamo, p. 165 Gritti, Angelo, p. 70 Gritti, Elisabetta, p. 164 Gritti, Piero, p. 139 Groppi, A., p. 1 n, 30n, 3 7n, 55n, 102n, 106n, 124n, 142n Guidon, Iseppo, p. 141n Gullino, G., p. Sn, 98n, l00n, 177n Gusmazi, Giulia, p. 196 Gutton, J.-P., p. 43n, 124n Guzzetti, L., p. 2n, 62n, 63n, 66n, 69n, 93n, 96n Hacke, D., p. 28n, 140n Hajnal, J., p. 58, 58n Hanawalt, B., p. 80n Hanley, S., p. 27, 28n, 87n Rayez, J., p. 37n, 78n Head-Konig, A. L., p. l0ln Herlihy, D., p. 18n Herzog, M., p. 93n Hochmann, M., p. 71n Holberg, C., p. 93n Houbre, G., p. 37n, 55n, 102n Howell, M. C., p. 23, 24, 24n, 95n Hughes, D. O., p. 101, 101n Hunecke, V., p. 22, 22n, 23n, 42n, 96n, 98, 98n, 99n, 100n Hunt, A., p. 9n Ighe, A., p. 74n Iusto, Todaro, p. 137n Jacob, R., p. 24n, Jacobson Schutte, A., p. 87n Jahan, S., p. 181 n Jardine, L., p. 108n Kertze,; D. I., p. 58n, 75n, 150n King, M., p. 103n Kirafley, A., p. 39n Klapisch-Zuber, p. 18n, 19n, 21n, 42n, 43n, 58n, 67n, 102n Kuehn, T., p. 2n, 16, 16n, 24n, 38n, 41n, 42n, 77n, 87n, 151n La Rocca, C., p. 14n, 94n Labalme, P., p. 103n Laffont, J. L., p. 94n Lanaro, P., p. 4n Landès-Mallet, A. M., p. 93n Landi, S., p. 17n, 19n, 25n Laufer, J., p. ln Lavarda, S., p. 93n Laven, M., p. 102n Le Jan, R., p. 14n, 61n, 94n Le Mené, M., p. 9n Le Roy Ladurie, p. lüln Leduc, C., p. 55n, 60n Lefebvre-Taillard, A., p. 39n Legendre, P., p. 38n Lepori, F., p. 103n Lett, D., p. 37n, 78n Levi, G., p. 102n, 105n, 107n, 118n Lezze, Marieta, p. 67 Lietestegher, Caterina, p. 172 Lion, Camillo, p. 197, 197n Lion, Hisabetha, p. 197, 197n, 198 Lombardi, D., p. 28n, 121n, 142n, 150n Lombardini, Paolo, p. 176, 180 Lonasta, Gregorio, p. 183n

236 INDEX DES NOMS DE PERSONNES

Longo, Francesco, p. 180,181,184 Larcin, M. -T., p. 93n Luc, J. -N., p. 80n, 86n, 87n Luna, Pietro, p. 144n Lunardon, S., p. 139n Luther, p. 1 77 Luzzatto, G., p. 4n Mackenney, R., p. 7n Mainardo, Zorzi, p. 182n Maire-Vigueur, J.-C., p. 15n Maldestro, Bartolomio, p. 116n Malipiero, Lunardo, p. 189, 189n Malosso, Anzola, p. 191n Mannori, L., p. 25n Maragnin, Zuana, p. 192, 192n Marchini, A., p. 1 00n Marinella, Lucrezia, p. 103, 188, 188n Marry, C., p. 1 n Marshall Wynties, p. 60n Martini, M., p. 63n Maruani, M., p. ln Massa, Nicolà, p. 175, 186 Massolo lsabetta, p. 112 Mattone, A., p. 27n Mattozzi, 1., p. Sn Maximilien Je•, p. 4 Mazoleni, Zuan Piero, p. 158, 158n Mazuchello, Matio, p. l lün Mazza, Sebastian, p. 158n Mazzacane, A., p. 2n Mazzi, Camillo, p. 183n Mazzonis, F., p. 58n Médicis, Côme 1 c, de, p. 25, 25n Médicis, Côme l''Ancien de, p. 17 Médicis, famille, p. 25 Médicis, Ferdinand de, p. 25n Medioli, F., p. 23n, 185n Menegin, Magdalena, p. 126n Menniti Ippolito, A., p. 152n Menuge, N. J., p. 76n Metz, R., p. 86n Milledonne, Caterina, p. 128n Misani, Cornelia, p. 70 Misani, Valerio, p. 70 Molà, L., p. 124n, 188n Molho, A., p. 2n, 6n, l 7n Molinier, A., p. 150n Monda, Giulian, p. 196n Monnet, P., p. 7n, 109n Moretti, S., p. 98n Moro, Giulio, p. 162 Morse!, J., p. 20n, 58n Morsi, Pasqualina, p. 131n Muazzo, Piero, p. 141 Mueller, R. C., p. 73n, 97n, 124n Musset, J., p. 56n Mutti, Francesco, p. 151, 153, 155n Muzzarelli, M. G., p. 9n Negro, Giacomo, p. 144n Negro, Stella, p. 139 Neveux, H., p. 80n Nicolai, Giorgio, p. 80 Nigrini, Caterina, p. 129n Ochiai, E., p. 62n Oria, Anzolo, p. 169n Oria, Paola, p. 169n, 170, 172 Oris, M., p. 62n, 73n, 202n Orsato, Antonio, p. 182n Ortalli, G., p. lSn, 102n Ôsterberg, E., p. 208n Ottobon, Francesco, p. 11 ln Otto boni, Gabriel, p. 14 7n Padovani, A., p. lSn, 3ln, 35n Paleotti, Gabriele, p. 41 Paliaga, Chiara, p. 113n Panciatichi, famille, p. 144 Pardailhé-Galabrun, A., p. 36n Parenti, L., p. 98n Parma, Pelegrin, p. 120 Parma, Viena, p. 120 Parola, M., p. 80n Pasqualigo, Pietro, p. 156 Pasqualini, Antonio, p. 187n Pastore Stocchi, M., p. 103n Pastore, A., p. 145n Pavanini, P., p. 204n Pedrocco, F., p. 98n Pegolotto, Felicita, p. 96 Penuti, C., p. 13n, 25n Perrier, S., p. 80n, 84n Perrot, M., p. 74n Pesaro, Vettor, p. 67 Petitjean, M., p. 94n Petri, Paolo, p. 149n Petrobelli, Pietro, p. 156n Pezzolo, L., p. 6n, 7n, Sn

INDEX DES NOMS DE PERSONNES 237 Piasentin, Zuanne, p. 171, 171n Pierre Damien, p. 38 Pila, G. M., p. 98n Pinol, J. -L., p. 109n Plebani, T., p. 102n, 188n Poisson, J. -P., p. 94n Pomaro, Marco, p. 184, 185 Pomaro, Pietro, p. 186n Posocco, F., p. 98n Poumarède, J., p. 94n Povolo, C., p. ln, 6n, 27n Premarin, Marietta, p. 191 Preto, P., p. 145n Prezato, Agostino, p. 151, 153, 157 Prezato, Gratioso, p. 153 Prezato, Marc''Antonio, p. 153 Prezato, Vincenzo, p. 153 Prior, M., p. 77n Priuli, Elena, p. 88 Prodi, P., p. 4n, Sn, 13n, 25n, 26n, 27n, 41,41n Pullan, B., p. 8, Sn, 22n, 143n Puppi, L., p. 139n Quaglioni, D., p. 28n, 29n, 150n, 202n Querini, famille, p. 99 Querini, Francesco, p. 139 Querini, Gerolamo, p. 112 Raines, D., p. 26n Raines, Marietta, p. 71 Rapp, R. T., p. 4n Raspi, Cecilia, p. 127 Ravis-Giordani, G., p. 95n, 100n, 101n Reinhard, W., p. 13n, 17n Revel, J., p. 107n Riga, A., p. 29, 29n Rimondi, Angela, p. 160 Rimondi, Zuane, p. 155n, 159 Rimondo, Gabriel, p. 169n Rizzato, Francesco, p. 195 Rizzato, Hisabetta, p. 195 Rizzo, Andrea, p. 71 Rizzo, Vettor, p. 143n, 154n Roberti, M., p. 79n Robin-Ramera, 1., p. 80n, 86n, 87n Roche, D., p. 108n, 109n, 150n, 159n Racheta, Domenego, p. 112n Rollet, C., p. 80n, 86n, 87n Romanelli, G., p. 98n Romano, D., p. 7n, 96n, 124n, 207n Rompiasi, Nicolà, p. 176, 180 Rosental, P. -A., p. 107n Rota, Paola, p. 167, 168, 172 Rotha, Francesca, p. 167n Rouchon, O., p. 17n, 19n, 25n Ruberti, Paolo, p. 183n Rubinstein, N., p. 24n Ruggiero, G., p. 66n Ruggiu, F.-J., p. 14n, 94n, 190n Sagredo, Piero, p. 161n Saller, R. P., p. 58n, 75n, 86n, 94n Salon, Zuanne, p. 176 Salvador, Giovanni, p. 186n Salvazo, Antonio, p. 1 l0n Sandi, V., p. 27n Sansovino, Francesco, p. 27 Santo, Santa, p. 138 Sanudo, Franceschina, p. 128n Sargentson, C., p. 108n Sarpi, Paolo, p. 28 Sarti, R., p. 124n Savary, Jacques, p. 107n Schama, S., p. 29n, 60n Schiavona, Margarita, p. 124n, 127 Schiavone, A., p. 13, 13n, 14n Schiera, P., p. ln, 6n, 17n Schmitt-Pantel, P., p. 74n Schütz, A., p. 38n Scott, J. W., p. 106n Secco, Zuan Antonio, p. 178, 183n, 187 Segalen, M. p. 95n, 1 00n Seidel Menchi, S., p. 28n, 29n, 87n, 150n, 177n, 202n Sella, D., p. 4n, Sn Selleri, Isabeta, p. 131n Serena, Francesco, p. 145 Serian, Zuanna, p. 163 Shorter, E., p. 207n Smith, C. H., p. 24n Smith, M., p. 38n Solian, Benetto, p. 162n Soranzo, Elena, p. 67 Sorbolo, Jacomo, p. 194n Spa, Alvise, p. 137n Sperling, J., p. 22, 22n, 23, 77n, 102n Spin, Francesco, p. 154n Stedman Jones, G., p. 29, 29n Stella, M., p. 78n, 102n

238 INDEX DES NOMS DE PERSONNES

Stone, L., p. 207n Stretton, T., p. 30n, Strozzi, compagnie, p. 144 Superchio, Valerio, p. 184n Surian, Andrea, p. 192 Surian, Paula, p. 130n Szeftel, M., p. 72n Tafuri, M., p. 144n Taiapiera, Zuanne, p. 177, 183n Tambiah, S. J., p. lüln Tarabotti, Arcangela, p. 23, 103, 184, 185, 188 Tenenti, A., p. 16n, 20n, 93, 93n, 103n Thirsk, J., p. lüln Thomas, Y., p. 14n, 38n, 74n, 167n Thompson, E. P., p. 101n Tiepolo, Jacopo, doge, p. 15, 31, 32, 39, 40 Tiepolo, M. F., p. 31 n Tiepolo, Nicolo, p. 156 Tintoret, p. 99 Titien, p. 99 Tramezin, Bona, p. 127n Trebbi, G., p. 7n, 103n Trevisan, Lorenzo, p. 175, 181, 185 Trevisan, Marc''Antonio, doge, p. 27 Trevisan, Zuan Francesco, p. 176 Trivellato, F., p. 7n Trivisan, Andrea, p. 115n Trivisan, Barbara, p. 135n Trumbach, R., p. 207n Tucci, U., p. 103n Turrel, D., p. 148n Tuttobon, Parnphilo, p. 158n Ubaldi, Ubaldo, p. 176 Uberti, Andriana, p. 195, 196, 196n Uberti, Antonio, p. 195, 196n Uberti, C., p. 98n Valier, Bianca, p. 67 Vallaresso, Agnesina, p. 70 Varischin, Bernardin, p. 149n Vecchi, Antonio, p. 179 Vedova, Francesco, p. 182 Venie,; Bernardo, p. 126, 126n Verzar Bass, M., p. 2n Vesentina, Magdalena, p. 131 Visceglia, M. A., p. 20n Vivian, Emerentiana, p. 171, 171n Vivian, Piero, p. 171n Vogler, B., p. 79n, 94n Vogt, H., p. 74n Vovelle, M. 93n Walker, G., p. 30n Warner, L., p. 77n Watt, J. R., p. 150n Weiner, A., p. 59, 59n Wiesner, M., p. 59n, 124n Willoweit, D., p. 15n Woolf, S. J., p. 22n Wunder, H., p. 74n Yver, J., p. 86n, 95n, ! Oin Zaguri, Vincenzo, p. 145, 146, 147 Zamberti, Bartolomeo, p. 182, 184 Zane, Polo, p. 139 Zanier, C., p. 124n Zannini, A., p. 4n, 7n, 8n Zanoli, Francesco, p. 147, 151, 157 Zanoli, Giulia, p. 157, 157n Zanoli, Lucrezia, p. 157, 157n Zanolin, Marco, p. 163n Zarri, G., p. 102n Zeller, O., p. 9n Zen, cardinal, p. 65 Zen, Contarina, p. 65 Zen, Maria, p. 65 Ziani, Sebastiano, doge, p. 31, 32 Ziliol, famille, p. 153n Zink, A., p. 101n Zoo, Gerolamo, p. 187 Zorzi, A., p. 16n, 17n Zuanier, F., p. 98n Zuccato, Gerolamo, p. 175, 181, 186

Table des matières

INTRODUCTIO. . N . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 -Femmes et hommes face à la transmission . . . . . . 1 2 -Le XVIe siècle vénitien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 -La population . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 PREMIÈRPEA RTIE FAMILLES DANS LA CITÉ Chapitre I -LE GOUVERNEMEDNETSF AMILLE. S. . . . . . . . . . . . 13 1 -La loi des pères.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 2 -Discipline des familles et pouvoir politique . . . . . . 16 3 -Des lois pour qui?............... . . . . . . . . . . . . 21 4 -Continuité et ruptures à l''époque moderne . . . . . . 24 5 -Les Juges des familles à Venise . . . . . . . . . . . . . . . . 31 Chapitre II -LA sucCEssIONE TL AL OI 35 1 -Les normes sur la succession «légitime » . . . . . . . . 35 2 -Enfants illégitimes et enfants adoptifs . . . . . . . . . . 38 3 -L''application de la loi sur la succession ab intestato 44 4 -Généalogies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 Chapitre III -LA RESTITUTIODNE LAD OTÀ LAV EUVEo u À SA FAMILL. E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 1 -La logique de la dot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 2 -La dot: héritage du père ou héritage du mari? . . . 57 3 -La restitution de la dot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 Chapitre IV -LA TUTELL «EL ÉGITIMED » ESO RPHELINS. . . . . 73 1 -Patria potestas et materna imbecillitas?. . . . . . . . . . 73 2 -Donna, madonna et commissària?. . . . . . . . . . . . . 78 3 -L''attribution des tuteurs par les Juges de Petition . 81 4 -Libération de tutelle ou émancipation? . . . . . . . . . 85

240 TABLE DES MATIÈRES

DEUXIÈMPEA RTIE PROJETS ET PRATIQUES DE TRANSMISSION Chapitre V -ACTEURSE TO BJETDS EL AT RANSMISSIO. N. .. . . . . 91 1 -Le testament comme source . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 2 -Famille et succession dans le patriciat . . . . . . . . . . 98 3 -Formes de la transmission. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 4 -Middling sort of people? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 Chapitre VI -ARTISANEST «GENSD UP EUPLE » .. . . . . . . . . . . . 109 I -Les testaments des hommes: la succession des «homines mechanici » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 1 -«Car je n''ai jamais eu de femmes ni d''enfants » . . . 110 2 -«Car elle a peiné avec moi, avec amour, pour acquérir ce que j''ai maintenant » . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 3 -«Du reste, s''il y en a, je laisse mon fils héritier et ma femme exécutrice » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 4 -L''atelier et le métier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 II -Travail, famille, cycle de vie: les testaments des femmes 124 1 -Margarita, «tisserande » , Caterina, «servante » , Isabetta «nourrice » et les autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124 2 -«N''ayant ni fils, ni fille » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 3 -Le choix des mères. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 4 -Maternités «illégitimes » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 7 5 -Veuves . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140 Chapitre VII -LE MONDDE UC OMMERC. E. . . . . . . . . . . . . . . . 143 I -Perpétuer la compagnie marchande: les testaments des hommes......................................... 143 1 -Le moment de tester. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 2 -Enfants naturels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 3 -Frères en affaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150 4 -Accidents de transmission. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153 5 -Circuits dotaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156 6 -L''épouse dans la boutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158 II -Les voix, et les voeux, des femmes, entre couple et frérèche marchande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161 1 -«Pour l''affection et la charité qu''il m''a démontrées » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161

TABLE DES MATIÈRES 241

2 -Un partage «virtuellement » égalitaire . . . . . . . . . . 163 3 -«Elles feront ce qu''elles voudront » . . . . . . . . . . . . . 169 Chapitre VIII -DocTEURS, NOTAIRESS, ECRÉTAIREDSE LA RÉPUBLIQU. E. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 I -Transmettre des livres, payer des études: les testaments des hommes...................................... 175 1 -«Pour la consolation de mon âme » . . . . . . . . . . . . 175 2 -Au-delà de la frérèche........................ 180 3 -Le destin des filles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183 II -Partage égalitaire et carrières des enfants dans les testaments des femmes: un équilibre à trouver......... 188 1 -«Au nom de l''amour qu''il y a eu entre nous » ..... 188 2 -Enfants de familles recomposées . . . . . . . . . . . . . . 19 l 3 -«S''appliquer à quelque charge ou exercice » . . . . . 195 CONCLUSIO. . N . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 SOURCEEST B IBLIOGRAPH. . I E. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209 Sources manuscrites: Archivio di Stato di Venezia (ASV)........................................ 209 Sources imprimées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210 Bibliographie citée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211 INDEXD ESN OMSD EP ERSONNE. S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231 TABLED ESM ATIÈRES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239

1 Une approche plus sociale que culturaliste de la question du «genre » peut être considérée comme la réponse de l''historiographie italienne à la «gender history » venant des États-Unis, cf. A. Groppi, Le genre comme outil pour penser le travail : quelques remarques en marge du cas italien, dans J. Laufer, C. Marry, M. Maruani (dir.), Le travail du genre. Les sciences sociales à l''épreuve des différences des sexes, Paris, 2003, p. 211-267.

2 Cf. notamment G. Calvi, I. Chabot (dir.), Le ricchezze delle donne. Diritti patrimoniali e poteri familiari in Italia (XIII-XIX secolo), Turin, 1998.

3 Sur le rôle du droit dans la construction des États italiens, cf. A. Mazzacane,

Diritto e giuristi nella formazione della Stato moderno in Italia, dans G. Chittolini, A. Molho, P. Schiera (dir.), Origini della Stato. Processi di fonnazione statale in Italia fra medioevo ed età moderna, Bologne, 1994, p. 331-34 7 ; T. Kuehn, Antropologia giuridica della Stato, Ibid., p. 367-380. Sur la capacité des «gens du commun » à se servir de la loi, cf. les considérations développées dans S. Cerutti, Giustizia sommaria. Pratiche e ideali di giustizia in una società di Ancien Régime (Torino XVJJJ secolo), Milan, 2003.

4 Cf., entre autres, pour une approche fondée surtout sur les «déviances » ,

Le modèle familial européen. Normes, déviances, contrôle du pouvoir, Actes des séminaires organisés par l''École française de Rome et l''Università di Roma (1984), Rome, 1985.

5 La justice pénale, au contraire, a été l''objet d''études importantes, par Gaetano Cozzi et ses élèves, cf. G. Cozzi (dir.), Stato, società e giustizia nella Repubblica veneta (sec. XV-XVIII), Rome, 1980 ; Id., La società veneta e il sua diritto, Venise, 2000. Les recherches de Claudio Povolo ont porté sur des cas judiciaires, en matière de droit matrimonial et successoral, surtout dans la Terre ferme, cf., entre autres,

Polissena Scroffa, fra Paolo Sarpi e il Consiglio dei Dieci. Una vicenda successoria nella Venezia degli inizi del Seicento, dans Studi veneti oftèrti a Gaetano Cozzi,

Venise, 1992, p. 221-233 ; Id., La conflittualità nobiliare in Italia nella seconda metà del Cinquecento. Il casa della Repubblica di Venezia. Alcune ipotesi e possibili interpretazioni,

dans Atti dell''Istituto veneto di scienze, lettere e arti, CLI, 1992-93, p. 89-139 ; Id., Eredità anticipata o esclusione per causa di dote ? Un casa di pluralismo giuridico nel Friuli del primo '' 500, dans L. Accati, M. Cattaruzza, M. Verzar Bass,

Padre e figlia, Turin, 1994, p. 41-73 ; Id., Il processo Guarnieri. Buie-Capodistria,

Capodistria, 1996 ; Id., L''intrigo dell''onore. Poteri e istituzioni nella Repubblica di Venezia tra Cinque e Seicento, Vérone, 1997.

6 S. Chojnacki, Women and Men in Renaissance Venice. Twelve Essays on Patrician Society, Baltimore-Londres, 2000, chap. 4, p. 95-111 ; L. Guzzetti, Dowries in fourteenth-century Venice, dans Renaissance Studies, vol. 16, n° 4, 2002, p. 430-

4 73. Les sources vénitiennes sont extraordinairement riches dans ces domaines, et d''autres recherches sont envisageables, par exemple sur les testaments oraux, ou sur les procédures d''acceptation des héritages.

7 Parmi les travaux qui ont contribué à corriger l''idée de la décadence de Venise au XVI'' siècle, cf. le colloque Aspetti e cause della decadenza economica veneziana nel secolo XVII, Atti del convegno 27 giugno-2 luglio 1957, Venezia, San Giorgio,

Venise-Rome, 1961 ; G. Luzzatto, Storia economica di Venezia dallXI al XVI secolo,

Venise-Rome, 1961 ; R. T. Rapp, Industry and Economie Decline in Seventeenth Century Venice, Cambridge (Mass.), 1976 ; F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XV''-XVIII'' siècle, t. 3, Le temps du monde, Paris, 1979, p. 95-113. Pour une synthèse récente sur la question, cf. D. Sella, L''economia, dans G. Cozzi, P. Prodi (dir.), Storia di Venezia. Vol. VI. Dal Rinascimento al Barocco, Rome, 1994, p. 651-711. Pour un bilan des dernières recherches en histoire de l''économie vénitienne, cf. A. Zannini, La Venezia di Luzzatto : dal Medioevo all''età contemporanea,

dans P. Lanaro (dir.), Gino Luzzatto, storico dell''economia, tra impegno civile e rigore scientifico, Atti del Convegno, Venezia, 5-6 novembre 2004, dans Ateneo Veneto, 411, 2005, p. 75-9 ; P. Lanaro (dir.), At the Center of the old World. Trade and Manufacturing in Venice and Venetian Mainland (1400-1800), Toronto, 2006.

8 Cf. la Chronique Ziliol, dans A. Bellavitis, identité, mariage, mobilité sociale. Citoyennes et citoyens à Venise au XVI'' siècle, Rome, 2001, p. 279-310 et annexe 4, p. 337-353.

9 Cf. M. Aymard, Venise, Raguse et le commerce du blé pendant la seconde moitié du XVI'' siècle, Paris, 1966.

10 Cf. D. Sella, L''economia ... cit .. Plus en général, sur l''augmentation du numéraire, en Italie, au XVIe siècle, cf. R. Goldwaithe, Wealth and the Demand for Art in Italy (1300-1600), Baltimore & Londres, 1993. Beaucoup de recherches ont été consacrées, dans les dernières années, aux investissements fonciers des Vénitiens en Terre ferme, après le travail pionnier de D. Beltrami, La penetrazione economica dei veneziani in Terrafenna. Forze di lavoro e proprietà fondiaria nelle campagne venete dei secoli XVIIe XVIII, Venise-Rome, 1961. Cf., entre autres, S. Ciriacono,

Venezia, l''Olanda e la bonifica europea in età moderna, Milan, 1994 ; G. Gullino,

Quando il mercante costrui la villa : le proprietà dei Veneziani nella Terraferma, dans G. Cozzi, P. Prodi (die), Storia di Venezia, vol. VI ... cit., p. 875-924 ; I. Mattozzi,

lntraprese produttive in Terrafenna, dans G. Benzoni et G. Cozzi (dir.), Storia di Venezia, vol. VII, Il Barocco, Rome 1997, p. 435-478.

11 L. Pezzolo, Sistema di potere e palitica fmanziaria nella Repubblica di Venezia (secali XV-XVIT), dans G. Chittolini, A. Molho, P. Schiera, Origini della Stata ... cit.,

p. 303-327 ; C. Povolo, Centra e periferia nella Repubblica di Venezia. Un profila, ibid., p. 207-221.

12 Sur l''immigration à Venise, cf., entre autres, la section III, p. 153-237, de J. Bottin, D. Calabi (dir.), Les étrangers dans la ville. Minorités et espaces urbain du bas Moyen Âge à l''époque m. oderne, Paris, 1999.

13 Sur les artisans à Venise, cf., entre autres, D. Romano, Patricians and Popolani. The Social Foundations of the Venetian Renaissance State, Baltimore, 1987 ; R. Mackenney, Tradesmen and Traders. The World of the Guilds in Venice and Europe, c. 1250-c. 1650, Londres et Sidney, 1987 ; R. C. Davis, Shipbuilders of the Venetian Arsenal. Worloers and Workplace in the Preindustrial City, BaltimoreLondres, 1991 ; F. Trivellato, Fondamenta dei vetrai. Lavoro, tecnologia e mercato a Venezia tra Sei e Settecento, Rome, 2000 ; M. Chojnacka, Working Women ofEarly Modern Venice, Baltimore-Londres, 2001 ; A. Bellavitis, Apprentissages masculins, apprentissages féminins à Venise au XVI'' siècle, dans Histoire Urbaine 15, avril 2006, p. 49-73.

14 Cf. A. Zannini, Burocrazia e burocrati a Venezia in età moderna : i cittadini originari (sec. XVT-XVTIT), Venise, 1993 ; G. Trebbi, La società veneziana, dans Storia di Venezia, vol. VI... cit., p. 129-213 ; A. Bellavitis, Ars mechanica e gerarchie sociali a Venezia tra XVIe XVII secolo dans M. Arnoux, P. Monnet (dir.), Le technicien dans la cité en Europe occidentale (1250-1650), (actes du colloque de Gottingen, Mission historique française, juin 2000), Rome, 2004, p. 161-179.

15 Sur le système de prélèvement, cf. L. Pezzolo, L''ara della Stato. Società, finanza e fisco nella Repubblica veneta del seconda '' 500, Venise-Trévise, 1990.

16 E. Concina, Venezia nell''età moderna. Struttura e funzioni, Venise, 1989. Il existait aussi un impôt sur les revenus commerciaux, la tansa, mais il ne semble pas y avoir de sources analytiques, permettant une recherche sur les groupes de contribuables, cf. L. Pezzolo, L''ara della Stato ... cit., p. 43-45.

17 E. Concina, Venezia nell''età moderna ... cit., p. 19-24.

18 B. Pullan, Wage-Earners and Venetian Economy, 1550-1630, dans Id., (dir.), Crisis and Change in the Venetian Economy in the Sixteenth and Seventeenth Centuries, Londres, 1968, p. 146-174.

19 R. C. Davis, Shipbuilders of the Venetian Arsenal ... cit., p. 29.

211 A. Zannini, Burocrazia e burocrati ... cit., p. 138-151. Un ducat équivalait à

6 lires et 4 sous.

21 L. Pezzolo, L''ara della Stato ... cit., p. 46-47

22 A. Bellavitis, Identité, mariage, mobilité sociale ... cit., p. 307.

23 A. Bellavitis, La gouvernance du luxe : Venise et ses pompes, dans B. Dumons, O. Zeller (dir.), Gouverner la ville en Europe du Moyen Âge au XX'' siècle, Paris, 2006, p. 29-36. Sur les lois somptuaires comme expression des hiérarchies sociales, cf., entre autres, M. G. Muzzarelli, A. Campanini (dir.), Disciplinare il lusso. La legislazione suntuaria in Italia e in Europa tra Medioevo ed età moderna, Rome, 2003 ; M. Fogel, Modèle de l''État et modèle social de dépense. Les lois somptuaires en France de 1485 à 1600, dans J.-P. Genet, M. Le Mené (dir.), Genèse de l''État moderne. Prélèvement et redistribution, Paris, 1987, p. 227-235 ; N. Bulst, Les ordonnances somptuaires en Allemagne : expression de l''ordre social urbain (XIV-XV/'' siècle), dans Comptes rendus de l''Académie des inscriptions et des Belles lettres,

1993, p. 771-784 ; A. Hunt, Governance of the Consuming Passions : a History of Sumptuary Law, New York, 1996.

1 A. Schiavone, lus. L''invenzione del diritto in Occidente, Turin, 2005, p. 50.

2 Cf. P. Prodi, C. Penuti (dir.), Disciplina dell''anima, deisciplina del corpo e disciplina della società tra Medioevo ed età moderna, Bologne, 1994 ; P. Prodi,

W. Reinhard (dir.), Tl Concilia di Trento e il moderno, Bologne, 1996 ; W. Reinhard,

Papauté, confessions, modernité, Paris, 1998.

3 Le renvoi obligé est évidemment au grand recueil en cinq volumes, dirigé par P. Ariès et G. Duby, Histoire de la vie privée, Paris, 1985-87.

4 R. Le Jan, Tntroduction à F. Bougard, C. La Rocca, R. Le Jan (dir.), Sauver son âme et se perpétuer. Transmission du patrimoine et mémoire au haut Moyen Âge,

Rome, 2005, p. l-6 ; la citation est à la p. 2. Cf. aussi les remarques de F.-J. Ruggiu dans Les notions d'' «identité » , d'' «individu » et de «self » et leur utilisation en histoire sociale, dans M. Bélissa, A. Bellavitis, M. Cottret, L. Croq, J. Duma, Identités, appartenances, revendications identitaires, Paris, 2005, p. 395-406.

5 Jean Gaudemet écrit : «Le droit privé est souvent présenté comme l''ensemble des règles qui concernent les rapports des hommes entre eux, le droit public formulant celles qui régissent leurs rapports avec la puissance publique. La distinction est moins simple qu''il ne semble au premier abord. Sa valeur est contestée. Elle s''est imposée dans l''enseignement avec les codifications du XIX'' siècle. L''Ancien Droit la connaissait peu et, si les juristes romains ont distingué ius publicum

et ius privatum, ils n''en ont pas fait la division fondamentale de leur droit. Disons, en termes très généraux, que le droit privé concerne les rapports des individus entre eux ou avec des groupements privés de personnes. Il fixe les droits et les obligations de chacun, ses relations avec les autres, les modes d''acquisition, d''administration, de transmission de biens » , dans Droit privé romain, Paris, 1976, p. 1. Sur la distinction entre thémis, le droit familial, et dike, le droit «interfamilial » , cf. E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions européennes, Paris, 1969, 2 vol., vol. l, p. 99-110 ; sur la différence entre ces deux notions et le ius romain, cf. A. Schiavone, Jus ... cit., p. 66 et suivantes ; sur la signification du mot «res » , et ses conséquences sur les normes successorales, cf. Y. Thomas, La valeur des choses. Le droit romain hors la religion, dans Annales H. S. S., novembre-décembre 2002, p. 1431-1462.

6 Cf. G. Chittolini, D. Willoweit, Statuti città territori in Italia e Germania tra medioevo ed età moderna, Bologne, 1991 ; J.-C. Maire-Viguer, 1 podestà dell''Jtalia comunale, 2 vol., Rome, 2000.

7 A. Padovani, La politica del diritto, dans G. Cracco et G. Ortalli (dir.), Storia di Venezia, vol. TI, L''età del Comune, Rome, 1995, p. 303-329.

8 Cf. V. Crescenzi, il diritto civile, dans G. Arnaldi, G. Cracco et A. Tenenti (dir.), Storia di Venezia, vol. Ill, La formazione della Stato patrizio, Rome, 1997, p. 409-474 ; Id., Esse de Maiori Consilio. Legittimità civile e legittimazione politica nella Repubblica di Venezia (secc. XIII-XVI}, Rome, 1996.

9 T. Kuhen, Law, Family and Women. Toward a Legal Anthropology of Renaissance ltaly, Chicago-Londres, 1991 ; la citation est à la page 6. Cf. aussi G. Chittolini (dir.), Storici americani e Rinascimento italiano, n° monographique de Cheiron, 16, 1991 et surtout A. Zorzi, Tradizioni storiografiche e studi recenti sulla giustizia nell''Italia del Medioevo, p. 27-78 ; sur les relations difficiles entre histoire et droit, notamment en France, cf. E. Conte, Droit médiéval. Un débat historiographique italien et R. Descimon, Declareuil (1913) contre Hauser (1912). Les rendez-vous manqués de l''histoire et de l''histoire du droit, dans Annales, H. S. S.,

novembre-décembre 2002, n° 6, p. 1593-1613 et 1615-1636.

1° Cf. en particulier, I. Chabot, Le gouvernement des pères : l''État florentin et la famille (XIV-XV'' siècles), dans J. Boutier, S. Landi, O. Rouchon (dir.), Florence et la Toscane, XIV-XIX'' siècles. Les dynamiques d''un État italien, Rennes, 2004, p. 241-263 ; la citation est à la p. 241.

11 Cf. G. Chittolini, Il '' privato'', il '' pubblico'', la Stato, dans G. Chittolini, A. Molho, P. Schiera (dir.), Origini della Stato ... cit., p. 553-589.

12 Cf., Ibid., A. De Benedictis, Consociazioni e contratti di signoria nella costruzione della Stato in Ttalia, p. 591-608 et A. Zorzi, Tus erat in armis. Faide e conflitti tra pratiche sociali e pratiche di governo, p. 609-629.

13 Les origines de l''État moderne ont fait l''objet de plusieurs séries de colloques et de publications importants depuis quelques années, et notamment dans le cadre de l''A. T. P du C. N. R. S., sur Genèse de l''État moderne, dirigé par J.-P. Genet et dans le cadre d''une activité soutenue par la Fondation Européenne de la science sur Les origines de l''État moderne en Europe, Xlll''-XVlll'' siècle, dirigée par W. Blockmans et J.-P. Genet. En particulie, ; sur le rôle des bourgeoisies, cf. N. Bulst, J.-P. Genet (dir.), La ville, la bourgeoisie et la genèse de l''État moderne (Xll''-XVlll'' siècles), Actes du colloque de Bielefeld, Paris, 1988 et sur le rôle des élites W. Reinhard (dir.), Les élites du pouvoir et la construction de l''État en Europe, Paris, 1996.

14 I. Chabot, Le gouvernement des pères ... cit. ; S. Chojnacki, Gender and the Early Renaissance State, dans Id., Women and Men in Renaissance Venice ... cit., p. 27-52.

1., Cf. sur ce dernier aspect, D. Herlihy et C. Klapisch-Zuber, Les Toscans et leurs familles. Une étude du Catasto Florentin de 1427, Paris, 1978.

16 Cf. C. Klapisch-Zuber, Les acteurs politiques de la Florence communale (1350-1450), dans J. Boutier, S. Landi, O. Rouchon (dir.), Florence et la Toscane ... cit., p. 217-239, qui commence ainsi : «Chistoriographie récente, anglophone surtout, mais aussi italienne, parle couramment de «l''oligarchie florentine » , de < da classe politique", de «la classe dirigeant » , de «la classe occupant les offices", sans qu''il soit toujours aisé de saisir les fondements de ces désignation » . Cf. surtout le dernier livre de C. Klapisch-Zuber, Retour à la cité. Les magnats de Florence, 1340-1440, Paris, 2006.

17 S. Chojnacki, Women and Men ... cit., p. 8.

18 Ibid., p. 9.

19 Ibid., p. 52.

20 I. Chabot, Le gouvernement des pères ... cit., p. 250.

21 Cf. S. Chojnacki, La fonnazione della nobiltà dopa la Serrata, dans G. Arnal di, G. Cracco, A. Tenenti (dir.), Storia di Venezia, vol. III, ... cit., p. 641-725.

22 Cf. A. Bellavitis, Genere e potere politico fra medioevo ed età moderna, dans

Quaderni Storici, I, 2005, p. 230-238.

23 Sur la réciprocité comme règle fondamentale dans les stratégies matrimoniales aristocratiques, cf. M. A. Visceglia, Tl bisogno di eternità. T comportamenti aristocratici a Napoli in età moderna, Naples, 1988 ; sur l''importance de la notion de réciprocité, dans un autre contexte politique, cf. G. Delille, Le maire et le prieur. Pouvoir central et pouvoir local en Méditerranée occidentale (XV-XVJJJe siècle),

Paris-Rome, 2003.

24 S. Chojnacki, La fonnazione della nobiltà ... cit., p. 724.

25 Pour une analyse du lien entre les normes sur le mariage et la succession et la construction d''un groupe politique, dans la noblesse allemande, entre Moyen Âge et époque moderne, cf. J. Demade, Parenté, noblesse et échec de la genès~ de l''État. Le cas allemand, note critique à propos du livre de J. Morsel, La noblesse contre le prince : l''espace social des Thüngen à la fin du Moyen Âge (Franconie, v. 1250-1525), Stuttgart, 2000, dans Annales, H. S. S., mai-juin 2006, n° 3, p. 609-631.

26 Cf. C. Klapisch-Zuber, Le complexe de Griselda. Dot et dons de mariage, dans Ead., La maison et le nom. Stratégies et rituels dans l''Italie de la Renaissance, Paris, 1990, p. 185-209.

27 I. Chabot, Widowlwod and Poverty in Late Medieval Florence, dans Continuity and Change, 3, 1988, p. 291-31 l.

28 C. Klapisch-Zuber, La mère cruelle. Maternité, veuvage et dot dans la Florence des XIV et XV siècles, dans Ead., La maison et le nom ... cit., p. 249-261.

29 J''ai analysé la législation somptuaire sur la dot dans mon livre, Identité, mariage, mobilité sociale ... cit., p. 154-162.

30 J. C. Davis, The Decline of the Venetian Nobility as a Ruling Class, Baltimore, 1962 ; V. Hunecke, Il patriziato veneziano alla fine della Repubblica, 1646-1797. Demografza, famiglia, ménage, Rome, 1997 (éd. allemande, 1995) ; J. G. Sperling,

Convents and the Body Politic in late Renaissance Venice, Chicago-Londres, 1999.

31 V. Hunecke, Il patriziato veneziano ... cit., p. 209.

32 C''est la très heureuse formule utilisée par S. J. Woolf, dans Venice and the Terra ferma : Problems of the Change from Commercial to Landed Activities, dans B. Pullan (dir.), Crisis and Change in the Venetian Economy in the Sixteeenth and Seventeenth Centuries, Londres, 1968, p. 175-203.

33 J. G. Sperling, Convents and the Body Politics ... cit., ch. le''".

34 V. Hunecke, Il patriziato veneziano ... cit., infra.

35 Cf. F. Medioli, (éd.), L''Inferno monacale di Arcangela Tarabotti, Turin, 1990.

36 M. C. Howell, The Marriage Exchange. Property, Social Place, and Gender in Cities of the Low Countries, 1300-1550, Chicago-Londres, 1998 et cf. R. Jacob, Les époux, le seigneur et la cité : coutume et pratiques matrimoniales des bourgeois et paysans de France du Nord au Moyen Âge, Bruxelles, 1990.

37 Sur le concept de «State building from below » , cf. P. Blickle (dir.),

Résistance, représentation et communauté, Paris, 1998.

38 M. C. Howell, The Marriage Exchange ... cit., p. 15.

39 Selon les études d''anthropologie juridique, il faudrait déplacer l''attention de la production de la loi à son application et considérer les lois comme des «codes, des discours, des langages, dans lesquels les personnes poursuivent leurs intérêts, différents et souvent antagonistes » , cf. T. Kuehn, Antropologia giuridica ... cit., p. 372. 4° Cf. notamment S. Bertelli, N. Rubinstein, C. H. Smith (dir.), Florence and Venice : Comparisons and Relations, (Acts oftwo conférences at Villa l Tatti in 1976-77), Florence, 1979 et cf. désormais E. Crouzet-Pavan, Renaissances italiennes, 1380-1500, Paris, 2007.

41 Sur les difficultés posées par une comparaison politique entre Florence et Venise au XVI'' siècle, cf. M. Casini, I gesti del principe. La { esta politica a Firenze e Venezia in età rinascimentale, Venise, 1996.

42 Pour un état de la question, cf. J. Boutie1~ S. Landi, O. Rouchon (dir.),

Florence et la Toscane ... cit. ; J. Boutier, Les formes et l''exercice du pouvoir. Remarques sur l''historiographie récente de la Toscane à l''époque des Médicis (XV-XVII'''' siècles}, dans M. Ascheri, A. Contini, La Toscana in età modema (secoli XVI-XVIII). Politica, istituzioni, società : studi recenti e prospettive di ricerca,

(Atti del Convegno di Arezzo, 12-13 ottobre 2000), Florence, 2006, p. l-58. Sur la place du souverain dans le Grand-Duché de Toscane, cf. L. Mannori,

Tl sovrano tutore. Pluralismo istituzionale e accentramento amministrativo nel principato dei Medici (sec. XVI-XVIII), Milan, 1994.

43 G. Calvi, Il contratto morale. Madri e figli nella Toscana modema, Rome-Bari, 1994. Elena Fasano Guarini insiste toutefois sur la continuité de l''héritage républicain, dans l''évolution législative du Grand-Duché, au point que la figure du prince législateur représenté surtout par Côme (1537-1574) est remplacée par celle du prince «legibus alligatus » , représentée par Ferdinand (l 587-1609), cf. Produzione di leggi e disciplinamento nella Toscana granducale tra Cinque e Seicento. Spunti di ricerca, dans P. Prodi, C. Penuti (dir.), Disciplina dell''anima, disciplina del corpo ...

cit., p. 659-690.

44 E. Grendi, La repubblica aristocratica dei genovesi. Politica, carità e commercio fra Cinque e Seicento, Bologne, 1987.

45 M. Berengo, Nobili e mercanti nella Lucca del Cinquecento, Turin, 1965.

46 Cf. G. Cozzi, Venezia dal Rinascimento all''età barocca, dans G. Cozzi, P. Prodi (dir.), Storia di Venezia, vol. VI... cit., Rome, 1994, p. 3-125.

47 Cf. S. Chojnacki, «La grande famille des nobles » , dans P. Braunstein (dir.),

Venise 1500. La puissance, la novation et la concorde : le triomphe du mythe, Paris, 1993, p. 178-199.

48 En raison de cette chronologie particulière, il est difficile de faire rentrer Venise dans le modèle binaire proposé par Gérard Délille, à propos des modèles politiques méditerranéens, cf. Le maire et le prieur ... cit., p. 26-111.

49 Tout change, en revanche, au XVII'' siècle, avec les «agrégations » au patriciat imposées par la crise économique et militaire de la guerre de Candie, cf. notamment D. Raines, L''invention du mythe aristocratique. L''image de soi du patriciat vénitien au temps de la Sérénissime, 2 vol., Venise, 2006 qui parle d''un projet politique fondé sur les familles patriciennes visant à «instaurer une égalité entre ces unités de base et à chercher à toujours équilibrer les tensions entre elles » , citation à la p. 20.

so M. Bellabarba, Le pratiche del diritto civile : gli avvocati, le '' Correzioni'', i '' Conservatori alle leggi'', dans G. Cozzi, P. Prodi (dir.), Storia di Venezia, vol. VI... cit., p. 795-824. Sur l''évolution du droit vénitien, cf. V. Sandi, Principi di Storia civile della Repubblica di Venezia, 2 vol., Venise 1755 ; F. Della Colletta, I principi di storia civile di Vettor Sandi. Diritto, istituzioni e storia nella Venezia di metà Settecento,

Venise, 1995 ; G. Cozzi, Repubblica di Venezia e Stati italiani. Politica e giustizia dal secolo XVI al secolo XVIII, Turin, 1982 ; C. Povolo, Un sistema giuridico repubblicano : Venezia e il suo Stato territoriale (sec. XV-XVIII), dans I. Birocchi, A. Mattone (dir.), Tl diritto patrio. Tra diritto comune e codificazione. Secoli XVT-XTX, Rome, 2006, p. 255-296.

51 Novissimum Statutorwn ac Venetarum Legum Volumen, Venise, ex typographia Ducali Pinelliana, 1729, f0 184, «Correzion del Serenissimo M. Antonio Trivisan » , ch. IX-X, 1554, 25 février.

52 Tbid., f0 186, ch. XIII.

53 S. Hanley, Engendering the State : Family Formation and State Building in Early Modern France, dans French Historical Studies, vol. 16, n° l (spring 1989), p. 4-27 ; Ead., Social Sites of Political Practice in France : Lawsuits, Civil Rights, and the Separation of powers in Domestic and State Government, 1500-1800, dans

American Historical Review, 102/ 1, fév. 1997, p. 27-52 ; Ead., Contra l''ordine naturale e la disposizione delle leggi. Il diritto maschile alla sovranità nella Francia di età moderna, dans G. Calvi (dir.), lnnesti. Donne e genere nella storia sociale, Rome, 2004, p. 95-120.

54 Histoire du Concile de Trente de fra'' Paolo Sarpi théologien du Sénat de Venise, traduite par Mr Amelot de la Houssaye, ci devant Secrétaire de !'' Ambassade de France à Venise, à Amsterdam, dans l''imprimerie de G. P. & J. Blaeu, 1686, Livre VII, p. 645.

55 Cf. D. Lombardi, Matrimoni di Antico Regime, Bologne, 2001 et, pour Venise, G. Cozzi, Padri, figli e matrimoni clandestini (metà secolo XVI-metà secolo XVIII),

dans Id., La società veneta e il sua diritto, Venise, 2000, p. 19-64 ; J. M. Ferraro,

Marriage Wars in late Renaissance Venice, Oxford, 2001 ; D. Hacke, Women, Sex and Marriage in early Modern Venice, Aldershot (England), Burlington, VT (USA), 2004.

56 Pour un ensemble de travaux sur les tribunaux ecclésiastiques à l''époque moderne, voir la série de colloques organisés à l''Istituto Storico Italo-Germanico : Silvana Seidel-Menchi et Diego Quaglioni (dir.), Coniugi nemici. La separazione in Italia dal XVI al XVIII secolo, Bologne, 2000 ; Id. (dir.), Matrimoni in dubbio. Unioni controverse e nozze clandestine in ltalia dal XIV al XVJJJ secolo, Bologne, 2001 ; Id. (dir.), Trasgressioni coniugali. Concubinaggio, adulterio, bigamia (secc. XIV-XVIII), Bologne, 2003 ; Id. (dir.), I tribunali del matrimonio (secoli XV-XVIII),

Bologne, 2006.

57 A. Riga, lnterventi della Stato veneziano nei casi di separazione : i Giudici del procurator, dans S. Seidel Menchi, D. Quaglioni (dir.), Coniugi nemici ... cit., p. 519-536 et Id., Giudici del Procurator e donne «malmaritate » . Interventi della giustizia secolare in materia matrimoniale in epoca tridentina, dans Atti dell''Istituto Veneto di Scienze Lettere ed Arti, CL, 1992-93, p. 241-266.

58 A. Riga, lnterventi della Stato ... cit., p. 524. Aux Pays-Bas, au XVII'' siècle, une femme qui pensait que son mari dilapidait sa part ou abusait de son droit de tutelle légale pouvait invoquer l''aide de la justice pour obtenir le partage du patrimoine et récupérer son apport dotal, cf. S. Schama, L''embarras de richesses. Une interprétation de la culture hollandaise au siècle d''or, Paris, 1991 (éd. or. 1986).

59 R. Aga, introduction à Ead. (dir.), The Value of the Norm. Legal disputes and the De-finition of Riglzts, Rome, 2002, p. 6-33.

60 G. Stedman Jones, Une autre histoire sociale ?, dans Annales H. S. S., n. 2, 1998, p. 383-394.

61 A. Groppi, Une ressource légale pour une pratique illégale. Les juifs et les femmes contre la corporation des tailleurs dans la Rome pontificale (XVII''-XVl/ l'' siècles), dans R. Ago (dir.), The Value of the Nonn ... cit., p. 137-161.

62 R. Ago, Introduction ... cit.

63 Les recherches sur l''Angleterre ont été particulièrement nombreuses et significatives, cf., entre autres, L. Gowing, Domestic dangers : women, words and sex in early modern London, Oxford, 1996 ; T. Stretton, Women waging laws in Elizabethan England, Cambridge, 1998 ; G. Walker, Crime, gender and social order in early modern England, Cambridge, New York, 2003 ; J. Bailey, Unquiet lives : marriage and marriage breakdown in England, 1660-1800, Cambridge, New York, 2003 ; E. A. Foyster,

Marital violence : an English family history, 1660-1857, Cambridge, 2005.

64 G. Calvi, Il contratto morale ... cit.

65A. Padovani, Curie et uffici, dans G. Cracco et G. Ortalli (dir.), Storia di Venez. ia, vol. II, ... cit., p. 331-347.

66 Pour cette description des magistratures, voir M. F. Tiepolo, Archivio di Stato di Venez. ia. Antichi Regimi, dans Guida generale degli Archivi di Stato ltaliani,

vol. IV, Rome 1994, p. 987-993.

67 Statuta Judicum Petitionum, dans Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 120-122.

1 Archivio di Stato di Venezia (dorénavant ASV), Giudici del Proprio, Parentele,

reg. 12 ; Successioni, reg. 9.

2 Sur les testaments en périodes de peste, cf. S. K. Cohn, Jr., The Black Death Transfàrmed. Disease and Culture in Early Renaissance Europe, Londres, 2003.

3 Pour les normes des Statuts sur la succession «ab intestat", cf. Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., surtout le Livre IV. Sur les origines de ces normes, cf. O. Diliberto, Successione legittima, diritto romano et A. Padovani, Successione legittima, diritto intermedio, dans Enciclopedia del diritto,

vol. XLV, Milan, 1992, p. 1296-1317 etp. 1317-1322.

4 A. L. Erickson, Women and Property in Early Modern England, New York, 1993, p. 65.

5 A. Pardailhé-Galabrun, La naissance de l''intime. 3000 foyers parisiens, XVIl'' XVTll'' siècles, Paris, 1988, p. 275 et cf. M. Daumas, Le mariage amoureux. Histoire du lien conjugal sous l''Ancien Régime, Paris, 2004, p. 117-146.

6 Novissimum Statutorwn ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 20 : Livre 2, chap. 40.

7 Cf., sur les critères d''exclusion, B. Derouet, Les pratiques fàmiliales, le droit et la construction des différences, dans Annales, H. S. S., 2, 1997, p. 369-391.

8 1. Chabot, Richesses des femmes et parenté dans l''Italie de la Renaissance. Une relecture, dans 1. Chabot, J. Rayez, D. Lett (dir.), La fàmille, les fèmmes et le quotidien (XIV-XVIII'' siècle). Textes offerts à Christiane Klapisch-Zuber, Paris, 2006, p. 263-290. Voir aussi Ead., Notes sur le système successoral florentin (XIV-XV -XVTll'' siècles), dans A. Groppi, G. Houbre (dir.), Femmes, dots et patrimoines, n° monographique de Clio. Histoire, femmes et sociétés, 7 / 1997, p. 51-72 ; R. Ago, Universel/ particulier : femmes et droits de propriété (Rome, XVII'' siècle), Ibid., p. 101-116 ; Ead.,

Ruoli familiari e statuto giuridico, dans Quaderni Storici, 88, 1, 1995, p. 111-133.

9 Pour un conflit à propos du droit d''une mère à hériter de ses enfants, cf. T. Kuhen, Famiglia, donne e diritto nella Firenze quatrocentesca : ambiguità di un Consilium, dans Genesis, 1/ 2, 2002, p. 49-70.

10 P. Legendre, Le dossier occidental de la parenté. Leçons IV, suite. Textes juridiques indésirables sur la généalogie, traduits et présentés par A. Schütz, M. Smith,

Y. Thomas, Paris 1988, citations à la page 141.

11 Cf., pour des comparaisons, A. Lefebvre-Taillard, L''enfant naturel dans l''ancien droit français et A. Kirafley, The child without family ties (English Law), dans Société Jean Bodin pour l''histoire comparative des institutions, L''enfant. Époque médiévale et moderne, Bruxelles, 1976, p. 251-269 et p. 271-283.

12 Le «mémoire » se trouve dans ASV, Compilazione Leggi, l" serie, busta (dorénavant b.) 301, f0 34 et suivants.

13 Sur la définition progressive de l''identité patricienne, entre XIVe et XV'' siècle, cf. S. Chojnacki, Men and Women ... cit. et mon compte-rendu Genere e potere politico tra Medioevo ed età moderna ... cit.

14 Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 199v,

Corretion del serenissimo prencipe Zuanne Bembo.

1., ASV, Compilazione Leggi, la serie, b. 301, f0 47-49, 1617, 21 mai.

16 P. Prodi, I figli illegittimi all''inizio dell''età moderna. Il trattato De nothis spuriisque filiis di Gabriele Paleotti, dans C. Grandi (dir.), Benedetto chi ti porta, maledetto chi ti manda. L''infanzia abbandonata nel Triveneto (secoli XV-XIX), Trévise, 1998, p. 49-57.

17 Il s''agit de la notion «Bartolienne » classique.

18 Selon le juriste médiéval Dino del Mugello (mort env. 1303), cité par T. Kuehn, lllegitimacy in Renaissance Florence, Ann Arbor, 2002, p. 59.

19 Enfance abandonnée et société en Europe, XIV-XX'' siècle, Actes du colloque international, Rome, 30-31janvier1987, Rome, 1991.

20 T. Kuehn, Tllegitimacy ... cit., p. 36.

21 Cité par C. Klapisch-Zube1 ; L''adoption impossible dans l''Italie de la fin du Moyen Âge, dans M. Corbier (dir.), Adoption et fosterage, Paris, 1999, p. 321-337.

22 Cité par G. Delille, La non-adoption : orphelinats et Monts de mariage en Italie (XVI0-XVII !'' siècles), Ibid., p. 357-367, citation à la p. 357.

23 V. Hunecke, Il patriziato veneziano ... cit., p. 188 et suivantes.

24 Cf. M. Ferro, Dizionario del diritto comune e veneto, Venise 1779, sub voce.

2 • 1 Ibid. et cf. aussi E. Crouzet-Pavan, Mots et gestes : notes sur la conscience de la parenté (Venise, XV siècle) » , dans Médiévales, 19, automne 1990, p. 9-15.

26 Cf. le cas de la famille Grifalconi, dans mon livre Identité, mariage, mobilité sociale ... cit. p. 126-137.

27 K. Gager, Adoption Practices in Sixteenth and Seventeenth Century Paris,

dans M. Corbier, Adoption et Fosterage ... cit., p. 184-198 et cf. J.-P. Gutton, Histoire de l''adoption en France, Paris, 1993.

28 C. Klapisch-Zuber, L''adoption impossible ... cit. ; G. Delille, La non-adoption

29 J. Goody, L''évolution de la famille et du mariage en Europe, Paris, 1985.

30 M. Corbier ; Adoptés et nourris, Introduction à Ead. (dir.), Adoption et fosterage ... cit., p. 5-41.

31 A. Fine. Adoption et parrainage dans l''Europe ancienne, Ibid., p. 339-354 et Ead., Parrains, marraines. La parenté spirituelle en Europe, Paris, 1994.

32 Parmi les nombreux cas, cf. ASV, Notarile Testamenti (dorénavant NT), b. 782, 771, 1555, 8 janvier, Maria, épouse du maître tailleur Andrea Boldrini ; b. 780, 1559, 13 juin, Franceschina, épouse de maître Michiel Grando, pareur de draps.

33 G. Delille, La non-adoption ... cit., p. 358.

34 Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 10.

35 ASV, Giudici del Proprio, Parentele, reg. 12, f0 93-98.

36 ASV, Giudici del Proprio, Successioni, reg. 9, f0 204v.

37 F. Argelati, Pratica del fora veneto, Venise 1737, p. 34.

38 Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 71, Livre IV, ch. 25 ; f0 129, Consulta del Maggior Consiglio XIV, 1352, 23 novembre ; f0 130,

Consulta del Maggior Consiglio XV, 1352, 25 novembre.

39 Sur les tribunaux < l''Ancien Régime comme lieu d''expression individuelle,

cf. D. Catterall, Translating lives in public in early modern Rotterdam, dans R. Ago (dir.), The value of the norm ... cit., p. 73-101.

40 On observe la même tendance dans les héritages des frères et des soeurs : ils étaient à 78,5 % des frères et à 21,5 % des soeurs à avoir demandé l''héritage d''un frère mort intestat et ils sont à 80,3 % des frères et à 19, 7 % des soeurs à en recevoir un. Ils étaient à 38,2 % des frères et à 61,8 % des soeurs à avoir demandé l''héritage d''une soeur, ils sont à 42,2 % des frères et à 57,8 des soeurs à le recevoic

41 A. L. Erickson, Women and Property in Early Modern England ... cit., p. 72-73. En Angleterre, l''héritage ab intestato d''un homme marié était partagé entre sa femme (1/ 3) et ses enfants (2/ 3, à égalité) ; celui d''un veuf était partagé à égalité parmi ses enfants et celui d''un célibataire allait à sa famille d''origine.

1 G. Augustins, Comment se perpétuer ? Devenir des lignées et destins des patrimoines dans les paysanneries européennes, Nanterre, 1989.

2 Ibid., p. 333.

3 J. Goody, Famille et mariage en Eurasie, Paris, 2000.

4 A. Fine et C. Leduc, La dot, anthropologie et histoire. Cité des Athéniens, Vl''-IV'' siècle/ Pays-de-Sault (Pyrénées Audoises), fin XVIII'' siècle-1940, dans G. Houbre, A. Groppi (dir.), Femmes, dots et patrimoines ... cit., p. 19-50.

5 Ibid., p. 28.

6 G. Augustins, Comment se perpétuer ? ... cit., p. 333.

7 ibid., p. 335.

8 A. Bellavitis, Identité, mariage, mobilité sociale ... cit., p. 152-153.

9 Pour une vision d''ensemble de la recherche sur la question, cf. F. Bougard, L. Feller, R. Le Jan, Dots et douaires dans le Haut Moyen Âge, Rome, 2002, en particulier L. Feller, Morgengabe, dot, tertia : rapport introductif, p. 1-25 ; F. Bougard, Dot et douaire en Italie centra-septentrionale, Vlll''-Xl'' siècle. Un parcours documentaire,

p. 57-95. 1°

Cité par G. Augustins, Comment se perpétuer ? ... cit., p. 337 et cf. J. Musset,

Le régime des biens entre époux en droit normand, du XVI'' siècle à la Révolution,

Caen, 1997.

11 G. Augustins, Comment se perpétuer ? ... cit, p. 338.

12 Cf. L. Bonfield, La distribuzione dei beni tra gli eredi negli atti di successione matrimoniale inglesi dell''età moderna, dans Quaderni Storici, 88, 1, 1995, p. 63-83.

13 Cf. B. Derouet, Dot et héritage : les enjeux chronologiques de la transmission,

dans L''histoire grande ouverte. Hommages à Emmanuel Le Roy Ladurie, Paris, 1997, p. 284-292.

14 Cf. A. Bellavitis, Identité, mariage, mobilité sociale ... cit., p. l 71.

1., Cf. par exemple, le cas de l''Italie du Sud, étudié par G. Delille, Famille et propriété dans le Royaume de Naples (XV-XX'' siècle), Rome-Paris, 1985 et celui d''Aix-en-Provence, étudié par Claire Dolan, La famille, le notaire et la ville à Aixen-Provence durant la seconde moitié du XVI'' siècle, Toulouse, 1998.

16 J. Hajnal, «European Marriage Patterns in Perspective » , dans D. V. Glass, D. E. C. Eversley (dir.), Population in History, Londres-Chicago, 1965, p. 101-143. Sur les modèles familiaux européens, cf. les nombreuses synthèses parues dans les dernières années, A. Burguière, C. Klapisch-Zuber, Histoire de la famille, vol. 3, Le choc des modernités, Paris, 1986 ; J. Casey, The History of the Family, Oxford, 1989 ;

M. Barbagli, D. 1. Kertzer, Storia della famiglia in Europa. Dal Cinquecento alla Rivoluzione francese, Bari, 2002 ; sur l''Italie, cf. M. Barbagli, Sotta lo stesso tetto. Mutamenti della famiglia in Italia dal XV al XX secolo, Bologne, 1988 (1 '''' e éd. 1984) ; D. I. Kertzer, R. P. Saller, La famiglia in ltalia dall''antichità al XX secolo, Florence, 1995 (Yale 1991) ; F. Mazzonis (dir.), Percorsi e modelli familiari in ltalia tra '' 700 e '' 900, Rome, 1997.

17 Pour des comparaisons, cf. J. Demade, Parenté, noblesse et échec de la genèse de l''État ... cit. et J. Morsel, La noblesse contre le prince ... cit.

18 A. Weiner, lnalienable possession. The paradox of keeping-while-fiving,

Berkeley, 1992.

19 S. Chojnacki, Women and Men ... cit., p. 186 et suivantes.

20 A. Bellavitis, Apprentissages masculins, apprentissages féminins ... cit.

21 Sur le problème du mariage des «jeunes » de boutique et apprentis, cf. M. E. Wiesner, Wandervogels and women : journeymen''s concepts of masculinity in early modern Germany, dans Journal of Social History, 24 (4), 1991, p. 767-782 ; J. Ehmer, Serri di donne. Matrimonio e costituzione di una propria famiglia da parte dei garzoni came campo di confiitto nel monda artigiano mitteleuropeo, dans

Quaderni Storici, 80, n. 2, août 1992, p. 475-507.

22 S. Schama, L''embarras de richesses ... cit., p. 539 ; S. Marshall Wynties,

Survivors and Status : Widowhood and Family in the Early Modern Netherland, dans

Journal ofFamily History, winter 1982, p. 396-405.

23 A. Fine, C. Leduc, La dot, anthropologie et histoire ... cit., p. 28.

24 Cf. A. Bellavitis, Identité, mariage, mobilité sociale ... cit., p. 150.

25 M. Godelier, L''énigme du don, Paris, 2002 (1ère ed. 1996), p. 65-66.

26 G. Augustins, Comment se perpétuer ? ... cit., p. 337. Sur la part des meubles et des immeubles dans la dot et le douaire, cf. F. Bougard, L. Feller, R. Le Jan, Dots et douaires dans le haut Moyen Âge ... cit.

27 J.-F. Chauvard, La circulation des biens à Venise. Stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750), Rome, 2005, p. 388.

28 S. Chojnacki, Women and Men ... cit., p. 98 et, sur cet aspect, les critiques formulées par Linda Guzzetti dans l''article Do1vries in fourteenth-century Venice ... cit.

29 Cf. M. Oris, E. Ochiai, Family Crisis in the Context of Diffèrent Family Systems : Frameworks and Evidence on «When Dad Died » , introduction à M. Oris,

R. Derosas (dir.), When Dad Died. lndividuals and Families coping with Stress in Past Societies, Bern, 2002, p. 1 7-79.

30 Dans son article, Dowries in fourteenth-century Venice ... cit., Linda Guzzetti a publié en annexe un schéma et un glossaire qui résument parfaitement la procédure.

31 R. Cessi (éd.), Gli Statuti veneziani di Jacopo Tiepolo del 1242 e le loro glosse,

Venise, 1938, p. 83-85.

32 Sur les conséquences de la dette des maris à l''égard de leurs épouses, engendrée par le système dotal, cf. M. Martini, Crediti e relazioni coniugali nelle famiglie della nobiltà bolognese del XIX secolo, dans G. Calvi, 1. Chabot (dir.), Le ricchezze delle donne ... cit. ; Ead., Rapports patrimoniaux et crédit dans les ménages nobles. Dot et apanage des femmes à Bologne au XIX'' siècle, dans A. Groppi, G. Houbre,

Femmes, dots et patrimoines ... cit., p. 139-154 ; A. Arru, Donare non è perdere. I vantaggi della reciprocità a Roma tra Settecento e Ottocento, dans Quademi storici,

98, 1998, p. 361-382.

33 R. Cessi (éd.), Gli Statu. ti veneziani ... cit., p. 89. Dans d''autres villes italiennes, les veuves pouvaient continuer à vivre sur les biens du mari jusqu''à restitution complète de la dot, cf. M. Bellomo, Ricerche sui rapporti patrimoniali tra coniugi. Contributo alla storia della fàmiglia medievale, Milan, 1961, p. 219.

34 Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 89-90.

35 S. Chojnacki, Women and Men ... cit., p. 98.

36 Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 90v.

37 Ibid., f0 184, 1554, 25 février, Corretion del serenissimo Marco Antonio Trevisan, chap. IX-X ; fD 202, 1620, 5 avril, Corretion del serenissimo prencipe Antonio Prioli ; f0 221, 1640, 18 mars, Corretion in tempo del serenissimo prencipe Francesco Erizzo.

38 Ibid., f0 196-197, 1613, 22 mars, Corretion del serenissimo prencipe Marc''Antonio Memo.

39 Ibid., f0 198-199 ; f0 219, 1640, 12 mars, Corretion in tempo del serenissimo prencipe Francesco Erizzo.

40 J''ai examiné deux années des registres Vadimonia pour le milieu du siècle, 1553-4 (181 actes) et pour la fin du siècle, 1592-3 (154 actes).

41 Cf., entre autres, le cas de la veuve d''un marin de Burano, Angela Costantini, ASV, Giudici del Proprio, Vadimoni, reg. 36, 1553, 9 septembre.

42 Ibid., 1553, 23 août.

43 Ibid., 1553, 13 octobre.

44 Ibid., 1553, 4 août.

45 ibid., 1553, 28 septembre.

46 Ibid., 1553, 13 juin ; 1553, 15 décembre.

47 Au XIV'' siècle, la durée moyenne des mariages était environ de 14 ans mais 36 % des mariages patriciens dépassaient une durée de 20 ans, ce qui était le cas dans seulement 22 % des mariages dans le reste de la population, cf. L. Guzzetti, Dowries in fourteenth-century Venice ... cit. p. 446-447 ; G. Ruggiero, The Boundaries of Eros : Sex Crime and Sexuality in Renaissance Venice, New York, 1985, p. 14. À la même époque, dans l''élite florentine, 46 % des mariages dépas

saient les 20 ans, cf. C. Klapisch-Zube1 ; La fécondité des Florentines (XIV-XV siècles),

dans Annales de démographie historique, 1988, p. 41-57.

48 ASV, Giudici del Proprio, Dejudicatum, reg. 86.

49 Ibid., 1590, 10 février.

so Linda Guzzetti arrive aux mêmes conclusions pour le XIVe siècle, cf. Ead.,

Dowries in fourteenth century Venice ... cit.

51 A. Bellavitis, Identité, mariage, mobilité sociale ... cit., sur la famille Cavaneis,

ibid., p. 260. Le contrat fait partie du dossier présenté par Giulio, frère et exécuteur testamentaire de Camilla, pour obtenir restitution de la dot, ASV, Giudici del Proprio, Vadimoni, reg. 86, 1592, 16 juillet et est également enregistré à l''Avogaria di Comun, Matrimoni Cittadini, reg. 153, f0 113v.

52 ASV, Giudici del Proprio, Dejudicatum, reg. 86, 1592, 5 septembre.

53 Le contrat fait partie du dossier du Vadimonium, présenté par la veuve, ASV, Giudici del Proprio, Vadimoni, reg. 86, reg. 86, 1592, 4 juillet.

54 ASV, Giudici del Proprio, Dejudicatum, 1592, 5 septembre.

55 Le contrat fait partie du dossier du Vadimonium, présenté par la veuve, ASV, Giudici del Proprio, Vadimoni, reg. 86, 1592, 27 août.

56 ASV, Giudici del Proprio, Dejudicatum, reg. 86, 1592, 12 septembre.

57 ASV, Giudici del Proprio, Vadimoni, reg. 86, 1593, 2 janvier.

58 ASV, Giudici del Proprio, Dejudicatum, reg. 86, 1593, 16 janvier.

59 ASV, Giudici del Proprio, Mobili, reg. 86, f0 37, 1592, 10 juillet.

60 Ibid., fü 43-46, 1592, 27 juillet.

61 Ibid., f0 80-89v, 1592, 12 novembre. Sur les commandes d''oeuvres d''art par des secrétaires ducaux, cf. M. Hochmann, Peintres et commanditaires à Venise

(1540-1628), Rome, 1992.

62 Données tirées de ASV, Giudici del Proprio, Minutarum, reg. 26 ; De foris,

reg. 27-28, Mobili, reg. 86-87.

63 ASV, Giudici del Proprio, Minutarum, reg. 26, f 0 97v.

64 J.-F. Chauvard, La circulation des biens ... cit.

65 Cela n''est pas toujours le cas, car, par exemple, en Russie, la patria potestas

est partagée entre père et mère et, à la mort du père, les enfants passent automatiquement sous la tutelle de la mère, cf. M. Szeftel, Le statut juridique de l''enfant en Russie avant Pierre le grand, dans Société Jean Bodin pour l''histoire comparative des institutions, L''enfant. Europe médiévale et moderne ... cit., p. 635-656. Mais même à l''intérieur de l''espace français, la situation est différente : «Dans la plupart des régions, la lourde procédure de la désignation d''un tuteur n''a lieu qu''en cas de décès du mari : il n''est pas question de nommer un tuteur si la mère meurt alors que survit le père des enfants. Ceci est-semble-t-il la règle en pays de droit écrit, mais elle s''applique aussi dans des provinces coutumières comme la Normandie. En revanche, à Paris, la désignation d''un tuteur est symétriquement suscitée par le décès de l''un ou de l''autre conjoint. Une originalité parisienne qui ne manque pas d''intérêt, car elle aboutit concrètement au doublement du nombre des dossiers, une aubaine intéressante pour l''historien et pour le démographe » , J.-P. Bardet, Les procès-verbaux de tutelle : une source pour la démographie historique, dans Mesurer et comprendre. Mélanges offerts à Jacques Dupâquier, Paris, 1993, p. 1-21, citation à la p. 8.

1 Sur le problème plus général de la situation de crise familiale qui suit la mort du père, selon les différents systèmes familiaux européens, cf. R. Derosas,

M. Oris (die), When Dad Died ... cit.

2 Cf. M. Ferro, Dizionario ... cit., sub voce ; G. di Renzo Villata, Tutela, dans

Enciclopedia del Diritto, Milan, 1992, vol. XLV, p. 305-360.

3 M. Ferro, Dizionario ... cit., sub voce ; R. C. Mueller, The Procurators of San Marco in the Thirteenth and Fourteenth Centuries : A Study of the Office as a Financial and Trust Institution, dans Studi Veneziani, 13 (1971 ), p. 105-220.

4 G. Di Renzo Villata, Tutela ... cit., p. 330-331.

5 Sur cette magistrature, cf. C. Fisher, Guardianship, the Family and the Rise of the Renaissance Florentine State, 1368-1393, à paraître dans A. Bellavitis, I. Chabot, Famiglie e poteri in ltalia tra Medioevo ed Età moderna, Actes du Colloque de Lucques, 9-11 juin 2005, Rome, 2009.

6 Sur le problème de l''attribution de la tutelle aux mères à partir de différents exemples européens, cf. A. Ighe, Replacing the Father-Representing the Child. A Few Notes on the European History of Guardianship, ettoute la Section 12 de G. Jacobsen,

H. Vogt, I. Dübeck, H. Wunder (dir.), Less Favored -More Favored : Proceedings from a Conference on Gender in European Legal History, l 2th-19 th Centuries, September 2004, Copenhagen, 2005 (http :// www. kb. dk/ da/ publikationer/ online/ fund_ of_ forskning/ less_ more/ index. html) ; sur l''Italie médiévale et moderne, cf. M. D''Amelia, La presenza delle madri nell''Jtalia medievale e moderna, dans Ead. (dir.), Storia delle donne in Ttalia. Storia della maternità, Bari, 1997, p. 3-52, surtout p. 40-52.

7 Y. Thomas, La division des sexes en droit romain, dans G. Duby, M. Perrot,

Histoire des fèmmes. L''Antiquité, sous la direction de P. Schmitt-Pante(Paris, 1990, p. 103-156, citation à la p. 148.

9 Ibid., p. 149.

10 R. P. Saller, Strategie romane per l''eredità : teoria e prassi, dans D. I. Kertzer, R. P. Saller, La famiglia in Italia ... cit., 1995, p. 35-58.

11 lbid., p. 53.

12 G. Di Renzo Villata, Tutela ... cit., p. 324.

14 ibid., p. 334-337.

15 Ibid., p. 340-341. Cf. aussi N. J. Menuge, Medieval English Wardship in Romance and Law, Cambridge, 2001.

16 G. Calvi, Tl contralto morale ... cit. ; Ead., Sans espoir d''hériter. Les mères,

les enfants et l''État en Toscane, XVT''-XVll'' siècles, dans Clio, Histoire, Femmes et Sociétés, 2005, 21, p. 43-68.

17 G. Di Renzo Villatta, Tutela ... cit., p. 341.

18 Cf. S. Cavallo, L. Warner (dir.), Widowhood in Medieval and Early Modern Europe, New York, 1999.

19 Cf. M. Prior, Women in English Society, 1500-1800, Londres-New York, 1985 ; A. L. Erickson, Women and Property in Early Modern England ... cit.

20 D. Abu-Ferreira, Women''. s Property, Womens Live : a Look at Early Modern Portugal, in Portuguese Studies Review, 13 (1 ), 2005, p. 211-228 et cf. Ead.,

Women and Family Property in Early Modern Portugal, et J. G. Sperling, Dowry or Inheritance ? Women''. s property rights in comparison : Lisbon, Venice, Florence (1572), communications présentées au Colloque Gender, Family and Property in Legal Theory and Practice : The European Perspective from 10th ta 2ot1, Centuries,

University of Crete/ The Institute for Mediterranean Studies, Rethymno, 21-23 September, 2006, actes à paraître.

21 T. Kuehn, Cum Consensu Mundualdi : Legal Guardianship of Women in Quattrocento Florence, dans Id., Law, Family, & Women ... cit., p. 212-237.

22 S. Feci, Il teatro della ricchezza. Donne e giuristi a confronta nella gestione dei beni a Roma nel Seicento, dans A. Arru, L. Di Michele, M. Stella, Proprietarie. Avere, non avere, ereditare, industriarsi, Naples, 200 l, p. 179-187 ; Ead., Pesci fuor d''acqua. Donne a Roma in età moderna : diritti e patrimoni, Rome, 2004.

23 M. Ferro, Dizionario ... cit., sub voce «Moglie » .

24 M. Chojnacka, Working Women of Early Modern Venice, Baltimore-Londres, 2000.

25 A. Bellavitis, Le travail des femmes dans les contrats d''apprentissage de la Giustizia Vecchia (Venise, XVF siècle), dans I. Chabot, J. Rayez, D. Lett (dir.), Le travail, les femmes et le quotidien (XJV''-XV] ll'' siècle). Textes offerts à Christiane Klapisch-Zuber, Paris, 2006, p. 181-195.

26 M. Ferro, Dizionario ... cit., sub voce.

27 Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 33-38.

28 M. Ferro, Dizionario ... cit. Une première vérification dans les registres des Juges du Mobile ne m''a pas permis de retrouver d''actes de ce genre.

29 G. Calvi, Il contratto morale ... cit.

30 F. Argelati, Pratica del fora veneto ... cit., p. 25 ; M. Roberti, Le magistrature giudiziarie veneziane e i loro capitolari fmo al 1300, 3 vol., Padoue, 1906-1911.

31 Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 33.

32 Cf. M. Garden, Les relations familiales dans la France du XVIII'' siècle : une source, les conseils de tutelle, dans B. Vogler (dir.), Les actes notariés. Source de l''his

taire sociale, XVT''-X[ X'''' siècles, Strasbourg, 1979, p. 173-186 ; J.-P. Bardet, Les procèsverbaux de tutelle ... cit. ; J.-P. Bardet, Acceptation et refus de la vie à Paris au XVIII'' siècle, dans J.-P. Bardet, M. Foisi] (dir.), La vie, la mort, la foi, le temps ; Mélanges offerts à Pierre Chaunu, Paris, 1993, p. 67-83 ; H. Neveux, Sollicitations conjoncturelles des cercles de parenté. Position du problème à partir du milieu rural français (XVI''-XVIII'' siècles) ; M. Parola, La parenté et les métiers à Turin pendant l''époque Napoléonienne et S. Perrier, Rôles des réseaux de parenté dans l''éducation des mineurs orphelins selon les comptes de tutelle parisiens (XVll''-XVTll'' siècle), dans Annales de démographie historique, 1995, p. 35-42 ; p. 43-57 et p. 125-135 ; S. Perrier ; Des enfances protégées ; la tutelle des mineurs en France (XVl/''-XV/ lte siècles), Saint Denis, 1998 ; V. Gourdon, Les mécanismes différentiels de mobilisation familiale autour des orphelins : l''exemple des grands-parents dans le système de la tutelle au XVIII'' siècle en France, dans J.-P. Bardet, J.-N. Luc, I. Robin-Romero, C. Rollet (dir.), Lorsque l''enfant grandit. Entre dépendance et autonomie, Paris, 2003, p. 307-321.

33 M. Ferro, Diz. ionario ... cit.

34 Novissimum Statutorwn ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 32v.

35 ASV, Giudici di Petiz. ion, Terminaz. ioni, reg. 119, 1591, 18 mai.

36 Ibid., 1592, 17 août.

37 B. A. Hanawalt, Growing up in Medieval London. The Experience of Childhood in History, New York-Oxford, 1993, chap. 6, p. 89-107. Sur les droits respectifs des enfants de premier et deuxième mariage, à Paris, cf. B. Diefendorf, Widowhood and Remarriage in Sixteenth-Century Paris, dans Journal of Family History, winter 1982, p. 379-395.

38 A. Bellavitis, identité, mariage, mobilité sociale ... cit., p. 217-224.

39 Cf., par exemple, ASV, Giudici di Petizion, Terminazioni, reg. 119, 1592, 5 décembre.

40 C''est le cas de Antonio Goreto, ASV, Giudici di Petition, Terminazioni, reg. 119, 1591, 5 mai.

41 Comme pour les restitutions de dots, j''ai étudié quelques années au milieu et à la fin du siècle (1554-56 et 1591-93), ASV, Giudici di Petizion, Terminazioni,

reg. 75 et 119. Dans les registres, les sentences de tutelle sont mêlées à des sentences sur d''autres sujets. Seules les sentences ont été conservées. La vérification des autres séries des archives des Juges de Petition (Suppliche, Lettere) n''a pas permis de retrouver les traces de conflits ou d''autres pièces justificatives présentées dans des dossiers de tutelle.

42 ASV, Giudici di Petitian, Terminaziani, reg. 119, 1591, 17 mai : [ ... ] inviamentum tinctarie cantinuare et cantinuari facere cum illismet madis et canditianibus prout faciebat dictus deffunctus item mercantare et mercantias emere et vendere tam ad tempus quam ad cantatas et ad baratum ipsasque ad diversas mundi partes mittere tam per terram quam per mare cum navis et navigis et galeis ad risigum cammadum et incammadum dicte gubernatianis, ittem quad passit et valeat dare anus exercendi mercatum et etiam inviamentum dicte apathece cuicumque persane quae sibi habilis et idaneis videretur.

43 Cf., par exemple, le cas de Gratiosa Galante, qui demande l''autorisation de recevoir l''héritage laissé à ses enfants par leur grand-mère, Ibid., reg. 119, 1592, 13 aoùt.

44 ibid., reg. 75, f0 91, 1555, 5 septembre.

45 Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., Correzione Erizzo, f0 219 r et v.

46 ASV, Giudici di Petition, Terminazioni, reg. 119, 1592, 16 mai.

47 Ibid., 1592, 20 juillet.

48 Par exemple, Tbid., 1593, 1" février.

49 Cf., pour des données semblables, S. Perrier, Des enfances protégées ... cit.

50 Par exemple, ce tisserand de soie qui demande l''attribution de la tutelle de deux orphelins de sept ans, dont les parents sont morts à l''hôpital des Incurables, ASV, Giudici di Petition, Terminazioni, reg. 119, 1592, 20 avril.

51 À la différence du cas florentin, présenté par G. Calvi, ll contralto morale ...

52 Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 33, 47, 94, 192.

53 ASV, Giudici di Petition, Terminazioni, reg. 119, 1592, 1er avril.

54 Ibid., 1591, 22 mai.

55 Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen... cit., f0 33. Toutefois, selon une autre norme du premier livre des Statuts, pour que le testament d''un mineur de dix-huit ans ait une validité juridique, il fallait la présence de deux Juges de l''Esaminador, ibid., livre 1 ''", chap. 38, t° 19t-20.

56 R. Saller, Strategie romane per l''eredità ... cit., p. 49. Sur les droits des enfants mineurs, cf. R. Metz, L''enfant dans le droit canonique médiéval. Orientations de recherche et J. Yver, La suspension des actions en période de minorité en France et son effacement progressif (XII/''-XVI'' siècles), dans Société Jean Bodin pour l''histoire comparative des institutions, L''enfant. Europe médiévale et moderne ... cit., p. 9-96 et p. 183-249.

57 Cf. D. Alexandre-Bidon, Seconde enfance et jeunesse dans la théorie des " âges de la vie » et le vécu familial (XIII''-début XVI'' siècle}, dans J.-P. Bardet, J.-N. Luc, 1. Robin-Romero, C. Rollet, Lorsque l''enfant grandit ... cit., p. 159-172 ;

58 Cf. S. Hanley, Engendering the State ... cit ; A. L. Erickson, Women and Property ... cit. ; S. Cavallo, Le emancipazioni : una fonte per la studio dei rapporti intergenerazionali ?, à paraître dans A. Bellavitis, I. Chabot (dir.), Famiglie e poteri in ltalia ... cit. Sur les âges de la vie et la construction de l''identité masculine, cf. A. Arru (dir.), La costruzione dell''identità maschile nell''età modema e contemporanea,

la settimana di studi del Dottorato di ricerca in Storia della famiglia e dell''identità di genere, Rome, 2001.

59 C. R. Corley, Entre le droit et la pratique, un exemple dijonnais : les donations à cause de mort et l''âge de la majorité, XV/''-XV/ l/'' siècles, dans J.-P. Bardet,

J.-N. Luc, I. Robin-Romero, C. Rollet, Lorsque l''enfant grandit ... cit., p. 341-347.

60 S. Chojnacki, Measuring Adulthood : Adolescence and Gender, dans Id.,

Women and Men ... cit., p. 185-205.

61 Tbid. ; la loi se trouve dans G. Bistort, Tl magistrato alle pompe nella Repubblica di Venezia. Studio storico, Venise, 1912, p. 324. Sur les âges de la vie, pour les femmes, cf. S. Seidel Menchi, La fanciulla e la clessidra. Note sulla periodizzazione della vita femminile nelle società preindustriali, dans S. Seidel Menchi, A. Jacobson Schutte, T. Kuehn, Tempi e spazi di vita femminile tra medioevo ed età modema, Bologne, 1999, p. 105-154.

62 Ibid., p. 141.

63 Cémancipation à Venise nécessite d''une recherche particulière. Sur l''émancipation à Florence, cf. T. Kuehn, Emancipation in Late Medieval Florence, New Brunswick, 1982.

64 Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 19, Livre 1, ch. 37.

65 ASV, Giudici di Petition, Tenninazioni, reg. 119, 1592, 27 mai.

67 Ibid., 1592, 3 juin.

1 A. Tenenti, Il senso della morte e l''amore della vita ne ! Rinascimento (Francia e ltalia), Turin, 1957.

2 P. Ariès, Essais sur l''histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours,

Paris, 1975 ; Id., L''homme devant la mort, Paris, 1977.

3 M. Vovelle, Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle.

Paris, 1973.

4 P. Chaunu, La mort à Paris, 16", 17", 18" siècles, Paris, 1978. Pour une étude très intéressante concernant les villes de la Terre ferme vénitienne à l''époque de la Réforme catholique, cf. S. Lavarda, L''anima a Dio e il corpo alla terra. Scelte testamentarie nella terraferma veneta (1575-1631), Venise, 1998.

5 J. Chiffoleau, La comptabilité de l''au-delà. Les hommes, la mort et la religion dans la région d''Avignon à la fin du Moyen Âge, Rome, 1980.

6 Pour une synthèse des critiques adressées à cette approche et pour une revue critique de l''historiographie utilisant le testament comme source cf. L. Guzzetti,

Testamentsforschung in Europa seit den 70"" Jahren des 20. Jahrhunderts : bibliographischer Überlick, dans M. Herzog, C. Hollberg (dir.), Seelenheil und irdischer Besitz. Testamente als Quellen fur den Umgang mit den «letzten Dingen » , Constance, 2007, p. 17-33.

7 M.-T. Lorcin, Vivre et mourir en Lyonnais à la fin du Moyen Âge, Lyon, 1981 ; A.-M. Landès-Mallet, La famille en Rouergue au Moyen Âge (1269-1345), Rouen, 1985 ; S. K. Cohn, J r., Death and Property in Siena, 1205-1800. Strategies for the Afterlife, Baltimore-Londres, 1988. En tant qu''acte notarié, le testament est aussi central dans les études, très importantes en France, d''histoire de la pratique no

tariale : B. Vogler (dir.), Les actes notariés ... cit. ; J.-P. Poisson, Notaires et société. Travaux d''histoire et de sociologie notariales, Paris, 1985 ; F.-J. Ruggiu, S. Beauval et, V. Gourdon (dir.), Liens sociaux et actes notariés dans le monde urbain en France et en Europe, Paris, 2004, et notamment J.-L. Laffont, L''exploitation des archives notariales en France. Jalons historiographiques, p. 17-73 et sur les testaments surtout p. 39-43 ; ainsi que tous les titres de la collection d''histoire notariale des Presses Universitaires du Mirail (Toulouse) et notamment J.-L. Laffont (dir.), Notaires, notariat et société sous l''Ancien Régime. Actes du Colloque de Toulouse, 15-16 décembre 1989, Toulouse 1990 ; Id., (dir.), Problèmes et méthodes d''analyse historique de l''activité notariale (XV-XIX'' siècles). Actes du Colloque de Toulouse, 15-16 septembre 1990, Toulouse 1991 ; G. Audisio (dir.), L''historien et l''activité notariale. Provence, Vénétie, Égypte, XV-XVUI'' siècles, Toulouse, 2005.

8 Sur le testament en droit romain, cf. R. P. Saller, Strategie romane per l''eredità ... cit. Sur le testament en tant qu''acte religieux dans l''Europe médiévale, cf.

F. Bougard, C. La Rocca, R. Le Jan (dir.), Sauver son âme et se perpétuer ... cit. ; sur la «renaissance » du testament, en Provence, cf. J. Chiffoleau, La comptabilité de l''au-delà ... cit.

9 Cf. F. G. Gonzàlez, Las estrategias de la difèrencia. Familia y reproducciôn social en la Sierra (Alcaraz, siglo XVIII), Madrid, 2000, p. 170, note 24.

10 Cf. Société Jean Bodin pour l''histoire comparative des institutions, Actes à cause de mort, vol. 2-3, Europe médiévale et moderne, Bruxelles, De Boeck Université, 1993 et en particulier, pour la différence entre «pays de coutume » et «pays de droit écrit » , M. Petijean, L''acte à cause de mort dans la France coutumière du Moyen Âge à l''époque moderne, vol. 2, p. 85-127 et J. Pournarède, Le testament en France dans les pays de droit écrit du Moyen Âge à l''époque moderne, p. 129-152. Pour les conséquences de la succession cf. P. Arsac, Le règlement des dettes successorales dans les coutumes rédigées, Paris-La Haye, 1972.

11 Cf. D. Courtemanche, OEuvrer pour la postérité. Les testaments parisiens des gens du roi au début du XV siècle, Paris, 1997.

12 M. Howell, The marriage exchange ... cit.

13 Cf. l''étude classique de J. Yver, Égalité entre héritiers et exclusion des enfants dotés. Essai de géographie coutumière, Paris, 1966 ; cf. aussi A. Fauve-Chamoux,

Mariages sauvages contre mariages-souches : la guerre des cadets, dans M. Segalen, G. Ravis-Giordani, Les cadets, Paris, 1994, p. 181-194.

14 M. Ferro, Dizionario ... cit., sub voce ; Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 151. Ces testaments, dits «per breviario » , étaient validés par la magistrature des Giudici dell''Esaminador : encore une source très prometteuse qu''il faudra un jour étudier.

15 Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 149.

17 ASV, NT, b. 79, n. 393, 1537, 5 août.

18 Novissimum Statutorum ac Venetarum Legum Volumen ... cit., f0 276, 1532, 25 janvie1 : La concomitance de cette réforme avec !'' Édit de Villers-Cotteret laisse à penser qu''il s''agit d''un phénomène européen.

19 Pour des travaux utilisant les testaments comme source principale, cf. E. Garino, Testamenti e famiglia a Venezia nel Settecento : prime approssùnazioni,

dans Atti dell''Istituto Veneto di Scienze Lettere e Arti, vol. 137, 1979, p. 221-242 ; Id.,

lnsidie fàmiliari. Il retroscena della successione testamentaria a Venezia alla fine del XVTII secolo, dans G. Cozzi (dir.), Stato, società e giustizia ... cit., vol. 2, p. 301-378 ; L. Guzzetti, Venezianische Vermachtnisse. Die soziale und wirtschaftliche Situation von Frauen im Spiegel spatmittelalterlicher Testamente, Stuttgart-Weimar, 1998 ; Ead., Le donne a Venezia nel XIV secolo : uno studio sulla loro presenza nella società e nella famiglia, dans Studi Veneziani, 35, 1998, p. 15-88. Pour des travaux faisant une utilisation importante des testaments, cf. entre autres, D. Romano, Patricians and Popolani. The Social Foundations of the Venetian Renaissance State, Baltimore, 1987 ; P. Braunstein, Cannaregio, zane de transit ?, dans D. Calabi, J. Bottin (dir.),

Les étrangers dans la ville ... cit., p. 159-169 ; S. Chojnacki, Women and Men ... cit. ; V. Hunecke, Il patriziato veneziano alla fine della Repubblica ... cit.

20 Toutes les recherches s''accordent sur ce point, cf., pour le cas vénitien, R. C. Mueller, Sull''establishment bancario veneziano. Il banchiere davanti a Dio (secoli XIV. XV), dans G. Borelli (dir.), Mercanti e vita economica nella Repubblica Veneta, sec. Xlll-XVJJJ, 2 vol., Vérone, 1985, vol. I, p. 47-106.

21 Sur le rôle du notaire, cf. C. Dolan, La famille, le notaire et la ville ... cit.

22 J. C. Davis, Una fàmiglia veneziana e la conservazione della ricchezza : i Donà dal 1500 al 1800, Rome, 1981 ; G. Gullino, / Pisani dal Banco e Moretta. Storia di due fàmiglie veneziane in età moderna e delle loro vicende patrimoniali tra 1700 e 1836, Rome, 1984 ; G. Busetto, M. Gambier (dir.), / Querini Stampalia. Un ritratto di famiglia nel Settecento veneziano, Venise, 1987 ; R. Derosas, La crisi del patriziato corne crisi del sistema familiare : i Foscarini ai Carmini nel seconda Settecento,

dans Studi veneti offerti a Gaetano Cozzi, Venise 1992, p. 309-331 ; L. Casella,/

Savorgnan. La famiglia e le opportunità del potere, Rome, 2003.

23 Cf. G. Bellavitis, Palazzo Giustinian Pesaro, Vicence, 1975 ; E. Bassi, L. Parenti, F. Posocco, C. Uberti, Palazzo Ferro Fini, Venise, 1989 ; M. Gemin, F. Pedrocco, Ca'' Vendramin Calergi, Milan, 1990 ; G. Romanelli, Ca'' Corner della Ca'' Granda, Venise, 1993 ; F. Amendolagine, S. Barizza, R. De Feo, S. Moretti, Palazza Bonfadini-Vivante, Venise, 1995 ; G. M. Pilo, L. de Rossi, D. Alessandri, F. Zuanier,

Ca'' Foscari, Venise, Marsilio, 2005 ; P. Fortini Brown, Private Lives in Renaissance Venice : Art, Architecture and the Family, New Haven et Londres, 2004 ; Ead., The Venetian Casa, dans M. Ajmar-Wollheim, F. Dennis (dir.), At Home in Renaissance ltaly, Londres, 2006, p. 50-65.

24 J''ai utilisé l''édition italienne, Il patriziato veneziano alla fine della Repubblica ... cit.

25 Mots que l''on retrouve dans les titres de deux ouvrages de synthèse, P. Braunstein, Venise 1500 ... cit. ; E. Crouzet-Pavan, Venise triomphante, Paris, 1998.

26 M. Berengo, Nobili e mercanti ... cit., p. 12.

27 V. Hunecke, Il patriziato veneziano ... cit., p. 298.

28 Hunecke cite, sur le sujet, R. Derosas, I Querini Stampalia. Vicende patrimoniali dal Cinque all''Ottocento, dans G. Busetto, M. Gambier, I Querini Stampalia ...

cit., p. 43-87.

29 Ibid .. 3° Cf. R. Finlay, Politics in Renaissance Venice, New Brunswick, 1980.

31 S. Chojnacki, Women and Men ... cit.

32 V. Hunecke, Tl patriziato veneziano ... cit., ch. VI, «Casa, fraterna e ménage", p. 295-373. Sur la frérèche comme organisation familiale typique du monde méditérranéen, cf. A. Marchini, La question des cadets vue depuis la Méditerranée : fiction récente ou subtile réalité, dans M. Segalen, G. Ravis-Giordani, Les cadets ...

cit., p. 121-138.

33 La littérature sur le sujet est très vaste, à partir des travaux de D. Beltrami,

La penetrazione economica ... cit. ; pour une synthèse récente, cf. G. Gullino,

Quando il mercante costrui la villa ... cit.

34 Sur le caractère non «absolu", et de choix temporaire que peut représenter le fidéicommis, cf. G. Delille, Familles et propriétés ... cit.

35 M. Chojnacka, Working Women ... cit., p. 13.

36 V. Hunecke, Tl patriziato veneziano ... cit.

37 Pour des synthèses récentes, cf. G. Bouchard, La reproduction familiale en terroirs neufs. Comparaison sur des données québécoises et françaises, dans Annales E. S. C., mars-avril 1993, p. 421-451 ; B. Derouet, Territoire et parenté. Pour une mise en perspective de la communauté rurale et des formes de reproduction familiale, dans

Annales H. S. S., mai-juin 1995, p. 645-686 ; G. Bouchard, J. Goy, A.-L. Head-Konig (dir.), Nécessités économiques et pratiques juridiques : problèmes de la transmission des exploitations agricoles (XVlli''-XX'' siècles), Actes de la session C33 du XI'' Congrès de l''Association Internationale d''histoire économique (Milan, 11-16 septembre 1994), Rome, MEFRIM, 110, 1998 et, pour une discussion méthodologique notamment B. Derouet, J. Goy, Transmettre la terre. Les infiexions d''une problématique de la différence, p. 117-153 ; G. Bouchard, J. A. Dickinson, J. Goy (dir :), Les exclus de la terre en France et au Québec, XVTT''-XX'' siècles. La reproduction familiale de la différence, Sillery (Québec), 1998. Parmi les travaux devenus des «classiques » sur la question, A. Collomp, La maison du père. Famille et village en Haute-Provence aux XVIl'' et XVJJJe siècles, Paris, 1983 ; A. Zink, L''héritier de la maison. Géographie coutumière du Sud-Ouest de la France sous l''Ancien Régime, Paris, 1993.

38 Cf. pour des exemples des résultats de ces rencontres, J. Goody, J. Thirsk, E. P. Thompson (dir.), Family and Tnheritance : Rural Societies in Western Europe, 1200-1800, Cambridge (Mass.)-Londres-New York, 1976 ; G. Augustins, Comment se perpétuer ? ... cit.

39 Fondamentaux, pour la France, les travaux de Jean Yver et, notamment,

Essai de géographie coutumière ... cit. et leur utilisation par les historiens, notamment : E. Le Roy Ladurie, Système de la coutume. Structures familiales et coutumes d''héritage en France au XV['' siècle, dans Annales E. S. C., 34 (4-5), 1972, p. 825-846. 4° Cf. notamment J. Goody, S. J. Tambiah, Bridewealth and dowry, Cambridge, 1978 ; D. Owen Hughes, From brideprice ta dowry in Mediterranean Europe, dans

Journal of Family History, 7, 1978, p. 7-43 ; G. Ravis-Giordani, Femmes et patrimoine dans les sociétés rurales de l''Europe méditerranéenne, Actes de la table ronde

de Marseille, Paris, 1987 ; et A. Groppi, G. Houbre, Femmes, dots et patrimoines ...

cit. Jack Goody est récemment revenu sur la question dans Famille et mariage en Eurasie ... cit.

41 C. Klapisch-Zuber, La maison et le nom ... cit ; G. Calvi, I. Chabot, Le ricchezze delle donne ... cit. ; A. Arru, L. Di Michele, M. Stella, Proprietarie ... cit. ; I. Chabot, La dette des fàmilles. Femmes, lignages et patrimoines à Florence aux XIV'' et XV siècles, à paraître.

42 Le titre italien du livre de G. Levi Le pouvoir au village. Histoire d''un exorciste dans le Piémont du XVIJ'' siècle, Paris, 1989, était L''eredità immateriale. La citation est tirée de la quatrième de couverture de l''édition italienne.

43 P. Grendler, La scuola nel Rinascimento italiano, Bari, 1991, p. 50-51 ; sur les écoles à Venise, cf. aussi V. Baldo, Alunni, maestri e scuole in Venezia alla fine del XVI secolo, Coma, 1977 ; G. Ortalli, Scuole, maestri e istruzione di base tra Medioevo e Rinascimento, Vicence, 1993.

44 Sur les couvents féminins à Venise, cf., entre autres, J. G. Sperling, Convents and body politics ... cit. ; M. Laven, Virgins ofVenice. Enclosed Lives and Broken Vows in the Renaissance Convent, Londres, 2002 et, plus en général, G. Zarri, Recinti. Donne, clausura e matrimonio nella prima età modema, Bologne, 2000. Sur les femmes et la lecture, T. Plebani, Il «genere » dei libri. Starie e rappresentazioni della lettura al femminile e al maschile tra Medioevo e età moderna, Milan, 2001.

45 P. Grendler, La scuola nel Rinascimento ... cit., p. 111-112.

46 Cf. F. Lepori, La Scuola di Rialto dalla fondazione alla metà del Cinquecento,

dans G. Arnaldi, M. Pastore Stocchi (dir.), Storia della cultura veneta. Dal primo Quattrocento al Concilia di Trento, vol. 3/ Il, Vicence, 1980, p. 539-605.

47 Cf. G. Trebbi, Le professioni liberali, dans A. Tenenti, U. Tucci (dir.), Storia di Venezia, vol. TV, Il Rinascimento. Politica e cultura, Rome 1996, p. 465-527.

48 ASV, NT, b. 194, n. 443, 1589, 15 juin, Friziera Frizier épouse de Piero Grataruol.

49 P. Labalme, Venetian Women on Women : Three Early Modern Feminists, dans

Archivio Veneto, Sa serie, CXVII, p. 81-109 ; M. King, Le donne nel Rinascimento,

Rome-Bari, 1991 ; L. Panizzi, Women in ltalian Renaissance Culture and Society,

Oxford, 2000.

50 Sur l''apprentissage à Venise, je renvoie à mes articles, Le travail des femmes

... cit. et Apprentissages masculins, apprentissages féminins ... cit.

51 S. Cerutti, La ville et les métiers. Naissance d''un langage corporatif (Turin, l 7''-18'' siècle), Paris, 1990, p. 170.

52 L. Firpo (éd.), Ambasciatori veneti in lnghilterra, Turin, 1978, p. 20, qui cite les remarques de l''ambassadeur vénitien à Londres Andrea Trevisan, en 1498. Les recherches sur l''apprentissage en Angleterre sont très nombreuses. Sur l''apprentissage comme moyen de mobilité sociale, surtout au XVI" siècle, cf. C. Brooks,

Apprenticeship, Social Mobility and the Middling Sort, 1550-1800, dans J. Barry, C. Brooks (dir.), The middling Sort of People. Culture, Society and Politics in England, 1550-1800, Londres, 1994, p. 52-83.

53 Cf. M. Barbagli, Sotta la stesso tetto ... cit., p. 226.

54 Cf. G. Levi, Carrières d''artisans et marché du travail à Turin (XVII/''-X/ X'' siècle),

dans Annales E. S. C., 45/ 6 (1990), p. 1351-1366 ; S. Cavallo, Métiers apparentés : barbiers-chirurgiens et artisans du corps à Turin (XVIl"-XVIII'' siècle), dans Histoire Urbaine, 15, avril 2006, p. 27-48.

55 Une définition que j''emprunte à J. Barry, C. Brooks (dir.), The middling Sort

People ... cit. et qui était utilisée en Angleterre au XVIIe siècle. Daniel Defoe utilisait l''expression «middle station » , cf. P. Earle, The making of the English Middle Class. Business, Society and Family Life in London, 1660-1730, Londres, 1989, p. 3.

56 Selon la définition donnée par J. W. Scott dans un texte fondateur, Gender. A Useful Category for Historical Analysis, dans American Historical Review, 91 (1986), p. 1053-1076.

57 Cf. A. Groppi, Le genre comme outil pour penser le travail : quelques remarques en marge du cas italien ... cit. ; G. Calvi (dir.), Innesti ... cit.

58 A. Bellavitis, identité, Mariage, mobilité sociale ... cit. Sur les titulatures, cf. F. Cosandey (texte réunis par), Dire et vivre l''ordre social en France sous l''Ancien Régime, Paris, 2005.

59 G. Levi, Le pouvoir au village ... cit. 6°

Cf. J. Revel (dir.), Jeux d''échelles. La micro-analyse à l''expérience, Paris, 1996.

61 Cf. P.-A. Rosental, Les sentiers invisibles. Espace, familles et migrations dans la France du 19'' siècle, Paris, 1999, notamment l''introduction, p. 7-23.

62 G. Delille, Pouvoir central et pouvoir local... cit. Introduction, p. 19.

63 La littérature sur le problème des catégories sociales est désormais très importante et très riche, cf. pour une synthèse récente, cf. «À propos des catégories sociales de l''Ancien Régime » , introduction à F. Cosandey (texte réunis par), Dire et vivre l''ordre social ... cit., 9-43.

64 Sur l''histoire «vue du milieu » , en opposition à l''histoire «vue d''en bas » ou

«d''en haut » , cf. J. Barry, Introduction à J. Barry, C. Brooks (dir.), The middling sort of people ... cit., p. 27.

65 Citation de Jacques Savary (1741), tirée de A.-F. Garçon, La boutique indécise. Réflexions autour de «ces corps qui sont regardés comme mixtes, c''est-à-dire

qu''ils tiennent du marchand et de l''artisan » , dans N. Coquery (dir.), La boutique et la ville. Commerces, commerçants, espaces et clientèles, XVI''-XX'' siècle, (Actes du colloque du 2-3-4 décembre 1999, Université François Rabelais), Tours, 2000, p. 45-62.

66 Cf. R. Goldwaithe, Wealth and the Demand for Art ... cit ; L. Jardine, Wordly Goods, Londres, 1996 ; sur les merciers à Paris au XVIII'' siècle, cf. D. Roche,

La culture des apparences. Une histoire du vêtement, XVIl''-XVlll'' siècle, Paris, 1989 ; C. Sargentson, Merchants and Luxury Markets. The Marchands Merciers of Eighteenth-Century Paris, Londres, 1996.

1 Sur les problèmes de définition et d''identification du «peuple » , voir, entre autres, D. Roche, Le peuple de Paris, Paris, 1981, p. 67-74 ; sur les artisans dans l''espace urbain, cf., entre autres, G. Crossick (dir.), The Artisan and the European Town, 1500-1900, Aldershot, 1997 ; M. Berengo, L''Europa delle città. Il volta della società urbana europea tra Medioevo ed Età moderna, Turin, 1999 ; J. Farr, Artisans in Europe, 1300-1914, Cambridge, 2000 ; J.-L. Pinol (dir.), Histoire de l''Europe urbaine,

vol. 1, Paris, 2003 ; M. Arnoux, P. Monnet (dir.), Le technicien dans la cité en Europe occidentale 1250-1650, Rome, 2004.

2 ASV, NT, b. 780, 1562, 3 avril, «Zuan Jacomo quondam ser Marin botter, de confin de Santo Iseppo » .

3 AS\/, NT, b. 164, 490, 1584, 19 juin, «Zuanne quondam Antonio dela Bercha, bastaso a doana da terra » (porteur à la douane de terre).

4 AS\/, NT, b. 782, 723, 1548, 12 juillet, «Manfredo quondam Gasparo de Richalbon, bastaso » (porteur).

5 ASV, NT, b. 783, 1170, 1570, 29 janvier, «Vicenzo quondam ser Bartholomio samiter ditto Burlegni della contrada di San Thomà » .

6 ASV, NT, b. 782, 848, 1556, 19 mars.

7 ASV, NT, b. 780, 1542, 18 août, «Francesco di Bravieri toscan, fiol de ser Jacopo de la contrà de S. Agnese [ ... ] perché occorendo il caso della morte mia non posso saper dove possi render il spirito andando per longo viazo » .

8 ASV, NT, b. 421, 1143, 1556, 11 octobre, «Jacomo quondam ser Piero da Piasenza marangon in contrà San Moisè » .

9 ASV, NT, b. 165, 666, 1568, 17 avril, «Matio quondam Giacomo Mazuchello murer de Bergamo » (maçon).

10 ASV, NT, b. 780, 1570, 20 avril, «Zuanmaria quondam ser Christi □ di Maiti da Bergamo murer della contrada di San Stai [ ... ] io non ho né ho mai avuto moglier né fioli » .

11 ASV, NT, b. 780, 1566, 2 octobre, «Hieronimo quondam ser Michiel de Rizzobello marangon in Arsenal » .

12 ASV, NT, b. 192, 183, 1538, 1538, 10 décembre, «Antonio Salvazo fo de messer Francesco dela contrà di S. Croce » .

13 ASV, NT, b. 780, 1566, 21 octobre, «Zuane quondam Antonio Barela de val Saxena, ducato de Milan, favro in Arsenal [ ... ] mi ritrovo haver uno fradello nominato Zorzi qual si retrova in quella nostre bande di Val Saxena, con questo mio fratello non son mai venuto a partison alcuna di nostri beni, et ditto mio fratello

ha cinque fioli mascoli, tra li quali vi è maistro Symon favro a San Zuane decolado, questo Symon fiol del ditto Zorzi mio fratello, voglio et ordino se Dio facesse cosa alcuna de mi, che dapoi la mia morte l''entri in mio pe et possi partir corne sel fusse fratelo tutti li nostri beni con ditto Zorzi mio fratello, et questo el facio per esser lui cargo de fie » .

14 ASV, NT, b. 783, 1102, 1570, 26 mars.

15 ASV, NT, b. 779, 1570 27 janvier, «Domenego quondam ser Bernardin di Stephani garzaruol della contrada di San Barnaba [ ... ] Tutto il resto del mioche si ritrova in casa de Greguol remer, sia di esso Greguol et de Diana in compagnia, ma che Greguol sia il capo che loro < lui facio mei universali heredi di ogni cosa perché niuno ho al mondo, salvo solo Dio et la Verzene Maria » .

16 ASV, NT, b. 780, 1570, 20 avril. On peut, bien sûr, s''interroger sur les véritables relations existantes entre ces trois personnes, mais nous n''avons aucun élément de réponse.

17 ASV, NT, b. 780, 1542, 18 août ; 1545, 14 septembre, «Francesco Ottobon fiol de ser Marco de Francho calafao in Arsenal habitante in Monfalcon, al presente existente in Muran » .

18 ASV, NT, b. 783, 1169, 1568, 10 mai, «maistro Vido taiapiera quondam ser Alvise dal legname della contrada di San Thomà [ ... ] per queste pute che non vadino de mal, et che anche Zaneta sua moglier governi zoè che non vada de mal la

mia roba, altro non voglio ordenar quel che si troverà del mio le haverà et che se governino. Interrogato da] nodaro di hospedali et cose pie respondo non scio che più bel hospedal di elle che sono poverete et mendiche » .

19 ASV, NT, b. 782, 739 et 766, 1556, 10 février ; 1558, 30 janvier ; 1559, 18 février ; 1565, 23 octobre, «Marco quondam ser Rado ditto Galante toscan della contrada de San Bartolomeo » .

20 ASV, NT, b. 780, 1570, 21 juillet, «Domenego Rocheto de messer Antonio pesador de Comun alla staiera della contrada di San Polo[ ... ] perché non ho beni

paterni né materni lasso mia moglier Chiara Paliaga clona et madona et patrona de tutto el mio pocho haver per haversi lei zà sedese anni fatichato con mi con amorevolezza ad acquistar quello che mi attrovo » .

21 AS\/, NT, b. 783, 1097, 1543, 25 juillet, 1544, 14 septembre, «Sebastian de Baptista laner della contrà de San Raphael » .

22 ASV, NT, b. 783, 1243, 1571, 1 décembre, «Pietro Gabato fu de ser lseppo patron de barche da Vicenza della contrada di San Panthalon [ ... ] a Hisabetha mia moglier lasso ch''el habbi per sua dote lire tresento de pizoli perché più non ho ha

vuto seben li haveva fatto una carta di dote de ducati tresento. adesso mo'' la taglio et se mio fradello la vorrà tenir in casa et farli bona compagnia sarà contento et in

caso che la non staghi in casa, voglio ch''el ge dagha diese ducati all''anno fora di

casa per diese anni sel ge parerà che la remetto a lui" ·

23 ASV, NT, b. 780, 1562, 15 mai.

24 ASV, NT, b. 421, 1126, 1567, 7 décembre, «Zuan Mariaquondam ser Zuanne de Seravalle marangon a S. Paternian".

25 ASV, NT, b. 782, 884, 1570, 10 août, «mastro Anzolo de Piera da Rovana de Bressana favro in contrada de San Raphael » .

26 ASV, NT, b. 782, 735, 1544, 26 février, «Maphio de Manzon da Leco batifero [ ... ] le done che sono le più vechie habino a star al governo dela casa » .

27 ASV, NT, b. 782, 944, 1544, 3 septembre, «Andrea Trivisan barcharuol al ponteselo della riva del carbon de la contrà de Santo Aponal » .

28 ASV, NT, b. 780, 1547, 20 avril, «Zuane de Masoto da Trento bastaso in Fontego di Todeschi della contrà de San Zuane Grisostomo » .

29 ASV, NT, b. 444, 19, 1587, 30 août.

30 ASV, NT, b. 783, 958, 1572, 2 septembre, «Antonio quondam ser Jacomo da Maso Milanese laner » .

31 ASV, NT, b. 780, 1550, 18 juillet, Jacomo ditto frate portador de vin della contrà di Santa Marina[ ... ] sono circa diese anni che in questa mia vechiezza et nelle mie malatie sono sta governato, vestido et dato da magnar et trattato da vero padre da questo mio fio Antonio, et da l''altro mio fio chiamato Sebastian, se ho disnato o havuto qualche pastizuol ta] volta, non ho cavato ne havuto di altri governi et mi par honesto che anche mi li daghi del mio a chi mi ha fatto et fa del ben et perho ve ho chiamato et ve dico che a ditto Antonio facio donation de tutto el mio quel pocco che ho, solamente lasso a Sebastian ducati cinque » .

32 ASV, NT, b. 417, 216, 1555, 9 octobre, «Bartolomio Maldestro quondam

Michiel piater da legni » .

33 ASV, NT, b. 783, 1109, 1557, 4 octobre, Bartholarnio di Moreti da Zanga bergarnasco fo de ser Sandrin altre volte sarniter al presente habitante in contrada di San Luca[ ... ]. Lasso mia rnoglier Catherina dona et rnadona de tutta la roba che ho in casa che ho guadagnato mi che la sia tutta sua insieme con le putte si de l''una corne di l''altra rnia rnoglier » .

34 ASV, NT, b. 783, 1034, 1565, 20 juillet, «Polidoro da Lanzan depentm ; quondam

ser Paulo della contrada de San Panthalon, «che la debbi governar li nostri fioli che haverno insierne et anche Zanpaulo che ho con l''altra rnoglier et etiarn el suo che lei ha con l''altro suo rnarido, et che tutti debino star a sua obedientia » .

35 ASV, NT, b. 779, 1564, 30 novembre, «maistro Christophoro quondam ser Francesco di MazoJeni della valle di S. Martin, favro in contrada di S. Anzolo [ ... ] el si ritrova uno zovene de circa ventitre anni fiai della quondam Cecilia fu già mia arnica et poi in ultirna rnia rnoglier perché io la sposai, questo puto non l''ho per rnio ancorché da pizolo in suso io lo chiarnato per fio » .

36 ASV, NT, b. 165, n. 663, 1560, 19 septembre, «Maffia de Jacomo di Morelli de Ceretto val Seriana de sopra » .

37 ASV, NT, b. 783, n. 996, 1571, 22 juillet, «Nicolà di Garosi barbier al ponte di frati fu del quondam Gasparo della contrada di San Polo [ ... ]. Il restante di

quello mi ritrovo haver et di tutto quello che io potesse o potrà ordinar, voglio sia diviso zustamente tra tutti quelli mei fioli che si ritroverano si mascoli corne femine, siano o non siano mei fioli et se le femine fusseno maridate o monache se intendino haver habuto la sua parte : item voglio che ad Antonia rnadre di mei fioli li sia lassata tutta la roba che io li ho fatto, et che la si ha fatto lei per suo uso, et li sia dati ducati cento da L. 6 s. 4 l''uno per sua mercede et per il lattar di sui fioli che sono vivi et morti, li vivi sono prima Maria, Zambatista, Lutia et Francesco, voglio che queste quattro creature siano o non siano mei fioli, siano in solido con ditto Gasparo sia o non sia mio fiolo et tutti cinque al partir zustamente da bonissimi fratelli et sorelle che messer Dornenedio i conservi in santa pace » .

38 G. Levi, Reciprocidad mediterranea, dans R. Ago, The value of Norms ... cit., p. 37-71, citation à la p. 39.

39 ASV, NT, b. 783, n. 1007, 1554, 15 juillet ; n. 1008, 1555, 12 juin.

40 ASV, NT, b. 782,922, 1572, 18 septembre, «maistro Zorziquondam Heleno de Cargna della villa de Lorenzas della pieve de Tolmezo, tesser de telle et de

fustagni de la contrada della Crose [ ... ] et che possino ditte donne lavorar et far lavorar dell''arte, né mai li siano cavati li beni dalle mano fino che siano satisfatte de quanto li lasso » .

41 ASV, NT, b. 783, 1015, 1548, 14 mars, «Rocho Trivisan navigantequondam

ser Hieronimo Bianchato della contrà di San Trovaso [ ... ] il resto de tuti li mei pochi beni mobili che stabeli non ho et di ogni et qualunque sorte che a me spetar et pervenir potesset lasso a Marietta mia fiola accio la si possi accompagnr corne rneglio a Dio piacerà » .

42 S. Cohn, Death and Property ... cit., p. 130-132.

43 ASV, NT, b. 779, 1572 24 février, «Domenego quondam ser Baptista da Saravalle ditto Zancho navigante della contrada di San Polo » .

44 ASV, NT, b. 393, 507, 1587, 25 mai, «Zuane de Polo tentor a San Beneto » .

45 ASV, NT, b. 783, 1105, 1573, 16 septembre, «Stephano di Vidali barbier, fo de ser Francesco della contrada di San Panthalon [ ... ] lasso a madona Catherina moglier del ditto messer Antonio Dalpho che li sian dati ogni anno invita sua stara tre vinitiani de forrnento et una bota de rnastelli diese de bon vino per haver levado et ben governado mio fiol Francesco » .

46 ASV, NT, b. 783, 1033, 1566, 24 août ; 1146, 1566, 23 et 25 août.

47 S. Cohn, Death and Property ... cit., p. 132-135.

48 Sur l''importance des liens «horizontaux » et de voisinage dans les familles d''artisans, cf. S. Cavallo, L''importanza della «famiglia orizzontale » nella storia della famiglia italiana, dans I. Fazio, D. Lombardi (dir.), Generazioni. Legami di parentela tra passato e presente, Atti del convegno, Pisa, 29 settembre-1 ottobre 2005, Rome, 2006, p. 69-92.

49 ASV, NT, b. 782, 933, 1558, 8 janvier, «maistro Andrea del quondam ser Francesco da Rezo, barbier in contrada de San Jacomo de l''Orio » .

50 ASV, NT, b. 782,918, 1571, 17juin, «Gasparoquondam serZuanedeZuane grixon, scalletter della contrada di San Sten [ ... ] delle poche strazza de rnobele corne delli aviarnenti delle due botege che è questa in San Sten et l''altra a San Baseio et finalrnente di ogni altra sorte beni che ho et che in cadauno modo mi potesse esser lassato da chi si voglia, tutto lasso et voglio che sia de la rnia chara madre » .

51 ASV, NT, b. 165, 636, 1566 11 décembre, «Lorenzo de Antonio, sarniter à San Luca » .

52 ASV, NT, b. 783, n. 1066, 1572, 30 septembre, «maistro Santo fustagner

quondam ser Augustin da Cittadella della contrada di San Raphael [ ... ] laso a rnio fio Piero che è zovene de anni 24 et va per el mondo travaiando ducati vinti per reverentia di Dio et corne amorevol padre. Lasso a Orsa di Sardegna rnia presente moglier du cati sesanta che la mi dette di dote » .

53 ASV, NT, b. 783, n. 1055, 1570, 14 septembre, «Sebastian quondam ser Jacomo bergarnasco de Sedrina pettener da lin » .

54 ASV, NT, b. 780, 1566, 22 janvier ; «Zuanne quondam Christin de Barbarela de Grixoni scalleter in contrada di San Trovaso » ; ASV, NT, b. 782, 884, 1570, 10 août, cit.

55 ASV, NT, b. 782, n. 830, 1545, 5 mars, «Bernardin del quondam Bernardino di Gandini batioro della contrada de San Lio » .

56 ASV, NT, b. 783, n. 1037, 1557, 23 octobre, «maistro Paulo quondam ser Zuane da Legnago tesser da panni della contrada di San Jacomo de l''Orio » .

57 Cf. le testament de «Piero quondam Berthelin da Padengo murer del a contrà de San Thomà » , un maçon (ASV, NT, b. 783, 1051, 1574, 5 janvier) ou celui de «Jacomo quondam ser Piero, da Piasenza, marangon » , un charpentier (ASV, NT, b. 421, 1143, 1556 11 octobre), qui laissent leurs outils à leur apprenti.

58 Dans quelques cas, j''ai considéré comme servantes des femmes qui se définissent comme «appartenant » à une maison patricienne, telle Cecilia, «dicte da ca'' da Bembo » , ou Margarita Schiavona, «dicte de ca'' Loredan » , ASV, NT, b. 779, 1562, 28 novembre ; b. 783, 1192, 1558, 19 février. Les autres métiers déclarés sont : sage-femme (2), blanchisseuse, tisserande de soie (3) et teinturière.

59 La bibliographie sur le travail des femmes est très vaste, cf. entre autres, S. Cavaciocchi (éd.), La donna nell''economia, secc. XIII-XVIII, Istituto internazionale di storia economica F. Datini, Prato, Florence, 1990 ; M. Wiesner, Women and Gender in early Modern Europe, Cambridge, 1993 ; A. Groppi, Il lavoro delle donne. Storia delle donne in Italia, Rome-Bari, 1994 ; Ead., Ottica di genere e lavoro in età moderna, dans G. Calvi (die), lnnesti ... cit., p. 259-275.

60 ASV, NT, b. 782, 903, 1549, 17 août. Sur les vols de fil de soie commis par les tisserandes à domicile, cf. L. Molà, Le donne nell''industria serica veneziana del Rinascimento, dans L. Molà, R. C. Mueller, C. Zanier (dir.), La seta in ltalia dal Medioevo al Seicento. Dal baco al drappo, Venise, 1999, p. 423-459.

61 ASV, NT, b. 780, 1555, 30 octobre, Hyppolita épouse de maître Zumian di Marin, tonneliec

62 Sur le service domestique, cf., entre autres, J.-P. Gutton, Domestiques et serviteurs dans la France de l''Ancien Régime, Paris, 1981 ; A. Arru (dir.), 1 servie le serve, Quaderni storici, 2, 1988 ; D. Romano, Housecraft and Statecraft. Domestic Service in Renaissance Venice, 1400-1600, Baltimore-Londres, 1996 ; R. Sarti, Vita di casa. Abitare, mangiare, vestire nell''Europa moderna, Bari-Rome, 1999.

63 ASV, NT, b. 782, 730, 1546, ll décembre.

64 ASV, NT, b. 393, 306, 1578, 5 janvier.

65 ASV, NT, b. 783, 1147, 1553, 10 septembre «Lasso che fino che viverà mio marido lui habbi a galder la mia dote tutta che niuno li habbi a contradir, et drio la sua morte voglio che ogni cosa vada in madona Fiameta Barbara mia fia de latte, che ella habbi a dar diese ducati a mia fia Cecilia moglier de Daniel di Crescendoli de Chiestions, et quai più che parerà ad essa madonna Fiameta, perché la cognosco amorevole verso de mi ; et essa madona Fiameta lasso anche mia commissaria

» . Isabetta, veuve de Piero, batelier, désigne également comme héritière sa fille de lait, mais elle ne parle pas de ses enfants, b. 393, 308, 1575, 16 novembre.

66 ASV, NT, b. 782, 679, 1556, 21 mars.

67 On peut remarquer que dans le patriciat vénitien la mise en nourrice ne semble pas comporter l''éloignement des nourrissons de la maison de leurs parents.

68 ASV, NT, b. 783, 1143, 1566 8 juin : «Lasso tutto quello pocco che ho et quello che debbo haver dal ditto cl. mo ms Bernardo Verrier mio patron et ogni cosa che per lo avenir a me spettar et in me pervenir potesse de ogni sorte beni et per quai si voglia modo o via, a Marieta fia de lseppo Dai Oglio vende a i Carmeni qual io ho et tengo per mia fia senza peccado » .

69 ASV, NT, b. 779, 1551, 31 octobre.

70 ASV, NT, b. 782, 780, 1573, 6 novembre.

71 Jacoma Betignioli laisse une maison dans son village en usufruit à son cousin et en héritage à son patron, NT, b. 780, 1570, 9 mars ; Magdalena Menegin laisse une génisse et un poulain à un oncle, NT, b. 782,736, 1563, 10 août.

72 Une robe rouge en toile des Flandres, dans le testament de Fior Bataia, ASV, NT, b. 780, 1560, 12 juin.

73 ASV, NT, b. 444, 17, 1590, 26 août, Andriana Boatini, veuve du teinturier Antonio Pasotto.

74 ASV, NT, b. 782, 688, 1555, 4 décembre ; b. 783, 1192, 1558, 19 févriec

75 ASV, NT, b. 782,680, 1551, 8 novembre ; b. 754, 1556, 19 juillet.

76 ASV, NT, b. 783, 770, 1556, 17 juillet.

77 ASV, NT, b. 783, 1088, 1550, 8 novembre.

78 ASV, NT, b. 780, 1567, 26 janvier.

79 ASV, NT, b. 782, 1570, 30 janviec

80 ASV, NT, b. 783, 1207, 1574, 19 février.

81 ASV, NT, b. 782, 846, 1543, 6 février, Bona, épouse de Piero Tramezin, maître cordonnier.

82 Cf. ASV, NT, b. 780, Franceschina Sanudo, épouse de Gasparo dal Legname, maître tailleur, 1547, 3 janvier et 1565, 25 juillet.

83 Cf. Caterina Milledonne, épouse de Stefano Vidali, maître barbier, qui déclare, dans son deuxième testament, son «grand âge » , ASV, NT, b. 780, 1572, 14 mars.

84 ASV, NT, b. 393, 302, 1567, 28 janvier, testament de Isabetta Antelmi, épouse d''un peintre.

85 ASV, NT, b. 782, 771, 1555, 8 janvier, testament de Santa, épouse d''un maître fournier. ; b. 780, 1559, 13 juin, testament de Franceschina, épouse d''un tondeur de draps.

86 ASV, NT, b. 783, 1208, 1573, 19 août. Dans un autre testament, l''épouse d''un tondeur de draps laisse ses biens à son «fio de anema » , ASV, NT, b. 780, 1559, 13 juin

87 ASV, NT, b. 780, 1557, 25 juin, Caterina épouse d''Antonio Nigrini, maître patissier.

88 ASV, NT, b. 780, 1570, 10 décembre et 1572, 14 mars, Caterina Milledonne, épouse de Stefano Vidali, maître barbier.

89 ASV, NT, b. 783, 1239, 1568, 5 août, «Paula Surian consorte de messer Sebastian di Bonesi, toscan della contrada di San Panthalon [ ... ] commissario solo lasso ditto mio marido, il quai prego, che cos1 corne li son stata bona serva, ch'' el si ricordi far qualche ben per l''anima mia » .

90 ASV, NT, b. 782, 750, 1572, 4 février, «Betta quondam ser Nicolà barbier moglier de ser Piero Antonio de Zacharia pettenador della contrà de San Pantalon [ ... ] quel pocho che ho si della mia dote corne di ogni altra sorte beni, tutto lo lasso a Piero Antonio mio marido, perché poverhomo l''ha speso et si ha consumado in la mia gran malatia, et desidero che niuno li dia impazzo » .

91 ASV, NT, b. 782, 868, 1559, 15 mars, «Antonia quondam ser Christophoro de Bono cadorin moglier de maistro Zan Maria cimador della contrada di San Stin [ ... ]. Lasso la mia dote et tuto el mio a ditto Zan Maria mio marido con questo ch''el debbi mandar per l''anima mia aile perdonanze solite et ch''el non habbi a molestar mia sorella et mei fradelli di quanti denari mi restano a dare delli imprestadi » .

92ASV, NT, b. 782, 879, 1568, 31 janvier, Antonia, de Vicence, épouse d''un lainier.

93 ASV, NT, b. 779, 1570, 5 févriec

94 Pasqualina Morsi, épouse du peintre Marcantonio de Bonifacio, déclare que son mari lui a accusé réception («fatto carta di dote » ) pour une dot de 150 ducats, qu''il n''a en fait jamais reçue et qu''elle lui laisse en héritage, ASV, NT, b. 783, 1229, 1572, 29 mai.

95 Isabeta Selleri, de Udine, laisse à son mari l''usufruit de sa dot, en précisant qu''après la mort de celui-ci la totalité de «ce qui est dit dans ma carte de dot" doit aller à ses plus proches parents, ASV, NT, b. 779, 1571, 12 novembre.

96 ASV, NT, b. 781, 663, 1572, 27 décembre.

97 ASV, NT, b. 783, 1203, 1547, 3 mars.

98 ASV, b. 782, 821, 1571, 30 janvier. Isabeta, épouse d''un batelier, précise que le mari devra transmettre à ses plus proches parents «le montant décrit dans ma carte de dot » ; mais l''héritage comprenait aussi d''autres biens, non précisés, ASV, NT, b. 779, 1571, 12 novembre.

99 ASV, NT, b. 780, 1572, 27 janvier. Anna, épouse d''un maître cordonnier originaire de Palerme, au contraire interdit à son mari de laisser sa dot à une future épouse, ASV, NT, b. 782, 943, 1544, 3 septembre.

100 ASV, NT, b. 782, 832, 1558, 30 août, Bona, épouse d''un boulanger.

101 ASV, NT, b. 782, 932, 1555, 9 mai.

102 ASV, NT, b. 782, 903, 1549, 17 août.

103 ASV, NT, b. 782, 712, 1569, 29 mai.

104 ASV, NT, b. 782, 816, 1542, 7 octobre.

105 ASV, NT, b. 780, 1549, 8 décembre, testament de Hisabetta, épouse de maître M. Antonio tailleur ; b. 783, 955, 1550, 2 avril, testament d''Anzola épouse de maître Thomio calegher.

106 ASV, NT, b. 393, 292, 1579, 11 juillet.

107 ASV, NT, b. 780, 1572, 3 avril.

108 ASV, NT, b. 782, 841, 1567, 17 mars, «Barbara moglier de ser Nicoleto Trivisan mariner della contrada di San Samuele [ ... ]. Lasso a Chiara mia nezza uno letto fornido [ ... ], a mia fia Maria lasso uno stramazzo " ·

109 ASV, NT, b. 779, 1561, 14 novembre.

110 ASV, NT, b. 783, 1204, 1548, 9 septembre.

111 ASV, NT, b. 783, 1039, 1555, 29 janvier.

112 ASV, NT, b. 779, 1557, 8 novembre.

113 ASV, NT, b. 421, 970, 1586, 4 décembre, Medea Greca ; b. 421, 1169, 1568, 21 avril, Zuanna veuve de ser Pasqualin.

114 ASV, NT, b. 783, 1258, s. d., mais 1573, «In nome de Dio e dela Vercene Maria e cusi facio el mio ultimo volontà, lasio tuto el mio a mia madre, ceto ducati diece che i diti i lasio ala creatura che nasera de mi, cusi sia mascolo corne femina, tuto sia de mia madre che nisun no posa domandarche niente fina che la viva che la calda ; da poi la sua morte sia investito in un fondi e la utilità sia dispensa ta : de tre parte do sia date a una fia de culche pavera, vaca muneca o maridata, l''altra parte si faci dir tante mese ala Cruce ma finche mia madre vive nisun non posa dirche niente. Per comesari cuanto al mio desiderio varia fose mio barba misir Todaro lusto e moi barba misier Alvise Spa. Cuesta sie la mia ultima volontà, ai vintiun de marcio che fu el sabato santo. Casandra Bordona scrise de sua propia man la sua ultima volontà nisun no posa domandar niente ne far molestia a mia madre in contrà de San Marcilian in casa de misier Bernardin da ca'' Migel. Casandra che fu fiola de misier Paris Bardon » . Sur les testaments féminins olographes, cf. F. Ambrosini, «De mia man propia » . Donna, scrittura e prassi testamentaria nella Venezia del Cinquecento, dans Non uno itinere. Studi storici offerti dagli allievi a Federico Seneca, Padoue, 1993, p. 33-54.

115 ASV, NT, b. 783,977, 1554, 19 septembre, sur les Convertide, cf. G. Ellera, 1 luoghi della redenzione, dans Tl gioco dell''amore. Le cortigiane di Venezia dal Trecento al Settecento, catalogue de l''exposition, Venise, 1990, p. 57-61.

116 ASV, NT, b. 783, 1166, 1546, 18 novembre, «Valentina di Franchi moglier de maistro Domenego sartor della contrà de S. Marzilian, sana per gratia di Dio della mente et intelletto, ancorché inferma del corpo zaso in letto [ ... ]. Io mi ritrovo esser gravida, a iuditio mio et di Francesco tentor mio amico, perho ordino et voglio che parturito io havera, se la creatura ch''io faro viverà, tutta la mia dote che ho, che non scio quanta la sia ma tra noi fu ben fatta la carta, sia del ditto Francescho et che lui habia a governar la creatura perché la serà sua. Se veramente la creatura che nascesse morirà non voglio che lui Francesco habbi se non ottanta schudi della ditta mia dote, et il restante de ditta mia dote sia in questo caso de mia madre [ ... ] » .

117 Cf. pour des considérations semblables sur les testaments comme occasion, pour les femmes, de raconter leur histoire, G. Benadusi, lnvesting the Riches of the Poor : Servant Women and their Last Wills, dans American Historical Review,

vol. 109, n° 3, juin 2004.

118 ASV, NT, b. 783, 1093, 1562, 20 mars.

119 ASV, NT, b. 780, 1547, 3 février, «Chiaretta Bonassi moglier de ser Vettor partioro zoielier della contrà San Moritio sana per grazia di Dio della mente et intelletto etiarn del corpo, gravida et propinqua a dover parturir [ ... ]. Ordino et voglio che sia cornrnissari et executori di questa mia voluntà messer Francesco Querini fu de messer Polo da S. Thomà et Polo suo et mio fiol. Mi ritrovo haver nel territorio de Muglia in Histria una casa da stacio et un fondamento de salline, ditta casa et fondamento lasso a ditto mio fiol Polo et a Querina etiam mia fia del ditto messer Francesco con condicion che delle intrade che si scoderano da ditta casa et salline habbia a dar ducati dui all''anno a questa creatura che ho nel corpo rnaschio o femina che sia perfina alla età sua de anni sedese [ ... ]. In resto veramente de tutti rnei beni mobeli stabeli caduchi inordinati et per non scritti che a me o alla mia commissaria per qualunque modo et via spettare et pervenir potessero instituisco egualmente mei heredi Polo et Querina mei fioli prenominati per mitate ; lasso al ditto messer Francesco Querini lo mio anello nel qual è ligato una turchina, ch''el l''habbi a galder per amor mio [ ... ] ; item lasso a messer Vettor mio rnarido la contradote ch''el mi ha fatto [ ... ] » .

120 ASV, NT, b. 780, 1573, 3 avril.

121 S. Lunardon, Le Zitelle alla Giudecca, dans Lionello Puppi (dir.), Le Zitelle. Architettura, arte e storia di un''istituzione veneziana, Venise, 1992, p. 9-48, citation d''une lettre d''une des fondatrices, la noble Andriana Bernardo Contarini, à la p. 14.

122 AS\/, NT, b. 783, 1098, 1548, 20 septembre, «Io Stella Negro fiola del quondam maistro Andrea Taiacalze della contrà de S. Marcilian, sana per gratia di Dio della mente corpo et intelletto, ma gravida et proxima al partorir [ ... ]. Il Restante si pro corne cavedali voglio tutto sia della creatura o creature una o più che io faro per el suo rnaridar se sarano fernine, et se sarano rnaschi da esserli dato alla età sua de anni vinti [ ... ] et se loro mei fioli o fie morissero senza ordination lasso che sia dati ducati cento al ditto messer Piero Gritti et ch''el resto vadi in Francesco et Alexandro rnei fratelli con questo che rnantenghino del viver mia madre et li facino bona compagnia [ ... ]. Il Residuo [ ... ] et commissarii et executori di questa mia ordination lasso ditti messer Piero Gritti et Francesco et Alexandro mei fratelli, al qual messer Piero Gritti lasso lo fio o fia che da me nascerà per esser suo, et non volendolo lui allevarlo niente habbi delli dui lassi soprascritti [ ... ] rnia madre et mei fratelli habino il cargo de nutrirlo habiando dalla mia commissaria quello che sia conveniente per nutrimento della creatura [ ... ] » .

123 Parfois, ces cas arrivent même devant les tribunaux ecclésiastiques vénitiens, cf. J. Ferraro, Marnage wars ... cit. et D. Hacke, Women, sex and marriage ... cit.

124 AS\/, NT, b. 779, 1556, 2 octobre.

125 ASV, NT, b. 783, 1236, 1569, 21 avril.

126 AS\/, NT, b. 783,999, 1564, 26 décembre ; 1021, 1565, 18 février.

127 ASV, NT, b. 780, 1571, 11 septembre, «Catherina quondam ser Nicolà de Biasio, relitta del quondam ser Jacomo herbaruol della contrada di San Gregorio [ ... ]. Ordino et voglio che a donna Cecilia et a donna Andriana che mi governano sia dato per mia madre una zentilezza che parerà a lei non perché habbino bisogno, ma per segno di amorevolezza che mi hanno usato » .

128 ASV, NT, b. 780, 1557, 5 avril, «Hisabetha relitta de Domenego Barbato de Canareglio samiter della contrada di Santa Fosca [ ... ]. Questa mia ordination che facio la facio a effetto che alcuni mei nevodi non dagino fastidio dapoi la mia morte a ms pre Iseppo Guidon che è questo qui de casa dove io sto, pensando che forse io habbia qualche cosa et per qualche pocco de mei vestimenti et de mobile di casa de non molto valor, essendo in casa de ditto messer Iseppo et da lui sta trattà da meglio che da alcuno mio parente[ ... ], pertanto lui messer Iseppo Guidon recomando prima l''anima mia et lo faccio mio universal herede lassandolo quel pocco che mi attrovo et quello lasso mio commissario insieme con madona sua madre con la qua] sono stata corne sorella " ·

129 ASV, NT, b. 417, 183, 1562, 6 septembre, «Benvegnuda quondam Simon da Feltre relitta Zuan Piero da Feltre menamolin » .

130 ASV, NT, b. 393,365, 1577, 17 mars, «Franceschina relitta quondam

Piero de Antonio di Scudenori mariner, malata in casa del piovan di Santa Maria Formosa » .

131 ASV, NT, b. 393,373, 1568, 28 avril, «Franceschina da Spalato quondam

ser Thomaso calafado, relitta ser Thomaso da Lesina, ora della contrà de Santa Maria Formosa, in casa de messer Julio spicier al mondo a San Zuane Polo" ·

132 ASV, NT, b. 783, 1000, 1558, 26 décembre, «Nadalina relitta del quondam

messer Jacomo Ballotta piater, habitante in cha Muazzo in la contrada di San Jacomo da] Orio [ ... ]. Lasso patron et solo commissario de tutto el mio potrà haver che è quello pocco di mobile che mi ritrovo mio patron el magnifico messer Piero Muazzo, con questo ch''el prego che l''habbi a despensar per l''amor de Dio, cioè a[ ... ] queste massare qui in casa che mi govemano [ ... ] ; in resto poi corne li piacerà perché ge è pocco che ho speso cià che io haveva in malatie et messer Piero per sua gratia et per sua bontà mi ha tolto in casa et non perla mia roba che è pochissima ".

133 ASV, NT, b. 779, 1570, 10 mars, «Chiara vedoa relitta messer Francesco Chaoso sartor della contrada di Santa Fosca [ ... ]. Tutto lasso a maistro Gabriel sartor et a Sarra sua moglier con questo che vivano in pase et amorevolezza et che mistro Gabriel non mi abandona da vera madre corne l''ha fatto ; item lasso a donna Cypriana Lombardini sie lire de fil mezo biancho et mezo crudo ; commissarii lasso ditto mistro Gabriel et sua moglier Sarra, alli quali recomando l''anima mia, ordinando che chi volesse contrafar a questo mio testamento pagar debba dusento ducati » .

134 Sur les devoirs des enfants à l''égard des parents et sur la solidarité entre les générations, cf. A. Groppi, Assistenza alla vecchiaia e solidarietà tra generazioni in età moderna, dans l. Fazio, D. Lombardi (dir.), Generazioni ... cit., p. 51-68.

135 ASV, NT, b. 779, 1564, 12 mai, «Hisabetta relitta del quondam messer Peçin di Mondini marangon, della contrada di San Cassan[ ... ]. Perho questa mia dote de ducati cento et cinquanta, et tutto quanta quel che io posso ordinar di ogni sorte beni che mi potesse pervenir ; lasso a Sancta mia fiola accio si possi con l'' aiuto di Dio maridar, et se più sui fratelli li volesseno dar, facino loro, che è sua sorella, et sono li homeni che non hanno bisogno, et che poleno meglio prevalersi che la puta » .

1 ASV, NT, b. 783, 1137, 1563, 29 juillet, testament de Vettor Rizzo «dalle telle » : «Il convient de mourir à celui qui est né » .

2 Sur les marchands dans l''espace urbain, cf. M. Berengo, L''Europa delle città ... cit.

3 ASV, NT, b. 79, 371, 1557, 26 août.

4 Sur les confréries vénitiennes, cf. B. Pullan, Rich and Poor in Renaissance Venice. The social institutions of a catholic State, to 1620, Oxford, 1971.

5 ASV, NT, b. 1102, 80, 1538, 23 octobre.

6 ASV, NT, b. 79, 363, 1546, 14 novembre.

7 ASV, NT, b. 164,578, 1583, 2 avril.

8 ln sepultura perme in ecclesia construenda, seule expression latine utilisée par l''argentier Pietro Luna, dans son testament, ASV, NT, b. 203, f. 108, 1516, 25 août.

9 ASV, Scuola Grande di Santa Maria in Valverde o della Misericordia (dorénavant SGM), b. 130, 1508 ; sur la reconstruction de cette église, cf. M. Tafuri, Venezia e il Rinascimento, Turin, 1985 ; F. Caputo (dir.), Progetto S. Salvador, Venise, 1988. Lorfèvre Baiamonte Gambelli, résidant «à présent » dans la paroisse de S. Angelo, vient de se faire construire une tombe dans le couvent de la Charité, situé sur l''autre côté du Grand Canal, ASV, NT, b. 128, III, f0 44v, 1539, 12 novembre.

10 ASV, NT, b. 201, 192, 1503, 22 juillet, testament de l''orfèvre Giacomo Negro.

11 ASV, NT, b. 79,363, 1546, 14 novembre, cit.

12 ASV, NT, b. 780, 1542, testament du marchand soyeux Francesco Bravieri.

13 ASV, NT, b. 1218, 20, 1556 26 mai.

14 ASV, NT, b. 79, 387, 1556 2 mai, 1567, 23 août : «Lasso a Polonia era mia massara a San Hieremia per mio discargo fusse o non fusse donzella ducati vinti per suo maridar, tutto il resto delli miei beni presenti et futuri che mi spettano et potranno spettar per l''avenir per ogni via et modo sia de la prima fia de Vicenzo mio fradello che si mariderà o andarà munega cioè la prima de mazor età dechiarando che se Marina mia sorella non farà fioli mascoli voglio che li stabili vadino la mità a li fioli mascoli de Paulo mio fratello, et la mità a quelli mascoli de Vicenzo mio fratello » .

15 Sur les testaments en temps de peste, cf. P. Preto, Peste e società a Venezia, 1575, Vicence, 1978 ; A. Pastore, Testa menti in tempo di peste : la pratica notarile a Balogna nel 1630, dans Società e Storia, 16, 1982, p. 263-297.

16 ASV, NT, b. 1200, 158, 1576, 12 août.

17 «Non voglio anco restar di dire l''opinion mia circa la divisione di haverà da fare delli beni della nostra fraterna cioè che a me pareria in una parte tra le altre case fosse posta tutti li beni s''atrovano in Padoana, per il suo costo corne appar nelli nostri libri et che si facesse toccar tal portione nella mia commissaria atio resti tanto più capitale a miei fratelli da negotiar perché concludo che chi vive solamente d''intrada ancor che quella fosse oppulenta a longo tempo convengono cascar perho non vorei che miei fratelli a via nissuna lasciassero la mercantia, quella legiermente essercitando in questi soi principii fin tanto che cominciassero a prender pratica atio non gl''andasse il tutto de male, et se gli parerà non pater riuscir in essa diano il suo a livello a qualche bon monasterio o lo mettino in Cecha fin tanto che gli vengi qualche bona occasione da valersi di quelli o in mercantia o in compreda de boni terreni ", Ibid., f0 7r du testament.

18 Sur les mesures de prévention utilisées à Venise à l''époque, cf. Venezia e la peste, 1348-1797, catalogue de l''exposition, Venise, 1979.

19 ASV, NT, b. 1258, 426, 1576 6 décembre, testament de Gabriel Ottoboni.

20 ASV, NT, b. 164,365, 1559, 19 février.

21 ASV, NT, b. 164,359, 1557 18 octobre ; 1560 mars/ septembre -autographe ; 1561 20 décembre ; 1562 3 mai.

22 En général, les taux d''illégitimité semblent être plus élevés au XVIe siècle qu''au XVIIe, cf. A. Croix, Nantes et le pays nantais au XVI'' siècle. Étude démographique,

Paris, 1974 ; D. Turrel, Bourg-en-Bresse au XV !'' siècle. Les hommes et la ville, Paris, 1986.

23 ASV, NT, b. 1259, 584, 1574, 4 novembre : «Et volio che rniei heredi sia obligati tenir mio fio naturale in casa et nutrirlo con loro vestirlo farli tuto quello che bisogna farlo imparar litere mercantile di comerçanti fino che l''haverà ani 22 et di più se bisogna [ ... ] et el ditto mio fiollo a nome Antonio et Bonadio et Mathio et nasete ali l3 zugno in venerdi a ore 2 et batezato el sabato seguente li compari fu el signor Paollo Petri dotor in Treviso et messer Bernardin Varischin de Venzon el prete veramente fu messer pre Valentin Capella in San Severo et fu batezato in San Severo et questa nota io l''ho fatta azo ocorendo chei non lo volese lasar navegar et per altre ocasion et laso chel sia scosso dalli mei debitori et conservar li stabeli che mi o comprati in più luoghi et tempi et mi non son debitor a nesuno nome quel tanto voi sapete et volio che sia mei heredi messer Bernardin et messer Antonio fratelli, fioli che fu de mio fratello messer Vicenzo » .

24 ASV, NT, b. 782, 912, 1558, 5 juillet, premier testament de Francesco Crivelli.

25 ASV, NT, b. 782, 912, 1566, 27 juin, deuxième testament de Francesco Crivelli.

26 ASV, NT, b. 89, 90, 1568, 25 juillet «Dichiaro che Santa mia di casa è mia moglie vera tolta a laude di Dio in fede et cosi voglio che per tale sia tenuta et reputata da ognuno havendola tolta et sposata in fede davanti la Sanctissima Trinità avanti assai il Concilio di Trento » .

27 Cf. sur ce thème outre les travaux de D. Quaglioni, S. Seidel Menchi et Lornbardi, précédemment cités, L. Bonfield, Gli sviluppi del diritto di famiglia in et J. R. Watt, L''impatto della riforma e della controriforma, dans M. Barbagli, I. Kertzer (dir.), Storia della famiglia in Europa ... cit., p. 121-175 et p. 176-21 7.

28 Un seul autre cas dans ASV, NT, b. 194, 518, 1577 18 septembre, testament mercier Zuanne Amigoni.

29 Cf. A. Molinier, Pérenniser et concevoir, dans J. Delumeau, D. Roche (dir.),

des pères et de la paternité, Paris, 2000, p. 89-113.

30 ASV, NT, b. 1183, 223, 1531, 21 novembre : «Et perché alcuni de miei fioli in vita mia hano havuto et governato el mio a suo modo < love che nei miei libri appareno molto debitori, a quai libri voglio che li sia dato pierra fede impero non parerà stranio ad alcuno se io non usero equal portion nel presente mio testarnento » .

31 ASV, NT, b. 164, 386, 1561, 22 juillet.

32 ASV, NT, b. 164, 365, 1558, 23 mai.

33 ASV, NT, b. 193, 22, 1590, 7 juin : «Et exhorto ditti rnei cornrnissarii far andar la nostra botegha de merzaria et l''arte della lana se cosi parerà a loro che sia bene per ditta heredità [ ... ]. Prima voglio sia inventariato tute le scriture et libri et rnobeli de casa et tuto quello si troverà in rnercantia. La rnia intention saria che si corne sin bora tuta la nostra facultà si mia corne de mei neppoti è stata unita in fraterna, cosl anchora continuase se ne piacerà a mie figlioli e neppoti quando serano in età legitima » .

34 Sur les conflits pouvant surgir au moment de partager les biens d''une frérèche marchande, cf. T. Kuehn, Vicissitudini di un patrimonio fiorentino del XV

secolo, dans Quademi Storici, 88, 1, 1995, p. 43-61 ; A. Menniti Ippolito, Fortune e sfortune di una fàmiglia veneziana nel Seicento. Gli Ottoboni al tempo dell''aggregazione al patriziato, Venise, 1995 ; sur les divisions des communautés de frères, cf. C. R. Brettell, Fratelli, sorelle e successioni nel Portogallo nord-occidentale (XIX-XX secolo}, dans Quademi Storici, 87, 3, 1994, p. 701-722 et, de manière générale, A. Collomp, La maison du père ... cit.

35 ASV, NT, b. 780, 1570, 17 juillet.

36 Cf. A. Bellavitis, identité, mariage, mobilité sociale ... cit., ch. 9.

37 ASV, NT, b. 196, 787, 1586, 11 mai.

38 ASV, NT, b. 193, 22, 1590, 7 juin.

39 Cf. l''histoire de trois familles de marchands citoyens de Venise, les Grifalconi, les Bortolussi et les Ziliol, dans A. Bellavitis, identité, mariage, mobilité sociale ... cit.

40 ASV, NT, b. 1102, 80, 1538, 23 octobre, cit.

41 Cf. les testaments de Vettor Rizzo «dalle tele » , qui fait des legs aux enfants de sa fille «qu''elle soit ou pas ma fille » , mais laisse toutes ses boutiques au fils de sa soeur, ASV, NT, b. 783, 1137, 1551, 16 mai et de Piero Fontana, épicier, qui institue un fidéicommis destiné aux enfants, garçons ou filles, de ses soeurs et laisse 25 ducats à son fils adoptif au cas où il ne voulait pas rester vivre avec sa mère, ASV, NT, b. 783, 1036, 1563, 18 mai.

42 ASV, b. 164, 364, 1568, 11 mai, testament du joaillier Francesco Spin.

43 ASV, NT, b. 194, n. 493, 1570, Jer août.

44 ASV, NT, b. 164, 386, 1561, 22 juillet, testament de Francesco Mutti, cit. ; b. ASV, NT, b. 1183, 223, 1531, 21 novembre, testament du soyeux Gerolamo de Piero «dalla seda » .

45 ASV, NT, b. 164, 546, 1579, 16 octobre, testament du joaillier Zuanne «ale < loi spade » et cf. b. 1183, 223, 1531, 21 novembre, cit.

46 ASV, NT, b. 1218, 36, 1560, 15 octobre, testament du soyeux Zuanne Rimondi «dalla seda » .

47 ASV, NT, b. 783, 1252, 1566, 28 octobre, testament de Piero Petrobelli,

«autrefois n1ercier » .

48 ASV, NT, b. 783, 1136, 1553, 10 mars.

49 ASV, NT, b. 192, f0 67v, 1528, 18 septembre.

50 ASV, NT, b. 164,365, 1558, 23 mai : «Item lasso a Julia et Lucretia mie fie dilette le quale se atrova al presente in caxa rnia al suo rnaridar per cadauna de loro ducati tremille zoè d 3000, intendando che habia ducati 2500 de contadi per cadauna et ducati 500 in draparnenti per suo uso per una et a caso non havesse tanti drapamenti per suo uso per una over qualche perle il resto le sia investido in danari contadi quali drapi siano per loro vestir et non altramente [ ... ] et se quelle over una de esse manchasse avanti el suo maridar over monachar volgio che ditta dotta resti in caxa ali mei fioli mascoli zoè ali rnei heredi infrascritti et volgio che le su ditte mie fie non se possino rnaridar senza il voler di rnei cornrneessari over dela rnazor parie [ ... ] et se fesse vergogna ala caxa non volgio che habino altro che ducati cinquecento per cadauna la qual cometesse tal manchamento con ordene che essi ducati cinquecento li siano investidi in tanto fondi dotal per ditti mei comissarii et non voio che nesun de ditti mei heredi possi dirnandar la parte sua dela rnia heredità fina tanto che non sia maridado le < loi ditte mie fie sotto pena de ducati cinquanta chi domandarà tal heredità fino non sieno rnaridate ditte fie over monachate » .

51 ASV, NT, b. 193, 22, 1590, 7 juin.

52 ASV, NT, b. 209, 288, 1570, 8 septembre.

53 ASV, NT, b. 196, 953, 1593, testament de Sebastian Mazza, b. 209, 288, 1570, 8 septembre, testament de Zuan Piero Mazoleni.

54 Le libraire Pasqualin quondam Benetto différencie ses legs : si sa femme se remarie elle a, en plus de sa dot, 400 ducats, mais si elle se remarie elle peut rester dans la maison et avoir l''usufruit de ses biens, ASV, NT, b. 783, 1024, 1558, 27 octobre ; l''épicier Pamphilo Tuttobon laisse sa femme héritière, qu''elle se remarie ou pas, b. 783, 1205, 1544, 29 mai.

55 ASV, NT, b. 194, 472, 1548, 18 juillet, «Et dechiaro che la se possi maridar pur con consenso de suo padre et madre se sarano vivi et se non fossero vivi con consenso delli sui ; item dechiaro che il mio desidero saria che la mia bottega fosse fatta in proprio ma quando ditta mia moier volesse reuscir di quella voio che la dia più tosto a mio fratello che a altre persane per el precio conveniente » .

56 ASV, NT, b. 783, 1123, 1572, 17 avril.

57 D''autres exemples : ASV, NT, b. 421, 1130, 1576, 20 août, testament de Jacomo di Girardo, mercier ; 1117, 1567, 8 août, testament de Antonio Agazini. Sur l''éducation du marchand, cf. F. Angiol i ni, D. Roche, Cultures et formation négociantes dans l''Europe moderne, Paris, 1995 et notamment les articles de G. P. Brizzi et G. Doria.

58 ASV, NT, b. 782, 840, 1572, 6 février et 1567, 1 juin.

59 ASV, NT, b. 1218, 36, 1556, 15 juin.

60 ASV, NT, b. 779, 1553, l l octobre, «Celia del quondam messer Zambatista mercadante della contrada di Santa Maria Formosa [ ... ] Lasso herede et residuario messer Piero Sagredo fo de messer Alvise per l''amorevolezza et charità che ho sempre cognossude da lui » .

61 ASV, NT, b. 783, 1099, 1548, 21 avril, «Stella fia del quondam ser Bartholomeo ditto Thomio di Zanatelli da Feltre fu spitier in Venetia [ ... ]. ln resto de tutti mei beni [ ... ] lasso mio herede et solo commissario messer Benetto Solian fu de messer Matthio et dogliomi che sia pocho a quello che l''ha speso et cognosco che l''ha fatto per mi, et maxime in tanto tempo che son amalata in casa sua, et ch''el spende per mi » .

62 ASV, NT, b. 89, f. 4, 1574, 30 janvier, «Ancilla fiola del quondam messer Hieronimo Burani, mercante veneto [ ... ]. Non voglio che Giulio Moro mio marito abbia niente del mio, ma debba restituir tutto a monsignor mio fratello, essendo che sono stata assassinata quando mi maritai a lui et a pena stati seco venti giorni che fui sforzata a partirmi da lui » .

63 ASV, NT, b. 782, 873, 1566, 18 août, «Antonia fia del quondam messer Nicolo di Olivi da Cologna mercadante de panni de Jana al presente habitante in la contrada di San Jeremia [ ... ]. Io fui maridata a ser Philippa bergamasco fio de ser Jacomo Berella con dote di ducati tresento et lui mi fece la carta di dote de quello, et de più cinquanta ducati di contradote [ ... ] per discargo de mia conscientia non voglio che ditto mio marido paghi questa contradote de ducati cinquanta, mage la lasso insieme con tutti li diti vestimenti che si ritrovano apresso de mi et che mi remaseno quando el se partite da mi, et è stato quasi quattro anni via da mi senza causa alguna, al modo che essendo sta presa la nave Fabiana sopra la qual fu ditto che l''era sta preso anche lui et fatto schiavo et el si haveva per morto non si havendo havuto nova né imbassata del fatto suo, et percio con l''aiuto del magnifico messer Marco Delphin io havendo un fantolin con ditto ser Philippa che governai tre anni poi mi è morto, ho tolto assecuration della mia preditta dote sopra alcuni beni di esso mio marido, quali furno investiti a cinque per cento in uno monte che non scio corne si chiama e con questa dote mi ho remaridata questa seconda

volta in maistro Gasparo de Alvise sartor [ ... ] fatte le proclame et havuta licentia de monsignor legato et del patriarcha, corne si suol far et in cavo de quindese zorni dapoi fatte queste seconde nozze è venuto ditto Philippo mio marido alJe Mestre et ha fatto interdir le nozze et anchora niente è sta expedito » .

64 ASV, NT, b. 89, f. 4, cit. «A Chiareta poverina di anni 5 in 6 che ho tolto in casa per l''anima mia ducati 300 per suo maritare » .

65 ASV, NT, b. 780, 1555, Je• décembre.

66 ASV, NT, b. 89, 137, 1561, 25 janvier, «Valeria fiola de messer Stefano Belingardo mercante moglie de messer Zuanne Baston mercante de biave [ ... ] mio marito, quai prego occorrendo la mia morte vogli rimaritarsi al più presto che lui potrà perché i homeni senza moglie non possono far se non male » .

67 ASV, NT, b. 164, 320, 1559, 11 novembre, «Hisabetta consorte de messer Lorenzo de Gabriel ditto Rizzo di Gariboldi da Zevio mercadante da vin [ ... ]. Il restante[ ... ] lasso al preditto Lorenzo mio marido amantissimo [ ... ] et da poi sua morte se li avanzarà cosa alguna del mio voio vada a sui fioli legittimi » .

68 ASV, NT, b. 164, 314, 1569, 10 juin, «Helenaquondam ser Mathio di Bianchi et consorte de ser Marco Zanolin di Vidali dale botte vende vin [ ... ]. Il restante

veramente del mio haver [ ... ] sia della soprascritta Nestesia fia natural del ditto quondam ser Lazaro fo mio marido qua] Nestesia voio sia messa ale Citelle fina sia granda da maridar » .

69 ASV, NT, b. 783, 1077, 1550, 26 mars, «Cristina moglier de messer Pasqua ! de Francesco zoielier della contrada di San Apollinar » .

70 ASV, NT, b. 780, 1567, 1" juin, «Chiara relitta del quondam magnifico messer Zanfrancesco da Molin fo de messer Philippo al presente moglier de messer Batholomio de Noris spitier alli Carmeni aU''insegna di dui anzoJi [ ... ]. Lasso a messer Bartholamio de Noris mio marido tutti li beni che mi attrovo [ ... ] et dapoi la sua morte vadino in Catherinella mia nezza fia della quondam Aloixia mia sorella et in Piero de Noris mio cugnado s''el sarà marido de ditta mia nezza corne speremo che siano marido et moglier, et nelli fioli di loro mascoli et sui heredi pur mascoli, et quando non ne fussero più mascoli vadino in le fie, che niuno possi vender né impegnar » .

71 ASV, NT, b. 209, 1562, 25 novembre, 1569, 13 septembre.

72 A. Bellavitis, identité, mariage, mobilité sociale ... cit., p. 128.

73 ASV, NT, b. 209, 268, 1558, 5 mai, «Innocentia, fiola del quondam messer Antonio de Zuane merzaro al segno di San Rocco a San Salvador relitta in primo matrimonio de messer Vicenzo de Bernardin merzaro alla Luna in San Salvador et consorie dell''eccellente messer Fausto Broccardo avvocato in contrada di San Zulian » .

74 Cf. Y. Thomas, La division des sexes en droit romain ... cit.

75 ASV, NT, b. 782, 812, 1545, 12 juillet, «Cecilia moglier de messer Vettor da Cologna sanser in Fontego di Todeschi » .

76 ASV, NT, b. 780, 1561, 23 mars, «Francesca moglier de messer Francesco Rotha Jiberer della contrada di S. Polo » .

77 ASV, NT, b. 79,340, 1544, 5 novembre ; 1548, 19 février, «Helena fo fia de messer Fantin Bragadin et consorte de messer Vettor Bon telaruol » .

78 ASV, NT, b. 783, 1228, 1550, 9 juin, «Paula Rota quondam messer Zuane moglier de messer Antonio Butigela mercadante della contrà de S. Zuane degolado [ ... ]. Ottavian, Francesco et Paulin mei fioli del quondarn messer Marco Ansuin sieno mantenuti a schola et in Studio a Padoa overo in altri lochi corne meglio parerà alli ditti mei commissarii, ta] che si facino dottori o nodari o se instruiscano di una nobil arte liberal che con sua industria possino passar honorevolmente et quello che non volesseno acquietar l''animo suo in disciplinarsi al modo che io corne di sopra desidero voglio che siano mandati a sui barbani et allevati li altri al modo che io ho ditto fino ch''el minor de loro pervenghi alla età de anni vinti et alhora che sarà il minor pervenuto alla età de anni vinti, voglio che tutto questo mio residuo sia egualmente dato et pervenir debia si nelli preditti tre mei fioli corne nelli altri tre mei fioli et loro fratelli Zandomenego, Matthio et Ludovico, et in quest''altra creatura uno o più che le fusseno o maschio o femina, che da me nascerà, accià che tutti egualmente parteci pino » .

79 ASV, NT, b. 783, 1025, 1563, 24 juin.

80 ASV, NT, b. 196, 904, 1545, 20 février, «Paula fo fiola del magnifico messer Anzolo Orio, et mogier de messer Gabriel Rimondo mercadante da carboni et lignami [ ... ]. Item dechiaro et voio che se le mie fie non vorano andar munege per niente non siano messe monege, ma facino quello le vorano cioè siano maridate segondo il grado suo et sua condicion » .

81 ASV, NT, b. 783, 959, 1572, 15 novembre, «Anzola Dai Holmo relitta del

quondam. messer Zanantonio di Galli spitier in primo matrimonio et moglier de messer Giulio di Paganutii fiorentin, della contrada di Sancto Augustin » .

82 Cf. note 80 : «Se per caso ditti mei fioli manchasseno senza heredi ordino che non possano per suo testamento lassar cosa alcuna delli mei beni al sopradetto suo padre messer Gabriel et mio marido, né a soi fioli bastardi over fioli che nascesseno con sua mogier in caso che io manchasse avanti detto mio marido, et che lui tolesse altra mogier » .

83 Ibidem : «Et in caso che ditto messer Gabriel mio marido volesse da poila morte mia li nostri fioli appresso lui, voio che in quel caso ditto mio marido non possi domandar né molestar la mia commissaria in conta alcuno » .

84 ASV, NT, b. 196,904, 1545, 20 février.

85 ASV, NT, b. 89, 45, 1579, Je• juillet, «Daria de Zanmaria de Nadalin Dal Olmo moglie de messer Zuanne Piasentin fu de messer Giacomo mercante de panni de seda [ ... ]. Lasso che se detto rnio marito si tomasse a maritar e che la ditta mia fiola o altri fioli non fussero ben governati sia disposto di essi corne meglio parerà a mio padre [ ... ] con libertà che in caso detta mia fiola non fusse ben governata dal padre o da la madregna possi levar la mia dote de le man del detto mio marito e investirla corne meglio parerà a ditto moi padre » . De la même manière, Elena Dalla Gatta précise que sa fille ne devra pas être mise au couvent, contre sa volonté et pas avant l''âge de seize ans, ASV, NT, b. 1263, VI, f0 25, 1565, 28 août.

86 Cf. le testament de Virginia, épouse d''un marchand originaire des Pouilles, qui veut qua sa petite fille, une fois sevrée, soit mise au couvent de l''âge de trois ans jusqu''à son mariage, ASV, NT, b. 783, 1168, 1567, 10 janviec

87 ASV, NT, b. 1250, Ill, 139, 1577, 30 août, «Emerentiana quondam messer Piero Vivian, relitta messer Alberto di Cavaneis dal San Marco [ ... ]. Lasso a Marietta mia fiola ducati 600 et ducati 25 acciocché la facci del ben per l''anima mia, et le lascio le sue due casse con tutta la sua roba, che niuno le possa verzer né veder quello saranno dentro, e chi lo facesse sia privo dei mei lasciti [ ... ] et saranno contenti essi mei fioli di questo mio testamento perché ben sciano che le pute sempre sono avantazate » .

88 ASV, NT, b. 89, 101, 1575, 3 mai.

89 ASV, NT, b. 780, 1570, 20 octobre.

90 ASV, NT, b. 164, 334, 1574, 2 mars.

91 ASV, NT, b. 783, 1219, 1570, 13juillet.

92 Cf. A. Bellavitis, Identité, mariage, mobilité sociale ... cit., p. 226-227.

1 ASV, NT, b. 196, 870, 1569, 28 juillet : «Et se arecordino deUe mie vertigine al tempo che crederano sia morto lassandomi doi giorni sopra terra accio non si facesse qualche error et non mi metano in giesia avanti sia passato ditto termine de dui giorni » .

2 Pour les lois somptuaires sur les enterrements, cf. G. Bistort, Tl magistrato alle pompe ... , cit.

3 ASV, NT, b. 1185, f. 160, 1531, 16 septembre.

4 ASV, NT, b. 1218, 50, 1562, 25 novembre.

5 ASV, NT, b. 196, 844, 1564, 25 mai.

6 ASV, NT, b. 196, 861, 1552, 26 août.

7 ASV, NT, b. 75, 1588 30 juillet, testament de Ubaldo Ubaldi.

8 ASV, NT, b. 192, f0 29v, n. 41, 1528, 25 mai.

9 ASV, NT, b. 192, f0 107v, n. 121, 1531, 16 mars.

10 ASV, NT, b. 1209, 523, 1539, 29 juillet.

11 ASV, NT, b. 128, 106, 1536, 3 avril.

12 ASV, NT, b. 192, 133, 1533, 15 mai.

13 ASV, NT, b. 192, 168, 1539, 25 janvier : Il ne semble pas s''agir de ]'' Antonio Brocarda, citoyen vénitien et fils d''un médecin, qui s''opposa à Pietro Bembo sur l''utilisation de la rhétorique latine cf. Dizionario biografico degli Italiani, sub voce,

ni de l''hérétique Jacopo Brocarda, d''origine piémontaise, lbid ..

14 Cf. S. Seidel Menchi, Protestantesimo a Venezia et F. Ambrosini, Tendenze filoprotestanti nel patriziato veneziano, dans G. Gullino (dir.), La Chiesa di Venezia tra Riforma protestante e Riforma cattolica, Venise, 1990, p. 131-154 et p. 155-181.

1. i «Item lasso che tutti i libri del officio del Zudegà de foresti che è in uno sacho in camereta de sopra sia restituiti al officio predicto i quali portai a casa in diverso tempo quando intrai nodaro li non per subornation né ad instantia de alcuno, ma per certa mia curiosità de haver apresso de mi le cose manixate li in zoventù et per redurmi a memoria i acti et imparar quelle forme domenticate al avogaria. Item lasso chel sia restituido a messer Stephano Bontempo fiol et herede si le del quondam messer Bortholomio Bontempo uno Virgilio in charta bergamena a pena scripto per el quondarn messer suo padre per mi tolto al tempo andavemo a schola del quondam messer Benedeto Brognuol per descargo mio el quai me habbi a perdonar. Et similmente uno paro de arotimati greche a quelli tempi ut supra, de messer Piero Zantani al qual overo a messer Marco o a messer Alvise Zantani sui fratelli sia restituiti con la venia ut supra[ ... ]. Le opere et el retratto in stampa de Luter non so dove le sia ma trovade nei rnei libri sia subito brusade » , ASV, NT, b. 192, 168, 1539, 25 janviec

16 ASV, NT, b. 1258, 133, 1576, 1 mars.

17 ASV, NT, b. 194,492, 1571, 18 octobre, «Se ben io Gierolamo Albin fu de messer Francesco non so se posso o non posso far testamento perché Lugretia mia moglier è graveda et facendo un figliolo in questo caso tuti li miei beni andariano in lui per il testamento del quondam messer Jacomo mio avo paterno non di meno la potria far anco una puta » .

18 ASV, NT, b. 193,133, 1578, 16juillet.

19 ASV, NT, b. 193, 52, 1562, le''janvier ; 1563, 21 novembre.

20 ASV, NT, b. 79, 355, 1552, 18 décembre.

21 ASV, NT, b. 196, n. 861, 1552, 26 août : «Dechiaro ben che volendo lui studiar corne ancho el conforta et exhorta che in tal caso ge sii dato tanto ogni anno che convenientemente el possi star o in Padoa o in altro studio et cossi per il comprarssi libri. Non voglio el possi vender né modo aliquo alienar delle mie terre o alri beni corne case in Padoa, livelli o altro fino che non serà alla età de anni 22, nel qual tempo s''el vorrà farsi far mercantie possi vender per la mità delle cose mie preditte, ma advertisca ben quel ch''el fa. [ ... ]. Tamen azonzo ch''el s''el vorrà far mercantie el possi vender fino alla summa de ducati 1000 arrivato ch''el sii alli anni disdotto et alli anni 22 possi vender fino la mità preditta » .

22 ASV, NT, b. 196, 844, 1564, 25 mai, cit.

23 À titre d''exemple, le fils du notaire philoluthérien et cleptomane Antonio Brocardo était épicier de son état, ASV, NT, b. 192, 168, 1539, 25 janvier, cit. Sur la reproduction sociale dans le milieu des notaires, cf. S. Jahan, Profession, parenté, identité sociale. Les notaires de Poitiers aux temps modernes (1515-1815), Toulouse, 1999.

24 ASV, NT, b. 1218, n. 50, 1562, 25 novembre, «Quando mio fio avrà 20 anni potrà mutare, rinovare questo testamento corne fatto non fusse e poi farne un altro a modo suo ma non possa disporre di quella parte in cui io parlo di sua madre, et cio'' dico perla gran mutatione che il mondo fa di giorno in giorno per tutte le sue cose corne perché li nostri parenti habbino causa di tanto più viver in carità et amorevolezza con lui per tal autorità da me prestatali possendo sperar con qualche occasione di posser haver qualche bene da lui, alla quai carità et benevolentia lo esorto ad haver più rispetto che a grado o propinquità di sangue » .

25 «Étant des hommes, ils peuvent bien gagner leur vie » , écrit au sujet de ses neveux le secrétaire ducal Lorenzo Trevisan, qui laisse ses biens à ses nièces, ASV, NT, b. 1185, f. 160, 1532, 5janvier.

26 ASV, NT, b. 193,141, 1546, 6 mai ; 1547, 5 mai.

27 ASV, SGM, b. 130, 1558, 10 janvier.

28 ASV, NT, b. 1249, I, 5, 1568, l''r septembre.

29 ASV, NT, b. 193, 44, 1559, 9 avril, testament du médecin Antonio Orsato.

30 Les testaments révèlent souvent ces «pluriactivités » familiales, cf. par exemple : ASV, NT, b. 194, 1568, 15 octobre, Zorzi Mainardo, «citoyen et notaire de Venise » , qui fait état des créances concernant des voyages marchands ; Ibid.,

492, 1571, 18 octobre, Girolarno Albin, secrétaire ducal, qui parle de la compagnie pour le voyage de Chypre, avec son beau-frère.

31 ASV, NT, b. 393, 388, 1574, 7 mars, testament de Gasparo Calvi.

32 Antonio Gonella et Andrea Agostini «da] banco" laissent à leurs épouses toute leur dot, même si elles voulaient se remarier, ASV, NT, b. 1262, II, 38v, 156 7 ; b 209, 25, 1548, 25 février.

33 ASV, NT, b. 194,467, 1542, 8 septembre, testament de Gregorio Lonasta.

34 ASV, NT, b. 1185, 44, 1521, 20 janvier, testament de Francesco Cavalli.

35 ASV, NT, b. 193, 1584, 7 novembre, testament de Camillo Mazzi, secrétaire ducal.

36 ASV, NT, b. 52, 256, 1528, 15 mai, testament de Zuanne Taiapiera, secrétaire ducal.

37 ASV, NT, b. 192, f. 164, 190, 1540, 12 octobre, testament de Valerio Superchio, médecin.

38 ASV, NT, b. 194,492, 1571, 18 octobre, testament de Girolamo Albin, cit. ; ASV, NT, b. 1218, 45, 1558, 13 juin, testament de Paulo Ruberti.

39 «La grande maison «da stazio" que j''ai fabriquée ex nova à Abano", écrit le médecin Zuan. Antonio Secco, originaire de la ville de Crema, en instituant un «fidéicommis très strict" sur ses immeubles, ASV, NT, b. 1258, 133, 1576, 1 e, · mars. Trois ans plus tard, dans un codicille, il ajoute un autre fidéicommis sur la maison «da stazio ", qu''il a achetée, «au prix de fatigues et de sueurs infinis", Ibid., 1579, 1 e, août.

40 ASV, NT, b. 194, 476, 1593, 9 juin, testament du secrétaire ducal Gabriel Cavazza.

41 ASV, NT, b. 79, 355, 1552, 18 décembre, cit.

42 ASV, NT, b. 193, 141, 1546, 6 mai ; 1547, 5 mai.

43 ASV, SGM, b. 130, 1549, 2 octobre.

44 ASV, NT, b. 1249, I, 5, 1568, l" septembre. «Et mes deux premières filles n''ont pas eu la dot qu''elles méritaient, car à l''époque je n''avais que 70 ducats de revenus » , écrit le médecin Valerio Superchio, ASV, NT, b. 192, f0 164, 190, 1540, 12 octobre.

45 ASV, NT, b. 782, n. 745, 1567, 9 octobre, cit.

46 Extraits traduits de L''lnferno monacale di Arcangela Tarabotti, publié par F.

Medioli, Turin, 1990, p. 35-3 7.

47 ASV, NT, b. 1185, f. 160, 153116 septembre.

48 ASV, NT, b. 782, n. 745, 1567, 9 octobre.

49 ASV, NT, b. 782, n. 745, cit. et cf. le testament du frère, ASV, NT, b. 783, 1086, 1564, 11 mars, cit.

50 ASV, NT, b. 196, 870, 1569, 28 juillet.

51 ASV, NT, b. 1258, 19, 1578, 25janvier.

52 ASV, NT, b. 194, 492, 1571, 18 octobre et cf. le testament de Giovanni Salvador, qui interdit à son gendre d''effacer les armes de la famille de la façade de sa maison, ASV, NT, b. 1185, f0 54v, 1508, 28 décembre.

53 Voir, par exemple, ASV, NT, b. 192, f0 29v, 1528, 25 mai, testament du notaire Gerolamo Bossis ; b. 1217, VIII, 58, 1552, 29 décembre, testament du secrétaire ducal Pietro Bressan ; b. 1185, 44, 1521, 20 janvier, testament du médecin Francesco Cavalli.

54 ASV, NT, b. 1218, n. 50, 1562.

55 «En signe d''amour » , Pietro Pomaro, fils du médecin Lunardo, fait des legs à toutes les filles naturelles de ses frères, ASV, NT, b. 783, 1086, 1564, 16 mars ; Alvise Bianco interdit à ses neveux de s''opposer aux legs de terres qu''il fait à sa fille naturelle, ASV, SGM, b 130, 1545, 19 juillet. Dans certains testaments, on

voit des comportements proches de ceux des patriciens qui casent les mères de leurs enfants naturels en les mariant à des artisans, cf. le testament d'' Antonio Pasqualini, qui désigne ses enfants naturels comme héritiers, si sa légitime épouse ne lui donnait pas d''enfants, ASV, NT, b. 201, 48, 1532, 8 août.

56 Cf. sur le sujet M. Daumas, Le mariage amoureux . ... , cit.

57 ASV, SGM, b 130, 1545, 16 mai.

58 ASV, NT, b. 1258, 133, 1576, 1" mars.

59 Moderata Fonte, Il merito delle donne, ove chiaramente si scuopre quanta siano elle degne e più perfette de gli uomini, Venise, 1600 ; Lucrezia Marinella,

La nobiltà et eccellenza delle donne, co'' difetti e mancamenti de gli uomini, Venise 1600 ; sur l''accès des femmes à l''écriture en Italie, cf. T. Plebani, Scritture di donne nel Rinascimento italiano, dans G. Belloni, R. Drusi (dir.), Umanesimo e educazione,

vol. 2 de G. L. Fontana et L. Molà (dir.), Il Rinascimento italiano e l''Europa,

Trévise-Costabissara, 2007, p. 243-263.

60 ASV, NT, b. 193, 174, 1562, 27 février.

61 ASV, NT, b. 158, 928, 1591, 7 juillet, Bethina fu del magnifico messer Hieronimo Albin ducal segretario consorte del magnifico signor Lunardo Malipiero.

62 ASV, NT, b. 158, 929, 1595, 30 mars.

63 ASV, NT, b. 193, 174, 1562, 27 février, «Beneta fiola del quondam messer Beneto di Maistri e mogier del eccellente messer Zuanne Gigante dottor [ ... ]. Voio che preditto mio marido sia usufrutuario de tuti li mei beni predetti pmiandosse ben con ditti miei fioli e non fazando diferentia dalli miei ad altri ch''el ne havesse in caso el tornasse a maridarsi, la quai bona compagnia son certa el farà a ditti miei fioli per l''amor è stato tra noi » .

64 Tbid., 1567, 13 mai : «Vogio ch''el prefatto mio carissimo marido non maridandosi più sia usufmtuario in vita sua de tuto quello che pertenirà alli miei fioli maschii delli ditti miei beni, et ancho di quello pertenirà alle fie fino che serano maridate o monachate de anni quindese in circa. Se veramente el se maridasse, che non credo, ordeno che li preditti miei fioli siano alhora patroni de tuto el mio. Ma ben prego ditto mio marido per l''amorevolezza è stata tra noi governi bene ditti nostri fioleti et se per sorte el se maridasse, pregolo a non lassar decipar el mio alli preditti fioli, et haverli custodia, si corne l''havesse delli altri fioli, ch''el si trovasse con altra mogier, corne son sicura, che per l''amor grande che li porta al presente el non farà altramente, ma questo dico per mia satisfation » .

65 Sur l''évolution des manifestations d''amour et tendresse dans les écrits d''hommes et de femmes, cf. M. Daumas, Le mariage amoureux ... cit.

66 Cf. R. Dekker (dir.), Egodocuments and History. Autobiographical Writing in its Social Context since the Middle Ages, Dordrecht, 2002 ; J.-P. Bardet, F.-J. Ruggiu (dir.), Au plus près du secret des coeurs ? Nouvelles lectures historiques des écrits du for privé en Europe du XVI'' au XVIII'' siècle, Paris, 2005.

67 ASV, NT, b. 1258, 487, 1559, 19 avril.

68 ASV, NT, b. 782, 890, 1555, 15 août, Anzola Malosso, épouse du médecin Gasparo Fontana.

69 ASV, NT, b. 783, 1133, 1551, 20 mars ; 1562, 20 février : «Theodosia fiola del quondam messer Raphael de S. Gervaso dottor da Bressa, moglier de messer Zandomenego Arnaldo,,.

70 ASV, NT, b. 780, 1547, 23 septembre ; b. 783, 1078, 1549, 16 septembre, «Chiara de Arimino relitta de messer Zorzi Dragon nodaro della contrà di S. Maria Mater Dornini ,,.

71 ASV, NT, b. 782,719, 1554, 21 août.

72 ASV, NT, b. 193, 169, 1584, 18 octobre ; 1586, 5 décembre.

73 ASV, NT, b. 193,215, 1561, 21 février.

74 ASV, NT, b. 421, 119, 1572, 10 mars, «Zuana fia del quondam messer Zuane Maragnin et consorte del eccellente messer Antonio Apolonio rnedico da Piran [ ... ]. Et per spese ha fato mio marido a mia contemplacion in mantenir sudito Don Basilio mio fia] et in maridar due mie fiole doi volte et alevar li soi fioli tenendoli con esse in casa con malta spesa corne è notorio » .

75 Cf. A. Bellavitis, Identité, mariage, mobilité sociale ... cit., p. 245-246.

76 ASV, NT, b. 782, 828, 1569, 4 janvier, «Marina moglier de messer Lorenzo Caontarini nodaro dell''Avogaria [ ... ]. La mia dote che è de ducati tremille et tanto più quanto messer Lorenzo dirà per sua conscientia haver havuto più de tresento ducati promessoli in mobeli, la lasso per mittà a mei fioli Zuane et Maria del preditto quondam messer Daniel Ruosa, ben vorrei che per commodo et aiuto della puta a poterla maridar, l''havesse una dote grossa e almancho de tre mille ducati tra li mei ducati millecinquecento per mittà di mia dote, di quali sono settecento ducati de denari et mobeli, et tra le intrade et Ja expectativa de fontego che loro fioli vieneno a participar per mitae et il resto sia supplito nelli stabeli minori, ma ch''el puto sia avantazado et debbi a lui restar li stabeli mazori, ben voglio che la puta non sia tratta de monestier fino al suo maridar » .

77 ASV, NT, b. 79, 272, 1549, 4 septembre ; 1550, 24 aoùt ; 1555, 22 mars ; 1555, 1er novembre ; 1556, 30 octobre ; 1558, 20 octobre.

78 Sur ce premier fils, Gerolamo, cf. A. Bellavitis, identité, mariage, mobilité sociale ... cit., p. 126-136.

79 ASV, NT, b. 79, 466, 1549, 17 septembre, «Justina fia del excellente physico messer Bortholamio Abioso et consorte de messer Jacomo Sorbolo de Bagnacavallo

[ ... ]. item voglio che dapoi la mia morte sia messo in deposito in monestier de la

+ da Veniesia tutti li mei vestimenti drapamenti et aitre cose che sonno per uso de la mia persona et che quelle siano servate li fin al maridar de mie fie le quai cose voglio sia date a mie fie per il suo rnaridar » .

80 Pour un cas semblable, dans un testament florentin, cf. A. Bellavitis, I. Chabot, People and Property in Florence and Venice, in M Ajmar-Wollheim, F.

Dennis (dir.), The Renaissance at home ... cit., p. 76-85.

81 ASV, NT, b. 193, 67, 1593, 5 janvier.

82 ASV, NT, b. 783, 969, 1556, 11 août.

83 ASV, NT, b. 193, 67, 1593, 5 janvier, «Andriana Uberti fiola del quondam

magnifico signor Antonio ducali secretario et moglie del magnifico messer Bonifatio Antelmi ancho ducal secretario [ ... ]. Qual < lotte et contradotte redutta corne ho detto tuta in beni stabeli non possa mai in alcun tempo esser alienata o diminuita, ma conservata e cresciuta in perpetuo [ ... ] voglio che siano delli mei dilettissimi figlioli maschi e loro dessendenti in perpetuo, diviso il tutto fra essi a ratta portione con espressa conditione che in alcun tempo mai possino vender, impegnar, né in alcun modo o soto qualunche pretesto alienar [ ... ], ma debba essa mia < lotte, contradotte et altri beni restar nel modo detto soto stretissimo et indisolubile fideicommisso de heriedi in heriedi maschi di legitimo matrimonio nati a ratta portione. Et manchando in alcun tempo qualcheduno delli maschi senza heredi maschi, vadi la sua portione nelli altri maschi più prossimi et cos] di tempo in tempo in perpetuo. Et in caso che vi fusse al tempo della mia morie figliola femina voglio che li mei figlioli maschi siano obligati darli a ratta portione doi mille ducati al suo maridar o monachar, non intendendossi pero delli mei beni stabili della mia < lotte e contradotte li quali corne ho detto hanno da esser sotto stretissimo fideicommisso de heredi in heredi maschi in perpetuo. Et se havero due figliole femine voglio che siano essi mei figlioli maschi obligati darli ducati mille e cinquecento per una ne] modo sopraditto. Et se al tempo della mia morte ne havero più siano obligati a darli solamente ducati mille per una. Voglio che li mei figlioli e dessendenti in perpetuo siano privi del beneffitio delle intrate de ditti beni se non pagareno le gravezze e angarie della città di anno in anno [ ... ]. Voglio che li ditti mei figlioli et tuti li loro dessendenti in perpetuo siano tenuti et obligati

di applicarsi a qualche charico o esercitio et quelli o quello che non lo farà sia et esser se intenda privo de tuti li mei beni » .

84 ASV, NT, b. 780, 1547, 23 octobre.

85 ASV, NT, b. 164, 545, 1562, 8 septembre, «Zanetta fo de messer Francesco de Varisco et relitta quondam messer Jacomo da Santa Maria advocato [ ... ]. Il restante veramente de tutti li altri beni mei de cadauna sorte mobeli et stabeli mi ritroverà haver al tempo de mia morte voio sia de Antonia et Marina mie fie dilette egualmente tra loro per il suo viver et suo maridar, quale sia mie herede e li mei fioli mascoli non si maravelgino se non li lasso altro perché loro haveranno altri beni et fitti dove si melgio potrano prevaler et per questo ho lassado a ditte fie per esser loro mancho atte a prevalersi per esser clone » .

86 ASV, NT, b. 779, 1558, 26 juillet, «Hisabetha moglier de messer Camillo Lion physico della contrada di San Samuel[ ... ]. Lasso patron et usufrutuario della mittà della mia dote messer Camillo Lion mio marido in vita sua et l''altra mittà dells mia dote lasso mei heredi tutti mei fioli si mascoli corne femine et maridate corne non maridate, con questo che la maridata et la vedoa debbano meter a corn un et a conta le terre che li sono sta date in dote » .

87 Pour une analyse de ce partage des tâches dans les familles patriciennes, à

la fin du Moyen Âge, cf. I. Chabot, Ricchezze femminili e parente/ a nel Rinascimento. Riflessioni intorno ai contesti veneziani e fiorentini, dans Quaderni Storici, 118, l/ 2005, p. 203-229.

1 Cf. S. Seidel Menchi, 1 processi matrimoniali came fonte storica, dans S. Seidel Menchi et D. Quaglioni (dir.), Coniugi nemici ... cit., p. 15-94

2 Pour reprendre le sous-titre du recueil When Dad Died, dirigé par R. Derosas et M. Oris, op. cit.

3 Cf. sur le lien entre reproduction sociale et stratégies familiales, P. Bourdieu,

Stratégies de reproduction et modes de domination, dans Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n. 105, décembre 1994, p. 3-12.

4 Cf. à titre de comparaison L. Fontaine, Droit et stratégies : la reproduction des sytèmes familiaux dans le Haut-Dauphiné (XV/ l''-XVIII'' siècles), dans Annales E. S. C., novembre-décembre 1992, n° 6, p. 1259-1277. Sur le lien entre formes de transmission, groupe social et modes d''habitation, cf. J.-L. Flandrin, Familles. Parenté, maison, sexualité dans l''ancienne société, Paris, 1984 ; A. Collomp, Familles. Habitations et cohabitations, dans P. Ariès, G. Duby, La vie privée. De la Renaissance aux Lumières, Paris, 1999, p. 485-526 ; P. Fortini Brown, The Venetian Casa ... cit. et, pour une synthèse récente sur la maison populaire en Italie, S. Cavallo, The artisans casa, dans M. Ajmar-Wollheim, F. Dennis, At Home in Renaissance Italy ...

cit., p. 66-75 ; sur Venise, cf. G. Gianighian, P. Pavanini, Dietro i palazzi. Tre secoli di architettura minore a Venezia, Venise, 1984.

5 Je fonde ces considérations sur l''étude de deux-cent contrats de mariage

d''artisans, de la fin du XVIe siècle, conservés dans ASV, Notarile Atti, b. 376-377, 452-453,479-481, 494,504, 3099, 5740-5746, 6617, 10654-10655, 1187.

6 Cf. aussi, à ce propos, D. Romano, Patricians and Popolani ... cit.

7 Cf., pour des comparaisons, S. Cavallo, L''importanza della famiglia orizzontale ... cit.

8 Cf., par exemple, E. Shorter, The Making of the Modern Family, New York, 1975 ; L. Stone, The Family, Sex and Marriage in England, 1500-1800, Londres, 1977 ; R. Trumbach, The Rise of the Egalitarian Family. Aristocratie Kinship and Domestic Relations in Eighteenth-Century England, New York, San Francisco, Londres, 1978.

9 Il est pour le moment impossible de dire comment et par quels moyens il les connaissaient. Par écrit ? Par oral ? Une recherche sur le sujet pourrait emprunter plusieurs chemins, abordant des problématiques qui vont du degré d''alphabétisation et à la diffusion d''éditions imprimées des Statuts, à un recensement des lois citées dans les témoignages rendus en justice.

10 Sur la place du sujet comme caractéristique de la construction des États européens, à l''époque moderne, cfr. P. Blickle, S. Ellis, E. Ôsterberg, Les roturiers et l''État : représentation, influence et procédure législative, dans P. Blickle, Résistance, représentation et communauté ... cit., p. 163-214.

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  27. PDF Sources d'information sur l'Afrique noire francophone et Madagascar

    qui groupe dix pays d'Afrique est pris en charge principalement par le Gabon. Créé en 1983, il se propose d'étudier et de mettre en valeur l'histoire, les structures sociales et le patrimoine des peuples bantu d'Afrique. Sa revue Muntu paraît semestriellement depuis 1984 (dernier numéro paru: 4-5, fin 1986). Un centre de documentation offre

  28. Un monde inconnu/Texte entier

    Sir Francis Dayton, syndic de la faillite de la Société Nationale des communications interstellaires, dont le siège social est à Baltimore (Maryland), a l'honneur d'informer le public qu'il sera procédé, le 10 février prochain, en la grande salle de l'Hôtel des Ventes de Baltimore, à la vente aux enchères publiques de :

  29. Voyages

    Voyage de groupe. Charlevoix - Train et marchés de Noël Québec, Marchés de Noël et Baie-Saint-Paul Départs disponibles en novembre et en décembre 2024. 2 jours | 1 nuit | Transport en autocar | 3 repas

  30. Famille, genre, transmission à Venise au XVIe siècle [Texte]

    Groupes de parents qui demandent conjointement des assignations d'héritage; Les héritiers potentiels de la lignée paternelle Les ... dans son livre sur les femmes et la propriété en Angleterre, a proposé une comparaison intéressante, quoique paradoxale, entre la valeur des biens meubles et la valeur des immeubles. Selon ses calculs, au xvne siècle, un cottage pouvait avoir la valeur de ...